Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE XI

Libre !

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Quand l'Éternel ramena les captifs de Sion, Nous étions comme ceux qui font un rêve Alors notre bouche était remplie de cris de joie, Et notre langue de chants d'allégresse. Alors on disait parmi les nations : L'Éternel a fait pour eux de grandes choses. L'Éternel a fait pour nous de grandes choses ; Nous sommes dans la joie !
(Ps. 126.1-3.)


 Il me semblait si étrange d'être laissé sans surveillance ! Quelques camarades dormaient bien dans la maison, mais ils n'étaient en rien responsables de nos personnes. Dans notre chambre il y avait un lit, mais malheureusement pas de paille. Josué et Wang, l'autre délégué, dormirent ensemble sur le plancher et partagèrent leur literie avec moi. Lorsque le camp se réveilla il nous semblait qu'il y avait bien peu de temps que nous nous reposions. Ce fut l'appel du clairon, le bruit de pas précipités derrière notre porte, des sons confus de voix venant de différents côtés. Enfin, nous entendîmes les gardiens alignant leurs prisonniers, tout à fait à proximité de notre maison, nous pouvions même reconnaître les voix !... Nous étions heureux d'être dispensés de répondre à cet ordre de départ, et de pouvoir rester tranquillement au lit. Les occupants de la chambre voisine eurent tôt fait de rassembler leurs équipements et de quitter les lieux. Puis, ce fut le bruit régulier et continu des pas des gardiens en marche pour une nouvelle étape ; on l'entendit un certain temps ; puis, peu à peu, le bruit s'éteignit et tout devint calme. Le maître de la maison avait dormi dans un galetas au dessus de nous. Il se glissa au bas des escaliers pour s'assurer que tout était en ordre. Il ouvrit la porte avec précaution et jeta un coup d'oeil furtif au dehors puis il revint nous dire que les rouges étaient définitivement partis.
Nous sommes restés au lit jusqu'au jour, mais je ne dormis pas beaucoup. Mon coeur était rempli de louanges et d'actions de grâces envers Dieu pour ses oeuvres merveilleuses ! Tout cela me semblait toujours trop beau pour être vrai !

M. HAYMAN

M. BOSSHARDT

Photographies prises lors de leur libération

À l'aube, nous fûmes quelque peu effrayés d'entendre la porte s'ouvrir et de voir deux formes s'introduire furtivement chez nous ; c'étaient, à n'en pas douter, deux camarades appartenant à l'armée rouge. Ils fermèrent avec précaution la porte derrière eux et nous eûmes vite fait de reconnaître deux des palefreniers. Je crus tout d'abord que tous les rouges n'avaient pas encore quitté le village, mais ils avouèrent qu'ils s'étaient enfuis. Tremblants de peur, ils nous prièrent de leur permettre de nous accompagner jusqu'à la capitale. Ils insistaient pour partir immédiatement, craignant que leur absence ne fut remarquée et qu'on ne se mit à leur recherche. Mais nous avions décidé de déjeuner avant de nous mettre en route ; puis il fallait trouver des coolies pour me transporter.

Le propriétaire de la maison pensait qu'il serait difficile de trouver des hommes consentant à se charger de ce travail, sitôt après le départ des communistes ; car la plupart d'entre eux s'étaient enfuis et ne sortiraient de leurs cachettes que quand ils seraient tout à fait sûrs que les rouges avaient définitivement quitté la contrée. Alors on me proposa d'essayer de marcher un peu, jusqu'à ce que nous ayons atteint une région où nous pourrions trouver des porteurs.

Wang et les deux fugitifs prirent les devants et je suivis en compagnie de Josué. C'était un beau matin ensoleillé et la tranquillité de cette journée nous pénétrait. La route suivait le cours d'une rivière, et sur la droite s'élevait une colline bien boisée. C'était le matin dessus de nous. Il se glissa au bas des escaliers pour s'assurer que tout était en ordre. Il ouvrit la porte avec précaution et jeta un coup d'oeil furtif au dehors puis il revint nous dire que les rouges étaient définitivement partis.
Nous sommes restés au lit jusqu'au jour, mais je ne dormis pas beaucoup. Mon coeur était rempli de louanges et d'actions de grâces envers Dieu pour ses oeuvres merveilleuses ! Tout cela me semblait toujours trop beau pour être vrai !

À l'aube, nous fûmes quelque peu effrayés d'entendre la porte s'ouvrir et de voir deux formes s'introduire furtivement chez nous ; c'étaient, à n'en pas douter, deux camarades appartenant à l'armée rouge. Ils fermèrent avec précaution la porte derrière eux et nous eûmes vite fait de reconnaître deux des palefreniers. Je crus tout d'abord que tous les rouges n'avaient pas encore quitté le village, mais ils avouèrent qu'ils s'étaient enfuis. Tremblants de peur, ils nous prièrent de leur permettre de nous accompagner jusqu'à la capitale. Ils insistaient pour partir immédiatement, craignant que leur absence ne fut remarquée et qu'on ne se mit à leur recherche. Mais nous avions décidé de déjeuner avant de nous mettre en route ; puis il fallait trouver des coolies pour me transporter.

Le propriétaire de la maison pensait qu'il serait difficile de trouver des hommes consentant à se charger de ce travail, sitôt après le départ des communistes ; car la plupart d'entre eux s'étaient enfuis et ne sortiraient de leurs cachettes que quand ils seraient tout à fait sûrs que les rouges avaient définitivement quitté la contrée. Alors on me proposa d'essayer de marcher un peu, jusqu'à ce que nous ayons atteint une région où nous pourrions trouver des porteurs.

Wang et les deux fugitifs prirent les devants et je suivis en compagnie de Josué. C'était un beau matin ensoleillé et la tranquillité de cette journée nous pénétrait. La route suivait le cours d'une rivière, et sur la droite s'élevait une colline bien boisée. C'était le matin de Pâques ; nous avons parlé de la résurrection de notre Seigneur, et de sa manière merveilleuse de déjouer les plans de l'ennemi.

J'avais eu très peu d'occasions de parler librement avec Josué, mais maintenant il n'y avait plus de gardien et nous pouvions converser à coeur ouvert. Il avait prié chaque jour pour moi, me disait-il ; et il me parla des expériences qu'il avait faites en cherchant à pénétrer dans le territoire occupé par les rouges. On le soupçonna d'être un espion, et sa vie fut en danger. Quelle dette de reconnaissance nous avons contractée envers ces hommes qui ont volontairement risqué leur vie pour nous, sans compter toutes les souffrances qu'ils ont endurées tout le long du chemin ! Je lui exprimai ma profonde reconnaissance, mais il prit la chose avec une grande simplicité en disant : « Je n'ai rien fait de plus que mon devoir ! »

Mes progrès étaient lents et douloureux, et aucune maison n'était en vue ; alors Josué proposa de partir en avant, et de revenir me chercher quand il aurait réussi à se procurer une litière. Je fus donc laissé seul, obligé de me reposer à tout instant au bord de la route. Quelle joie de pouvoir prendre son temps, et d'être délivré de la surveillance des gardiens. Au bout d'un moment, je vis Josué revenant seul. On avait trouvé un homme, consentant à me porter, mais il avait dû aller à la recherche d'un second compagnon. Josué insista donc pour me prendre sur son dos jusqu'à la ferme prochaine.

Les autres ayant déjà eu leur déjeuner, Josué et moi, nous prîmes le nôtre. Il nous fallut attendre assez longtemps avant que la chaise et les porteurs fussent prêts. Les voisins ne cessaient d'entrer pour bavarder, et la conversation roulait sur les troubles récents. On nous informa que la ville de Fumin (gens riches) était pleine de soldats. En apprenant cela, les deux porteurs prirent peur, car ils craignaient l'enrôlement forcé.

À la fin, il fut pourtant possible de partir et je me trouvais confortablement installé dans cette chaise. C'était un luxe, en vérité, d'être porté de cette façon ; comme je n'avais pas beaucoup plus que la peau et les os, les coolies trouvèrent leur tâche très facile et ils s'élancèrent en avant. Maintenant, c'étaient mes compagnons qui trouvaient difficile de me suivre et ils durent héler les porteurs, afin de modérer un peu leur ardeur.
On craignait encore que les rouges n'eussent pas tout à fait quitté la région, car une partie de leur armée avait pris Fumin, le jour précédent. Ayant rencontré un maître d'école sur la route, nous lui avons demandé des renseignements. Il se montra très aimable et sympathique ; il nous offrit de nous accompagner jusqu'à la ville, afin de nous aider à reconnaître le chemin.

La route suivait une vallée étroite qui peu à peu s'élargissait en une plaine fertile. Des maisons étaient disséminées ici et là, mais une seule se trouvait près du chemin. Nous nous y sommes reposés et nous y avons pris un thé chinois et des pâtisseries.

L'après-midi était très avancée quand nous fûmes en vue de la ville. Dans le lointain, au pied de quelques collines, nous avons aperçu une longue file d'hommes, suivant une route parallèle, dans la direction opposée à la nôtre. C'était sans aucun doute, une partie de l'armée rouge, et comme nos deux fugitifs étaient terrifiés, nous sommes restés cachés derrière un mur pendant assez longtemps.

Toujours à cause de l'enrôlement forcé, nos coolies avaient peur d'entrer dans la ville et nous n'avons pas eu la liberté d'insister et de les obliger à courir un risque quelconque ; alors nous les avons payés, ils ont démonté leur chaise, et ils sont partis.

Après avoir pris un peu de repos, nous nous sommes remis en chemin ; j'ai parcouru à pied la courte distance qui nous séparait de la porte de la cité. Juste à l'entrée, nous avons trouvé des soldats de l'armée blanche, occupés, pour la plupart, à laver leurs vêtements. Des sentinelles nous entourèrent et nous firent subir un interrogatoire. Le récit de nos aventures les intéressa et les rendit plus aimables. Mais ils nous dirent qu'en entrant dans la ville, nous devions nous annoncer aux autorités militaires, et un homme fut chargé de nous conduire en présence de l'un des commandants de la place. Notre guide babillait avec nous, et il nous rassura en disant : « Ne craignez rien, ce n'est qu'une simple formalité. »

Il nous laissa devant le quartier des officiers, et un soldat nous conduisit à l'intérieur de la maison en nous faisant traverser une cour remplie d'hommes en uniforme. L'officier nous posa tout d'abord des questions générales ; puis s'avisant que notre cas était plus sérieux qu'il n'y paraissait à première vue, il nous interrogea l'un après l'autre. J'étais très fatigué et je demandai la permission de m'asseoir, ce qui me fut accordé ; les autres restèrent debout. Tous les bagages furent inspectés, toutes les personnes furent fouillées sauf moi. Nous avons dû remettre à l'enquêteur tout l'argent que nous avions sur nous, et il prit note de tout, avec soin. Mon cas semblait l'embarrasser beaucoup et sa méfiance fut éveillée, quand, ouvrant mon livre « Sources dans le désert », il y découvrit des tracts communistes. Mes explications ne parurent pas le satisfaire. Il doutait aussi du délégué du général Chang et ouvrit la lettre que ce dernier adressait à sa famille. L'enquête continua pendant près d'une heure, puis on nous envoya à un autre officier qui se montra encore plus sévère.

Tout ce que nous possédions fut de nouveau inspecté, et, cette fois-ci, on ne fit aucune exception pour moi. On confisqua une partie de notre literie sous prétexte qu'elle avait été volée. Cet officier parut prendre Josué en violente aversion, et quand j'expliquai qu'il était mon négociateur, il rétorqua méchamment : « Ce n'est pas un homme honnête, il sera probablement exécuté ! » Alors Josué lui apprit qu'il était au service de quelques Européens de Kweiyang, et qu'il n'avait rien à faire avec les rouges, sinon de chercher à négocier et obtenir ma libération. Cette explication ne valut que cette remarque cassante : « Pourquoi servez-vous les chiens étrangers ? N'auriez-vous pas pu trouver un maître chinois ? » Tandis que nous attendions, il se mit à lire la littérature communiste et de nouveau il fit un inventaire de notre argent et de nos autres possessions. À la fin il décida de garder les deux palefreniers et à les forcer à prendre du service dans les troupes du gouvernement. L'un d'entre eux, je crois, resta avec eux, car je ne le revis plus.

Une escouade de soldats reçut l'ordre de nous conduire chez le général. Nous marchions à la file indienne, précédés, suivis et encadrés de soldats. Comme je n'avançais qu'avec peine, ils durent se mettre à mon pas. Exposé de cette façon, notre petit groupe fit l'objet de bien des remarques, de la part des gens que nous rencontrions ; la rue était remplie de militaires et de civils. Plus d'une fois j'entendis une phrase de ce genre : « Les soldats ont capturé un communiste russe ! »

On nous fit franchir l'imposante porte d'un temple, et nous sommes tombés sur le général au beau milieu du repas du soir, qu'il prenait avec ses officiers. Un soldat, les mains pleines de traités communistes, nous devança pour expliquer qu'on les avait trouvés sur moi. Mais, en m'apercevant, le général bouscula presque le messager, et, s'avançant vivement vers moi, suivi de ses officiers, il s'écria en me saluant :
- Oh ! vous êtes le monsieur suédois qui fut retenu captif depuis si longtemps ?
- Suisse ! rectifiai-je en faisant un signe d'assentiment.
- J'ai entendu parler de vous, continua-t-il ; demain nous allons vous faire conduire à la capitale, mais, pour ce soir, nous devons vous chercher un logis.
- Il y a la salle évangélique, suggéra quelqu'un, où il peut être installé très confortablement pour la nuit ! » En entendant cela, le général parut visiblement soulagé.

L'entrevue prit bientôt fin, et nous fûmes conduits dans les locaux de la Mission de Pentecôte. Les rues et les maisons semblaient remplies de soldats ; à notre grand désappointement, nous avons trouvé la maison chrétienne absolument remplie, elle aussi. La personne à qui la station était confiée, semblait distraite et elle eut un peu de peine à comprendre qui j'étais ; enfin elle ne put dire que ceci : « Je ne puis pas vous offrir l'hospitalité, car hier, les rouges ont pillé la maison ; ils ont même pris les souliers qui étaient aux pieds de ma petite fille ; et maintenant toutes les chambres sont occupées par les soldats, il y en a même à la cuisine. » Au bout d'un moment, elle devint un peu plus calme et me fit le récit de ses récentes épreuves. Le gardien qui nous avait amenés la pria de lui donner une attestation prouvant qu'il avait fidèlement « livré sa marchandise ». Comme elle ne pouvait pas écrire, il fallut trouver quelqu'un qui voulût bien le faire à sa place.

Après le départ de mon conducteur, elle nous dit qu'un voisin avait offert de nous préparer un peu de nourriture. Cette nouvelle arrivait à point et nous en fûmes reconnaissants, car Josué avait vainement cherché à se procurer quelques aliments dans la rue. Un groupe de soldats toujours nouveaux nous entourait, en nous dévisageant et posant parfois quelques questions. Tout à coup l'un d'entre eux remarqua que notre nourriture n'était pas assaisonnée, et il nous offrit un flacon de poudre blanche qui m'était inconnue, mais qui mit un peu de saveur à notre repas.

La femme trouva ensuite une gerbe de paille et nous conduisit dans une petite pièce contenant la provision de bois, où nous avons pu improviser notre lit sur le plancher. Avant de nous endormir, Josué et moi, nous avons prié ensemble. Avant le souper nous avions fait chercher Wang, mais il n'était pas encore rentré. Vers minuit nous fûmes réveillés et un soldat me remit une lettre contenant le papier monnaie qui avait été pris à Wang ; on me demandait aussi de me préparer à partir à l'aube, m'assurant que je serais escorté jusqu'à ce que j'eusse retrouvé mes amis. Mon argent, moins un demi-dollar, m'avait été rendu déjà auparavant.

Avant l'aurore nous étions debout, et nous avons pu partager un bol d'eau avec un ou deux soldats, pour nous laver la figure, puis nous nous sommes occupés de notre déjeuner. Wang arriva sur ces entrefaites et s'offrit à se mettre à la recherche de coolies pour me transporter.
Il venait de partir, quand un messager vint de la part du général pour nous inviter à déjeuner avec lui, y compris Wang. Nous avons laissé les bagages de ce dernier aux soins de la femme chinoise, en lui recommandant de lui dire où nous étions allés et nous sommes partis.

En arrivant au quartier du général, nous avons trouvé tout le monde occupé à harnacher et à charger les animaux. On nous offrit un excellent repas et on parla de mon voyage. Quelles étaient mes préférences, voyager à cheval ou en chaise à porteurs ? « Je peux voyager des deux façons, répondis-je, mais je préfère une litière. » Après le déjeuner, nous sommes sortis ; une chaise nous attendait avec les coolies pour se relayer. Ainsi débuta mon voyage de retour !

Des milliers de soldats rentraient à la capitale. Nous eûmes ainsi l'occasion de comparer les hommes de l'armée blanche avec les rouges. Pendant la journée, plusieurs d'entre eux s'approchèrent pour causer un peu avec moi. Pas un ne s'avisa de m'appeler « diable », « chien » ou « impérialiste ». Aucun juron ; c'était très remarquable. L'étape était de cinquante kilomètres environ ; au milieu du jour on s'arrêta pour manger, et, encore une fois, un excellent repas nous fut servi.

À huit kilomètres de la capitale, nous avons pris un peu de repos au pied d'une colline, à l'entrée de la grande plaine de Yunnanfu. Les soldats furent alignés puis formés en carré, et le commandant prononça un discours. Un aimable officier vint m'informer que les coolies avaient déjà reçu leur paiement, et que je n'avais pas besoin d'attendre le gros de la troupe ; on allait me faire escorter jusqu'à la capitale, par un détachement chargé de nous protéger. Il me dit aussi que, dès mon arrivée, je devais m'annoncer aux autorités militaires commandant la place.

J'étais arrivé à ma dernière étape sur le chemin du retour. Je ne connaissais pas personnellement les missionnaires de la capitale du Yunnan. Personne, naturellement, n'était prévenu de mon élargissement ; il avait été si soudain, si inattendu, que je n'avais pas eu la possibilité d'avertir qui que ce fût. Je me figurais à l'avance la surprise ! Je me disais qu'après avoir été entièrement libéré par l'autorité militaire de Kunmind (Yunnanfu), je demanderais le chemin du Home de la Mission intérieure de la Chine ; je frapperais à la porte, sûr d'y trouver quelqu'un pour m'accueillir. Ce serait la répétition de l'histoire de Pierre apparaissant à la maison de Marie mère de Marc !...

Nous n'étions plus qu'à environ cinq kilomètres de la ville, quand j'aperçus tout à coup trois cavaliers européens s'avançant à notre rencontre. Comme c'était le lundi de Pâques, ce fait n'avait rien de surprenant ; ces étrangers profitaient sans doute de ce jour de liberté pour faire une petite excursion dans la campagne. C'étaient peut-être des commerçants, ou, qui sait ? peut-être aussi des missionnaires. Quelle surprise pour eux quand ils m'apercevraient ! Et voici qu'en arrivant vers nous, ils mirent pied à terre, ayant tout à fait l'air de s'attendre à me rencontrer !

Les coolies s'arrêtèrent et je descendis de ma chaise ; alors M. Porteous me saisit la main, en se présentant, suivi de ses deux compagnons, MM. Metcalf et Albert Allen. Après quelques instants de conversation, ils m'apprirent que, un peu plus loin, sur la route, d'autres amis nous attendaient ; on m'offrit de monter à cheval pour une petite partie du chemin. Ils m'aidèrent à me mettre en selle et nous nous mîmes à causer tandis qu'ils marchaient à côté de moi.
- Comment avez-vous su que j'avais été libéré ? demandai-je. Ils m'apprirent alors que, le matin même, les autorités militaires de la capitale avaient reçu un message téléphonique annonçant mon arrivée avec les troupes gouvernementales. Au sommet d'une petite côte, je découvris les amis venus à ma rencontre. Il me sembla que c'était une foule, mais M. Porteous m'expliqua qu'ils auraient été bien plus nombreux si l'autorité militaire n'avait pas jugé plus sage pour les dames de rester à l'intérieur des murs de la ville, car à ce moment-là, la situation était encore très troublée, et qu'eux-mêmes seraient venus plus loin au-devant de moi, mais que le consul les en avait dissuadés.

Ils étaient un groupe d'une vingtaine ou plus, et approchant, je reconnus mes vieux amis de Kweichow Jones et Crapuchettes. À notre arrivée, ils entonnèrent tous en choeur un cantique d'actions de grâces ; puis on me demanda de rester sur le cheval pour prendre une photo, et on en prit encore plusieurs quand je fus descendu. Après cela ce furent des échanges de salutations, des poignées de mains et l'expression d'une grande joie. Il n'y avait pas seulement des amis européens, mais encore des Chinois, et, à ma grande surprise, je reconnus M. Ting et M. Yang, les négociateurs venus de la province de Hunan, qui paraissaient hors d'eux-mêmes de me voir en liberté. « Comment se fait-il que vous soyez ici ? » demandai-je à mes amis de Kweichow ; ils m'expliquèrent qu'ils avaient dû fuir devant la menace des rouges. Pendant toute la durée de ma captivité, je n'avais rien su du nombre d'évacuations qui avaient dû être faites dans nos stations menacées par les communistes.

Je commençais en effet à goûter au luxe dont mon gardien m'avait parlé en me quittant. La première manifestation de ce luxe fut un mouchoir de poche qu'on m'offrit en remplacement du sale chiffon bleu dont je me servais et qui, maintenant, avait fini son service. Comme il faisait chaud, je fus heureux de prendre un peu de limonade qu'on m'offrit. Quelqu'un d'autre me donna un paquet de chocolat.
Puis nous nous sommes assis tous ensemble au bord de la route, et malgré mon état de saleté indescriptible, les amis ne se tinrent pas à distance, mais ils se groupèrent plutôt autour de moi. Bientôt, les gardiens qui n'étaient pas peu intéressés par cette chaude réception, nous conseillèrent d'entrer dans la ville.
Je repris place dans la chaise et les amis marchèrent à mes côtés tout en causant. Mes anciens négociateurs me racontèrent que, le matin même, ils avaient l'intention de repartir à ma recherche ; quand ils se présentèrent devant l'autorité militaire pour demander un passeport, ils apprirent mon élargissement, et ils retournèrent à la maison des missions pour en apporter la nouvelle. Le gardien en chef pensait que l'arrivée de si nombreux étrangers risquait de causer quelque sensation dans la ville, et il conseilla aux amis de se séparer et d'y pénétrer par différents chemins ; ainsi la société se dispersa.

Les gardiens ne consentirent pas à me laisser aller directement au home de la mission, car ils avaient reçu l'ordre de me conduire tout d'abord au yamen du gouverneur de la province. En arrivant, le conducteur nous fit attendre à l'extérieur tandis qu'il entrait pour rendre compte de sa mission. Aussitôt je fus entouré d'une foule de Chinois curieux de dévisager ce bizarre étranger à la barbe inculte et à l'accoutrement plus bizarre encore. Après avoir attendu quelques instants, nous avons demandé la permission de pénétrer à l'intérieur pour éviter les indiscrétions du public. La longue rampe d'escaliers qu'il fallait gravir me semblait interminable, mais aidé par mes amis, je parvins à la monter lentement. À l'extérieur du bâtiment principal, il fallut encore attendre au milieu des soldats curieux. Pour abréger une longue histoire, je me bornerai à dire qu'on me fit passer d'une chambre à l'autre ; enfin, installé dans un pousse-pousse (rickshaw) et accompagné d'un soldat, je me suis rendu dans un autre bâtiment où se trouvait le bureau des affaires étrangères. Le vieux monsieur qui me reçut vit bien vite que j'étais malade et il ne me retint que le temps de me faire signer un papier.

Quand ce fut fini, il faisait tout à fait sombre. Le pousse-pousse nous attendait et on nous conduisit directement chez M. et Mme J. D. Harrison. Nous avons passé près d'un groupe de personnes attendant devant le home de la Mission, qui nous suivirent jusqu'à la maison des Harrison où je fus encore une fois entouré par de nombreux amis. On m'invita à entrer au salon, mais je refusa !. De nouveau un cantique de louanges fut entonné. Je me trouvais avec de nombreuses connaissances de Kweichow, et parmi eux se trouvaient soeur Marguerite et soeur Dora de Pichieh. Après le cantique, soeur Marguerite pria avec nous, et je montai pour jouir d'un autre luxe : un bain avec du savon !...

Afin de me rendre plus présentable, M. Harrison me coupa la barbe et les cheveux. Mes habits furent emballés dans une feuille de papier huilé et mis au feu. On me prêta un vêtement de nuit et une robe de chambre et je fis enfin mon apparition au salon où une infinité d'autres amis vinrent me saluer. Alors, de tout notre coeur, nous nous mimes à chanter. « Qu'il est grand le Dieu que nous adorons ! » M. Harrison, à son tour, remercia et loua le Seigneur pour sa grande délivrance et l'on me conduisit dans ma chambre, égayée par des pois de senteur ; bientôt je pus me réjouir du luxe de m'étendre dans des draps propres et sur un lit confortable.

Deux garde-malades de la Mission intérieure de la Chine, Mlles Kemp et Barberini, vinrent m'offrir leurs soins ; elles bandèrent mes pieds enflés et blessés. auxquels il manquait plusieurs ongles, à cause de l'étroitesse des galoches que j'avais dû supporter. Ayant été privé pendant si longtemps de ce qu'il est convenu d'appeler le nécessaire, tout me semblait être un luxe et je pris avec plaisir les repas complets et soigneusement apprêtés qu'on me présentait.
M. Harrison m'offrit de me lire quelque chose dans la Bible qui avait été placée sur la table à côté de mon lit, et sur ma demande, il ouvrit le Saint livre au psaume 124.

Sans l'Éternel qui nous protégea,
Qu'Israël le dise ! - Sans l'Éternel qui nous protégea,
Quand les hommes s'élevèrent contre nous,
Ils nous auraient engloutis tout vivants,
Quand leur colère s'enflamma contre nous
Alors les eaux nous auraient submergés,
Les torrents auraient passé sur notre âme
Alors auraient passé sur notre âme
Les flots impétueux.
Béni soit l'Éternel
Qui ne nous a pas livrés en proie à leurs dents !
Notre âme s'est échappée comme l'oiseau des filets des oiseleurs
Le filet s'est rompu et nous nous sommes échappés.
Notre secours est dans le nom de l'Éternel
Qui a fait les cieux et la terre !

Après cela, je m'apprêtai à passer une bonne nuit de repos ; le lendemain, on me permit de voir les délégués chinois avant leur départ pour leur long voyage de retour dans les provinces de Kweichow et Hunan. J'écrivis une lettre à M. Becker et je la leur remis. Dans la matinée, le docteur Yu vint me voir, et il me conseilla d'entrer en clinique. Le consul britannique s'offrit aimablement à m'y conduire dans son auto ; on me transporta donc jusqu'au véhicule. Arrivé à l'hôpital, on me donna une chambre privée et je reçus tous les soins nécessaires. Les garde-malades de notre mission furent admises à continuer leur service auprès de moi.

Pendant les jours qui suivirent, je reçus de nombreuses visites. Un représentant du gouverneur m'apporta ses salutations. Puis il y eut les consuls britannique et américain, l'évêque catholique romain de la province de Yunnan, avec qui je pus parler du père Kellner, et toute une phalange d'amis chrétiens, membres de différentes missions.

Un jour, en me réveillant d'un petit somme de l'après-midi, je vis M. Keng mon ancien compagnon de captivité, debout au pied de mon lit, l'air parfaitement bien portant. Je me demandais si j'étais bien éveillé ?... En voyant ma surprise, il me demanda : « Ne saviez-vous pas que je m'étais enfui plusieurs jours avant votre libération ? »
- J'ai bien remarqué que vous n'étiez plus parmi nos gardiens, répondis-je, mais je pensais que vous aviez été détaché dans une autre compagnie ! »
Alors il m'expliqua : « Je feignis d'être malade, et après être resté en arrière, je me suis caché en attendant que toute l'armée eut passé ; ensuite, j'ai pris la clef des champs ! » Il vînt me voir dès qu'il eut appris que j'étais à l'hôpital. Quelques jours après, il partit pour rejoindre les siens dans la province de Shantung ; j'espère que lui qui a été l'objet de tant de prières, finira bien par se livrer à Dieu.

Le capitaine Wang s'était évadé, lui aussi, peu de temps auparavant, et il était encore à Kunming. Il vint me voir un jour, avec le délégué du général Chang, qui parvint à quitter Kunming après de très grandes difficultés. Lao Tiao, le muletier du prêtre, qui s'était enfui, venait aussi me voir chaque jour. Il s'intéresse maintenant à l'évangile, et il a véritablement renoncé à l'opium.

Un jour, un missionnaire, membre d'une autre société que la nôtre, m'étonna vivement. « Quand nos souffrances, prétendait-il, paraissent dépasser la gravité de nos offenses, il faut admettre que nous sommes aussi punis, en quelque mesure, pour les autres. » J'avais toujours été émerveillé de l'immense intérêt que notre captivité avait produit partout, et surtout aussi du puissant concours de prières qu'elle avait suscité dans le monde chrétien ; je m'étais réjoui d'apprendre qu'en bien des lieux divers, de nombreuses âmes avaient été bénies, en une certaine mesure, par le récit de nos épreuves, et j'admirais avec gratitude les voles mystérieuses du Seigneur. Mais, admettre que si nos souffrances sont un châtiment, ce dernier dépasse souvent de beaucoup la gravité de l'offense, est une pensée qui n'avait jamais effleuré mon esprit ; au contraire, dans les plus terribles moments de mes épreuves, ce passage m'avait souvent soutenu : « Il ne nous traite pas selon nos péchés, il ne nous punit pas selon nos iniquités. »

En restant ainsi couché pendant de longs jours, j'eus le loisir de faire le compte des leçons que le Seigneur avait peut-être désiré me donner. Tout d'abord, ma foi en l'efficacité de la prière avait été puissamment fortifiée par la certitude que le Seigneur avait si glorieusement répondu à l'intercession d'un très grand nombre de chrétiens. Puis j'avais compris tout à nouveau, et mieux encore qu'auparavant, que nous sommes tous un en Christ, et que le devoir de tous les disciples du Seigneur, est de porter les fardeaux les uns des autres : il y avait eu des intercesseurs dans plusieurs nations différentes, membres de bien des églises diverses.

En réfléchissant à ces miraculeuses délivrances, notre foi était en effet fortifiée, c'est-à-dire la foi en un Dieu qui, accomplit des merveilles et qui est tout puissant, encore aujourd'hui. Les promesses de la Parole de Dieu avaient été mises à l'épreuve, et naturellement, chacun avait pu se convaincre, qu'on peut compter sur leur accomplissement intégral. L'affirmation que le Seigneur nous avait soulignée : « Je suis avec vous tous les jours ! » s'est littéralement réalisée, et en plus, nous avons été comblés de toutes les précieuses bénédictions découlant de la présence divine. Chaque nuit, je m'étais reposé sur ce bienfaisant oreiller : « Je me couche et je m'endors en paix, car toi seul ô Éternel, tu me donnes sécurité dans ma demeure. » Jour après jour, la main protectrice de l'Éternel s'était étendue sur moi, et en mainte occasion elle avait opposé sa force toute-puissante à la fureur de mes adversaires ; « l'Éternel campe autour de ceux qui le craignent ! » Cette affirmation est parfaitement vraie et je l'ai expérimentée. Oui ! j'espère bien avoir appris quelques-unes des leçons que le Seigneur désirait m'enseigner, afin de perfectionner en moi l'oeuvre de la patience, de l'humilité et du contentement. En pensant à l'apôtre Paul, il me fut possible de répéter tout à nouveau avec lui cette parole : « J'ai appris à être content de l'état où je me trouve. »

Me souvenant de tous les vastes territoires qu'il a fallu traverser, une vision toute nouvelle me fut accordée, de l'obligation où nous sommes d'évangéliser. De très grandes multitudes ont entendu prêcher les doctrines communistes ; leurs mots d'ordre ont été affichés partout où on pouvait les placer, sur les fermes échelonnées le long des routes principales comme sur les marchés ; de nombreuses populations ont été inondées de tracts par les membres zélés des escouades de propagande. Oh ! combien on voudrait voir des phalanges de chrétiens chinois, saisissant l'occasion de parcourir, en long et en large, toute la province de Kweichow, et même toute la vaste Chine, animés de la même ardeur et employant les mêmes méthodes populaires. Oh ! demandons à Dieu de susciter des hommes décidés à se consacrer entièrement au service de Christ.

Ezéchiel a dit (3.15) : « Je me tins là où ils se tenaient ». Que de fois nous, les missionnaires, nous avons réalisé combien il nous était impossible de nous abaisser assez pour comprendre pleinement la pauvreté et la souffrance de ceux que nous étions venus secourir. Pendant ce temps de dure captivité, le Seigneur m'a fourni les occasions de vivre en contact étroit avec les Chinois, d'expérimenter quelque chose de leurs chagrins, de leurs difficultés et de leurs problèmes, tout en acquérant une connaissance exacte de leur dépravation et de leur pauvreté. Le christianisme, et non pas le communisme, est le seul espoir de ceux qui sont assis dans les ténèbres de l'ombre de la mort.

Jésus-Christ est le même hier, aujourd'hui et à jamais ! Cette affirmation prend une force toute nouvelle. Hier, au temps de l'Ancien Testament, Il fut avec Joseph en prison ; Il marcha dans la fournaise en compagnie des trois jeunes Hébreux ; Il ferma la gueule des lions devant Daniel. Aujourd'hui, dans la dispensation de l'Évangile, Il donne sa grâce à Étienne le martyr ; Il brise les chaînes de Pierre et lui ouvre les portes de sa prison ; Il soutient l'apôtre Paul et l'emploie pendant sa longue captivité, Il est le même pour les prisonniers du Seigneur à la fin de notre dispensation, et Il le sera pour jamais ! Le même Jésus va revenir, et jusqu'à ce jour béni, je désire être encore son captif. « J'aime mon maître et je ne veux pas sortir libre ! »

Son message au premier jour de l'année : « Il te donnera les désirs de ton coeur ! » a été merveilleusement accompli, Il a même satisfait une fantaisie supplémentaire car Il m'a délivré le jour où l'Eglise chrétienne célébrait la résurrection de son glorieux Chef. Bien plus, Il a exaucé cette prière qui fut si souvent dans mon coeur et sur mes lèvres, d'être libéré sans rançon.

Une semaine après mon élargissement, ma chère femme était auprès de moi. Ce fait est encore un autre couronnement de l'amour et de la bonté de notre Père céleste. Autrefois, ce voyage aurait nécessité des mois ; à notre époque, il s'exécute en une quinzaine de jours environ par bateau et par chemin de fer ; il fallut à ma femme un jour et demi seulement pour me rejoindre par la voie des airs ! Le Seigneur a accompli des merveilles à nos yeux. Il a dépassé tout ce que nous aurions pu demander et penser. Notre joie est complète et notre coupe déborde ! « Demandez et vous recevrez afin que votre joie soit accomplie ! »


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