Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE VII

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 L'évasion de Jean Cavalier avait rempli de douleur le Maréchal Villars. Lorsque tout semblait fini, tout recommençait.
Il se mit à parcourir les localités protestantes, haranguant partout les populations. Son amabilité, sa courtoisie, l'affection qu'il témoignait à tous, impressionnaient les Cévenols si mal traités par ses prédécesseurs.

« J'ose espérer, Messieurs, leur disait-il, un heureux succès du zèle et de l'ardeur qui m'animent. N'oubliez pas le secours que tant de bons Français, de gens d'honneur, de fidèles sujets doivent à leur prince, à leur patrie et à eux-mêmes. Il faut conserver l'une des plus puissantes provinces de ce royaume, qui peut être la plus heureuse par la bonté de ses terres, par l'industrie de ses habitants et par la disposition de ses gouverneurs. Quoi ! Messieurs, souffrirez-vous que la fureur de quelques particuliers détruise une félicité que tant de raisons doivent rendre solide ! Que veulent-ils ces malheureux ? Quel est leur objet ? Si c'est uniquement de servir Dieu, ce premier devoir est-il troublé ? Dieu nous commande de rendre à César ce qui est à César. C'est de sa bonté que nous avons un roi qui, dès les premiers jours de sa naissance, a été nommé Dieudonné : ce nom lui est légitimement rendu par toute la gloire dont la nation est comblée sous son règne ; depuis qu'elle combat sous ses ordres, nous ne voyons qu'une suite de victoires. Je ne puis songer à ces combats heureux, où ce qui sort de cette province valeureuse a toujours eu tant de part, sans verser des larmes de sang sur celui qu'elle voit cruellement répandre dans ses entrailles. Ne vous parez pas des motifs de la religion, adorez Dieu dans votre coeur ! Dieu tout bon, Dieu tout juste, ne vous en demande pas davantage . . . . . . . . . ..

Puis, s'adressant aux mécontents et aux rebelles, il ajoutait : « Croyez-vous donc abuser longtemps de la bonté du roi ? C'est à vous, peuple, que je parle. Je dois distinguer les nouveaux convertis des villes ; ils n'oublient rien pour marquer leur fidélité et leur zèle, et m'aideront à vous punir. C'est donc à vous, gens de village, qui êtes ici assemblés, que je parle. Je ne veux rien avoir à me reprocher, avant d'en venir aux dernières rigueurs que l'on a justement exercées sur un si grand nombre de communautés. L'exemple de Brenoux, de Saint-Paul et de Sousselle devrait vous corriger. On a été obligé, non seulement de les détruire, mais même d'en exterminer les habitants. Revenez à vous afin que je n'aie qu'à pardonner. Je demande à Dieu cette grâce, comme une des plus sensibles que je puisse recevoir de sa bonté. Mais si vous n'attirez la clémence du roi, si votre obstination force Sa Majesté à la justice, je l'exécuterai cette justice, avec d'autant plus de dureté, que je n'ai rien oublié, comme tout le monde le sait, pour vous éviter les punitions que vous n'avez que trop méritées. »

Ce discours, composé avec autant d'art que celui de Satan dans le jardin d'Eden, et répété de village en village et de ville en ville, avec douceur et onction, d'une voix persuasive, par un homme qui savait tour à tour faire entendre la voix des larmes et celle des menaces, impressionnait fortement les populations huguenotes. Alors, Anduze, Saint-Hippolyte et de nombreux bourgs nommèrent des députés qui se réunirent en conférence à Durfort le 3 juin, avec le baron d'Aigaliers, pour examiner les moyens à employer afin d'amener Roland à faire sa soumission.

« Si vous ne déposez de suite les armes, lui envoyèrent-ils dire, nous les prendrons contre vous, et nul de nous ne vous donnera des vivres. »

Ce langage ingrat et cruel indigna l'âme noble de Roland. « Retournez à Durfort, dit-il aux députés ; si vous reparaissez devant moi, je vous fais fusiller. »

Ce fut en vain que le baron d'Aigaliers fit de pressantes démarches auprès de l'héroïque chef camisard pour le supplier de quitter la France. « Nous ne sortirons pas de notre pays », lui répondit Roland.
Le Maréchal, très irrité de la ténacité de Roland, ordonna de nouvelles mesures de rigueur. Un immense cri de douleur retentit dans les Cévennes. Couvents, prisons, galères virent arriver des masses de nouveaux hôtes.

À ce moment, les Camisards comptaient dans leurs rangs environ trois mille fantassins et deux cents cavaliers, mais ils manquaient de munitions, d'armes et de nourriture.

« J'ai vu, à la troupe où j'étais, dit un témoin oculaire, plusieurs hommes armés de fourches et de bâtons, d'autres n'avoir qu'un bâton, sans souliers, sans habits, enfin d'une manière pitoyable, sans se déshabiller jamais que lorsqu'ils vont chez leurs pères, qui leur donnent des chemises blanches (propres) et auxquels ils laissent celle qu'ils portaient sur leur corps. Toujours couché à la campagne, cet état ne les rebute point ; au contraire, ils sont tranquilles, fermes, et, louant Dieu de ce qu'il leur a inspiré de combattre pour sa cause, ils prient Dieu sans cesse et avec un si grand zèle qu'il semble qu'ils soient collés à notre Seigneur Jésus-Christ. »

Des témoignages comme celui que nous venons de lire nous révèlent l'esprit de foi, d'abnégation, de fidélité de ces nobles soldats du Christ.

« Le coeur se serre de douleur, dit M. Puaux, à la vue de ces infortunés, luttant contre la faim, l'abandon et le découragement. Si leur courage excite notre admiration, leur persévérance à réclamer leurs libertés religieuses l'excite plus encore. Malgré leur état complet de dénûment, on est porté à croire que Villars eût prolongé son séjour en Languedoc, s'il ne s'était trouvé un homme pour lui vendre le sang de Roland. Ce traître était un jeune Camisard, l'agent de confiance du chef cévenol. »

Roland avait gagné le coeur d'une jeune fille noble, Mlle de Cornély. La noblesse d'âme du chef camisard, sa foi, son héroïsme, même ses manières distinguées, avaient rempli d'admiration la jeune fille. Elle s'était éprise pour le jeune héros d'une passion « mystique et romanesque. » Elle eut le courage de se joindre aux soldats cévenols et d'accompagner partout Roland. Montrevel la fit prisonnière et l'enferma dans un couvent. Villars lui rendit la liberté dans un but intéressé ; il lui demanda d'user de son influence sur le chef camisard pour l'engager à déposer les armes. La perspective d'une prochaine union ne la tenta pas, elle refusa noblement. « Roland ne veut pas se rendre, répondit-elle, l'Esprit le lui défend. »

Le chef des enfants de Dieu était ferme comme le roc. Le regard fixé sur Dieu, il demeurait inaccessible à toutes les séductions. « Je ne me jetterai pas dans la gueule du lion », disait-il. Hélas ! nous ne savons jamais si la main qui nous presse ne tient pas le caillou qui doit nous lapider ; un traître allait livrer, pour cent pièces d'or, le héros qui avait affronté tant de fois la mort. L'armée cévenole allait être décapitée.




Le 13 août 1704, Roland, accompagné de Mlle de Cornély, alla coucher au château de Castelnau, entre Uzès et Ners. Les ennemis en furent avertis par son agent de confiance. À la nuit tombante, ils arrivèrent. Le chef huguenot dormait quand, tout à coup, une sentinelle donna le signal d'alarme. En un instant, les Camisards réveillés décampent au milieu du tumulte, poursuivis par les dragons. Ceux-ci cherchent Roland ; ils l'aperçoivent enfin. Se voyant sur le point d'être atteint, le noble chef, adossé au tronc d'un vieil olivier, attend ceux qui ont reçu l'ordre de le saisir vivant. Il tue les trois premiers qui s'approchent. Un dragon, irrité de la mort de ses trois compagnons, décharge son fusil à bout portant sur le héros cévenol ; il tomba sans avoir poussé un soupir. « Ses braves compagnons, Guérin, Grimaud, Maillé, Raspal et Coutereau, qui se défendaient à ses côtés, laissèrent tomber les armes de leurs mains et se jetèrent en pleurant sur le corps inanimé de leur brave chef. Ils se laissèrent, dit Louvreteuil, saisir comme des agneaux ».
Mlle de Cornély s'échappa, grâce à l'obscurité de la nuit et à un bon cheval.

Le lendemain, l'officier Parate entrait triomphalement à Uzès avec le cadavre de Roland sur la selle de son cheval. Il le fit promener dans toutes les rues de la ville, accompagné d'un homme qui criait : « Voilà le corps de Roland, le fameux chef camisard ».

Le corps fut porté à Nîmes. Il fit son entrée funèbre dans la ville au milieu des cris, des larmes et des sanglots des protestants. Une foule immense se pressait autour du char sur lequel reposait les restes mortels du héros chrétien. Chacun voulait contempler les traits de l'homme qui avait rempli tout le midi de ses exploits. Villars avait le coeur plein de joie. Bâville rayonnait. Il condamna l'illustre mort à être traîné sur la claie et ensuite à être brûlé. Ses cendres furent jetées au vent.

Les cinq officiers qui s'étaient laissés prendre sans résistance en voyant la mort de leur chef, furent exécutés peu de temps après. L'évêque Fléchier et quatre autres prélats voulurent les voir mourir ; leur joie, qu'ils ne surent pas dissimuler, dit Puaux, indigna même les catholiques. Les prisonniers furent aussi grands sur l'échafaud qu'ils avaient été intrépides sur les champs de bataille.




Nous ne voulons pas dire adieu au plus grand et au plus noble des héros camisards sans nous incliner très respectueusement devant lui. En grandeur morale, il surpasse de beaucoup Cavalier. Comme général, on l'a comparé à Turenne ; comme beauté de caractère, il fait penser à Gaspard de Coligny.

Né le 3 janvier 1680, il a été tué le 13 août 1704 ; il avait donc 24 ans et demi. Comme colonel des enfants de Dieu, il avait succédé à son oncle Laporte en Octobre 1702. Son grand coeur, sa belle intelligence, sa volonté indomptable mise au service de Jésus-Christ, l'esprit de prophétie qui le remplissait, et jusqu'à l'amour si grand qu'il inspira à la noble châtelaine de Cornély font du héros cévenol un homme de haute stature. Il domine ses contemporains. Si Cavalier avait plus d'élan, Roland avait plus de prévoyance ; si le premier avait plus d'enthousiasme, le second avait plus de profondeur et de sérieux moral. Le premier est un héros presque légendaire ; il gagne à être vu d'un peu loin ; le second, dont la vie est plus voilée, grandit sans cesse à mesure qu'on l'approche. Il avait tous les dons de la jeunesse avec l'expérience et la maturité de la vieillesse.

« S'emparant de cet orageux élément de l'extase, dit Napoléon Peyrat, Roland en fit le fondement et la règle d'une insurrection qu'il organisa, nourrit, vêtit, abrita, entretint deux ans au désert, malgré la fureur des hommes et des saisons ; lutta avec trois mille combattants contre des populations hostiles, soixante mille ennemis armés, les maréchaux de Louis XIV, et ne fut enfin abattu que par la défection, la trahison et la mort. L'insurrection créée par lui, morte avec lui, c'était lui-même ; il en était l'intelligence, l'âme. Mais, s'il en fut la tête, Cavalier, il faut le dire, en fut le bras et la plus vaillante épée... L'infidélité conduisit Cavalier à la fortune et à la célébrité ; Roland, incorruptible, scellant sa cause de son sang, n'obtint qu'un obscur martyre ». Courte a été sa vie, grande a été son oeuvre.

« La fortune, la célébrité, dit 0. Douen, c'était tout ce que méritait Cavalier, enfant vaniteux chez qui le caractère n'était pas à la hauteur de la bravoure et du génie militaire. Roland eut, de plus, l'absolu dévouement à une sainte cause ; il résista jusqu'à la mort au despotisme qui voulait ployer les âmes et se jouer des consciences. Aussi l'histoire lui décerne-t-elle l'une de ses plus belles couronnes. Tandis que la renommée de Cavalier a baissé, celle de Roland a grandi. Lorsque l'humble demeure qui l'abrita était menacée de passer aux mains des créanciers de son arrière-neveu, une souscription s'organisa pour la racheter, et l'on voit aujourd'hui au-dessus de la porte, cette inscription gravée sur le marbre : « Propriété de la Société d'histoire du protestantisme français. Maison de Roland, le héros cévenol ».

Les Camisards n'avaient plus de chef. Ils avaient de bons lieutenants, mais chacun préférait commander plutôt qu'obéir. Ce fut leur faiblesse à un moment où Louis XIV aurait été rendu sans doute plus souple par les revers qu'il éprouvait à l'étranger.
Ils eurent le malheur de perdre leurs magasins où la prévoyance de Roland avait entassé de grands approvisionnements.

Villars dépeupla complètement la campagne en ordonnant aux gens, sous peine d'être fusillés, de se retirer dans les lieux qui leur seraient indiqués, avec leurs meubles, leurs vivres et leurs bestiaux. Il se servit de nouveau du baron d'Aigaliers auprès des protestants aux abois.

À Thoiras, vingt Camisards promirent de déposer les armes à la condition qu'on accorderait la permission de sortir du royaume à tous ceux qui voudraient en profiter.

Ce premier succès encouragea le baron. Accompagné de ses vingt prosélytes, il alla à Saint-André-de-Valborgne faire des propositions au commandant La Roze, qui était à la tête de trois cents hommes. Ce chef était presque gagné quand, tout à coup, ses soldats se mutinèrent. Le baron n'échappa à la mort qu'en se sauvant du côté des montagnes. Bâville le haïssait. Suspect à tous les partis, d'Aigaliers, qui était un brave homme, reçut l'ordre de quitter le royaume.
Il arriva à Genève, sans ressources, le 23 septembre 1704. Plus tard, il revint en France, fut arrêté, puis tué d'un coup de fusil en cherchant à s'évader.

Quant aux Camisards, une défaite de Ravanel à Saint-Benezet acheva de les affaiblir. On donna ensuite la chasse à leurs petits détachements comme aux bêtes sauvages. Le Maréchal promit de nouveau une amnistie à tous ceux qui feraient leur soumission. On accourut en foule. Les chefs, d'abord hésitants, cédèrent devant la nécessité.

Ravanel et Catinat, après avoir encore lutté huit mois, furent arrêtés, emprisonnés et brûlés vifs après avoir subi la torture de la question ordinaire et extraordinaire. Ravanel fut héroïque dans sa mort comme dans sa vie. Catinat, moins ferme, mourut pourtant en vrai Camisard. Castanet subit courageusement le supplice de la roue.

Clary, qui s'était soumis à l'épreuve du feu, resta grand au sein de l'épreuve. Son ami Montbonnoux et lui refusèrent de se soumettre sans vouloir s'exiler. Les deux amis vécurent pendant six ans dans les cavernes et les antres de la terre, n'en sortant que pour se procurer un peu de nourriture. Ils passaient souvent plusieurs jours sans manger. Bâville mit leur tête à prix. Clary fut arrêté près d'Uzès, conduit à Montpellier, condamné au supplice de la roue et exécute le même jour. Il mourut en chrétien comme il avait vécu. Il y a peu de vies plus belles que la sienne.

Abraham Mazel, qui s'était exilé en 1705, revint dans le Vivarais en 1709 et recommença la lutte. Avec soixante paysans, il lutta contre six mille hommes de troupes royales. Le 17 octobre 1710, le prophète fut tué dans un combat au Mas de Couteau, dans une bataille héroïque. Sa tête, portée en triomphe à Vernoux, y fut brûlée sur la place publique par la main du bourreau. Comme Clary, Abraham Mazel a été grand, très grand, par la beauté de son caractère et la puissance de sa foi.

Le capitaine Boëton ne se montra pas moins grand. Arrêté à Milhau, condamné au supplice de la roue, il dut subir d'abord les horribles supplices de la double question ordinaire et extraordinaire. Dès qu'il aperçut l'échafaud, il s'écria - « Courage, mon âme ! je vois le lieu de ton triomphe ; bientôt, dégagée de tes liens douloureux, tu entreras dans le ciel ! »
Il s'étendit lui-même sur la roue. Le bourreau lui brisa les os. Le supplice dura cinq heures pendant lesquelles le martyr ne cessa de prier, de chanter et d'exhorter ceux qui l'entouraient. Son visage était transfiguré. Sa mort fut une prédication puissante. Avant de recevoir le coup de grâce, il s'écria - « Mes chers frères, que ma mort vous soit un exemple pour soutenir la pureté de l'Évangile, et soyez les fidèles témoins de la religion de Jésus-Christ et de ses saints Apôtres. »

Ainsi se termina la guerre des Camisards. Cette insurrection fut-elle légitime ? Nous n'hésitons pas à répondre OUI.

Nous ne pouvons étudier à fond le sujet de l'autorité des puissances établies. Nous dirons seulement que cette autorité a des limites. Or quand un roi déchire de ses propres mains l'édit de son aïeul, quand il persécute ses sujets de la façon la plus odieuse depuis 17 ans, quand il arrache les enfants à leurs parents, qu'il envoie les maris aux bagnes et leurs femmes dans les cachots, quand il veut violenter ce qu'il y a de plus sacré dans la créature humaine, la conscience, cet homme-là, quelque nom qu'il porte, n'est plus qu'un assassin auquel on ne doit plus obéissance. Et tout en condamnant tous les excès des Cévenols, nous ne connaissons pas dans l'histoire de l'humanité d'insurrection plus légitime que la leur.


CONCLUSION

 

La lutte si inégale d'une poignée de paysans mal armés et pauvres contre les puissantes armées de Louis XIV reste mystérieuse et incompréhensible si on oublie les prophètes cévenols. Ceux-ci ont été la force des Camisards en dénonçant les traîtres que l'Esprit leur faisait connaître, et en avertissant les armées et les assemblées religieuses des dangers qu'elles couraient.

Dans son Histoire du fanatisme de notre temps, un témoin oculaire qui est en même temps un ennemi et un apostat de la foi protestante, M. de Brueys a écrit :

« On aurait de la peine à croire ce que j'ai dessein de raconter, si les choses que j'ai à dire ne s'étaient passées à la vue de toute la France, et si les exécutions militaires, les prisons et les châtiments auxquels on fut obligé d'avoir recours pour arrêter la contagion de ce mal, n'avaient pas fait assez d'éclat pour en informer toute l'Europe. Ce sont là des faits prouvés et rendus authentiques par divers arrêts du Parlement de Grenoble, par des ordonnances des intendants, par des actes judiciaires et par d'autres pièces justificatives, afin que personne ne puisse douter de la vérité de ces mêmes faits... Il y avait une infinité de petits prophètes ; il y en avait des milliers... Ces pauvres insensés croyaient être inspirés par le Saint-Esprit et prophétisaient sans malice ».

Quand on entend un ennemi de la vérité, un mondain intelligent, un témoin des faits qu'il raconte, affirmer la vérité de ces faits qu'il attribue à Satan, en disant que ces prophètes se moquaient des persécutions, de la prison, des souffrances, de la mort, et « qu'ils avaient une constance, ou plutôt une opiniâtreté enragée à soutenir dans les supplices, leurs sacrilèges extravagances », comment des chrétiens pourraient-ils mettre en doute l'action du Saint-Esprit qui inspirait les prophètes cévenols ?

Un chrétien d'Aulas, M. Caladon, a écrit qu'une pauvre idiote de paysanne, tout à fait ignorante, prêchait à merveille : « Quand on me le dit, je n'en crus rien du tout. Cependant j'ai été témoin qu'elles s'acquittait de cela miraculeusement bien ». Cette ânesse de Balaam avait une bouche d'or quand l'intelligence céleste la faisait parler. Jamais orateur ne s'est fait écouter comme elle ; et jamais auditeur n'a été plus attentif, ni plus ému que l'étaient ceux qui l'écoutaient. C'était un torrent d'éloquence, c'était un prodige, et ce que je dis n'a rien d'exagéré. Il aurait fallu avoir un coeur de marbre pour ne pas répandre des larmes en l'écoutant. Ailleurs, il dit « Il faudrait être entièrement aveugle pour ne pas voir que c'était la main de Dieu qui les a soutenus ». Et il ajoute : « On doit remarquer qu'il n'est pas moins difficile à nos paysans de faire un discours en français, qu'à un français qui ne ferait que d'arriver en Angleterre, de parler anglais. »

Or, tous les inspirés, depuis les jeunes enfants jusqu'aux vieillards parlaient un excellent français.

Deux faits sont hors de toute contestation :

1° Les inspirés annonçaient souvent que tels et tels d'entre les frères seraient blessés dans les prochains combats ; et que d'autres, qu'ils désignaient, seraient tués. Ils annonçaient la réussite ou l'insuccès de certaines entreprises, la trahison d'hommes en qui on avait confiance, ou encore l'arrivée de troupes ennemies.

2° Tous les historiens sont d'accord pour reconnaître que les prophètes étaient des hommes sanctifiés.

Ajoutons que les inspirés mettaient la Parole de Dieu au-dessus de leurs inspirations. C'est à leur respect pour la Parole écrite qu'ils durent sans doute d'être gardés de bien des erreurs.

Dieu a fait, pendant plusieurs années, au milieu des plus atroces persécutions, une oeuvre sainte et glorieuse par le moyen de ces paysans. On ne peut étudier l'histoire de Clary et d'Abraham Mazel sans voir la main puissante de Dieu dans leur vie.
Cela dit, reconnaissons que les prophètes cévenols n'étaient pas infaillibles, que la chair a pu souvent se mélanger à l'esprit et que plus tard, l'esprit prophétique s'étant affaibli, tout n'est pas resté pur.

On est aussi frappé de constater souvent chez les inspirés l'esprit de l'Ancienne Alliance plus que l'esprit de Jésus. On se croirait presque transporté au temps des Juges d'Israël ou de David. Mais ce n'était pas toujours le cas. Les prophètes cévenols ont montré une fidélité si inébranlable à l'Évangile, une foi si grande au sein des pires persécutions qu'ils nous inspirent un saint respect. L'action de Dieu est évidente dans leur vie et dans leurs discours. Ils ont vécu dans l'intimité de l'Éternel et il leur a révélé ses pensées. « Il y a bien des choses entre le ciel et la terre dont notre érudition ne se doute point », a dit un poète anglais. Mais il y a bien des expériences spirituelles que nous ferions, si nous avions la foi qui transporte les montagnes.

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