L'évasion de Jean Cavalier avait
rempli de douleur le Maréchal Villars.
Lorsque tout semblait fini, tout
recommençait.
Il se mit à parcourir les
localités protestantes, haranguant partout
les populations. Son amabilité, sa
courtoisie, l'affection qu'il témoignait
à tous, impressionnaient les Cévenols
si mal traités par ses
prédécesseurs.
« J'ose espérer, Messieurs,
leur disait-il, un heureux succès du
zèle et de l'ardeur qui m'animent. N'oubliez
pas le secours que tant de bons Français, de
gens d'honneur, de fidèles sujets doivent
à leur prince, à leur patrie et
à eux-mêmes. Il faut conserver l'une
des plus puissantes provinces de ce royaume, qui
peut être la plus heureuse par la
bonté de ses terres, par l'industrie de ses
habitants et par la disposition de ses gouverneurs.
Quoi ! Messieurs, souffrirez-vous que la
fureur de quelques
particuliers détruise une
félicité que tant de raisons doivent
rendre solide ! Que veulent-ils ces
malheureux ? Quel est leur objet ? Si
c'est uniquement de servir Dieu, ce premier devoir
est-il troublé ? Dieu nous commande de
rendre à César ce qui est à
César. C'est de sa bonté que nous
avons un roi qui, dès les premiers jours de
sa naissance, a été nommé
Dieudonné : ce nom lui est
légitimement rendu par toute la gloire dont
la nation est comblée sous son
règne ; depuis qu'elle combat sous ses
ordres, nous ne voyons qu'une suite de victoires.
Je ne puis songer à ces combats heureux,
où ce qui sort de cette province valeureuse
a toujours eu tant de part, sans verser des larmes
de sang sur celui qu'elle voit cruellement
répandre dans ses entrailles. Ne vous parez
pas des motifs de la religion, adorez Dieu dans
votre coeur ! Dieu tout bon, Dieu tout juste,
ne vous en demande pas davantage . . . . . . . . .
..
Puis, s'adressant aux mécontents et
aux rebelles, il ajoutait :
« Croyez-vous donc abuser longtemps de la
bonté du roi ? C'est à vous,
peuple, que je parle. Je dois distinguer les
nouveaux
convertis des villes ; ils n'oublient rien
pour marquer leur fidélité et leur
zèle, et m'aideront à vous punir.
C'est donc à vous, gens de village, qui
êtes ici assemblés, que je parle. Je
ne veux rien avoir à me reprocher, avant
d'en venir aux dernières rigueurs que l'on a
justement exercées sur un si grand nombre de
communautés. L'exemple de Brenoux, de
Saint-Paul et de Sousselle devrait vous corriger.
On a été obligé, non seulement
de les détruire, mais même d'en
exterminer les habitants. Revenez à vous
afin que je n'aie qu'à pardonner. Je demande
à Dieu cette grâce, comme une des plus
sensibles que je puisse recevoir de sa
bonté. Mais si vous n'attirez la
clémence du roi, si votre obstination force
Sa Majesté à la justice, je
l'exécuterai cette justice, avec d'autant
plus de dureté, que je n'ai rien
oublié, comme tout le monde le sait, pour
vous éviter les punitions que vous n'avez
que trop méritées. »
Ce discours, composé avec autant
d'art que celui de Satan dans le jardin d'Eden, et
répété de village en village
et de ville en ville, avec
douceur et onction, d'une voix persuasive, par un
homme qui savait tour à tour faire entendre
la voix des larmes et celle des menaces,
impressionnait fortement les populations
huguenotes. Alors, Anduze, Saint-Hippolyte et de
nombreux bourgs nommèrent des
députés qui se réunirent en
conférence à Durfort le 3 juin, avec
le baron d'Aigaliers, pour examiner les moyens
à employer afin d'amener Roland à
faire sa soumission.
« Si vous ne déposez de
suite les armes, lui envoyèrent-ils dire,
nous les prendrons contre vous, et nul de nous ne
vous donnera des vivres. »
Ce langage ingrat et cruel indigna
l'âme noble de Roland. « Retournez
à Durfort, dit-il aux
députés ; si vous reparaissez
devant moi, je vous fais fusiller. »
Ce fut en vain que le baron d'Aigaliers fit
de pressantes démarches auprès de
l'héroïque chef camisard pour le
supplier de quitter la France. « Nous ne
sortirons pas de notre pays », lui
répondit Roland.
Le Maréchal, très
irrité de la ténacité de
Roland, ordonna de nouvelles mesures de rigueur.
Un immense cri de
douleur retentit dans les Cévennes.
Couvents, prisons, galères virent arriver
des masses de nouveaux hôtes.
À ce moment, les Camisards comptaient
dans leurs rangs environ trois mille fantassins et
deux cents cavaliers, mais ils manquaient de
munitions, d'armes et de nourriture.
« J'ai vu, à la troupe
où j'étais, dit un témoin
oculaire, plusieurs hommes armés de fourches
et de bâtons, d'autres n'avoir qu'un
bâton, sans souliers, sans habits, enfin
d'une manière pitoyable, sans se
déshabiller jamais que lorsqu'ils vont chez
leurs pères, qui leur donnent des chemises
blanches (propres) et auxquels ils laissent celle
qu'ils portaient sur leur corps. Toujours
couché à la campagne, cet état
ne les rebute point ; au contraire, ils sont
tranquilles, fermes, et, louant Dieu de ce qu'il
leur a inspiré de combattre pour sa cause,
ils prient Dieu sans cesse et avec un si grand
zèle qu'il semble qu'ils soient
collés à notre Seigneur
Jésus-Christ. »
Des témoignages comme celui que nous
venons de lire nous révèlent l'esprit
de foi, d'abnégation, de
fidélité de ces nobles soldats du
Christ.
« Le coeur se serre de douleur,
dit M. Puaux, à la vue de ces
infortunés, luttant contre la faim,
l'abandon et le découragement. Si leur
courage excite notre admiration, leur
persévérance à réclamer
leurs libertés religieuses l'excite plus
encore. Malgré leur état complet de
dénûment, on est porté à
croire que Villars eût prolongé son
séjour en Languedoc, s'il ne s'était
trouvé un homme pour lui vendre le sang de
Roland. Ce traître était un jeune
Camisard, l'agent de confiance du chef
cévenol. »
Roland avait gagné le coeur d'une
jeune fille noble, Mlle de Cornély. La
noblesse d'âme du chef camisard, sa foi, son
héroïsme, même ses
manières distinguées, avaient rempli
d'admiration la jeune fille. Elle s'était
éprise pour le jeune héros d'une
passion « mystique et
romanesque. » Elle eut le courage de se
joindre aux soldats cévenols et
d'accompagner partout Roland. Montrevel la fit
prisonnière et l'enferma dans un couvent.
Villars lui rendit la liberté dans un but
intéressé ; il lui demanda
d'user de son influence sur le
chef camisard pour l'engager à
déposer les armes. La perspective d'une
prochaine union ne la tenta pas, elle refusa
noblement. « Roland ne veut pas se
rendre, répondit-elle, l'Esprit le lui
défend. »
Le chef des enfants de Dieu était
ferme comme le roc. Le regard fixé sur Dieu,
il demeurait inaccessible à toutes les
séductions. « Je ne me jetterai
pas dans la gueule du lion », disait-il.
Hélas ! nous ne savons jamais si la
main qui nous presse ne tient pas le caillou qui
doit nous lapider ; un traître allait
livrer, pour cent pièces d'or, le
héros qui avait affronté tant de fois
la mort. L'armée cévenole allait
être décapitée.
Le 13 août 1704, Roland, accompagné
de Mlle de Cornély, alla coucher au
château de Castelnau, entre Uzès et
Ners. Les ennemis en furent avertis par son agent
de confiance. À la nuit tombante, ils
arrivèrent. Le chef huguenot dormait quand,
tout à coup, une sentinelle donna le signal
d'alarme. En un instant, les Camisards
réveillés décampent au milieu
du tumulte, poursuivis par les dragons. Ceux-ci
cherchent
Roland ; ils l'aperçoivent enfin. Se
voyant sur le point d'être atteint, le noble
chef, adossé au tronc d'un vieil olivier,
attend ceux qui ont reçu l'ordre de le
saisir vivant. Il tue les trois premiers qui
s'approchent. Un dragon, irrité de la mort
de ses trois compagnons, décharge son fusil
à bout portant sur le héros
cévenol ; il tomba sans avoir
poussé un soupir. « Ses braves
compagnons, Guérin, Grimaud, Maillé,
Raspal et Coutereau, qui se défendaient
à ses côtés, laissèrent
tomber les armes de leurs mains et se
jetèrent en pleurant sur le corps
inanimé de leur brave chef. Ils se
laissèrent, dit Louvreteuil, saisir comme
des agneaux ».
Mlle de Cornély s'échappa,
grâce à l'obscurité de la nuit
et à un bon cheval.
Le lendemain, l'officier Parate entrait
triomphalement à Uzès avec le cadavre
de Roland sur la selle de son cheval. Il le fit
promener dans toutes les rues de la ville,
accompagné d'un homme qui criait :
« Voilà le corps de Roland, le
fameux chef camisard ».
Le corps fut porté à
Nîmes. Il fit son entrée funèbre
dans la ville au milieu des cris, des larmes et des
sanglots des protestants. Une foule immense se
pressait autour du char sur lequel reposait les
restes mortels du héros chrétien.
Chacun voulait contempler les traits de l'homme qui
avait rempli tout le midi de ses exploits. Villars
avait le coeur plein de joie. Bâville
rayonnait. Il condamna l'illustre mort à
être traîné sur la claie et
ensuite à être brûlé. Ses
cendres furent jetées au vent.
Les cinq officiers qui s'étaient
laissés prendre sans résistance en
voyant la mort de leur chef, furent
exécutés peu de temps après.
L'évêque Fléchier et quatre
autres prélats voulurent les voir
mourir ; leur joie, qu'ils ne surent pas
dissimuler, dit Puaux, indigna même les
catholiques. Les prisonniers furent aussi grands
sur l'échafaud qu'ils avaient
été intrépides sur les champs
de bataille.
Nous ne voulons pas dire adieu au plus grand et
au plus noble des héros camisards sans nous
incliner très respectueusement devant lui. En
grandeur
morale,
il surpasse de beaucoup Cavalier. Comme
général, on l'a comparé
à Turenne ; comme beauté de
caractère, il fait penser à Gaspard
de Coligny.
Né le 3 janvier 1680, il a
été tué le 13 août
1704 ; il avait donc 24 ans et demi. Comme
colonel des enfants de Dieu, il avait
succédé à son oncle Laporte en
Octobre 1702. Son grand coeur, sa belle
intelligence, sa volonté indomptable mise au
service de Jésus-Christ, l'esprit de
prophétie qui le remplissait, et
jusqu'à l'amour si grand qu'il inspira
à la noble châtelaine de
Cornély font du héros cévenol
un homme de haute stature. Il domine ses
contemporains. Si Cavalier avait plus
d'élan, Roland avait plus de
prévoyance ; si le premier avait plus
d'enthousiasme, le second avait plus de profondeur
et de sérieux moral. Le premier est un
héros presque légendaire ; il
gagne à être vu d'un peu loin ;
le second, dont la vie est plus voilée,
grandit sans cesse à mesure qu'on
l'approche. Il avait tous les dons de la jeunesse
avec l'expérience et la maturité de
la vieillesse.
« S'emparant de cet orageux
élément de l'extase, dit Napoléon
Peyrat, Roland en fit le fondement et la
règle d'une insurrection qu'il organisa,
nourrit, vêtit, abrita, entretint deux ans au
désert, malgré la fureur des hommes
et des saisons ; lutta avec trois mille
combattants contre des populations hostiles,
soixante mille ennemis armés, les
maréchaux de Louis XIV, et ne fut enfin
abattu que par la défection, la trahison et
la mort. L'insurrection créée par
lui, morte avec lui, c'était
lui-même ; il en était
l'intelligence, l'âme. Mais, s'il en fut la
tête, Cavalier, il faut le dire, en fut le
bras et la plus vaillante épée...
L'infidélité conduisit Cavalier
à la fortune et à la
célébrité ; Roland,
incorruptible, scellant sa cause de son sang,
n'obtint qu'un obscur martyre ». Courte a
été sa vie, grande a
été son oeuvre.
« La fortune, la
célébrité, dit 0. Douen,
c'était tout ce que méritait
Cavalier, enfant vaniteux chez qui le
caractère n'était pas à la
hauteur de la bravoure et du génie
militaire. Roland eut, de plus, l'absolu
dévouement à une sainte cause ;
il résista jusqu'à la mort au
despotisme qui voulait ployer les âmes et se
jouer des consciences. Aussi l'histoire lui
décerne-t-elle l'une de ses plus belles
couronnes. Tandis que la renommée de
Cavalier a baissé, celle de Roland a grandi.
Lorsque l'humble demeure qui l'abrita était
menacée de passer aux mains des
créanciers de son arrière-neveu, une
souscription s'organisa pour la racheter, et l'on
voit aujourd'hui au-dessus de la porte, cette
inscription gravée sur le marbre :
« Propriété de la
Société d'histoire du protestantisme
français. Maison de Roland, le héros
cévenol ».
Les Camisards n'avaient plus de chef. Ils
avaient de bons lieutenants, mais chacun
préférait commander plutôt
qu'obéir. Ce fut leur faiblesse à un
moment où Louis XIV aurait été
rendu sans doute plus souple par les revers qu'il
éprouvait à l'étranger.
Ils eurent le malheur de perdre leurs
magasins où la prévoyance de Roland
avait entassé de grands
approvisionnements.
Villars dépeupla complètement
la campagne en ordonnant aux gens, sous peine
d'être fusillés, de se retirer dans
les lieux qui leur seraient indiqués, avec
leurs meubles, leurs vivres et
leurs bestiaux. Il se servit de nouveau du baron
d'Aigaliers auprès des protestants aux
abois.
À Thoiras, vingt Camisards promirent
de déposer les armes à la condition
qu'on accorderait la permission de sortir du
royaume à tous ceux qui voudraient en
profiter.
Ce premier succès encouragea le
baron. Accompagné de ses vingt
prosélytes, il alla à
Saint-André-de-Valborgne faire des
propositions au commandant La Roze, qui
était à la tête de trois cents
hommes. Ce chef était presque gagné
quand, tout à coup, ses soldats se
mutinèrent. Le baron n'échappa
à la mort qu'en se sauvant du
côté des montagnes. Bâville le
haïssait. Suspect à tous les partis,
d'Aigaliers, qui était un brave homme,
reçut l'ordre de quitter le royaume.
Il arriva à Genève, sans
ressources, le 23 septembre 1704. Plus tard, il
revint en France, fut arrêté, puis
tué d'un coup de fusil en cherchant à
s'évader.
Quant aux Camisards, une défaite de
Ravanel à Saint-Benezet acheva de les
affaiblir. On donna ensuite la chasse à
leurs petits détachements comme aux
bêtes sauvages. Le Maréchal promit de
nouveau une amnistie à tous ceux qui
feraient leur soumission. On accourut en foule. Les
chefs, d'abord hésitants,
cédèrent devant la
nécessité.
Ravanel et Catinat, après avoir
encore lutté huit mois, furent
arrêtés, emprisonnés et
brûlés vifs après avoir subi la
torture de la question ordinaire et extraordinaire.
Ravanel fut héroïque dans sa mort comme
dans sa vie. Catinat, moins ferme, mourut pourtant
en vrai Camisard. Castanet subit courageusement le
supplice de la roue.
Clary, qui s'était soumis à
l'épreuve du feu, resta grand au sein de
l'épreuve. Son ami Montbonnoux et lui
refusèrent de se soumettre sans vouloir
s'exiler. Les deux amis vécurent pendant six
ans dans les cavernes et les antres de la terre,
n'en sortant que pour se procurer un peu de
nourriture. Ils passaient souvent plusieurs jours
sans manger. Bâville mit leur tête
à prix. Clary fut arrêté
près d'Uzès, conduit à
Montpellier, condamné au supplice de la roue
et exécute le même jour. Il mourut en
chrétien comme il avait vécu. Il y a
peu de vies plus belles que la sienne.
Abraham Mazel, qui s'était
exilé en 1705, revint dans le Vivarais en
1709 et recommença la lutte. Avec soixante
paysans, il lutta contre six mille hommes de
troupes royales. Le 17 octobre 1710, le
prophète fut tué dans un combat au
Mas de Couteau, dans une bataille
héroïque. Sa tête, portée
en triomphe à Vernoux, y fut
brûlée sur la place publique par la
main du bourreau. Comme Clary, Abraham Mazel a
été grand, très grand, par la
beauté de son caractère et la
puissance de sa foi.
Le capitaine Boëton ne se montra pas
moins grand. Arrêté à Milhau,
condamné au supplice de la roue, il dut
subir d'abord les horribles supplices de la double
question ordinaire et extraordinaire. Dès
qu'il aperçut l'échafaud, il
s'écria - « Courage, mon
âme ! je vois le lieu de ton
triomphe ; bientôt,
dégagée de tes liens douloureux, tu
entreras dans le ciel ! »
Il s'étendit lui-même sur la
roue. Le bourreau lui brisa les os. Le supplice
dura cinq heures pendant lesquelles le martyr ne
cessa de prier, de chanter et d'exhorter ceux qui
l'entouraient. Son visage était
transfiguré. Sa mort fut une
prédication puissante. Avant de recevoir le
coup de grâce, il s'écria -
« Mes chers
frères, que ma mort vous soit un exemple
pour soutenir la pureté de
l'Évangile, et soyez les fidèles
témoins de la religion de
Jésus-Christ et de ses saints
Apôtres. »
Ainsi se termina la guerre des Camisards.
Cette insurrection fut-elle légitime ?
Nous n'hésitons pas à répondre
OUI.
Nous ne pouvons étudier à fond
le sujet de l'autorité des puissances
établies. Nous dirons seulement que cette
autorité a des limites. Or quand un roi
déchire de ses propres mains l'édit
de son aïeul, quand il persécute ses
sujets de la façon la plus odieuse depuis 17
ans, quand il arrache les enfants à leurs
parents, qu'il envoie les maris aux bagnes et leurs
femmes dans les cachots, quand il veut violenter ce
qu'il y a de plus sacré dans la
créature humaine, la conscience, cet
homme-là, quelque nom qu'il porte, n'est
plus qu'un assassin auquel on ne doit plus
obéissance. Et tout en condamnant tous les
excès des Cévenols, nous ne
connaissons pas dans l'histoire de
l'humanité d'insurrection plus
légitime que la leur.
La lutte si inégale d'une poignée
de paysans mal armés et pauvres contre les
puissantes armées de Louis XIV reste
mystérieuse et incompréhensible si on
oublie les prophètes cévenols.
Ceux-ci ont été la force des
Camisards en dénonçant les
traîtres que l'Esprit leur faisait
connaître, et en avertissant les
armées et les assemblées religieuses
des dangers qu'elles couraient.
Dans son Histoire du fanatisme de notre
temps, un témoin oculaire qui est en
même temps un ennemi et un apostat de la foi
protestante, M. de Brueys a
écrit :
« On aurait de la peine à
croire ce que j'ai dessein de raconter, si les
choses que j'ai à dire ne s'étaient
passées à la vue de toute la France,
et si les exécutions militaires, les prisons
et les châtiments auxquels on fut
obligé d'avoir recours pour arrêter la
contagion de ce mal, n'avaient pas fait assez
d'éclat pour
en informer toute l'Europe. Ce sont là
des faits prouvés et rendus authentiques
par divers arrêts du Parlement de Grenoble,
par des ordonnances des intendants, par des actes
judiciaires et par d'autres pièces
justificatives, afin que personne ne puisse douter
de la vérité de ces mêmes
faits... Il y avait une infinité de petits
prophètes ; il y en avait des
milliers... Ces pauvres insensés croyaient
être inspirés par le Saint-Esprit et
prophétisaient sans malice ».
Quand on entend un ennemi de la
vérité, un mondain intelligent, un
témoin des faits qu'il raconte, affirmer la
vérité de ces faits qu'il attribue
à Satan, en disant que ces prophètes
se moquaient des persécutions, de la prison,
des souffrances, de la mort, et « qu'ils
avaient une constance, ou plutôt une
opiniâtreté enragée à
soutenir dans les supplices, leurs
sacrilèges extravagances »,
comment des chrétiens pourraient-ils mettre
en doute l'action du Saint-Esprit qui inspirait les
prophètes cévenols ?
Un chrétien d'Aulas, M. Caladon, a
écrit qu'une pauvre idiote de paysanne, tout
à fait ignorante,
prêchait à merveille :
« Quand on me le dit, je n'en crus rien
du tout. Cependant j'ai été
témoin qu'elles s'acquittait de cela
miraculeusement bien ». Cette
ânesse de Balaam avait une bouche d'or quand
l'intelligence céleste la faisait parler.
Jamais orateur ne s'est fait écouter comme
elle ; et jamais auditeur n'a
été plus attentif, ni plus ému
que l'étaient ceux qui l'écoutaient.
C'était un torrent d'éloquence,
c'était un prodige, et ce que je dis n'a
rien d'exagéré. Il aurait fallu avoir
un coeur de marbre pour ne pas répandre des
larmes en l'écoutant. Ailleurs, il dit
« Il faudrait être
entièrement aveugle pour ne pas voir que
c'était la main de Dieu qui les a
soutenus ». Et il ajoute :
« On doit remarquer qu'il n'est pas moins
difficile à nos paysans de faire un discours
en français, qu'à un français
qui ne ferait que d'arriver en Angleterre, de
parler anglais. »
Or, tous les inspirés, depuis les
jeunes enfants jusqu'aux vieillards parlaient un
excellent français.
Deux faits sont hors de toute
contestation :
1° Les inspirés
annonçaient souvent que tels et tels d'entre
les frères seraient blessés dans les
prochains combats ; et que d'autres, qu'ils
désignaient, seraient tués. Ils
annonçaient la réussite ou
l'insuccès de certaines entreprises, la
trahison d'hommes en qui on avait confiance, ou
encore l'arrivée de troupes ennemies.
2° Tous les historiens sont d'accord
pour reconnaître que les prophètes
étaient des hommes sanctifiés.
Ajoutons que les inspirés mettaient
la Parole de Dieu au-dessus de leurs inspirations.
C'est à leur respect pour la Parole
écrite qu'ils durent sans doute d'être
gardés de bien des erreurs.
Dieu a fait, pendant plusieurs
années, au milieu des plus atroces
persécutions, une oeuvre sainte et glorieuse
par le moyen de ces paysans. On ne peut
étudier l'histoire de Clary et d'Abraham
Mazel sans voir la main puissante de Dieu dans leur
vie.
Cela dit, reconnaissons que les
prophètes cévenols n'étaient
pas infaillibles, que la chair a pu souvent se
mélanger à l'esprit et que plus tard,
l'esprit prophétique s'étant
affaibli, tout n'est pas resté pur.
On est aussi frappé de constater
souvent chez les inspirés l'esprit de
l'Ancienne Alliance plus que l'esprit de
Jésus. On se croirait presque
transporté au temps des Juges d'Israël
ou de David. Mais ce n'était pas toujours le
cas. Les prophètes cévenols ont
montré une fidélité si
inébranlable à l'Évangile, une
foi si grande au sein des pires persécutions
qu'ils nous inspirent un saint respect. L'action de
Dieu est évidente dans leur vie et dans
leurs discours. Ils ont vécu dans
l'intimité de l'Éternel et il leur a
révélé ses pensées.
« Il y a bien des choses entre le ciel et
la terre dont notre érudition ne se doute
point », a dit un poète anglais.
Mais il y a bien des expériences
spirituelles que nous ferions, si nous avions la
foi qui transporte les montagnes.
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