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Il me semblait si étrange
d'être laissé sans surveillance !
Quelques camarades dormaient bien dans la maison,
mais ils n'étaient en rien responsables de
nos personnes. Dans notre chambre il y avait un
lit, mais malheureusement pas de paille.
Josué et Wang, l'autre
délégué, dormirent ensemble
sur le plancher et partagèrent leur literie
avec moi. Lorsque le camp se réveilla il
nous semblait qu'il y avait bien peu de temps que
nous nous reposions. Ce fut l'appel du clairon, le
bruit de pas précipités
derrière notre porte, des sons confus de
voix venant de différents
côtés. Enfin, nous entendîmes
les gardiens alignant leurs prisonniers, tout
à fait à proximité de notre
maison, nous pouvions même reconnaître
les voix !... Nous étions heureux
d'être dispensés de répondre
à cet ordre de départ, et de pouvoir
rester tranquillement au lit. Les occupants de la
chambre voisine eurent tôt fait de rassembler
leurs équipements et de quitter les lieux.
Puis, ce fut le bruit régulier et continu
des pas des gardiens en marche pour une nouvelle
étape ; on l'entendit un certain
temps ; puis, peu à peu, le bruit
s'éteignit et tout devint calme. Le
maître de la maison avait dormi dans un
galetas au dessus de nous. Il se
glissa au bas des escaliers pour s'assurer que tout
était en ordre. Il ouvrit la porte avec
précaution et jeta un coup d'oeil furtif au
dehors puis il revint nous dire que les rouges
étaient définitivement
partis.
Nous sommes restés au lit
jusqu'au jour, mais je ne dormis pas beaucoup. Mon
coeur était rempli de louanges et d'actions
de grâces envers Dieu pour ses oeuvres
merveilleuses ! Tout cela me semblait toujours
trop beau pour être vrai !
|
|
À l'aube, nous fûmes quelque peu
effrayés d'entendre la porte s'ouvrir et de
voir deux formes s'introduire furtivement chez
nous ; c'étaient, à n'en pas
douter, deux camarades appartenant à
l'armée rouge. Ils fermèrent avec
précaution la porte derrière eux et
nous eûmes vite fait de reconnaître
deux des palefreniers. Je crus tout d'abord que
tous les rouges n'avaient pas encore quitté
le village, mais ils avouèrent qu'ils
s'étaient enfuis. Tremblants de peur, ils
nous prièrent de leur permettre de nous
accompagner jusqu'à la capitale. Ils
insistaient pour partir immédiatement,
craignant que leur absence ne fut remarquée
et qu'on ne se mit à leur recherche. Mais
nous avions décidé de déjeuner
avant de nous mettre en route ; puis il
fallait trouver des coolies pour me
transporter.
Le propriétaire de la maison
pensait qu'il serait difficile de trouver des
hommes consentant à se charger de ce
travail, sitôt après le départ
des communistes ; car la plupart d'entre eux
s'étaient enfuis et ne sortiraient de leurs
cachettes que quand ils seraient tout à fait
sûrs que les rouges avaient
définitivement quitté la
contrée. Alors on me proposa d'essayer de
marcher un peu, jusqu'à ce que nous ayons
atteint une région où nous pourrions
trouver des porteurs.
Wang et les deux fugitifs prirent les
devants et je suivis en compagnie de Josué.
C'était un beau matin ensoleillé et
la tranquillité de cette journée nous
pénétrait. La route suivait le cours
d'une rivière, et sur la droite
s'élevait une colline bien boisée.
C'était le matin dessus
de nous. Il se glissa au bas des escaliers pour
s'assurer que tout était en ordre. Il ouvrit
la porte avec précaution et jeta un coup
d'oeil furtif au dehors puis il revint nous dire
que les rouges étaient définitivement
partis.
Nous sommes restés au lit
jusqu'au jour, mais je ne dormis pas beaucoup. Mon
coeur était rempli de louanges et d'actions
de grâces envers Dieu pour ses oeuvres
merveilleuses ! Tout cela me semblait toujours
trop beau pour être vrai !
À l'aube, nous fûmes
quelque peu effrayés d'entendre la porte
s'ouvrir et de voir deux formes s'introduire
furtivement chez nous ; c'étaient,
à n'en pas douter, deux camarades
appartenant à l'armée rouge. Ils
fermèrent avec précaution la porte
derrière eux et nous eûmes vite fait
de reconnaître deux des palefreniers. Je crus
tout d'abord que tous les rouges n'avaient pas
encore quitté le village, mais ils
avouèrent qu'ils s'étaient enfuis.
Tremblants de peur, ils nous prièrent de
leur permettre de nous accompagner jusqu'à
la capitale. Ils insistaient pour partir
immédiatement, craignant que leur absence ne
fut remarquée et qu'on ne se mit à
leur recherche. Mais nous avions
décidé de déjeuner avant de
nous mettre en route ; puis il fallait trouver
des coolies pour me transporter.
Le propriétaire de la maison
pensait qu'il serait difficile de trouver des
hommes consentant à se charger de ce
travail, sitôt après le départ
des communistes ; car la plupart d'entre eux
s'étaient enfuis et ne sortiraient de leurs
cachettes que quand ils seraient tout à fait
sûrs que les rouges avaient
définitivement quitté la
contrée. Alors on me proposa d'essayer de
marcher un peu, jusqu'à ce que nous ayons
atteint une région où nous pourrions
trouver des porteurs.
Wang et les deux fugitifs prirent les
devants et je suivis en compagnie de Josué.
C'était un beau matin ensoleillé et
la tranquillité de cette journée nous
pénétrait. La route suivait le cours
d'une rivière, et sur la droite
s'élevait une colline bien boisée.
C'était le matin de
Pâques ; nous avons parlé de la
résurrection de notre Seigneur, et de sa
manière merveilleuse de déjouer les
plans de l'ennemi.
J'avais eu très peu d'occasions
de parler librement avec Josué, mais
maintenant il n'y avait plus de gardien et nous
pouvions converser à coeur ouvert. Il avait
prié chaque jour pour moi, me
disait-il ; et il me parla des
expériences qu'il avait faites en cherchant
à pénétrer dans le territoire
occupé par les rouges. On le
soupçonna d'être un espion, et sa vie
fut en danger. Quelle dette de reconnaissance nous
avons contractée envers ces hommes qui ont
volontairement risqué leur vie pour nous,
sans compter toutes les souffrances qu'ils ont
endurées tout le long du chemin ! Je
lui exprimai ma profonde reconnaissance, mais il
prit la chose avec une grande simplicité en
disant : « Je n'ai rien fait de plus
que mon devoir ! »
Mes progrès étaient lents
et douloureux, et aucune maison n'était en
vue ; alors Josué proposa de partir en
avant, et de revenir me chercher quand il aurait
réussi à se procurer une
litière. Je fus donc laissé seul,
obligé de me reposer à tout instant
au bord de la route. Quelle joie de pouvoir prendre
son temps, et d'être délivré de
la surveillance des gardiens. Au bout d'un moment,
je vis Josué revenant seul. On avait
trouvé un homme, consentant à me
porter, mais il avait dû aller à la
recherche d'un second compagnon. Josué
insista donc pour me prendre sur son dos
jusqu'à la ferme prochaine.
Les autres ayant déjà eu
leur déjeuner, Josué et moi, nous
prîmes le nôtre. Il nous fallut
attendre assez longtemps avant que la chaise et les
porteurs fussent prêts. Les voisins ne
cessaient d'entrer pour bavarder, et la
conversation roulait sur les troubles
récents. On nous informa que la ville de
Fumin (gens riches) était pleine de soldats.
En apprenant cela, les deux porteurs prirent peur,
car ils craignaient l'enrôlement
forcé.
À la fin, il fut pourtant
possible de partir et je me trouvais
confortablement installé dans cette chaise. C'était
un luxe, en
vérité, d'être porté de
cette façon ; comme je n'avais pas
beaucoup plus que la peau et les os, les coolies
trouvèrent leur tâche très
facile et ils s'élancèrent en avant.
Maintenant, c'étaient mes compagnons qui
trouvaient difficile de me suivre et ils durent
héler les porteurs, afin de modérer
un peu leur ardeur.
On craignait encore que les rouges
n'eussent pas tout à fait quitté la
région, car une partie de leur armée
avait pris Fumin, le jour précédent.
Ayant rencontré un maître
d'école sur la route, nous lui avons
demandé des renseignements. Il se montra
très aimable et sympathique ; il nous
offrit de nous accompagner jusqu'à la ville,
afin de nous aider à reconnaître le
chemin.
La route suivait une vallée
étroite qui peu à peu
s'élargissait en une plaine fertile. Des
maisons étaient disséminées
ici et là, mais une seule se trouvait
près du chemin. Nous nous y sommes
reposés et nous y avons pris un thé
chinois et des pâtisseries.
L'après-midi était
très avancée quand nous fûmes
en vue de la ville. Dans le lointain, au pied de
quelques collines, nous avons aperçu une
longue file d'hommes, suivant une route
parallèle, dans la direction opposée
à la nôtre. C'était sans aucun
doute, une partie de l'armée rouge, et comme
nos deux fugitifs étaient terrifiés,
nous sommes restés cachés
derrière un mur pendant assez
longtemps.
Toujours à cause de
l'enrôlement forcé, nos coolies
avaient peur d'entrer dans la ville et nous n'avons
pas eu la liberté d'insister et de les
obliger à courir un risque quelconque ;
alors nous les avons payés, ils ont
démonté leur chaise, et ils sont
partis.
Après avoir pris un peu de repos,
nous nous sommes remis en chemin ; j'ai
parcouru à pied la courte distance qui nous
séparait de la porte de la cité.
Juste à l'entrée, nous avons
trouvé des soldats de l'armée
blanche, occupés, pour la plupart, à
laver leurs vêtements. Des sentinelles nous
entourèrent et nous firent subir un
interrogatoire. Le récit de nos aventures
les intéressa et les rendit plus aimables.
Mais ils nous dirent qu'en entrant dans la ville,
nous
devions nous annoncer aux autorités
militaires, et un homme fut chargé de nous
conduire en présence de l'un des commandants
de la place. Notre guide babillait avec nous, et il
nous rassura en disant : « Ne
craignez rien, ce n'est qu'une simple
formalité. »
Il nous laissa devant le quartier des
officiers, et un soldat nous conduisit à
l'intérieur de la maison en nous faisant
traverser une cour remplie d'hommes en uniforme.
L'officier nous posa tout d'abord des questions
générales ; puis s'avisant que
notre cas était plus sérieux qu'il
n'y paraissait à première vue, il
nous interrogea l'un après l'autre.
J'étais très fatigué et je
demandai la permission de m'asseoir, ce qui me fut
accordé ; les autres restèrent
debout. Tous les bagages furent inspectés,
toutes les personnes furent fouillées sauf
moi. Nous avons dû remettre à
l'enquêteur tout l'argent que nous avions sur
nous, et il prit note de tout, avec soin. Mon cas
semblait l'embarrasser beaucoup et sa
méfiance fut éveillée, quand,
ouvrant mon livre « Sources dans le
désert », il y découvrit
des tracts communistes. Mes explications ne
parurent pas le satisfaire. Il doutait aussi du
délégué du
général Chang et ouvrit la lettre que
ce dernier adressait à sa famille.
L'enquête continua pendant près d'une
heure, puis on nous envoya à un autre
officier qui se montra encore plus
sévère.
Tout ce que nous possédions fut
de nouveau inspecté, et, cette fois-ci, on
ne fit aucune exception pour moi. On confisqua une
partie de notre literie sous prétexte
qu'elle avait été volée. Cet
officier parut prendre Josué en violente
aversion, et quand j'expliquai qu'il était
mon négociateur, il rétorqua
méchamment : « Ce n'est pas
un homme honnête, il sera probablement
exécuté ! » Alors
Josué lui apprit qu'il était au
service de quelques Européens de Kweiyang,
et qu'il n'avait rien à faire avec les
rouges, sinon de chercher à négocier
et obtenir ma libération. Cette explication
ne valut que cette remarque cassante :
« Pourquoi servez-vous les chiens
étrangers ? N'auriez-vous pas pu
trouver un maître chinois ? »
Tandis que nous attendions, il
se mit à lire la littérature
communiste et de nouveau il fit un inventaire de
notre argent et de nos autres possessions. À
la fin il décida de garder les deux
palefreniers et à les forcer à
prendre du service dans les troupes du
gouvernement. L'un d'entre eux, je crois, resta
avec eux, car je ne le revis plus.
Une escouade de soldats reçut
l'ordre de nous conduire chez le
général. Nous marchions à la
file indienne, précédés,
suivis et encadrés de soldats. Comme je
n'avançais qu'avec peine, ils durent se
mettre à mon pas. Exposé de cette
façon, notre petit groupe fit l'objet de
bien des remarques, de la part des gens que nous
rencontrions ; la rue était remplie de
militaires et de civils. Plus d'une fois j'entendis
une phrase de ce genre : « Les
soldats ont capturé un communiste
russe ! »
On nous fit franchir l'imposante porte
d'un temple, et nous sommes tombés sur le
général au beau milieu du repas du
soir, qu'il prenait avec ses officiers. Un soldat,
les mains pleines de traités communistes,
nous devança pour expliquer qu'on les avait
trouvés sur moi. Mais, en m'apercevant, le
général bouscula presque le messager,
et, s'avançant vivement vers moi, suivi de
ses officiers, il s'écria en me
saluant :
- Oh ! vous êtes le monsieur
suédois qui fut retenu captif depuis si
longtemps ?
- Suisse ! rectifiai-je en
faisant
un signe d'assentiment.
- J'ai entendu parler de vous,
continua-t-il ; demain nous allons vous faire
conduire à la capitale, mais, pour ce soir,
nous devons vous chercher un logis.
- Il y a la salle
évangélique, suggéra
quelqu'un, où il peut être
installé très confortablement pour la
nuit ! » En entendant cela, le
général parut visiblement
soulagé.
L'entrevue prit bientôt fin, et
nous fûmes conduits dans les locaux de la
Mission de Pentecôte. Les rues et les maisons
semblaient remplies de soldats ; à
notre grand désappointement, nous avons
trouvé la maison chrétienne
absolument remplie, elle aussi. La personne
à qui la station était
confiée, semblait distraite et elle eut un
peu de peine à comprendre qui
j'étais ; enfin elle ne put dire que
ceci :
« Je
ne puis pas vous offrir l'hospitalité, car
hier, les rouges ont pillé la maison ;
ils ont même pris les souliers qui
étaient aux pieds de ma petite fille ;
et maintenant toutes les chambres sont
occupées par les soldats, il y en a
même à la cuisine. » Au bout
d'un moment, elle devint un peu plus calme et me
fit le récit de ses récentes
épreuves. Le gardien qui nous avait
amenés la pria de lui donner une attestation
prouvant qu'il avait fidèlement
« livré sa
marchandise ». Comme elle ne pouvait pas
écrire, il fallut trouver quelqu'un qui
voulût bien le faire à sa
place.
Après le départ de mon
conducteur, elle nous dit qu'un voisin avait offert
de nous préparer un peu de nourriture. Cette
nouvelle arrivait à point et nous en
fûmes reconnaissants, car Josué avait
vainement cherché à se procurer
quelques aliments dans la rue. Un groupe de soldats
toujours nouveaux nous entourait, en nous
dévisageant et posant parfois quelques
questions. Tout à coup l'un d'entre eux
remarqua que notre nourriture n'était pas
assaisonnée, et il nous offrit un flacon de
poudre blanche qui m'était inconnue, mais
qui mit un peu de saveur à notre
repas.
La femme trouva ensuite une gerbe de
paille et nous conduisit dans une petite
pièce contenant la provision de bois,
où nous avons pu improviser notre lit sur le
plancher. Avant de nous endormir, Josué et
moi, nous avons prié ensemble. Avant le
souper nous avions fait chercher Wang, mais il
n'était pas encore rentré. Vers
minuit nous fûmes réveillés et
un soldat me remit une lettre contenant le papier
monnaie qui avait été pris à
Wang ; on me demandait aussi de me
préparer à partir à l'aube,
m'assurant que je serais escorté
jusqu'à ce que j'eusse retrouvé mes
amis. Mon argent, moins un demi-dollar, m'avait
été rendu déjà
auparavant.
Avant l'aurore nous étions
debout, et nous avons pu partager un bol d'eau avec
un ou deux soldats, pour nous laver la figure, puis
nous nous sommes occupés de notre
déjeuner. Wang arriva sur ces entrefaites et
s'offrit à se mettre à la recherche
de coolies pour me transporter.
Il venait de partir, quand un messager
vint de la part du général pour nous
inviter à déjeuner avec lui, y
compris Wang. Nous avons laissé les bagages
de ce dernier aux soins de la femme chinoise, en
lui recommandant de lui dire où nous
étions allés et nous sommes
partis.
En arrivant au quartier du
général, nous avons trouvé
tout le monde occupé à harnacher et
à charger les animaux. On nous offrit un
excellent repas et on parla de mon voyage. Quelles
étaient mes préférences,
voyager à cheval ou en chaise à
porteurs ? « Je peux voyager des
deux façons, répondis-je, mais je
préfère une
litière. » Après le
déjeuner, nous sommes sortis ; une
chaise nous attendait avec les coolies pour se
relayer. Ainsi débuta mon voyage de
retour !
Des milliers de soldats rentraient
à la capitale. Nous eûmes ainsi
l'occasion de comparer les hommes de l'armée
blanche avec les rouges. Pendant la journée,
plusieurs d'entre eux s'approchèrent pour
causer un peu avec moi. Pas un ne s'avisa de
m'appeler « diable »,
« chien » ou
« impérialiste ». Aucun
juron ; c'était très
remarquable. L'étape était de
cinquante kilomètres environ ; au
milieu du jour on s'arrêta pour manger, et,
encore une fois, un excellent repas nous fut
servi.
À huit kilomètres de la
capitale, nous avons pris un peu de repos au pied
d'une colline, à l'entrée de la
grande plaine de Yunnanfu. Les soldats furent
alignés puis formés en carré,
et le commandant prononça un discours. Un
aimable officier vint m'informer que les coolies
avaient déjà reçu leur
paiement, et que je n'avais pas besoin d'attendre
le gros de la troupe ; on allait me faire
escorter jusqu'à la capitale, par un
détachement chargé de nous
protéger. Il me dit aussi que, dès
mon arrivée, je devais m'annoncer aux
autorités militaires commandant la
place.
J'étais arrivé à ma
dernière étape sur le chemin du
retour. Je ne connaissais pas personnellement les
missionnaires de la capitale du Yunnan. Personne,
naturellement, n'était prévenu de mon
élargissement ; il avait
été si soudain, si inattendu, que je
n'avais pas eu la possibilité d'avertir qui
que ce fût. Je me figurais à l'avance
la surprise ! Je me disais qu'après
avoir été entièrement
libéré par l'autorité
militaire de Kunmind (Yunnanfu), je demanderais le
chemin du Home de la Mission intérieure de
la Chine ; je frapperais à la porte,
sûr d'y trouver quelqu'un pour m'accueillir.
Ce serait la répétition de l'histoire
de Pierre apparaissant à la maison de Marie
mère de Marc !...
Nous n'étions plus qu'à
environ cinq kilomètres de la ville, quand
j'aperçus tout à coup trois cavaliers
européens s'avançant à notre
rencontre. Comme c'était le lundi de
Pâques, ce fait n'avait rien de
surprenant ; ces étrangers profitaient
sans doute de ce jour de liberté pour faire
une petite excursion dans la campagne.
C'étaient peut-être des
commerçants, ou, qui sait ?
peut-être aussi des missionnaires. Quelle
surprise pour eux quand ils m'apercevraient !
Et voici qu'en arrivant vers nous, ils mirent pied
à terre, ayant tout à fait l'air de
s'attendre à me rencontrer !
Les coolies s'arrêtèrent et
je descendis de ma chaise ; alors M. Porteous
me saisit la main, en se présentant, suivi
de ses deux compagnons, MM. Metcalf et Albert
Allen. Après quelques instants de
conversation, ils m'apprirent que, un peu plus
loin, sur la route, d'autres amis nous
attendaient ; on m'offrit de monter à
cheval pour une petite partie du chemin. Ils
m'aidèrent à me mettre en selle et
nous nous mîmes à causer tandis qu'ils
marchaient à côté de
moi.
- Comment avez-vous su que j'avais
été libéré ?
demandai-je. Ils m'apprirent alors que, le matin
même, les autorités militaires de la
capitale avaient reçu un message
téléphonique annonçant mon
arrivée avec les troupes gouvernementales.
Au sommet d'une petite côte, je
découvris les amis venus à ma
rencontre. Il me sembla que c'était une
foule, mais M. Porteous m'expliqua qu'ils auraient
été bien plus nombreux si
l'autorité militaire n'avait pas jugé
plus sage pour les dames de rester à
l'intérieur des murs de la ville, car
à ce moment-là, la situation
était encore très troublée, et
qu'eux-mêmes seraient
venus plus loin au-devant de moi, mais que le
consul les en avait dissuadés.
Ils étaient un groupe d'une
vingtaine ou plus, et approchant, je reconnus mes
vieux amis de Kweichow Jones et Crapuchettes.
À notre arrivée, ils
entonnèrent tous en choeur un cantique
d'actions de grâces ; puis on me demanda
de rester sur le cheval pour prendre une photo, et
on en prit encore plusieurs quand je fus descendu.
Après cela ce furent des échanges de
salutations, des poignées de mains et
l'expression d'une grande joie. Il n'y avait pas
seulement des amis européens, mais encore
des Chinois, et, à ma grande surprise, je
reconnus M. Ting et M. Yang, les
négociateurs venus de la province de Hunan,
qui paraissaient hors d'eux-mêmes de me voir
en liberté. « Comment se fait-il
que vous soyez ici ? » demandai-je
à mes amis de Kweichow ; ils
m'expliquèrent qu'ils avaient dû fuir
devant la menace des rouges. Pendant toute la
durée de ma captivité, je n'avais
rien su du nombre d'évacuations qui avaient
dû être faites dans nos stations
menacées par les communistes.
Je commençais en effet à
goûter au luxe dont mon gardien m'avait
parlé en me quittant. La première
manifestation de ce luxe fut un mouchoir de poche
qu'on m'offrit en remplacement du sale chiffon bleu
dont je me servais et qui, maintenant, avait fini
son service. Comme il faisait chaud, je fus heureux
de prendre un peu de limonade qu'on m'offrit.
Quelqu'un d'autre me donna un paquet de
chocolat.
Puis nous nous sommes assis tous
ensemble au bord de la route, et malgré mon
état de saleté indescriptible, les
amis ne se tinrent pas à distance, mais ils
se groupèrent plutôt autour de moi.
Bientôt, les gardiens qui n'étaient
pas peu intéressés par cette chaude
réception, nous conseillèrent
d'entrer dans la ville.
Je repris place dans la chaise et les
amis marchèrent à mes
côtés tout en causant. Mes anciens
négociateurs me racontèrent que, le
matin même, ils avaient l'intention de
repartir à ma recherche ; quand ils se
présentèrent devant l'autorité
militaire pour demander un passeport, ils apprirent
mon
élargissement, et ils retournèrent
à la maison des missions pour en apporter la
nouvelle. Le gardien en chef pensait que
l'arrivée de si nombreux étrangers
risquait de causer quelque sensation dans la ville,
et il conseilla aux amis de se séparer et
d'y pénétrer par différents
chemins ; ainsi la société se
dispersa.
Les gardiens ne consentirent pas
à me laisser aller directement au home de la
mission, car ils avaient reçu l'ordre de me
conduire tout d'abord au yamen du gouverneur de la
province. En arrivant, le conducteur nous fit
attendre à l'extérieur tandis qu'il
entrait pour rendre compte de sa mission.
Aussitôt je fus entouré d'une foule de
Chinois curieux de dévisager ce bizarre
étranger à la barbe inculte et
à l'accoutrement plus bizarre encore.
Après avoir attendu quelques instants, nous
avons demandé la permission de
pénétrer à l'intérieur
pour éviter les indiscrétions du
public. La longue rampe d'escaliers qu'il fallait
gravir me semblait interminable, mais aidé
par mes amis, je parvins à la monter
lentement. À l'extérieur du
bâtiment principal, il fallut encore attendre
au milieu des soldats curieux. Pour abréger
une longue histoire, je me bornerai à dire
qu'on me fit passer d'une chambre à
l'autre ; enfin, installé dans un
pousse-pousse (rickshaw) et accompagné d'un
soldat, je me suis rendu dans un autre
bâtiment où se trouvait le bureau des
affaires étrangères. Le vieux
monsieur qui me reçut vit bien vite que
j'étais malade et il ne me retint que le
temps de me faire signer un papier.
Quand ce fut fini, il faisait tout
à fait sombre. Le pousse-pousse nous
attendait et on nous conduisit directement chez M.
et Mme J. D. Harrison. Nous avons passé
près d'un groupe de personnes attendant
devant le home de la Mission, qui nous suivirent
jusqu'à la maison des Harrison où je
fus encore une fois entouré par de nombreux
amis. On m'invita à entrer au salon, mais je
refusa !. De nouveau un cantique de louanges
fut entonné. Je me trouvais avec de
nombreuses connaissances de Kweichow, et parmi eux
se trouvaient soeur Marguerite et soeur Dora de
Pichieh. Après le cantique, soeur Marguerite pria
avec nous,
et je
montai pour jouir d'un autre luxe : un bain
avec du savon !...
Afin de me rendre plus
présentable, M. Harrison me coupa la barbe
et les cheveux. Mes habits furent emballés
dans une feuille de papier huilé et mis au
feu. On me prêta un vêtement de nuit et
une robe de chambre et je fis enfin mon apparition
au salon où une infinité d'autres
amis vinrent me saluer. Alors, de tout notre coeur,
nous nous mimes à chanter. « Qu'il
est grand le Dieu que nous
adorons ! » M. Harrison, à
son tour, remercia et loua le Seigneur pour sa
grande délivrance et l'on me conduisit dans
ma chambre, égayée par des pois de
senteur ; bientôt je pus me
réjouir du luxe de m'étendre dans des
draps propres et sur un lit confortable.
Deux garde-malades de la Mission
intérieure de la Chine, Mlles Kemp et
Barberini, vinrent m'offrir leurs soins ;
elles bandèrent mes pieds enflés et
blessés. auxquels il manquait plusieurs
ongles, à cause de l'étroitesse des
galoches que j'avais dû supporter. Ayant
été privé pendant si longtemps
de ce qu'il est convenu d'appeler le
nécessaire, tout me semblait être un
luxe et je pris avec plaisir les repas complets et
soigneusement apprêtés qu'on me
présentait.
M. Harrison m'offrit de me lire quelque
chose dans la Bible qui avait été
placée sur la table à
côté de mon lit, et sur ma demande, il
ouvrit le Saint livre au psaume
124.
Après cela, je m'apprêtai à
passer une bonne nuit de repos ; le lendemain,
on me permit de voir les
délégués chinois avant leur
départ pour leur long voyage de retour dans
les provinces de Kweichow et Hunan.
J'écrivis une lettre à M. Becker et
je la leur remis. Dans la matinée, le
docteur Yu vint me voir, et il me conseilla
d'entrer en clinique. Le consul britannique
s'offrit aimablement à m'y conduire dans son
auto ; on me transporta donc jusqu'au
véhicule. Arrivé à
l'hôpital, on me donna une chambre
privée et je reçus tous les soins
nécessaires. Les garde-malades de notre
mission furent admises à continuer leur
service auprès de moi.
Pendant les jours qui suivirent, je
reçus de nombreuses visites. Un
représentant du gouverneur m'apporta ses
salutations. Puis il y eut les consuls britannique
et américain, l'évêque
catholique romain de la province de Yunnan, avec
qui je pus parler du père Kellner, et toute
une phalange d'amis chrétiens, membres de
différentes missions.
Un jour, en me réveillant d'un
petit somme de l'après-midi, je vis M. Keng
mon ancien compagnon de captivité, debout au
pied de mon lit, l'air parfaitement bien portant.
Je me demandais si j'étais bien
éveillé ?... En voyant ma
surprise, il me demanda : « Ne
saviez-vous pas que je m'étais enfui
plusieurs jours avant votre
libération ? »
- J'ai bien remarqué que vous
n'étiez plus parmi nos gardiens,
répondis-je, mais je pensais que vous aviez
été détaché dans une
autre compagnie ! »
Alors il m'expliqua :
« Je feignis d'être malade, et
après être resté en
arrière, je me suis caché en
attendant que toute l'armée eut
passé ; ensuite, j'ai pris la clef des
champs ! » Il vînt me voir
dès qu'il eut appris que j'étais
à l'hôpital. Quelques jours
après, il partit pour rejoindre les siens
dans la province de Shantung ; j'espère
que lui qui a été l'objet de tant de
prières, finira bien par se livrer à
Dieu.
Le capitaine Wang s'était
évadé, lui aussi, peu de temps
auparavant, et il était encore à
Kunming. Il vint me voir un
jour, avec le délégué du
général Chang, qui parvint à
quitter Kunming après de très grandes
difficultés. Lao Tiao, le muletier du
prêtre, qui s'était enfui, venait
aussi me voir chaque jour. Il s'intéresse
maintenant à l'évangile, et il a
véritablement renoncé à
l'opium.
Un jour, un missionnaire, membre d'une
autre société que la nôtre,
m'étonna vivement. « Quand nos
souffrances, prétendait-il, paraissent
dépasser la gravité de nos offenses,
il faut admettre que nous sommes aussi punis, en
quelque mesure, pour les autres. »
J'avais toujours été
émerveillé de l'immense
intérêt que notre captivité
avait produit partout, et surtout aussi du puissant
concours de prières qu'elle avait
suscité dans le monde chrétien ;
je m'étais réjoui d'apprendre qu'en
bien des lieux divers, de nombreuses âmes
avaient été bénies, en une
certaine mesure, par le récit de nos
épreuves, et j'admirais avec gratitude les
voles mystérieuses du Seigneur. Mais,
admettre que si nos souffrances sont un
châtiment, ce dernier dépasse souvent
de beaucoup la gravité de l'offense, est une
pensée qui n'avait jamais effleuré
mon esprit ; au contraire, dans les plus
terribles moments de mes épreuves, ce
passage m'avait souvent soutenu :
« Il ne nous traite pas selon nos
péchés, il ne nous punit pas selon
nos iniquités. »
En restant ainsi couché pendant
de longs jours, j'eus le loisir de faire le compte
des leçons que le Seigneur avait
peut-être désiré me donner.
Tout d'abord, ma foi en l'efficacité de la
prière avait été puissamment
fortifiée par la certitude que le Seigneur
avait si glorieusement répondu à
l'intercession d'un très grand nombre de
chrétiens. Puis j'avais compris tout
à nouveau, et mieux encore qu'auparavant,
que nous sommes tous un en Christ, et que le devoir
de tous les disciples du Seigneur, est de porter
les fardeaux les uns des autres : il y avait
eu des intercesseurs dans plusieurs nations
différentes, membres de bien des
églises diverses.
En réfléchissant à
ces miraculeuses délivrances, notre foi
était en effet fortifiée,
c'est-à-dire la foi en un Dieu qui,
accomplit des merveilles et qui est tout puissant, encore
aujourd'hui. Les
promesses de la Parole de Dieu avaient
été mises à l'épreuve,
et naturellement, chacun avait pu se convaincre,
qu'on peut compter sur leur accomplissement
intégral. L'affirmation que le Seigneur nous
avait soulignée : « Je suis
avec vous tous les jours ! » s'est
littéralement réalisée, et en
plus, nous avons été comblés
de toutes les précieuses
bénédictions découlant de la
présence divine. Chaque nuit, je
m'étais reposé sur ce bienfaisant
oreiller : « Je me couche et je
m'endors en paix, car toi seul ô
Éternel, tu me donnes sécurité
dans ma demeure. » Jour après
jour, la main protectrice de l'Éternel
s'était étendue sur moi, et en mainte
occasion elle avait opposé sa force
toute-puissante à la fureur de mes
adversaires ; « l'Éternel
campe autour de ceux qui le
craignent ! » Cette affirmation est
parfaitement vraie et je l'ai
expérimentée. Oui !
j'espère bien avoir appris quelques-unes des
leçons que le Seigneur désirait
m'enseigner, afin de perfectionner en moi l'oeuvre
de la patience, de l'humilité et du
contentement. En pensant à l'apôtre
Paul, il me fut possible de répéter
tout à nouveau avec lui cette parole :
« J'ai appris à être content
de l'état où je me
trouve. »
Me souvenant de tous les vastes
territoires qu'il a fallu traverser, une vision
toute nouvelle me fut accordée, de
l'obligation où nous sommes
d'évangéliser. De très grandes
multitudes ont entendu prêcher les doctrines
communistes ; leurs mots d'ordre ont
été affichés partout où
on pouvait les placer, sur les fermes
échelonnées le long des routes
principales comme sur les marchés ; de
nombreuses populations ont été
inondées de tracts par les membres
zélés des escouades de propagande.
Oh ! combien on voudrait voir des phalanges de
chrétiens chinois, saisissant l'occasion de
parcourir, en long et en large, toute la province
de Kweichow, et même toute la vaste Chine,
animés de la même ardeur et employant
les mêmes méthodes populaires.
Oh ! demandons à Dieu de susciter des
hommes décidés à se consacrer
entièrement au service de Christ.
Ezéchiel a dit
(3.15) :
« Je me tins
là où ils se tenaient ». Que de
fois nous, les missionnaires, nous avons
réalisé combien il nous était
impossible de nous abaisser assez pour comprendre
pleinement la pauvreté et la souffrance de
ceux que nous étions venus secourir. Pendant
ce temps de dure captivité, le Seigneur m'a
fourni les occasions de vivre en contact
étroit avec les Chinois,
d'expérimenter quelque chose de leurs
chagrins, de leurs difficultés et de leurs
problèmes, tout en acquérant une
connaissance exacte de leur dépravation et
de leur pauvreté. Le christianisme, et non
pas le communisme, est le seul espoir de ceux qui
sont assis dans les ténèbres de
l'ombre de la mort.
Jésus-Christ est le même hier, aujourd'hui et à
jamais !
Cette affirmation prend une force toute nouvelle.
Hier, au temps de l'Ancien Testament, Il fut avec
Joseph en prison ; Il marcha dans la fournaise
en compagnie des trois jeunes Hébreux ;
Il ferma la gueule des lions devant Daniel. Aujourd'hui, dans
la dispensation de
l'Évangile, Il donne sa grâce à
Étienne le martyr ; Il brise les
chaînes de Pierre et lui ouvre les portes de
sa prison ; Il soutient l'apôtre Paul et
l'emploie pendant sa longue captivité, Il
est le même pour les prisonniers du Seigneur
à la fin de notre dispensation, et Il le
sera pour jamais ! Le même
Jésus va revenir, et jusqu'à ce jour
béni, je désire être encore son
captif. « J'aime mon maître et je
ne veux pas sortir libre ! »
Son message au premier jour de
l'année : « Il te donnera les
désirs de ton coeur ! » a
été merveilleusement accompli, Il a
même satisfait une fantaisie
supplémentaire car Il m'a
délivré le jour où l'Eglise
chrétienne célébrait la
résurrection de son glorieux Chef. Bien
plus, Il a exaucé cette prière qui
fut si souvent dans mon coeur et sur mes
lèvres, d'être libéré
sans rançon.
Une semaine après mon
élargissement, ma chère femme
était auprès de moi. Ce fait est
encore un autre couronnement de l'amour et de la
bonté de notre Père céleste.
Autrefois, ce voyage aurait nécessité
des mois ; à notre époque, il
s'exécute en une quinzaine de jours environ
par bateau et par chemin de fer ; il fallut
à ma femme un jour et
demi seulement pour me rejoindre par la voie des
airs ! Le Seigneur a accompli des merveilles
à nos yeux. Il a dépassé tout
ce que nous aurions pu demander et penser. Notre
joie est complète et notre coupe
déborde ! « Demandez et vous
recevrez afin que votre joie soit
accomplie ! »
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