SERMONS PAR ADOLPHE
MONOD
LA PECCADILLE D'ADAM
LES VERTUS DES PHARISIENS
« Le
pharisien, se tenant à l'écart,
priait en lui-même en ces termes : O
Dieu ! je te rends grâce de ce que je ne
suis pas comme le reste des hommes, ravisseurs,
injustes, adultères, ni même Comme ce
péager ; je jeûne deux fois la
semaine, je donne la dîme de tout ce que je
possède. » (Luc
XVIII, 11, 12.)
La prière de ce pharisien nous fait
connaître qu'il était satisfait de
lui-même ; et cette satisfaction tenait
à l'opinion qu'il avait tant de ses
péchés que de ses vertus. Des
péchés, il n'en découvre dans
sa vie que de pardonnables, et il se
félicite d'être exempt des grands
désordres qui ont cours dans le monde :
« Je ne suis point comme le reste des
hommes, injustes, ravisseurs, adultères, ni
même comme ce péager. » Mais
ses vertus sont des plus agréables à
Dieu et des plus utiles au prochain :
« Je jeûne deux fois la semaine, je
donne la dîme de tout ce que je
possède. » Avec de si petits
péchés et de si grandes vertus, il
est moins digne, pense-t-il, de châtiment que
de récompense, et n'a rien à redouter
de la justice divine.
Le monde, l'Église, ce temple
peut-être, sont remplis de gens qui jugent
d'eux-mêmes exactement comme le pharisien de
la parabole, et c'est surtout à cette cause
qu'il faut attribuer la stérilité de
notre ministère. Quand nous déclarons
à des hommes de ce caractère qu'ils
sont « injustes, plongés dans le
mal, « haïssables, ennemis de
Dieu, » ils nous taxent
d'exagération. De telles accusations ne
sauraient s'appliquer à eux, et ne leur
paraissent méritées que de ces
membres tarés de la société
qui s'abandonnent sans frein à leurs
mauvaises convoitises, des libertins, des voleurs,
des faussaires. Quand nous leur déclarons
encore « qu'il n'habite en eux aucun
bien, qu'il n'y a « pas un article entre
mille sur lequel ils puissent répondre,
qu'il n'y a point de juste, qu'il n'y a personne
« qui fasse le bien, non, pas même
un seul, » nouvelle exagération,
à leur avis. Ils ne sont pas parfaits
à la vérité, mais ils
possèdent pourtant des vertus réelles
et estimables que la justice de Dieu ne lui permet
pas de méconnaître. Dès lors,
ne croyant pas l'Écriture sur la
condamnation qu'ils ont encourue, comment la
croiraient-ils sur la grâce qui leur est
proposée en Jésus-Christ ? II
faut se voir perdu pour vouloir être
sauvé. Nous avons beau parler, presser,
conjurer, effrayer : on n'a point d'oreilles
pour nous entendre.
Il nous serait permis peut-être de
contester la vérité matérielle
du témoignage que se rendent à
eux-mêmes les honnêtes gens du
monde ; car la propre justice va
jusqu'à fermer les yeux à
l'évidence : on est avare, et l'on se
croit généreux ; faux, et l'on
se croit sincère ; esclave d'une flamme
impure, et l'on se croit homme de bonnes
moeurs ; plein de mauvaises pratiques, et l'on
se croit un modèle de probité. Mais
enfin je veux supposer que vous êtes tels que
vous pensez être. Seulement, puisque c'est
Dieu qui vous jugera et non pas le monde, sachons
ce que valent aux yeux de Dieu vos petits
péchés et vos grandes vertus :
C'est tout l'objet de ce discours.
Nous voulons savoir quel jugement Dieu
portera au dernier jour sur ces petits
péchés qui vous semblent à
peine mériter qu'il les recherche. Il
suffirait d'en appeler à ce que nous annonce
là-dessus cette Parole qui doit nous juger
au dernier jour
(Jean
12/48). Mais, pour rendre les
choses plus palpables, j'en veux appeler
aujourd'hui à un fait historique. Nous
pouvons pressentir le jugement futur de Dieu par un
jugement déjà prononcé :
rappelons-nous comment il rechercha le
péché que commit Adam dans le jardin
d'Éden en portant la main sur le fruit
défendu. Je suppose que vous avez assez de
foi pour ne pas rejeter jusqu'aux récits de
l'Écriture sainte. Que si ce que vous
trouvez d'étrange dans l'histoire d'Adam
vous empêchait de la croire, vous
n'échapperiez à une difficulté
que pour tomber dans une plus grande,
puisqu'à l'explication biblique de
l'entrée du mal dans le monde il faudrait en
substituer une autre, et vous charger d'une
tâche sous laquelle les plus grands
philosophes ont succombé.
Le péché d'Adam n'était
pas de ceux que l'on appelle graves dans le monde,
et dont le pharisien se félicitait
d'être exempt. Ce n'était ni un
meurtre, ni un larcin, ni un adultère.
À regarder l'objet de la
désobéissance d'Adam, il ne
s'agissait que de cueillir un fruit et de le
manger. À regarder le sentiment qui l'y
porta, c'était seulement un mouvement
d'orgueil, de convoitise, ou de
curiosité :
- D'orgueil, s'il voulait s'élever
à des lumières surhumaines ;
- De convoitise, s'il voulait contenter un
appétit sensuel ;
- De curiosité s'il ne voulait que
connaître les propriétés de
ce fruit mystérieux.
Ou plutôt, ce n'était tout cela que
pour Eve, qui avait péché la
première ; pour Adam, qui la suivit
dans sa désobéissance, c'était
moins encore, à juger comme vous
faites : c'était une condescendance
poussée trop loin pour les sollicitations de
sa femme, que sais-je ? Une faiblesse aimable,
intéressante peut-être, Adam n'ayant
pas voulu séparer sa destinée de
celle de sa compagne, et préférant
succomber avec elle à triompher seul de la
tentation.
Que penserait-on dans le monde cette
nature ? N'est-il pas de ceux dans la vie
humaine et que les plus honnêtes se
permettent sans scrupule ? De ceux qui, pour
adopter les idées reçues, ne
supposent pas un mauvais coeur, ne donnent point de
scandale, ne font de tort à personne, ne
perdent pas la réputation d'un homme et ne
valent pas les honneurs d'un remords ? Quel
est l'homme qui n'ait jamais senti son coeur
enflé par une pensée d'orgueil, qui
n'ait jamais cédé à quelque
attrait des sens ou qui n'ait jamais donné
carrière à une curiosité
indiscrète ? Quel est celui qui n'ait
jamais eu à se reprocher (s'il ne s'en est
pas applaudi peut-être, au lieu de se le
reprocher) d'avoir failli par
déférence pour une femme, pour une
mère, pour un ami ?
De telles actions, toutes contraires
qu'elles sont à des commandements de Dieu,
ne reçoivent pas même dans le langage
du monde un nom aussi sérieux que celui de
péché. Ce sont des fautes de tous les
jours, des infirmités inhérentes
à la condition de l'homme, des peccadilles,
passez-moi ce terme familier mais exact ; je
tiens avant tout à être bien
compris.
Or, cette peccadille d'Adam, de quel oeil le
Seigneur l'a-t-il regardée ? Mesurons
le délit par la peine, et voyons si le
châtiment que Dieu attache à l'action
d'Adam est aussi léger que celui qu'elle
mérite dans l'opinion du monde. C'est une
question d'histoire, et que les suites du
péché d'Adam vont
éclaircir.
Une première suite du
péché d'Adam c'est un changement
complet s'opérant dans tout ce qui
l'entoure. Banni de ce jardin délicieux que
Dieu avait planté de ses mains, et dans
lequel « il avait fait germer tout arbre
beau à voir et bon à
manger, » il est jeté au dehors
sur la face de la terre, et tristement
abandonné à cette liberté qui
l'a séduit. Cette terre, maudite à
cause de lui, ne lui enfantera plus naturellement
que des épines et des chardons, et ne lui
donnera désormais son pain quotidien qu'en
échange d'un pénible travail. Les
animaux, que Dieu avait fait venir humblement
à ses pieds pour qu'il leur donnât des
noms en souverain maître, secouent son empire
comme il a secoué celui de son
Créateur ; et la nature entière
semble se soulever contre lui pour se venger de ce
qu'elle a été assujettie par sa faute
à la vanité et à un soupir
universel : « la création est
sujette à la vanité, non de sa
volonté mais à cause de celui qui l'y
a assujettie ; car nous savons que toute la
création soupire et qu'elle est en travail
jusqu'à maintenant
(Rom 8/19-21). » Ce
châtiment vous semble-t-il
léger ?
Mais approchons-nous pour voir ce qui se
passe dans Adam lui-même, et toutes les morts
renfermées dans cette mort à laquelle
il s'est livré en aveugle, sur la foi du
serpent.
La seconde suite du péché
d'Adam, c'est la mort physique :
« Tu es poudre et tu retourneras en
poudre ; » la mort, la plus grande
peine que la justice humaine ait su trouver pour
les plus grands criminels ; la mort, avec tout
ce qui la précède et avec tout ce qui
la suit. Avant la mort, cet affaiblissement graduel
qui la prépare, ces maladies qui la
précipitent, ces déclins qui
l'annoncent, ces angoisses qui l'accompagnent.
Après la mort, cette dissolution effrayante
qui nous oblige à éloigner de nous ce
que nous entourions naguère de l'affection
la plus tendre, et à dire comme Abraham de
sa chère Sara : « Que
j'enterre mon mort et que je l'ôte de devant
moi »
(Gen 23/4) Mais par-dessus tout la
mort en soi, le passage le moment ; ce moment
terrible, mystérieux indivisible où
le coeur cesse de battre, le sang de couler, l'oeil
de regarder ; ce moment, avant lequel on
était homme et après lequel on est
cadavre, en attendant qu'on ne soit plus rien pour
la vue, et qu'on aille se confondre avec cette vile
poussière qui va nourrir les
générations suivantes. Ce
châtiment vous semble-t-il
léger ?
La troisième suite du
péché d'Adam, c'est la mort
spirituelle ; j'appelle de ce nom
l'asservissement au péché. Dieu punit
le péché par le péché
même, en abandonnant le pécheur
à sa propre volonté pervertie ;
et c'est le plus redoutable de ses jugements :
« Car, comme ils ne se sont pas
souciés de connaître Dieu, aussi Dieu
les a livrés à un esprit
dépourvu de jugement, pour commettre des
choses qui ne sont convenables
(Rom
1/28) » A peine Adam
a-t-il cédé à la tentation,
que le péché se fait jour de toutes
parts dans son âme. On le voyait jusqu'ici
paré de son innocence ; et le voici
découvrant en lui-même je ne sais quoi
de honteux qui le contraint de se couvrir.
Il marchait devant Dieu la tête
levée, le visage serein, le coeur libre, et
le voici troublé à la voix de son
créateur, et se cachant en criminel parmi
les arbres du jardin. Mais que Dieu lui fasse
rendre compte de sa désobéissance, et
vous allez suivre dans sa réponse le
progrès rapide du péché. Se
condamne-t-il ? Tombe-t-il à
genoux ? demande-t-il pardon à son
Juge ? Certes, c'était la seule justice
dont il fut encore capable ; Mais cette
même chute qui devait tant l'humilier l'a
livré à l'orgueil, et le voici
rejetant sa faute sur Eve, comme Eve rejette la
sienne sur le serpent : « la femme
que tu as mise avec moi m'a donné du
fruit de l'arbre, et j'en ai
mangé. » Voyez-vous bien tout ce
que signifie cette réponse ? La femme
m'en a donné : cette femme,
« cet aide semblable à
lui, » « cet autre
lui-même, « os de ses os et chair
de sa chair, » il l'accuse et la
présente en sa place aux coups de la
vengeance divine, tant l'égoïsme
étouffe déjà la charité
dans son coeur : Mais l'accusation d'Adam
porte plus haut. La femme que tu as mise avec
moi : c'est toi qui me l'a donnée, tout
ce mal ne serait point arrivé. Malheureux
Adam ! Ainsi l'impiété
achève le désordre de ton coeur.
Ah ! Qu'importe que le péché
soit entré chez toi par une petite ou une
grande ? Quoi qu'il en soit, cette ouverture
lui a suffi pour pénétrer, pour
s'étendre et pour envahir tout ton
être. Pureté, paix, humilité,
vérité, charité,
piété, tout s'éteint. Ce
châtiment vous semble&endash;t-il
léger ?
La quatrième suite du
péché d'Adam, c'est la mort
éternelle ; cette mort, cachée
comme dans le fond de cette menace
mystérieuse : tu mourras de mort. Cette
mort, dont la mort physique n'est que l'image, et
la mort spirituelle le prélude ; cette
mort, si épouvantable que le monde n'y peut
pas croire, et que les plus croyants se surprennent
parfois à tacher d'en douter, mais cette
mort, si clairement et si naturellement
prédite par la Parole de Dieu, qu'il faut
fermer les yeux pour ne pas voir. Car nous lisons,
d'une part : « quiconque ne fait pas
tout ce qui est écrit dans « le
livre de la loi est maudit ; » (Gal
3/10) et de l'autre : « allez
maudits, au feu éternel,
préparé pour le diable et pour
« ses anges » et encore :
leur ver ne meurt point, et leur feu ne
s'éteint point. Ce feu qui ne
s'éteint point, ce ver qui ne meurt point,
cette colère qui demeure, cet abîme
que rien ne peut combler, hélas ! Ce
châtiment vous semble-t-il
léger ?
Enfin la cinquième et
dernière suite du péché
d'Adam, c'est que cette quadruple
malédiction que nous venons de voir tomber
sur sa tête, croissant et se multipliant avec
la race lui doit sortir de lui, va se transmettre
à ses enfants avec la lumière du
jour, de telle sorte qu'il sera aussi impossible de
trouver jamais, ni dans un coin si reculé de
la terre ni dans un enfoncement si lointain de
l'avenir un homme à qui cet héritage
d'amertume ne parvienne pas, qu'il est impossible
de trouver dans le lit d'un fleuve une retraite que
ne visitent ses eaux. Adam, dont le nom signifie en
hébreu l'homme, tombe à la tête
d'un monde, qui le suit dans sa chute comme un seul
homme. Ses enfants, « formés dans
l'iniquité et conçus dans le
péché » demeurent comme lui
bannis d'Éden et errants sur la terre, comme
lui assujettis à la mort, comme lui
livrés au péché, comme lui
condamnés à une misère sans
fin. Ce châtiment encore vous semble-t-il
léger ?
Que dis-je ? Et quel mal y a-t-il au
monde dont ce premier péché ne soit,
je ne dis pas la cause unique, mais la cause
originelle ? Quelle calamité, quel
désordre, quel crime nommer où l'on
n'aperçoive la main de Dieu poursuivant
après soixante siècles la peccadille
d'Adam ?
Si l'on vous demande ce qui fait que vous
luttez incessamment contre la faim et la soif, que
vous êtes comme en guerre avec le sol de la
terre, avec les pierres des champs et avec les
bêtes sauvages, et qu'il faut
conquérir votre pain à la sueur de
votre front, répondez ; C'est la
peccadille d'Adam.
Si l'on vous demande ce qui fait que vous
souffrez, que vous pleurez, que vous passez des
jours dans l'angoisse et des nuits sans sommeil,
que vous mourez, que vous voyez mourir, que vous
menez une vie toujours mourante, où vous
n'avez pu entrer qu'en risquant d'ôter le
jour à celle qui vous le donnait,
répondez : C'est la peccadille
d'Adam.
Si l'on vous demande ce qui fait que vous
êtes charnels vendus à
l'iniquité, que vous faites non le bien que
vous voulez, mais le mal que vous ne voulez pas,
que vos petits enfants produisent
déjà les fruits amers du
péché et qu'ils en portent le germe
dès leur naissance, répondez :
c'est la peccadille d'Adam.
Si l'on vous demande ce qui fait que vous
êtes « par nature enfants de
colère, enfants de malédiction,
enfants du démon, réservés
à son affreuse société, et
qu'à moins d'un miracle de la grâce
vous allez devenir un sujet éternel de joie
pour l'éternel ennemi de tout bien,
répondez : c'est la peccadille
d'Adam.
Si l'on vous demande enfin ce qui fait que
le monde entier est plongé dans le mal, que
la perdition est la pente naturelle du coeur et la
voie de la multitude, que Satan est devenu le
Prince de ce monde, que Dieu se repent d'avoir
formé l'homme, et qu'au lieu que le ciel n'a
pas cessé de présenter à la
terre la magnifique spectacle de ses jours
resplendissants et de ses nuits
étincelantes, la terre ne présente
plus au ciel qu'une vaste scène de
désordre, de querelles, de guerres, de
rapines de meurtres, de souillures de crimes du
jour et de crimes de la nuit,
répondez : C'est la peccadille
d'Adam.
Ah ! Si vous pouviez douter encore de
l'énormité du péché
d'Adam, je sais un homme qui n'en doutait pas, et
que je voudrais pouvoir vous faire entendre ici
à ma place : cet homme c'est Adam
lui-même.
Nous avons sur lui le triste avantage de
voir le ruisseau auquel il venait d'ouvrir un
passage changé en un fleuve immense, qui
couvre de son débordement la terre
entière ; mais il avait sur nous
l'avantage plus triste encore de l'avoir vu
naître et commencer à couler. Seul
entre tous les hommes, Adam a pu comparer le second
état de sa race avec le premier. Pour nous,
qui naissons dans le péché, le
péché est devenu comme une seconde
nature, et nous pouvons à peine concevoir la
condition séparée de ce
désordre ; mais lui, auteur de ce
premier péché qui avait
bouleversé l'ouvrage de Dieu, - de ce
premier péché - il pouvait sans doute
retrouver encore au fond de son âme un
souvenir amer de son innocence primitive. Quel
changement, ô mon Dieu, quel
changement ! Quand, fatigué du poids du
jour, Adam venait s'asseoir aux portes
d'Éden, et raconter à ses enfants
comment elles s'étaient fermées et
pour lui et pour eux ; quand, appelant le
cadavre d'Abel et s'étonnant de ce sommeil
qu'il pouvait troubler, il se demandait si ce ne
serait pas là cette mort que Dieu lui avait
prédite ; quand, après avoir
accompli ses neuf cent trente années, et
touchant presque à la naissance de
Noé s'il voyait l'iniquité de
Caïn, surpassée par ses descendants, se
communiquer à la race sortie de Seth ;
quand il se disait enfin que la ruine universelle
du genre humain s'était consommée
dans sa personne, sous l'arbre de la science du
bien et du mal, - oh ! Alors, qu'eût-il
pensé d'un homme qui, jugeant ainsi que vous
jugez, serait venu lui dire que le
péché qu'il avait commis dans
Éden était petit devant
Dieu ?
Mais, au reste, qui pourrait mieux nous
instruire du jugement de Dieu que Dieu
Lui-même ? Écoutez le :
« Par un seul homme le
péché est entré au
monde » « et par le
péché la mort » ; et
ainsi la mort est parvenu « sur tous les
hommes, parce que tous ont
péché ; » et
encore : « Par un seul
péché les hommes sont assujettis
à la condamnation. »
(Rom
5/12-16). »
C'est que « l'Éternel
regarde au coeur, tandis que « l'homme
regarde à ce qui est devant les yeux
(1 Sam 16/7). » Vous
considérez le fait matériel et vous
dites ; Adam n'a fait que manger d'un fruit,
qu'est-ce que cela ? Ou peut-être, vous
pénétrez quelque peu sous la surface,
et cherchant les causes immédiates du
péché d'Adam, vous dites ; Un
mouvement d'orgueil, de convoitise ou de
curiosité, qu'est-ce que cela encore ?
Mais Dieu entre plus avant, et il trouve dans Adam
un coeur qui lui désobéit, le sachant
et le voulant.
Que dis-je, manger d'un fruit ce que c'est
que cela ? C'est transgresser une
défense de Dieu, c'est-à-dire la
jeter à terre et la fouler aux pieds ;
c'est rejeter, dans ce seul commandement,
l'autorité du législateur, et avec
cette autorité la loi tout
entière.
Manger d'un fruit, quand Dieu a dit :
Tu n'en mangeras point, c'est, révolter
contre Dieu ; c'est dire :
« Nous ne voulons point que celui-ci
règne sur nous
(Luc
19/14) ; » c'est
lever la main sur son trône pour l'en faire
tomber, si l'on pouvait, pour y monter,
dirai-je ? Ou pour y faire monter le tentateur
en sa place.
Manger d'un fruit, quand Dieu a dit :
Tu n'en mangeras point, c'est pécher, et en
péchant ouvrir la porte à tous les
péchés ; c'est faire, en
principe et comme en germe, ce que fit Caïn en
tuant Abel, Lémec en se livrant à la
convoitise et à la vengeance, les tyrans en
opprimant les peuples, Cam en se moquant de son
père, Taré en servant les faux dieux,
et tout le genre humain en corrompant sa voie.
Que dis-je, manger d'un fruit
défendu ? L'acte extérieur n'est
pas même nécessaire ; les mains
et la boucle ne sont ici pour rien, et devant Dieu
le péché est déjà tout
entier dans la seule pensée du
péché : « Celui
qui regarde une femme avec des yeux de convoitise a
déjà commis adultère avec elle
dans son coeur, »
(Math 5/28) et « celui qui
hait son frère est un meurtrier »
(1
Jean 3/15).
Sans doute il y a des degrés dans
l'offense ; mais l'offense, comme offense,
mais le péché, comme
péché, est toujours infiniment grave
devant Dieu, et il le serait à nos propres
yeux s'il ne nous avait tellement enveloppés
qu'il nous éblouit et nous aveugle. Un petit
péché, c'est une contradiction dans
les termes ; c'est comme si l'on parlait d'une
énormité légère ou d'un
attentat insignifiant
Aussi est-il écrit :
« Le salaire du péché,
c'est la « mort
(Rom 6/22) ; » il
n'est pas dit, le salaire d'un certain nombre de
péchés, mais le salaire du
péché n'y en eût-il qu'un seul
d'accompli ; il n'est pas dit non plus, le
salaire de tel ou de tel péché, mais
le salaire du péché, fût-il de
ceux que vous jugez les moins graves. Le
péché est péché, cela
suffit. Comme il ne faut à un homme qui
traverse un torrent sur un pont étroit qu'un
faux pas qu'un petit faux pas, pour tomber et
périr, il ne faut aussi pour perdre une
âme, pour ruiner un monde, qu'un
péché, qu'un petit
péché ; il ne faut que manger
d'un fruit défendu, que prononcer une parole
coupable, que nourrir une pensée criminelle,
que faire une de ces choses que vous avez faites
tous les jours de votre vie.
Car, n'essayez pas de vous tranquilliser en
séparant votre condition de celle d'Adam,
cela pourrait vous réussir devant votre
conscience égarée, mais non pas
devant Dieu. L'épître aux Romains,
dans laquelle nous lisons ces paroles que nous
venons de rappeler :
« Le salaire du péché,
c'est la mort, » n'a pas
été écrite pour Adam, mais
pour nous.
Ne dites pas que vous n'avez pas
péché, comme Adam, contre une loi
expresse du Seigneur. Cela n'est pas vrai. Quelle
loi plus expresse voulez-vous que celle-ci
« Parlez en vérité
à votre
« prochain ? » et vous
avez menti ;
Ou celle-ci : ne médisez point
les uns des autres ? Et vous avez
médit ;
Ou celle-ci : Soyez doux ? Et vous
êtes mis en colère ;
Ou celle-ci « honore ton
père et ta mère ? Et vous avez
manqué à vos parents et combien
d'autres commandements exprès n'avez-vous
pas transgressés : Ne dites pas non
plus que vous ne vous êtes pas trouvé
dans la condition où était Adam lors
de son épreuve, n'ayant jamais
été sans péché. Cela
est vrai. Mais n'avez-vous jamais fait une chose
que vous saviez être mauvaise, et que vous
auriez pu ne pas faire ?
Eh bien, quand vous avez fait cela, vous
avez fait ce qu'a fait Adam, et vous ne sauriez
vous plaindre de voir votre conduite
assimilée à la sienne.
Ne dites pas enfin que le
péché a tant d'empire sur vous que
vous n'y pouvez résister. Eh quoi !
C'est là ce qui vous rassure ? C'est
bien plutôt ce qui doit vous faire
trembler ; ou bien vous n'auriez qu'à
vous engager plus avant dans l'iniquité pour
devenir plus excusable encore, et si vous pouviez
atteindre à la corruption absolue du
démon, vous seriez exempt de tout
châtiment ! Non, ne dites rien pour
atténuer votre culpabilité ou pour
dissimuler votre péril ; mais
mesurez-vous à la mesure dont Dieu s'est
servi avec Adam, et voyez-vous tel que vous
êtes.
Que si le seul péché d'Adam a
été jugé digne d'un
châtiment si épouvantable, apprenez de
là, honnêtes gens du monde, ce que
pèse devant le même Dieu la masse de
ces péchés que vous appelez petits et
qui remplissent votre vie. Prenez un, un seul, un
mensonge, par exemple, et l'envisagez en face.
Tirez en des conséquences pareilles à
celles que vous venez de voir résulter du
péché d'Adam, et faites cette
réflexion : Si j'eusse
été dans Éden à la
place du sein, j'aurais fait autant de mal qu'en a
fait le premier homme. Puis, prenez tous les petits
péchés que vous commettez dans une
journée, et calculez si vous le pouvez, tout
ce qu'ils renferment de criminel aux yeux de Dieu
et tout ce qu'ils méritent de
châtiment. Puis enfin, rassemblez tous les
petits péchés de votre vie
entière sans parler des grands, pour en
faire l'objet d'un calcul semblable... ou
plutôt, laissez là tous ces calculs,
qui ne vous donnent qu'une mesure d'homme pour des
jugements de Dieu. Rapportez-vous en à Dieu
lui-même, écoutez le témoin
fidèle et véritable. Mettez dans vos
coeurs ces paroles : il y aura tribulation et
angoisse pour toute âme d'homme qui fait le
mal,
(Rom
2/9) les yeux de Dieu sont trop
purs pour « voir le mal ;
l'âme qui pèche
mourra » ; notre Dieu
« est un feu consumant
(Hébr.
12/29) ; » et tant d'autres
semblables. Voyez enfin vos péchés
comme les voit celui qui doit vous juger. Alors, au
lieu de penser dorénavant qu'ils ne soient
pas de nature à l'offenser et à
troubler votre paix, vous les trouvez au contraire
si graves, si nombreux, si accablants, que vous
succomberez sous votre fardeau, et que la seule
question qui vous restera sera de savoir s'il y a
bien quelque salut possible pour un pécheur
aussi criminel que vous l'êtes !
Vous venez d'apprendre à contempler
vos péchés sous un nouveau jour.
Mais, quoi qu'il en soit, vous pensez avoir aussi
quelques vertus : Qu'en ferons-nous ? Si
Dieu est juste pour punir les premiers, le
sera-t-il moins pour récompenser les
secondes ? Après tout, un bon fils, un
bon mari, un bon père de famille, un homme
probe, moral, bienfaisant, soit
réputé devant Dieu dépourvu de
tout bien et digne seulement de condamnation, cela
vous paraît inadmissible, cela blesse votre
raison et votre conscience elle-même. Mais
n'y aurait-il pas ici une seconde illusion ?
Les vertus qui vous flattent sont-elles aussi
réelles aux yeux de Dieu qu'aux
vôtres ? Nous disons, aux yeux de
Dieu : car nous n'avons garde de contester la
valeur, l'utilité, la beauté de la
vertu humaine, même séparée de
la foi, pour l'ordre de la vie
présente ; mais nous l'envisageons ici
dans la lumière de Dieu, et comme moyen de
justification devant lui.
Commençons par poser un principe que
personne de vous ne contestera, et qui, une fois
reconnu, nous permettra de résoudre cette
question ? Comme nous avons résolu la
première, par des faits : toute vertu
qui s'allie avec l'habitude du crime ou du vice est
fausse et n'a que des apparences trompeuses.
Expliquons-nous par un exemple. Un homme est
cité comme un modèle de respect et de
tendresse pour sa mère. Si je viens à
découvrir que cet homme vit dans la pratique
du vol et qu'il subvient aux besoins de sa
mère avec le fruit de sa criminelle
industrie, je conclus de là que sa
piété filiale n'est pure ni
même réelle, et qu'elle ne
mérite pas le nom de vertu au jugement de
celui qui connaît toutes choses.
Pourquoi ? Parce que, selon cette parole de
l'Écriture que nous avons déjà
citée, « Dieu regarde au
coeur, » et qu'il n'y a pour lui de vertu
véritable que celle qui procède d'un
coeur attaché au bien. Telle n'est pas la
piété filiale de ce voleur ; car
s'il prenait soin de sa mère par amour du
bien, le même amour du bien
l'empêcherait également de
dérober. La tendresse qu'il lui porte n'est
donc qu'une tendresse de tempérament et
d'instinct, qui n'a rien de vertueux pour
« le Dieu qui sonde les coeurs et
reins.
Mais une fois que vous admettez qu'une vertu
alliée à l'habitude du crime ou du
vice n'a que des apparences trompeuses, il faut
convenir que les vertus de l'honnête homme
selon le monde ne doivent pas le rassurer, parce
qu'il n'en est aucune qu'on ne voie associée
quelquefois avec les plus mauvaises convoitises.
Sans chercher trop curieusement dans votre propre
vie si les vertus que vous vous attribuez ne s'y
trouveraient pas réunies à des
pratiques immorales ; sans parler du ces
fameux scélérats qui ont
poussé fort loin certaines vertus sociales
ou domestiques, ni de ces esclaves des passions
charnelles qui sont capables de
généreux sacrifices, bornons-nous
à un exemple tiré de la mieux
avérée de toutes les histoires, celle
de la Bible. Que diriez-vous si je vous faisais
voir que des hommes qui se sont livrés
pendant une longue suite d'années à
l'injustice et à l'oppression la plus
odieuse qui fut jamais, et qui ont fini par
commettre le plus grand de tous les crimes, ont
possédé plusieurs des vertus dont
vous vous vantez et par lesquelles vous pensez vous
justifier devant Dieu ?
La terre vit-elle jamais un forfait plus
noir que le crucifiement du Seigneur ?
À le considérer comme un
supplice atroce infligé à un
innocent, c'est une injustice horrible,
À le considérer comme un
supplice atroce infligé au premier
bienfaiteur de l'humanité, c'est une
ingratitude révoltante.
À le considérer comme un
supplice atroce infligé au plus grand
prophète du Seigneur, c'est une
impiété détestable.
Mais de quel nom l'appeler, quand on le
considère comme un supplice atroce
infligé au Fils de Dieu, descendu du ciel en
terre pour sauver l'homme perdu ?
Et qui sont les auteurs de ce forfait ?
Je ne dis pas les exécuteurs, ce sont les
Romains ; mais les véritables auteurs,
les instigateurs du crime, qui sont-ils ? Ce
sont les sacrificateurs, les scribes et surtout les
pharisiens.
C'est eux qui s'opposèrent dès
le commencement à Jésus, parce qu'il
blessait leur orgueil, démasquait leur
hypocrisie et ruinait leur crédit ;
c'est eux qui lui présentèrent
à plusieurs reprises des questions
captieuses, « pour le surprendre en
paroles et pour avoir de quoi
l'accuser » ;
C'est eux qui plus d'une fois
envoyèrent des messagers pour se saisir de
lui et le traduire devant le
Sanhédrin ; c'est eux qui,
exaspérés par le miracle qu'il venait
d'accomplir sur Lazare,
délibérèrent de ne plus
laisser faire cet homme, et depuis ce
jour-là se consultèrent ensemble pour
le faire mourir.
C'est eux qui achetèrent sa
tête pour trente pièces
d'argent ;
C'est eux qui le firent arrêter en
Gethsémané, et traîner de
Caïphe à Pilate, de Pilate à
Hérode, et encore d'Hérode à
Pilate ;
C'est eux qui excitèrent la multitude
à crier : Crucifie ! crucifie et
qui effrayèrent Pilate en le menaçant
de l'accuser devant César, s'il ne leur
livrait celui qu'on appelait le « roi des
Juifs ; »
C'est eux encore qui l'insultèrent
jusque dans son agonie en disant :
« Il a sauvé les autres, et il ne
peut se sauver « Lui-même !
Qu'il descende maintenant de la croix, et nous
croirons en lui ».
Eh bien, ces meurtriers de
Jésus-Christ, ces pharisiens,
c'étaient, en partie du moins,
c'étaient peut-être en
général d'honnêtes gens selon
le monde, Il ne faut pas se figurer en effet que
les pharisiens fussent tous des barbares, des
libertins, des spoliateurs, des impies. Il pouvait
y en avoir de ce caractère ; mais ce
n'est pas l'idée que le Nouveau Testament
nous donne du plus grand nombre. Tels qu'il nous
les fait connaître, beaucoup d'entre eux
passeraient dans le monde pour d'honnêtes
gens, si ce n'est pour des hommes vertueux. Il est
vrai que nos saints livres nous montrent en
même temps de mauvaises convoitises, des
vices régnant chez eux ; mais tel est
dans tous les temps la contradiction de
l'honnête homme du monde avec
lui-même.
La réputation de haute
sainteté que les pharisiens avaient
usurpée auprès du peuple, et qui
faisait dire au Seigneur : « Vous
vous justifiez vous-mêmes devant les hommes
(Luc
16/15), » serait bien
difficile à expliquer s'ils n'eussent
possédé quelques vertus humaines, et
surtout de celles qui sont les plus utiles à
la société. Ils tenaient à la
religion ; et en opposition aux
saducéens, qui étaient les
matérialistes de l'époque, ils
faisaient hautement profession de croire à
l'immortalité de l'âme et à la
résurrection. Leur zèle pour
l'accomplissement des devoirs extérieurs du
culte avait passé en proverbe, et le
Seigneur rend témoignage à
l'exactitude avec laquelle ils payaient les
dîmes, tout en leur reprochant de
négliger les préceptes plus
spirituels et plus importants de la loi.
(Math 23/27)
Leurs vertus se mêlent à leurs
vices mêmes, et paraissent jusque dans le
temps qu'ils persécutaient le Seigneur et se
préparaient à le crucifier. Cet
argent qu'ils ont donné à Judas pour
prix de sa trahison, et que Judas jette dans le
temple, qu'en font-ils ? Ils répugnent
à le mettre dans le trésor, parce que
c'est « le prix du sang :
« quelle délicatesse ! Et
puis ils l'emploient à « acheter
le champ d'un potier pour
« sépulture des
étrangers : » quelle
charité !
Saint Paul, qui avait appartenu aux
pharisiens jusqu'à sa conversion, s'exprime
partout sur le caractère moral de cette
secte en termes qui confirment le jugement que nous
venons d'en porter. En se défendant contre
ses accusateurs, il s'honore d'avoir
« vécu pharisien, selon la secte
la plus exacte de la religion des
Juifs, » et il veut que sa nation et ses
adversaires eux-mêmes trouvent dans ce fait
une garantie de « la vie
« irréprochable qu'il a
menée dès sa jeunesse.
Enfin, et surtout, la parabole d'où
notre texte est tiré, et dans laquelle le
Seigneur a voulu nous mettre devant les yeux un
pharisien qui fut comme le type du
pharisaïsme, nous représente un homme
qui, tout éloigné qu'il est
d'être justifié devant Dieu, n'en n'a
pas moins de grandes vertus devant le monde et
devant sa propre conscience. Jugez-en par sa
prière ; car outre que rien ne donne
à entendre que sa conduite extérieure
ne soit pas telle qu'il la dépeint, il
prononce cette prière « à
l'écart et en lui-même, » et
l'on n'a pas intérêt à mentir
dans une prière particulière.
« Il n'est pas comme le reste des
hommes » : « il a donc les
dehors d'une vertu singulière.
« Il n'est pas ravisseur « ni
injuste : » c'est donc un homme
probe dans les affaires. « Il n'est point
adultère : « ses moeurs sont
donc pures. Mais il y a plus : « Il
jeûne deux fois la semaine : »
voilà les habitudes de la dévotion
portées jusqu'aux privations et aux
pénitences. « Il donne la
« dîme de tout ce qu'il
possède : » voilà de
grands sacrifiées qui supposent une
bienfaisance et une piété
rares ; y en a-t-il beaucoup d'entre vous qui
réservent aux pauvres ou aux oeuvres
religieuses un dixième de leur
revenu ?
Enfin il reconnaît dans ses vertus un
don de Dieu, car il lui en rend grâces :
Je te rends grâces « de ce que je
ne suis pas comme le reste des
hommes. »
Qui ne verrait là un homme estimable,
vertueux, religieux, selon le monde ? Ce n'est
pourtant, je le répète, qu'un
pharisien, qu'un type de pharisaïsme.
Mais si l'honnête homme n'a point de
vertus qu'il ne partage avec le pharisien, comment
ces vertus pourraient-elles le rassurer contre le
jugement de Dieu ?
Avec toutes ces vertus, vous pouvez donc
porter un coeur rempli des sentiments qui
déplaisent le plus au Seigneur. Avec toutes
ces vertus, vous pouvez être au fond un
ennemi de Dieu, de la vérité et des
gens de bien.
Avec toutes ces vertus, vous auriez pu, si
vous aviez été contemporain de
Jésus-Christ, être trouvé, non
parmi ses disciples, mais parmi ses meurtriers.
Cette pensée vous révolte, et vous
croyez que j'exagère ; mais prenez
garde, on se connaît si mal
soi-même ! Le coeur
irrégénéré renferme des
germes secrets dont il est bien loin de
prévoir les développements futurs.
Quand les élèves du collège de
Nantes invités par leurs maîtres,
à décerner à l'un d'entre eux
le prix de vertu, couronnaient, après sept
ans d'épreuve, le jeune Robespierre,
savait-on ce qu'il ferait un jour ? Le
savait-il lui-même ? Mais voici un
exemple qui se rapporte plus directement à
notre sujet. Les pharisiens disaient aussi :
« Si nous avions été du
« temps de nos pères, nous
n'aurions pas participé au
« meurtre des
prophètes ; » et à
quelques jours de là ils crucifiaient le
prophète des prophètes, le Fils de
Dieu ! Ce sont là des faits, mes chers
frères ; et l'on ne peut pas rejeter
des faits. Mais le résultat auquel nous
venons d'arriver vous étonne à tel
point que vous avez peine à en croire vos
yeux.
Qu'y a-t-il donc dans les vertus de
l'honnête homme selon le monde, qu'y a-t-il
dans les vôtres qui les rende capables de
s'allier au péché, au vice, au crime,
et qui leur ôte tout mérite devant
Dieu ? Le voici, mes chers frères et je
réclame ici toute votre attention :
c'est que l'amour de Dieu n'est pas le principe et
l'âme de ces vertus. Nous disions
tantôt que la seule vertu véritable
est celle qui procède d'un coeur bon ;
faisons un pas de plus, et reconnaissons qu'il n'y
a de coeur vraiment bon que celui qui aime
Dieu ; or on ne l'aime que lorsqu'on a cru en
Jésus-Christ. Celui qui fait le bien pour le
monde a droit aux applaudissements du monde ;
celui qui le fait pour la conscience a droit
à l'approbation de sa conscience ; mais
celui-là seul qui le fait pour Dieu a droit
à la faveur de Dieu. Voilà ce que
l'honnête homme ne comprend pas, et c'est ce
qui corrompt à leur source toutes ses
vertus. En oubliant d'aimer Dieu, il a
oublié non-seulement « le premier
et le « plus grand
commandement, » mais encore celui
« duquel dépendent toute la loi et
les prophètes, » et sans
l'observation duquel tout le reste n'est que comme
un corps sans âme. Car Dieu étant
notre Créateur, et le principe de toutes les
relations que nous soutenons avec les
créatures, ainsi que de toutes les
obligations qui en résultent, lui ôter
la première place, c'est tout confondre,
tout bouleverser. Sans l'amour de Dieu dans le
coeur, les plus belles vertus ressemblent à
ces fruits parés de belles couleurs, mais
dont un petit ver dévore
l'intérieur.
Fidèle à l'esprit de ce
discours, je voudrais vous montrer la
vérité comme à l'oeil
plutôt que la prouver par de longs
raisonnements, j'en appelle à une
comparaison, ou, si vous voulez, à une
parabole. Celui qui remplit les devoirs de la vie,
sans mettre Dieu au centre de tout, ressemble
à un homme dont je vais vous raconter
l'histoire.
Uni à une femme qu'il a rendue
mère, mais lassé de son amour et
consumé d'une flamme adultère, il
fuit loin de sa famille avec la complice de son
crime, et va cacher sous un ciel étranger sa
honte avec ses plaisirs, là il comble cette
femme des marques de son attachement et prodigue
les plus tendres soins aux enfants qu'elle lui a
donné. Ses nouveaux amis, qui n'ont pas
connu son histoire, le citent comme le
modèle des maris et des pères. Mais
vous qui la connaissez, que pensez-vous de cette
affection conjugale et de cette affection
paternelle qui laissent languir dans l'abandon sa
femme et ses enfants légitimes ?
N'est-elle pas vicieuse dans son principe ? Et
n'est-il pas vrai qu'il ne faut, pour mettre
à néant toutes les vertus de ce chef
de famille, que produire l'acte qui
révèle son premier, son
véritable engagement ? Eh bien,
voilà votre honteuse image à vous qui
dites : Je remplis mes devoirs de fils, de
père, de citoyen, sans songer à votre
premier devoir de chrétien, pour ne pas dire
de créature ; et pour mettre à
néant toutes vos vertus, pour les convaincre
de vanité et de mensonge, il ne faut ?
que montrer ce commandement du Dieu qui a fait le
ciel et la terre : « Tu aimeras le
Seigneur ton Dieu de « tout ton coeur, de
toute ton âme et de toute ta
pensée ; « voilà le
premier et le plus grand
commandement. »
Que si, non content de vous arrêter
à cette vertu sans vie et sans
réalité, vous oser vous en faire un
titre pour vous justifier devant Dieu. Et si vous
dites, ce qu'on entend dire sans cesse : Je
n'ai pas à redouter la condamnation de Dieu,
parce que je suis un honnête homme, qui
satisfait à toutes ses obligations et qui ne
font de tort à personne, - oh ! Alors
ce n'est pas assez de dire que cette vertu est
nulle : elle devient ce que l'Écriture
appelle « la justice propre, »
qui est le pire de tous les péchés.
Il n'y a pas, aux yeux de Dieu, de plus
détestable péché que
l'orgueil, ni d'orgueil plus insupportable que
celui d'une créature pécheresse qui
pense trouver en elle-même de quoi lui
mériter la faveur de Dieu. Honnêtes
gens du monde qui vous complaisez en
vous-mêmes, je n'hésite pas à
vous le déclarer : la condition d'une
pauvre Marie-Magdeleine qui pleure aux pieds du
Seigneur, ou d'un pauvre brigand crucifié
qui dit : « Seigneur, souviens-toi
de moi quand « tu viendras en ton
règne, » vaut mieux que la
vôtre. Il y a plus de ressource, il y a plus
de lumière, il y a plus de vertu
véritable chez cette femme enveloppée
de honte et chez ce meurtrier couvert de sang, mais
qui ont appris du moins à se connaître
et à s'écrier : Mon Dieu, sois
apaisé envers moi
pécheur ! » Que chez vous,
qui passez aux yeux du monde et aux vôtres
pour un homme sans reproche, peut-être pour
un homme vertueux Mais qui ne comprenez, ni la
volonté de Dieu ni l'état de votre
coeur, et qui venez étaler avec complaisance
devant nos regards, les haillons impurs de votre
propre justice.
La pécheresse et le meurtrier
pénitents rendent du moins hommage à
la sainte loi de Dieu, par l'amertume de leur
repentir et par leur résolution
arrêtée d'entrer dans une voie
nouvelle ; mais vous, qui ne songez ni
à déplorer le passé ni
à rien changer pour l'avenir, vous
méconnaissez cette loi, vous la traitez
comme si elle n'était pas, vous la foulez
aux pieds. Ah ! Ce n'est pas moi qui vous
condamne, c'est Jésus-Christ ;
Jésus-Christ, qui disait aux
pharisiens, à ces honnêtes gens de
Jérusalem : « Vous vous
justifiez vous-mêmes devant les hommes, mais
Dieu connaît vos coeurs ; car ce qui est
grand devant les hommes est une abomination devant
Dieu
(Luc
16/15) ; »
Jésus-Christ, qui nous montre
l'humble publicain de notre parabole
justifié préférablement au
pharisien superbe, et qui élève la
pécheresse pleurant à ses pieds
au-dessus de l'irréprochable Simon ;
Jésus-Christ, qui déclare
« qu'il est venu pour des
pécheurs, non pour des justes, »
et « qu'il y a plus de « joie
au ciel pour un seul pécheur qui se repent
que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui
n'ont pas besoin « de repentance
(Luc
15/7) ; »
Jésus-Christ, enfin qui accueille
avec une compassion si tendre « les
péagers et les pêcheurs »
altérés de pardon et de grâce,
et qui ne s'écarte de sa douceur ordinaire
que pour foudroyer l'orgueil des pharisiens.
Eh ! Quels autres a-t-il jamais,
appelés « hypocrites,
sépulcres blanchis, fous et aveugles, race
de vipères, serpents, fils de la
géhenne, » qui semblent ne pouvoir
« échappés à la
colère à
venir ? »
Mais ce n'est pas pour vous troubler que je
suis monté dans cette chaire, c'est pour
vous sauver. Ah ! Si vous avez commencé
d'apercevoir, et le crime de vos
péchés, et le crime plus grand de
votre justice propre, n'endurcissez point vos
coeurs !
Non, n'endurcissez point vos coeurs !
Si un pauvre pécheur comme moi a pu vous
faire entrevoir les terreurs du jugement à
venir, que sera-ce quand vous comparaîtrez
devant ce Dieu « dont les yeux sont trop
purs pour voir le mal ? »
Que ferez-vous quand celui qui sonde les
coeurs fouillera dans les replis du vôtre, et
recherchera le fond de vos péchés et
de vos vertus, à la lumière de sa
sainte et redoutable loi ?
Que ferez-vous alors ? Mais
plutôt que voulez-vous faire
aujourd'hui ? Car alors il sera trop
tard ; mais aujourd'hui vous avez un
Sauveur.
Oui, un Sauveur ! Et un Sauveur qui
sauve en vérité quiconque ne veut
être sauvé que par lui seul ! Non
pas un Sauveur qui nous apporte une doctrine de
Salut, mais qui la confirme par son martyre, mais
un Sauveur qui est lui-même « notre
propitiation, » et qui « nous
purifie de tout
péché ; » non pas un
Sauveur qui achève, de conduire au ciel ceux
qui ont fait la moitié du chemin sans lui,
mais un Sauveur qui a tout souffert et tout
accompli pour nous, et qui nous a
« pré-connus,
prédestinés, appelés,
justifiés, glorifiés
(Rom 8/28-29) ; »
Non pas un Sauveur qui nous laisse toute
notre vie incertains de ce qui doit suivre la mort,
mais un Sauveur qui nous garde, qui prie pour nous,
qui accomplit tout en tous, « de qui, par
qui et pour qui « sont toutes
choses ! » (Rom 11/36). Ah, Et quel
autre sauveur pourrait suffire à des
misérables tels que nous ? Quel titre
pourrions-nous présenter hors de lui ?
Quelle condition remplir ? Quelle faveur
mériter ? Et que nous reste-t-il enfin
que d'être blanchis dans ton sang,
enveloppés dans ta justice, scellés
de ton Esprit, marqués de ton nom,
trouvés en toi, « Agneau de Dieu
qui ôtes le péché du
monde ? »
Ne voulez-vous pas venir à lui pour
avoir la vie ?
Ne voulez-vous pas ouvrir à celui qui
vous dit avec tant de douceur : « Je
me tiens à la porte et je frappe ;
« si quelqu'un entend ma voix et m'ouvre
la porte, j'entrerai chez lui, et je souperai avec
lui, et lui avec moi ? »
(Apoc
3/20).
Ne voulez-vous pas échanger votre
espérance illusoire contre la promesse du
Dieu qui ne peut mentir, « les linges
souillés de votre justice » contre
la justice du « Saint des
saints, » votre vie de
péché contre le service glorieux de
Jésus-Christ, et la colère à
venir contre les plaisirs
éternels ?
Ne voulez-vous pas vous séparer de la
prière présomptueuse du pharisien
« Je te rends grâces de ce que je
ne suis pas « comme le reste des hommes,
ni même aussi comme « ce
péager, » et vous allez mettre
à genoux à côté du
pauvre péager pour vous associer à
son humble, à sa bienheureuse prière
« Mon Dieu, sois apaisé envers
« moi
pécheur ? »
Anges du ciel, qui assistez à notre
culte et qui en portez les nouvelles à
l'Église d'en haut, que lui direz vous de
notre réunion de ce jour ? Pourrez-vous
dire qu'elle a fait passer une âme
« de la mort à la vie et
« de la puissance de Satan à
Dieu ? »
Oui, Dieu, votre Dieu et notre Dieu, est
fidèle ! Il a donné gloire
à sa parole ! Cherchez, et vous
trouverez dans quelque coin de cette
assemblée un pécheur qui s'humilie,
qui pleure et qui prie. Portez une de ses larmes au
ciel, et chantez sur lui les cantiques de l'enfant
prodigue : « II était mort et
il est ressuscité, il était perdu et
il est « retrouvé, »
tandis que nous vous répondrons sur la terre
par le cantique que vous nous apprîtes
au-dessus des plaines de Bethléhem
« Gloire soit à Dieu au
« plus haut des cieux ! Paix sur la
terre ! Bonne volonté envers les
hommes ! »
Amen.
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