Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE IV

Souvent en voyage

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L'Éternel est ma lumière et mon salut : De qui aurais-je crainte ? L'Éternel est le soutien de ma vie : De qui aurais-je peur ? (Ps.27.1.)
 
Que dirons-nous donc à l'égard de ces choses ? Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ?
(Rom.8.31.)


Dans nos marches à travers le pays, nous devions sans cesse passer des rivières en bac, à gué, par ponton, ou en sautant de pierre en pierre. Ce jour-là, la traversée se faisait en bac, et, selon la coutume chinoise, ce fut une ruée sauvage pour prendre notre place. Les embarcations étaient généralement surchargées, et nos gardiens mettaient tout en oeuvre pour nous faire conserver notre rang et rester ensemble. On nous poussa sur un esquif déjà plus que chargé, et il prit immédiatement le large. Au moment d'aborder, la barque heurta un roc et... ce fut la panique. L'eau commença à entrer dans le bateau, et, au lieu de rester tranquilles, plusieurs soldats, ne pensant qu'à eux-mêmes, sautèrent à l'eau pour sauver leur vie ; l'embarcation fut d'autant plus secouée, mettant ainsi tous les passagers en danger. Nous n'avions rien d'autre à faire que de sauter par-dessus bord, car le bateau se remplissait de plus en plus. Par tous ces incidents, il avait été entraîné vers le milieu du courant, si bien que, lorsque nous avons sauté, nous avions de l'eau jusque par-dessus la tête ; toutefois, après de vigoureux efforts, nous parvînmes à gagner la rive opposée. Le chapeau de M. Hayman s'en alla flottant au gré du courant, mais quelqu'un le rattrapa et le lui rendit. Une fois terminée, l'aventure fit le sujet de maintes plaisanteries ; un camarade me taquina en m'assurant que j'avais bien avalé deux gorgées d'eau.

Il ne faisait heureusement pas froid ; tandis que nous attendions l'arrivée de tous les gardiens de notre compagnie, ceux qui étaient avec nous nous permirent d'enlever la corde qui nous liait et de tordre nos habits ruisselants. Tout le monde se remit en route pour arriver à l'étape, située dans un village où nous fûmes logés en compagnie du major Swen et de son groupe formé de trois ou quatre hommes. L'un d'entre eux était opérateur de T. S. F. et s'appelait Li. Pas de feu pour sécher nos vêtements ; nous fûmes obligés de tendre une corde à travers la chambre pour y suspendre nos habits mouillés,

Le lendemain, il pleuvait à verse ; quand, avant l'aube, on nous donna notre déjeuner, le moment du départ n'était pas encore fixé. À la fin on nous fit sortir, mais, peu après, l'ordre nous fut donné de rester sur place. Puis, au lieu de nous faire rentrer dans la maison, on nous ordonna de changer de direction et de grimper une colline située juste au sortir du village. Au sommet se trouvaient des fortifications construites par les troupes du gouvernement. Ces fortifications consistaient en tranchées, en murs de briques et en terrains garnis d'esquilles de bambou empoisonnées. Ces esquilles avaient été taillées en pointe et carbonisées afin de les rendre cassantes ; puis elles avaient été plantées dans le sol, la pointe en l'air. En s'avançant sur la route et sur les champs ainsi revêtus, les assaillants marchent inévitablement sur ces pointes, qui peuvent facilement transpercer les sandales de paille ou de tissu et se casser en faisant pénétrer le poison dans le pied ; l'enflure alors ne tarde pas à se produire et le soldat est mis hors de combat.

Nous nous étonnions de ce que les rouges aient pu s'emparer de cette place forte, mais un prisonnier de l'armée blanche, le général Chang, nous dit que ses soldats avaient eu le grand désavantage d'être attaqués par surprise, alors qu'ils marchaient sur la route. De nouveau nos conducteurs montraient une grande Incertitude, mais à la fin, comme la pluie tombait à verse, l'ordre fut donné de chercher un abri, et la troupe prit ses quartiers dans les maisons de la région. On nous plaça dans un grenier en compagnie du major Swen et de son gardien. À peine avions-nous commencé à nous installer, c'est-à-dire fait nos lits de paille et suspendu nos bagages, que l'ordre de partir fut de nouveau donné. Tout en emballant encore une fois nos hardes, nous nous demandions ce qui allait arriver. Nos gardiens nous enlevèrent nos cordes et celles des autres captifs, puis, chose curieuse, ils ne nous encordèrent plus jamais. Après avoir parcouru près d'un kilomètre, nous avons rejoint le juge Wu et le capitaine des gardes, accompagnés du général Chang et de quelques soldats de l'armée blanche qui avaient été faits prisonniers. Ils étaient là depuis plusieurs jours, installés dans deux ou trois fermes ; nous restâmes là quelques jours avec eux.

À proximité se trouvait une immense pièce de terrain plat où les troupes du gouvernement avaient évidemment fait leurs exercices. Là, les rouges construisirent une immense estrade flanquée de chaque côté de deux plus petites, fastueusement décorées de drapeaux de papier, etc. Tous les camarades furent réunis ils parlaient, criaient, jouaient. Ils ne possédaient pas une vraie fanfare de cuivre, mais seulement des trompettes et des tambours formant un curieux ensemble. Chaque soldat rouge portait un drapeau de papier préparé en vue de cette réunion. C'est ainsi que l'on s'apprêtait à célébrer la victoire.

Nous en avions beaucoup entendu parler, nous savions que le général et les majors prisonniers seraient exposés dans cette parade, mais nous étions loin de nous douter que nous serions aussi de la fête ! La compagnie allait s'ébranler pour gagner la place, quand on nous donna l'ordre d'y aller avec nos gardiens. Nous étions placés au centre de la procession d'où nous pouvions voir des soldats rouges arrivant de toutes les directions ; des milliers de camarades et de spectateurs ordinaires étaient déjà rassemblés sur le terrain. Les fanfares jouaient, installées sur les deux petites estrades, et, sur la grande, quelques personnes étaient assises. Tandis qu'on nous conduisait à travers la foule, nous étions en butte aux moqueries des camarades qui nous appelaient « impérialistes », etc. On nous fit monter et asseoir sur la grande plateforme. De là, les drapeaux de toutes couleurs que les soldats portaient au bout de leurs fusils, donnaient un air de gala à toute la manifestation.

C'est là que nous avons rencontré pour la première fois le général Chang ; c'était un homme de quarante-six ans environ, au maintien noble et digne. Sa tête était bandée de blanc à cause d'une blessure reçue dans le combat. Il y avait aussi plusieurs majors, et, parmi eux, le major Wang. Nous eûmes une conversation tout à fait amicale avec ces messieurs, mais elle fut interrompue par l'arrivée du général Ho-Long, montant sur l'estrade. Aussitôt qu'il nous aperçut, il cria d'une voix forte. « Si vous ne vous hâtez pas de payer la rançon, nous descendrons vos têtes. Ne vous imaginez pas que votre barbe vous sauvera ; j'ai moi-même tué un prêtre catholique romain à la barbe bien plus longue que la vôtre ! » Il semblait être tout à fait à son aise, heureux et fier de voir une aussi grande assemblée de camarades et de gens du peuple. Le général Hsiao-Keh et d'autres chefs du parti communiste étaient aussi sur la plateforme. Un prisonnier, chef des « soldats-esprit » (shenping), ou Boxers, était aussi présent. (Ces soldats prétendaient être invulnérables pendant certaines heures chaque jour ; ils étaient appelés Boxers à cause des mouvements désordonnés qu'ils exécutaient quand ils étaient possédés par cet esprit d'invulnérabilité, mouvements qui ressemblaient à ceux de la boxe. Ils sont plus ou moins les successeurs des Boxers de la célèbre révolte de 1900.)

Les fanfares se turent et un homme s'avança pour expliquer la raison de cette assemblée et pour donner connaissance de la récente victoire des rouges. Il ajouta qu'ils avaient eu le bonheur de capturer un général et que, quelques mois auparavant, ils avaient fait prisonniers deux espions étrangers, sur quoi il nous ordonna de nous avancer afin que tous pussent nous voir. Nous étions debout tous les deux en présence de cette foule, et, après beaucoup de cris et de bravos, on nous fit reprendre nos places. Plus tard, le général et les majors furent exhibés de la même manière. Quand on nous ramena au quartier, nous n'en savions pas davantage sur ce qui se complotait.

Tout le monde s'attendait à ce que le général Chang fût obligé de porter, - comme le major Swen à Sangchih, - un grand chapeau de papier et d'être ainsi tourné en ridicule, mais il n'en fut rien ; ils avaient peut-être encore un reste de respect pour son haut grade.

Le jour suivant nous partions, avec, comme but, Lungshan (montagne du dragon). À mi-chemin, la compagnie s'arrêta quelques jours dans une ferme où, de nouveau, un grenier fut notre chambre. Une partie des membres de la famille à qui cette maison appartenait, s'étaient enfuis, il n'en restait que quelques-uns. Leur seule chambre s'ouvrait sur la nôtre, et comme j'étais occupé à faire un chandail pour le juge Liu, je fus autorisé à m'asseoir dans cette chambre plus claire. Quelle joie de pouvoir contempler de nouveau un tableau de la vie de famille. Une sorte d'excavation, creusée au milieu de la pièce, servait de foyer et plusieurs petites chaises l'entouraient. La mère avait plusieurs enfants qui, sans frayeur, s'approchèrent de moi pour voir ce que je faisais. Je donnai à une fillette un petit bout de laine rouge pour attacher ses cheveux, elle en fut enchantée. Les voisins venaient souvent pour nous regarder.

Nous faisions toujours notre propre lessive. Mais ici, les camarades payèrent une femme pour la faire à notre place et on nous accorda la grâce de prendre un nouveau bain. jusqu'alors, nos cheveux avaient poussé ; une seule fois nous avions pu nous les couper un peu l'un à l'autre avec des ciseaux empruntés à des Chinois. Cette fois-ci on nous rasa la tête et on nous fit la barbe, ce dont nos gardiens furent très contents, car disaient-ils, nous aurions moins chaud et cela nous donnait un air « plus chinois ». Par amour pour la propreté, nous préférions, en effet, avoir la tête rasée.

Quand vint le dimanche, je laissai mon ouvrage de côté, comme d'habitude. Sachant que nous devions partir le lendemain, le juge Liu, désireux d'avoir son vêtement, insista pour que je le lui finisse avant le départ. Quand il vint voir où j'en étais, un de nos compagnons de captivité lui dit : « C'est dimanche et il ne travaille jamais ce jour-là ! » Alors il se fâcha et se moqua de ce qu'il appelait notre superstition. En voyant son attitude, je lui dis. « Si vous l'ordonnez, je le finirai ! », étant loin de penser qu'il insisterait, car, après tout, en faisant ce travail, je lui rendais un service. Mais il insista et je dus le terminer. Le lendemain, il emballa son chandail avec d'autres objets dont il chargea l'un des prisonniers ; mais ce dernier s'enfuit et le juge perdit le vêtement auquel il tenait tant.

L'excitation parmi les camarades devenait grande. On espérait prendre et piller une grande ville ; c'était en perspective un nouveau régal de viande et de fins morceaux, aussi bien que la possibilité de s'habiller de neuf sans bourse délier. Les rouges n'étaient pas encore arrivés à prendre la ville ; en conséquence on nous fit camper à quelque douze kilomètres de là ; c'était une place très forte, difficile à prendre à cause de sa situation sur un terrain inégal, de ses épaisses et fortes murailles et de ses tours crénelées. Les rouges maintinrent leur siège pendant un mois, mais sans succès. Les défenseurs de la ville purent tenir, car des avions les ravitaillaient en faisant des raids quotidiens ; tout le voisinage était pourtant occupé par les rouges et Laifeng (viens vent), ville rivale de Lungshan, éloignée seulement d'une douzaine de kilomètres, avait déjà été prise. Les communistes recevaient des renforts des deux localités et nous pouvions les entendre discuter sur la grandeur et l'importance des deux villes, chacun prétendant que la sienne était la plus grande.

Nous étions de nouveau logés dans un grenier. Pendant la journée on nous autorisait à rester dans la cuisine, réservée aux membres de la famille. Les gens de cette maison étaient très bienveillants envers nous, et nous invitaient quelquefois à goûter à leur nourriture de froment. La mère de famille nous parla des difficultés par lesquelles ils avaient passé, car immédiatement avant l'arrivée des rouges, ils avaient été envahis par les « soldats-esprit » ou Boxers. Nous étions tout près du champ des opérations militaires et nous pouvions entendre le bruit de la fusillade. Quand le temps le permettait, les avions nous survolaient et lançaient des bombes ; à chaque alerte, on nous conduisait à quelque distance où nous trouvions des abris dans des cavernes. Comme ces refuges étaient situés assez haut sur la colline, nous avions, de là, une vue merveilleuse sur toute la contrée, parée de ses beaux ornements printaniers. Les rizières, dans leur verdure de différentes teintes, ressemblaient à un tapis gigantesque, orné de dessins variés. Une fraîche brise caressait les flancs de la colline et, à midi, des hommes nous apportaient notre repas, qui semblait meilleur parce que pris en plein air. Nous nous en réjouissions à l'avance comme si c'eût été de vrais pique-niques.

C'est alors que nous avons fait connaissance avec le général Chang, car on nous avait permis de nous entretenir avec lui, dans les premiers temps de notre séjour dans ces abris. C'était un homme intéressant, bien informé sur bien des questions, et qui, dans sa jeunesse, avait voyagé en Russie et parcouru toute la Chine. C'était un réconfort que de constater la courtoisie et la politesse des soldats de l'armée blanche, contrastant avec la rudesse et la grossièreté de ceux de l'armée rouge. Un jour, nous restâmes muets d'étonnement quand un des majors prisonniers nous demanda de leur prêcher l'Évangile. Nous avons consenti avec joie, tout en redoutant un peu le mécontentement de nos geôliers. Nous eûmes un auditoire très attentif, et non seulement nos gardiens nous autorisèrent à prêcher, mais quelques-uns d'entre eux se joignirent à nos auditeurs. « Priez-vous encore votre Dieu, du moment qu'Il a permis que vous fussiez pris par les rouges ? » nous demanda le général Chang. Il avait presque un air d'envie en nous entendant rendre notre témoignage Inébranlable, et en apprenant que nous étions soutenus par le secours de Dieu. Son expression semblait dire : « Oh ! je voudrais posséder la même certitude et la même espérance ! » Il nous avait dit précédemment qu'il aurait préféré être tué dans la bataille, car, dans sa situation actuelle, la vie n'avait plus aucun intérêt pour lui. Un jour ou deux après, nous avons été séparés du général Chang et de ses compagnons, et conduits dans une autre caverne. Était-ce à cause de notre entretien ?

Les moustiques nous tourmentaient beaucoup chaque soir ; alors j'eus l'idée de crocheter une moustiquaire, et je m'occupai à cela dans la caverne. M. Hayman détricotait le coton, ajoutait les fils et je crochetais l'objet. On nous félicita d'être de si bons travailleurs.

Nous avons beaucoup apprécié ce repos de plus d'un mois, car nos pieds étaient dans un piteux état par manque de chaussures convenables. Mes souliers étaient toujours trop courts, parce que ma pointure dépasse celle de la moyenne des Chinois. L'ongle de mon gros orteil était déjà tombé, mes petits orteils s'envenimaient et, comme je n'avais rien d'autre sous la main, je fis un emplâtre de riz chaud ; c'était au moins propre, pour ne rien dire d'autre, et cela produisit un bon effet. Un jour, pendant que nous étions dans la caverne, un soldat de l'armée blanche vint me dire qu'un de ses amis savait prier et qu'il avait été membre de la salle évangélique. Quand il vit le mauvais état de mes pieds, il me donna une paire de sandales de drap, confectionnées de la même manière que celles de paille. Le besoin constant de nouvelles chaussures explique l'étonnant vandalisme des rouges. En rentrant chez eux après le passage des camarades, les missionnaires doivent être parfois bien étonnés en se demandant pourquoi ce rideau, cette pièce d'étoffe ou ce vêtement a été emporté, et quel usage les communistes peuvent bien en faire. Voici l'explication. Quelquefois ils déchirent toute une pièce de tissu sans se demander si c'est de la soie, du lainage ou du coton, sans se demander non plus si l'objet est de grande valeur, pourvu qu'il puisse leur être utile, et leurs yeux sont habiles à découvrir tout ce qui peut être déchiré et transformé en sandales. En une autre occasion, des soldats de l'armée blanche nous donnèrent à chacun un gâteau, montrant ainsi leur délicatesse de sentiment.

« M. Becker se joue simplement de moi ! » s'écria un jour avec colère le juge, après nous avoir fait appeler. « Figurez-vous qu'il nous offre 3.000 dollars. À quoi pense-t-il ? Nous demandons plus que cela pour n'importe quel petit propriétaire ! Vous allez lui écrire et lui dire de collecter autant d'argent qu'il le pourra et de nous l'envoyer aussi rapidement que possible. Nous lui accordons un délai de cinquante jours pour cela ! » Puis, après un instant de réflexion : « Après tout, nous lui accordons jusqu'à la fin du mois d'août, ce qui lui donnera quelques jours de plus. » « Et qu'adviendra-t-il si l'argent n'est pas arrivé ? ... » Nouvelle hésitation, puis il ajouta. « Si l'argent n'est pas venu, vous serez mis à mort, du moins l'un de vous le sera ! » Il nous fallut donc écrire les lettres dans ce sens.
« S'il vous plaît, asseyez-vous ! » nous dit-il quelques jours plus tard, après nous avoir fait appeler ; il paraissait être de meilleure humeur. Il nous fit récrire les lettres, mais il ne fut plus question de limite de temps ; il nous fit cependant ajouter que si nos négociateurs se présentaient sans argent, ils seraient traités comme des espions ; ce qui signifiait en tous cas l'emprisonnement, peut-être aussi la mort.

Nous fûmes encouragés par ce changement d'attitude et par deux autres petits faits : il ne parlait plus de la forte amende mentionnée auparavant, ni d'une limite de temps pour la verser. Avant que M. Becker eût reçu cette lettre, M. Ting avait déjà été renvoyé seul, semblait-il. Quand M. Becker fut en possession de notre première missive, il appela un chrétien, M. Pierre Ko, lui remit 200 dollars et l'envoya en lui recommandant de tâcher de rattraper M. Ting.

Un jour, après avoir écrit à ma femme, je mis à la fin quelques croix .

On refusa d'admettre mon explication sur ces signes extraordinaires, et je dus récrire toute la missive. Nos ravisseurs étaient toujours très méfiants. Un jour, un gardien fit un rapport disant que nous avions parlé anglais avec l'opérateur de T. S. F., M. Li. En conséquence on nous sépara, M. Li fut emmené dans un autre quartier. Après cet incident, on nous donna presque toujours, à M. Hayman et à moi, un logis séparé de celui des autres prisonniers.

Nous avons campé pendant longtemps dans la région de Lungshan, tout en changeant souvent de domicile. Pour sortir de la cuisine, il fallait passer par notre grenier ; alors on nous transféra dans une maison où l'on nous donna une belle chambre avec un lit chinois. Le sol était jonché de débris de toutes sortes, paille, vaisselle cassée, livres déchirés ; de temps à autre quelqu'un venait fouiller ces débris, à la recherche d'objets encore utilisables. En rentrant, un certain jour, nous avons constaté que tous nos effets avaient été déménagés dans une autre chambre, pour faire place à de nouveaux prisonniers. Nous devions partager notre logis avec la quatrième section des gardiens. Notre nouveau cantonnement était plus vaste et contenait des lits improvisés pour nos geôliers, à côté d'un lit chinois qui nous était destiné. Pour la première fois, on ne nous donna pas de paille pour amortir la dureté du bois. « En été, c'est plus hygiénique de dormir sur les planches nues, comme nous », déclaraient nos gardiens. Au début c'était très fatigant, et comme je n'avais plus mes coussins naturels, tous les os me faisaient mal. Ce logis était très bruyant à cause des allées et venues continuelles des camarades, mais au bout de quelques jours ils partirent, et cette chambre spacieuse et bien aérée ne fut plus occupée que par nous deux. Ce plaisir dura un jour ou deux, puis un prisonnier fut amené ; c'était un docteur ( ?) de l'escouade d'hygiène des rouges. Il se montra très aimable, mais il s'avisa de partager notre lit, ce que nous n'avons pas beaucoup apprécié. Peu de jours après il fut libéré. Avant de partir, il nous promit de nous envoyer des brosses à dents et d'autres objets, mais, de même que l'échanson oublia Joseph en prison, cet homme nous oublia !

À cette époque, une jeune fille camarade, de seize ou dix-sept ans, fut ajoutée à la compagnie. Dans son enfance, elle avait assisté aux réunions de la salle évangélique, et elle connaissait quelques dames missionnaires qui lui avaient enseigné à tricoter. Je fus surpris de voir quelle arrivait à se garder propre et à se montrer convenable en dépit de son entourage. Son équipement était pareil à celui des hommes, elle mangeait avec eux, dormait dans la même chambre qu'eux (ils ne se déshabillaient jamais) ; bien qu'elle ne fût pas timide, je ne l'ai cependant jamais entendue jurer et je ne l'ai jamais vue fumer. Comme la femme du juge dont nous avons parlé, elle semblait vouloir éviter de devenir vulgaire.

Après quelques jours passés dans notre belle chambre, l'inévitable se produisit de nouveau, l'ordre de partir fut donné. Comme d'habitude, nous n'avions aucune idée du lieu de notre destination, pas plus que de la distance à parcourir, mais pour cette fois, ce fut une courte étape d'une quinzaine de kilomètres. Comme c'était souvent le cas, avant d'atteindre le cantonnement, il fallut traverser un torrent et nous y sommes arrivés avec des pieds mouillés. M. Hayman et moi, avions l'habitude d'appeler cela « la cérémonie du lavage des pieds ». La plupart des officiers étaient à cheval ou portés à dos d'hommes, mais il leur arrivait souvent, à eux aussi, de barboter. Il faisait chaud et en nous laissa, assis au soleil pendant qu'on préparait le campement pour la nuit. On nous conduisit dans une jolie chambre accueillante, avec un lit, une table et quelques chaises. J'avais aussitôt balayé le plancher et disposé toute l'installation suivant nos goûts ; nous nous félicitions justement de notre bonne fortune avec l'espoir que cela durerait, quand on vint nous dire qu'on avait fait pour nous d'autres arrangements, de nouveau un GRENIER !!!

Quand il faisait froid, nous n'étions pas à plaindre, car un grenier a toujours un plancher et on n'y sent pas les courants d'air, mais il faisait chaud maintenant, l'atmosphère de notre logis actuel était suffocante, et il était le repaire d'une armée de moustiques. Nous avions un foyer à notre disposition et nous pouvions voir dans la cour. Dans une chambre ouvrant sur la cuisine étaient logés le major Swen, l'opérateur de T. S. F. M. Li et plusieurs autres. Les gens de la maison se montrèrent très aimables. Un jour nous vîmes le secrétaire parlant avec le propriétaire, d'une manière très confidentielle ; il lui vantait sans doute les bienfaits du communisme, lui déclarant que les pauvres n'avaient absolument rien à craindre, du moment que les rouges étaient seulement les ennemis des riches. Les communistes affectent toujours de traiter leurs alliés présumés de « pair à compagnon », décrivant avec enthousiasme le bonheur du pays quand il sera devenu entièrement communiste et qu'on n'aura plus besoin de payer aucune dette. C'est ainsi que les gens crédules sont amenés à faire des rapports sur leurs voisins ou connaissances plus fortunés. Alors nous avons vu le maître de la maison donner au secrétaire des renseignements confidentiels sur une certaine famille qui, disait-il, avait opprimé les pauvres. Cet homme nourrissait probablement une rancune personnelle à l'égard de ces riches et c'était une bonne occasion pour lui d'en tirer vengeance.

« Vos négociateurs sont arrivés ! » telle fut la nouvelle que nous apporta un nouveau camarade que nous ne connaissions pas. Il avait fait partie de l'escorte de nos médiateurs sur un long parcours de chemin. Dieu nous préparait de nouveau pour ce qui allait se passer. M. Hayman fut appelé. On lui demanda de lire toutes les lettres, les siennes et les miennes, et de révéler tout ce qu'elles contenaient. Ma femme avait heureusement écrit quelques mots en français au début de la sienne ; M. Hayman fut heureux de pouvoir leur dire qu'il ne lui était pas possible de lire cela, et que pour en avoir la traduction ils devaient me faire appeler. En entrant dans la chambre du juge, je vis plusieurs lettres ouvertes sur la table. Elles venaient de nos épouses et de M. Becker. Le juge nous demanda de tout traduire en chinois tandis qu'on écrivait le contenu. M. Becker offrait maintenant 6.000 dollars pour notre pension. Pendant ce temps, nous priions, M. Hayman et moi, pour que les rouges acceptassent ce montant comparativement petit. M. Becker promettait d'apporter l'argent lui-même, si les communistes fixaient une zone neutre, comme lieu de rencontre, et s'ils s'engageaient à nous amener avec eux et à nous mettre entre ses mains en échange de l'argent. De nouveau nous fûmes émus en entendant les noms de ceux qui contribuaient à parfaire la somme, car nous savions qu'en bien des cas, cette générosité était le fruit de grands sacrifices.

Ma femme avait écrit sa lettre le jour anniversaire de notre mariage, en souvenir duquel elle avait transcrit le cantique qui nous avait été chanté : « Mon coeur se repose en toi oh ! mon Dieu ! »
- Dois-je traduire tout le cantique ? demandai-je.
- Oui, tout ! fut la réponse.

Quelques termes étaient très difficiles à rendre et cela prit un temps considérable. Nous étions encore occupés de cette traduction quand le souper fut annoncé et on nous invita à y prendre part. Le menu des camarades y compris du poulet, était un agréable changement, car il ne ressemblait en rien à celui des prisonniers. Les moustiques tourmentaient tout le monde, et les hommes les chassaient en les enfumant au moyen d'une torche ; nous aurions bien voulu en faire autant pour nos petits repaires où ils foisonnaient. Les instantanés joints à nos lettres nous procurèrent une grande joie. Il y en avait deux des enfants de M. Hayman, un de ma femme et un quatrième de mes vieux parents. Une lettre de remerciements adressée par ma mère à M. Becker était avec les autres. Les rouges s'étonnaient de ce que ma mère pût écrire encore d'une main aussi ferme, malgré ses soixante-dix ans. Le juge garda nos lettres, mais il nous permit de prendre les photographies.

De nombreux camarades vinrent dans notre chambre le jour suivant, afin de voir les images des enfants qui paraissaient les émouvoir beaucoup. Pour avoir jeté un coup d'oeil sur notre vie de famille, ils semblaient nous considérer un peu plus comme des êtres humains. « Hâtez-vous de payer votre rançon, alors vous pourrez aller rejoindre vos familles ! » fut leur consolante ( ?) remarque. Ils pensaient que M. Hayman devait être heureux et fier d'avoir quatre fils. (C'était une opinion du passé, mais, malgré leurs idées soi-disant révolutionnaires, ils y tenaient encore.)

Après cela, il nous fallut répondre à ces lettres, soit à nos femmes individuellement, soit à M. Becker. Cette dernière missive fut écrite par M. Hayman et nous l'avons signée tous les deux. Le juge Wu nous intima l'ordre de stipuler les trois points que voici :
1° Nous devions admettre que nous étions des espions, que comme tels nous n'aurions jamais dû venir en Chine et que les rouges avaient le droit de nous infliger une forte amende.
2° Nous avions eu fort de nous évader et, en faisant cela, nous avions aggravé notre situation.
3° Nous devions assurer nos correspondants qu'au jour où l'argent serait apporté, nous serions mis en liberté. Nous devions aussi joindre une liste de médicaments que M. Becker devait acheter dans quelque ville voisine et livrer séance tenante.
Je fis mon possible pour atténuer la confession qu'on nous demandait de faire à propos d'espionnage, et je mis « considérés comme espions ». Quand nous eûmes traduit nos lettres au juge, il en fut mécontent et nous ordonna de les récrire. Avant d'obtenir son approbation, nous avons dû écrire et traduire nos lettres trois fois de suite.

On nous permit de retourner dans nos chambres où nous nous remîmes en prière. D'une part, nous étions heureux de ce que nos ravisseurs semblaient disposés à nous relâcher contre 6.000 dollars ; mais cela nous paraissait trop beau pour être vrai. Nos craintes redoublèrent quand M. Hayman fut appelé de nouveau. Nous avions écrit : « Quand l'argent sera livré ... » Il dut modifier et dire : « Quand l'amende sera payée en plein ... » ! Nos pensées se reportèrent tout naturellement sur la somme fixée lors du jugement. 750.000 dollars. Même à raison de 1000 dollars par jour, il aurait fallu 750 jours de captivité, autrement dit deux ans et vingt jours pour trouver cette somme. En calculant de la même manière à propos des 6.000 dollars offerts en dernier ressort cette somme pouvait être fournie en six jours.

Maintenant c'était mon tour, le juge Wu me faisait appeler. Après avoir marché longtemps, on m'introduisit dans sa chambre confortable ; la lettre à ma femme et un dictionnaire étaient ouverts devant lui. Dardant sur moi un regard mécontent à travers ses lunettes cerclées de corne, il me dit : « Traduisez la première partie de votre lettre ! » je le fis.
- Est-ce là le vrai mot pour « espion » ? questionna-t-il ; je lui en donnai l'assurance, mais avant de me croire, il me fit chercher dans le dictionnaire anglais-chinois.
- Que signifie ceci ? dit-il en désignant les mots « considérés comme ... » Pourquoi dites-vous considérés comme espions » ? Vous êtes des espions ! soutenait-il, et il m'ordonna d'écrire clairement cette affirmation.
- Je refuse de le faire, car c'est un mensonge, lui dis-je.

Alors sa colère éclata, terrible, et il s'écria de manière à être entendu dans toute la maison : « Vous êtes un espion ! C'est évident, car quand vous avez été jugé, la preuve de votre culpabilité a été faite. Si ce n'est pas le cas, pourquoi donc êtes-vous venu en Chine ?
- J'y suis venu pour prêcher l'Évangile, répondis-je, et ma réponse augmenta sa fureur.
- Si vous n'êtes pas un espion, pourquoi avez-vous un appareil photographique ? beugla-t-il.
- Je n'ai pas d'appareil photographique, répondis-je calmement.
- Pourquoi avez-vous acheté du terrain en Chine ?
- Je n'ai jamais acheté de terrain en Chine ! À mesure que je le contredisais sa rage augmentait de plus en plus.
- Je vous ordonne d'écrire cette lettre comme je le veux ! hurla-t-il enfin.
- Cette lettre est adressée à ma femme, elle sait bien que je ne suis pas un espion, même si je suis obligé de le dire, persistai-je.
- Je ne me soucie pas de la personne à qui elle est destinée, vous devez vous conformer à nos ordres, sinon vous serez mis à mort sur le champ, menaça-t-il, en s'échauffant de plus en plus ; je pouvais constater la haine dont son coeur était rempli à mon égard. Un homme de sa compagnie m'escorta jusqu'à mon logis. Il devait attendre ma lettre, car on désirait la donner au messager qui partait le lendemain.
- Vous feriez mieux d'écrire ce que le juge exige, il a un très mauvais caractère, me dit à voix basse et avec politesse mon jeune gardien ; peut-être avait-il été lui-même en butte aux colères de cet homme.
- Maintenant, l'avez-vous fait convenablement ? demanda-t-il avec sollicitude, quand je lui tendis la lettre. Heureux de mon affirmation, il la prit pour la remettre au juge.

Cet après-midi-là, on nous appela pour avoir une entrevue avec les messagers dans la maison du juge. M. Hayman avait déjà rencontré Pierre Ko, mais moi pas encore. Quelle joie d'avoir un peu de communion avec un vrai chrétien, même en présence de nombreux ennemis. Le juge Wu n'était pas présent, ce qui nous permit de nous entretenir plus librement. Au cours de notre conversation, notre médiateur apprit que nous ne possédions aucun exemplaire de la Parole de Dieu. « J'ai avec moi un évangile de jean, en chinois, le voulez-vous ? demanda Pierre. Voyant notre ardent désir de le posséder, il alla le chercher, mais hélas ! tandis qu'il revenait, muni du précieux volume, le juge Wu en personne lui barra le chemin. Pierre lui expliqua franchement de quoi il s'agissait.
- Vous devez me le remettre, dit-il. Je l'examinerai, et si je n'y trouve pas d'inconvénient, je le leur donnerai moi-même ! » Mais nous ne l'avons jamais reçu. Le juge Wu n'était toujours pas satisfait de nos lettres, alors il décida de les écrire en chinois et de nous les faire traduire en anglais. Ce travail n'étant pas terminé au moment du souper, ils nous invitèrent derechef à partager avec eux le repas du soir. Le riz était plutôt rare en cet endroit ; on nous servit un potage aux haricots et une sorte de petits pâtés faits de pâte bouillie. Les Chinois sont persuadés que leur riz, qui est à la base de toute leur nourriture, doit être remplacé, pour nous Européens, par un produit fait avec des céréales ; ils nous servirent donc un grand plat de ces petits pâtés en nous disant « Chia Pao » (mangez à discrétion).
Enfin le juge Wu se déclara satisfait de nos lettres et les messagers les emportèrent le lendemain, après un jour de retard occasionné par notre entêtement.

Dans cette région, la farine était abondante, et on nous en donna un peu. Le major Swen était originaire du Nord, où la farine remplace le riz ; il nous confectionna quelques excellents pâtés et demanda un peu de lard et de sel pour les assaisonner ; ce fut un vrai régal. Notre ami, le major, espérait que quand les 6.000 dollars viendraient, les rouges tiendraient leur promesse, mais quand nous eûmes l'occasion d'en parler au général Chang, il hocha la tête d'un air de doute.

À cette époque nous étions en route pour atteindre ce « terrain neutre où nous devions rencontrer M. Becker. Mais qui donc nous escortait ? L'armée rouge tout entière, y compris le général, les majors, les juges, enfin toute la troupe. Ce fut un très beau voyage. Il fallait gravir une colline très escarpée et je me demandais si jamais j'arriverais au sommet. Une magnifique cascade coulait sur notre droite. Notre destination était Chihaitang. En y arrivant on nous fit traverser les rues où se tenait le marché et une halte fut commandée devant un grand bâtiment. Le chef de section était déjà entré pour préparer le logis des prisonniers, mais les généraux désiraient y établir leurs quartiers, on nous fit donc aller ailleurs.

La seconde maison était vaste, mais en partie ruinée. Notre chambre était de bonne grandeur ; hélas ! les deux tiers du plancher avaient été arrachés, laissant la boue à leur place. Il y avait un trou au toit et nous nous demandions ce qu'il en serait en cas de pluie ; eh bien, l'eau tombait dans la chambre et en faisait une mare. Le châssis du lit, moins les planches, meublait la pièce ; il était placé à l'extrémité, bloquant une porte de sortie afin d'éviter une nouvelle évasion. Nous avons dû dormir sur l'étroite bande du plancher qui restait, sans paille, cela va sans dire, puisque c'était encore l'été. La pièce n'était pas claire, loin de là, car elle ouvrait sur une petite cour. La chambre située vis-à-vis de la nôtre était occupée par le juge Wu et sa femme.

Aussitôt arrivés, les camarades s'empressèrent de construire des abris à l'intérieur et à l'extérieur du cantonnement. Un de ces refuges fut très adroitement aménagé ; on se servit pour cela, d'une route étroite, bordée de deux hauts talus et reliant notre campement à une maison assez éloignée, où quelques gardiens avaient établi leur campement. Des troncs d'arbres furent placés en travers sur le haut des talus et recouverts d'une épaisse couche de boue. Cet abri, long de quinze mètres environ, pouvait donner asile à un bon nombre d'hommes. Nous devions donc passer nos journées dans cette obscurité déprimante, où l'on nous apportait même le repas de midi. La seule diversion était le trajet pour y aller et en revenir. Ce refuge valait encore mieux que celui que nous avions occupé pendant sa construction, car c'était une grotte naturelle, dans laquelle il faisait si frais que nous étions glacés jusqu'aux os.

Une grande place fut aussi aménagée et employée comme terrain d'exercice ; tout près de là, les rouges construisirent un léger abri, frais et ombragé, pour le général Chang, ses officiers et leurs gardiens. Cet abri était près du refuge principal, où ils s'enfuyaient à la première alerte. Au bout de quelques jours, on nous permit d'y aller aussi et nous eûmes quelques intéressantes conversations avec le général. « Parlez-moi du retour de Christ », me dit-il un jour. « Comment expliquez-vous le bouleversement actuel qu'on constate dans tous les pays ? » Pour répondre à ces questions sérieusement posées, je citais les textes des Écritures, spécialement appropriés aux événements dont nous étions les témoins. par exemple, Jacques 5. 1. « À vous maintenant, riches, pleurez et gémissez à cause des malheurs qui viendront sur vous. » Il était très impressionné par cette déclaration. Nos visites dans ce refuge se renouvelèrent souvent, comme aussi nos entretiens sur des sujets spirituels. Le général finit par convenir qu'il faut admettre l'existence d'une intelligence supérieure, responsable de l'établissement des lois de la nature, telles qu'elles se présentent à nous. Alors, répondais-je, croyez-vous que cet Esprit supérieur nous laisserait gémir dans notre ignorance sans nous éclairer ? Ne vous semble-t-il pas plus probable que, dans sa bonté, Il nous accorde une révélation de sa personne ? Eh ! bien, la Bible est justement ce don précieux, dans lequel Il se révèle comme « le Créateur de l'univers, le Dieu d'amour qui donna son Fils unique pour mourir à notre place ». Cette idée lui fit une profonde impression.

Nous avons souvent prié pour lui, et nous le faisons encore, afin que la semence ainsi jetée prenne racine dans son coeur et porte des fruits pour la vie éternelle. Il lisait beaucoup les livres communistes ; il semblait être aussi bien renseigné sur la question sociale que les rouges eux-mêmes ; il semblait croire qu'un gouvernement basé sur un communisme bien entendu, serait peut-être le véritable, mais il reconnaissait en même temps que les rouges s'y prenaient mal pour l'établir. D'autre part, quand il nous entendait parler du règne millénaire de Christ, il admettait la futilité des efforts de l'homme.

Nous avons une meilleure chambre pour vous, dans notre cantonnement, nous dit un jour le capitaine des gardes, logé dans la maison située au delà du grand refuge. On est en train de vous la préparer ; emballez donc vos effets et tenez-vous prêts à venir quand on vous appellera.

La pièce était claire et bien aérée, mais le sol était en boue. Des planches, destinées à servir de lit, étaient dans l'angle. Le major Swen était logé dans la chambre voisine de la nôtre, où se trouvaient encore quelques prisonniers sous-officiers de l'armée blanche. Ils se montrèrent très aimables, et quand les gardiens n'étaient pas trop sévères, ces prisonniers venaient de temps en temps chez nous pour avoir un petit entretien. Ils nous dirent que la liberté de rentrer dans leurs foyers avait été proposée à tous les soldats de leur compagnie, à la seule condition de consentir à se faire communistes ; une somme de trois dollars chacun, leur avait été offerte pour couvrir les dépenses du voyage de retour. Avant de donner aux soldats la possibilité de choisir, le général Chang et le major Swen avaient été obligés de parler à leurs hommes pour les engager à s'enrôler dans l'armée rouge. Comme la vie des combattants communistes leur était dépeinte par les camarades, sous des couleurs très attrayantes, plusieurs hommes s'engagèrent.

Au soir du jour suivant, quatre ou cinq nouveaux prisonniers furent amenés dans notre chambre et passèrent la nuit avec nous. Le lendemain matin, en parlant avec eux, j'appris que l'un d'entre eux disait être chrétien. « Avez-vous un Nouveau Testament ? demandai-je.
- J'en avais un que je portais toujours avec moi, mais on me l'a pris quand on m'a fait prisonnier, répondit-il. Nous espérions faire plus ample connaissance avec lui, mais il fut emmené pour être interrogé, nous ne l'avons jamais revu et nous ne savons pas ce qu'il est devenu.

Un soir, nous venions de nous mettre au lit, quand le gardien vint nous dire : « Le juge Wu désire vous voir tous les deux ! » Nous nous sommes habillés rapidement pour aller avec lui. « Qu'y a-t-il de nouveau ? » pensions-nous en suivant notre conducteur. - « Ils désirent vous entendre chanter », nous dit-il en chemin ; alors M. Hayman s'aperçut qu'il avait oublié son dentier, mais c'était trop tard pour y remédier ! En pénétrant dans la cour, nous vîmes tous les chefs communistes assis en cercle, en compagnie du général Chang ; deux chaises vacantes nous attendaient.
- S'il vous plaît, asseyez-vous, nous dit-on. Puis on se mit à nous railler pendant un bon moment, sur notre religion, notre longue captivité, le délai mis à payer notre rançon. L'un d'entre eux, puis un autre, nous menacèrent de mort si l'argent tardait à arriver. « N'essayez pas de nous attendrir, dit l'un d'eux, nous n'y regardons pas de si près, quand il s'agit de tuer un homme ! » Le président Liu était originaire de Kiangsi et il se servait d'un terrible langage. Il fit une remarque burlesque que nous avons mal comprise et notre réponse maladroite fut accueillie par un immense éclat de rire. Le malaise fut aussitôt dissipé et chacun parut plus libre.
- Ces hommes et ces femmes désirent vous entendre chanter, dit le juge qui était assis en face de moi, mais je vous en préviens d'avance, nous ne voulons rien de vos chants religieux.
- Nous ne savons pas autre chose que nos cantiques, répondis-je. Il se fit un silence angoissant : « Bah ! chantez ce que vous voulez, dit l'épouse de l'un des chefs une minuscule petite femme. Quand le gardien nous avait renseignés sur le but de cette convocation, nous avions décidé de chanter « Je suis le vivant, Celui qui vit et qui mourut ! » Nous avons commencé par le choeur et continué avec les strophes.

Outre l'« élite » de nombreux gardiens étaient groupés autour de nous et nous écoutaient. Quand ce fut fini un silence de mort tomba sur l'assemblée... « Yin puh tso » (rien à dire sur l'harmonie) déclara le président Liu. Après nous avoir de nouveau quelque peu taquinés à propos de notre foi chrétienne, on nous renvoya dans notre chambre.
Notre témoignage était peut-être bien faible, pourtant nous nous réjouissions d'avoir eu cette nouvelle occasion de chanter les louanges et la gloire de notre Seigneur ressuscité, au milieu de cette assemblée hostile et révoltée.

Le président Liu était souvent l'hôte du juge Wu et de sa femme, quand ils avaient des invités. Il était le boute-en-train de ces assemblées et ses plaisanteries maintenaient toute la société dans des accès presque ininterrompus de fou rire. Nous pouvions les entendre de notre chambre, jusque tard dans la nuit.
- À propos, dis-je un jour, à l'un de mes gardiens, quelques mois plus tard, qu'est-il arrivé au président Liu ? Il y a longtemps que je ne l'ai vu !
- Ne savez-vous pas qu'il a été exécuté, chuchota mon compagnon.
- Pourquoi ? demandai-je surpris.
- C'était un contre-révolutionnaire, déclara mon geôlier.

Quelques jours après avoir chanté pour les gardiens et leurs femmes, on nous fit quitter notre chambre claire et bien aérée pour réintégrer notre ancien repaire à moustiques, afin de faire place à de nouveaux prisonniers. Si malfaisants que soient ces insectes, ils devinrent cependant, pour nous, le prétexte d'un délassement. Nous avions l'habitude de jouer au tennis avec eux ; c'est-à-dire que, un tué comptait pour quinze points, deux pour trente, etc. Dans les jours de pluie, nous étions privés de notre petite excursion jusqu'au refuge, mais nous savions toujours comment occuper notre temps. Je travaillais encore ô la confection de notre moustiquaire, et un jour, un camarade m'apporta une grosse pelote de coton.


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