Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



SERMONS PAR ADOLPHE MONOD



LA PECCADILLE D'ADAM

LES VERTUS DES PHARISIENS

« Le pharisien, se tenant à l'écart, priait en lui-même en ces termes : O Dieu ! je te rends grâce de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes, ravisseurs, injustes, adultères, ni même Comme ce péager ; je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tout ce que je possède. » (Luc XVIII, 11, 12.)

La prière de ce pharisien nous fait connaître qu'il était satisfait de lui-même ; et cette satisfaction tenait à l'opinion qu'il avait tant de ses péchés que de ses vertus. Des péchés, il n'en découvre dans sa vie que de pardonnables, et il se félicite d'être exempt des grands désordres qui ont cours dans le monde : « Je ne suis point comme le reste des hommes, injustes, ravisseurs, adultères, ni même comme ce péager. » Mais ses vertus sont des plus agréables à Dieu et des plus utiles au prochain : « Je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tout ce que je possède. » Avec de si petits péchés et de si grandes vertus, il est moins digne, pense-t-il, de châtiment que de récompense, et n'a rien à redouter de la justice divine.

Le monde, l'Église, ce temple peut-être, sont remplis de gens qui jugent d'eux-mêmes exactement comme le pharisien de la parabole, et c'est surtout à cette cause qu'il faut attribuer la stérilité de notre ministère. Quand nous déclarons à des hommes de ce caractère qu'ils sont « injustes, plongés dans le mal, « haïssables, ennemis de Dieu, » ils nous taxent d'exagération. De telles accusations ne sauraient s'appliquer à eux, et ne leur paraissent méritées que de ces membres tarés de la société qui s'abandonnent sans frein à leurs mauvaises convoitises, des libertins, des voleurs, des faussaires. Quand nous leur déclarons encore « qu'il n'habite en eux aucun bien, qu'il n'y a « pas un article entre mille sur lequel ils puissent répondre, qu'il n'y a point de juste, qu'il n'y a personne « qui fasse le bien, non, pas même un seul, » nouvelle exagération, à leur avis. Ils ne sont pas parfaits à la vérité, mais ils possèdent pourtant des vertus réelles et estimables que la justice de Dieu ne lui permet pas de méconnaître. Dès lors, ne croyant pas l'Écriture sur la condamnation qu'ils ont encourue, comment la croiraient-ils sur la grâce qui leur est proposée en Jésus-Christ ? II faut se voir perdu pour vouloir être sauvé. Nous avons beau parler, presser, conjurer, effrayer : on n'a point d'oreilles pour nous entendre.

Il nous serait permis peut-être de contester la vérité matérielle du témoignage que se rendent à eux-mêmes les honnêtes gens du monde ; car la propre justice va jusqu'à fermer les yeux à l'évidence : on est avare, et l'on se croit généreux ; faux, et l'on se croit sincère ; esclave d'une flamme impure, et l'on se croit homme de bonnes moeurs ; plein de mauvaises pratiques, et l'on se croit un modèle de probité. Mais enfin je veux supposer que vous êtes tels que vous pensez être. Seulement, puisque c'est Dieu qui vous jugera et non pas le monde, sachons ce que valent aux yeux de Dieu vos petits péchés et vos grandes vertus : C'est tout l'objet de ce discours.



Nous voulons savoir quel jugement Dieu portera au dernier jour sur ces petits péchés qui vous semblent à peine mériter qu'il les recherche. Il suffirait d'en appeler à ce que nous annonce là-dessus cette Parole qui doit nous juger au dernier jour (Jean 12/48). Mais, pour rendre les choses plus palpables, j'en veux appeler aujourd'hui à un fait historique. Nous pouvons pressentir le jugement futur de Dieu par un jugement déjà prononcé : rappelons-nous comment il rechercha le péché que commit Adam dans le jardin d'Éden en portant la main sur le fruit défendu. Je suppose que vous avez assez de foi pour ne pas rejeter jusqu'aux récits de l'Écriture sainte. Que si ce que vous trouvez d'étrange dans l'histoire d'Adam vous empêchait de la croire, vous n'échapperiez à une difficulté que pour tomber dans une plus grande, puisqu'à l'explication biblique de l'entrée du mal dans le monde il faudrait en substituer une autre, et vous charger d'une tâche sous laquelle les plus grands philosophes ont succombé.

Le péché d'Adam n'était pas de ceux que l'on appelle graves dans le monde, et dont le pharisien se félicitait d'être exempt. Ce n'était ni un meurtre, ni un larcin, ni un adultère. À regarder l'objet de la désobéissance d'Adam, il ne s'agissait que de cueillir un fruit et de le manger. À regarder le sentiment qui l'y porta, c'était seulement un mouvement d'orgueil, de convoitise, ou de curiosité :

D'orgueil, s'il voulait s'élever à des lumières surhumaines ;
De convoitise, s'il voulait contenter un appétit sensuel ;
De curiosité s'il ne voulait que connaître les propriétés de ce fruit mystérieux.

Ou plutôt, ce n'était tout cela que pour Eve, qui avait péché la première ; pour Adam, qui la suivit dans sa désobéissance, c'était moins encore, à juger comme vous faites : c'était une condescendance poussée trop loin pour les sollicitations de sa femme, que sais-je ? Une faiblesse aimable, intéressante peut-être, Adam n'ayant pas voulu séparer sa destinée de celle de sa compagne, et préférant succomber avec elle à triompher seul de la tentation.

Que penserait-on dans le monde cette nature ? N'est-il pas de ceux dans la vie humaine et que les plus honnêtes se permettent sans scrupule ? De ceux qui, pour adopter les idées reçues, ne supposent pas un mauvais coeur, ne donnent point de scandale, ne font de tort à personne, ne perdent pas la réputation d'un homme et ne valent pas les honneurs d'un remords ? Quel est l'homme qui n'ait jamais senti son coeur enflé par une pensée d'orgueil, qui n'ait jamais cédé à quelque attrait des sens ou qui n'ait jamais donné carrière à une curiosité indiscrète ? Quel est celui qui n'ait jamais eu à se reprocher (s'il ne s'en est pas applaudi peut-être, au lieu de se le reprocher) d'avoir failli par déférence pour une femme, pour une mère, pour un ami ?

De telles actions, toutes contraires qu'elles sont à des commandements de Dieu, ne reçoivent pas même dans le langage du monde un nom aussi sérieux que celui de péché. Ce sont des fautes de tous les jours, des infirmités inhérentes à la condition de l'homme, des peccadilles, passez-moi ce terme familier mais exact ; je tiens avant tout à être bien compris.

Or, cette peccadille d'Adam, de quel oeil le Seigneur l'a-t-il regardée ? Mesurons le délit par la peine, et voyons si le châtiment que Dieu attache à l'action d'Adam est aussi léger que celui qu'elle mérite dans l'opinion du monde. C'est une question d'histoire, et que les suites du péché d'Adam vont éclaircir.

Une première suite du péché d'Adam c'est un changement complet s'opérant dans tout ce qui l'entoure. Banni de ce jardin délicieux que Dieu avait planté de ses mains, et dans lequel « il avait fait germer tout arbre beau à voir et bon à manger, » il est jeté au dehors sur la face de la terre, et tristement abandonné à cette liberté qui l'a séduit. Cette terre, maudite à cause de lui, ne lui enfantera plus naturellement que des épines et des chardons, et ne lui donnera désormais son pain quotidien qu'en échange d'un pénible travail. Les animaux, que Dieu avait fait venir humblement à ses pieds pour qu'il leur donnât des noms en souverain maître, secouent son empire comme il a secoué celui de son Créateur ; et la nature entière semble se soulever contre lui pour se venger de ce qu'elle a été assujettie par sa faute à la vanité et à un soupir universel : « la création est sujette à la vanité, non de sa volonté mais à cause de celui qui l'y a assujettie ; car nous savons que toute la création soupire et qu'elle est en travail jusqu'à maintenant (Rom 8/19-21). » Ce châtiment vous semble-t-il léger ?

Mais approchons-nous pour voir ce qui se passe dans Adam lui-même, et toutes les morts renfermées dans cette mort à laquelle il s'est livré en aveugle, sur la foi du serpent.

La seconde suite du péché d'Adam, c'est la mort physique : « Tu es poudre et tu retourneras en poudre ; » la mort, la plus grande peine que la justice humaine ait su trouver pour les plus grands criminels ; la mort, avec tout ce qui la précède et avec tout ce qui la suit. Avant la mort, cet affaiblissement graduel qui la prépare, ces maladies qui la précipitent, ces déclins qui l'annoncent, ces angoisses qui l'accompagnent. Après la mort, cette dissolution effrayante qui nous oblige à éloigner de nous ce que nous entourions naguère de l'affection la plus tendre, et à dire comme Abraham de sa chère Sara : « Que j'enterre mon mort et que je l'ôte de devant moi » (Gen 23/4) Mais par-dessus tout la mort en soi, le passage le moment ; ce moment terrible, mystérieux indivisible où le coeur cesse de battre, le sang de couler, l'oeil de regarder ; ce moment, avant lequel on était homme et après lequel on est cadavre, en attendant qu'on ne soit plus rien pour la vue, et qu'on aille se confondre avec cette vile poussière qui va nourrir les générations suivantes. Ce châtiment vous semble-t-il léger ?

La troisième suite du péché d'Adam, c'est la mort spirituelle ; j'appelle de ce nom l'asservissement au péché. Dieu punit le péché par le péché même, en abandonnant le pécheur à sa propre volonté pervertie ; et c'est le plus redoutable de ses jugements : « Car, comme ils ne se sont pas souciés de connaître Dieu, aussi Dieu les a livrés à un esprit dépourvu de jugement, pour commettre des choses qui ne sont convenables (Rom 1/28) » A peine Adam a-t-il cédé à la tentation, que le péché se fait jour de toutes parts dans son âme. On le voyait jusqu'ici paré de son innocence ; et le voici découvrant en lui-même je ne sais quoi de honteux qui le contraint de se couvrir.

Il marchait devant Dieu la tête levée, le visage serein, le coeur libre, et le voici troublé à la voix de son créateur, et se cachant en criminel parmi les arbres du jardin. Mais que Dieu lui fasse rendre compte de sa désobéissance, et vous allez suivre dans sa réponse le progrès rapide du péché. Se condamne-t-il ? Tombe-t-il à genoux ? demande-t-il pardon à son Juge ? Certes, c'était la seule justice dont il fut encore capable ; Mais cette même chute qui devait tant l'humilier l'a livré à l'orgueil, et le voici rejetant sa faute sur Eve, comme Eve rejette la sienne sur le serpent : « la femme que tu as mise avec moi m'a donné du fruit de l'arbre, et j'en ai mangé. » Voyez-vous bien tout ce que signifie cette réponse ? La femme m'en a donné : cette femme, « cet aide semblable à lui, » « cet autre lui-même, « os de ses os et chair de sa chair, » il l'accuse et la présente en sa place aux coups de la vengeance divine, tant l'égoïsme étouffe déjà la charité dans son coeur : Mais l'accusation d'Adam porte plus haut. La femme que tu as mise avec moi : c'est toi qui me l'a donnée, tout ce mal ne serait point arrivé. Malheureux Adam ! Ainsi l'impiété achève le désordre de ton coeur. Ah ! Qu'importe que le péché soit entré chez toi par une petite ou une grande ? Quoi qu'il en soit, cette ouverture lui a suffi pour pénétrer, pour s'étendre et pour envahir tout ton être. Pureté, paix, humilité, vérité, charité, piété, tout s'éteint. Ce châtiment vous semble&endash;t-il léger ?

La quatrième suite du péché d'Adam, c'est la mort éternelle ; cette mort, cachée comme dans le fond de cette menace mystérieuse : tu mourras de mort. Cette mort, dont la mort physique n'est que l'image, et la mort spirituelle le prélude ; cette mort, si épouvantable que le monde n'y peut pas croire, et que les plus croyants se surprennent parfois à tacher d'en douter, mais cette mort, si clairement et si naturellement prédite par la Parole de Dieu, qu'il faut fermer les yeux pour ne pas voir. Car nous lisons, d'une part : « quiconque ne fait pas tout ce qui est écrit dans « le livre de la loi est maudit ; » (Gal 3/10) et de l'autre : « allez maudits, au feu éternel, préparé pour le diable et pour « ses anges » et encore : leur ver ne meurt point, et leur feu ne s'éteint point. Ce feu qui ne s'éteint point, ce ver qui ne meurt point, cette colère qui demeure, cet abîme que rien ne peut combler, hélas ! Ce châtiment vous semble-t-il léger ?

Enfin la cinquième et dernière suite du péché d'Adam, c'est que cette quadruple malédiction que nous venons de voir tomber sur sa tête, croissant et se multipliant avec la race lui doit sortir de lui, va se transmettre à ses enfants avec la lumière du jour, de telle sorte qu'il sera aussi impossible de trouver jamais, ni dans un coin si reculé de la terre ni dans un enfoncement si lointain de l'avenir un homme à qui cet héritage d'amertume ne parvienne pas, qu'il est impossible de trouver dans le lit d'un fleuve une retraite que ne visitent ses eaux. Adam, dont le nom signifie en hébreu l'homme, tombe à la tête d'un monde, qui le suit dans sa chute comme un seul homme. Ses enfants, « formés dans l'iniquité et conçus dans le péché » demeurent comme lui bannis d'Éden et errants sur la terre, comme lui assujettis à la mort, comme lui livrés au péché, comme lui condamnés à une misère sans fin. Ce châtiment encore vous semble-t-il léger ?

Que dis-je ? Et quel mal y a-t-il au monde dont ce premier péché ne soit, je ne dis pas la cause unique, mais la cause originelle ? Quelle calamité, quel désordre, quel crime nommer où l'on n'aperçoive la main de Dieu poursuivant après soixante siècles la peccadille d'Adam ?

Si l'on vous demande ce qui fait que vous luttez incessamment contre la faim et la soif, que vous êtes comme en guerre avec le sol de la terre, avec les pierres des champs et avec les bêtes sauvages, et qu'il faut conquérir votre pain à la sueur de votre front, répondez ; C'est la peccadille d'Adam.

Si l'on vous demande ce qui fait que vous souffrez, que vous pleurez, que vous passez des jours dans l'angoisse et des nuits sans sommeil, que vous mourez, que vous voyez mourir, que vous menez une vie toujours mourante, où vous n'avez pu entrer qu'en risquant d'ôter le jour à celle qui vous le donnait, répondez : C'est la peccadille d'Adam.

Si l'on vous demande ce qui fait que vous êtes charnels vendus à l'iniquité, que vous faites non le bien que vous voulez, mais le mal que vous ne voulez pas, que vos petits enfants produisent déjà les fruits amers du péché et qu'ils en portent le germe dès leur naissance, répondez : c'est la peccadille d'Adam.

Si l'on vous demande ce qui fait que vous êtes « par nature enfants de colère, enfants de malédiction, enfants du démon, réservés à son affreuse société, et qu'à moins d'un miracle de la grâce vous allez devenir un sujet éternel de joie pour l'éternel ennemi de tout bien, répondez : c'est la peccadille d'Adam.

Si l'on vous demande enfin ce qui fait que le monde entier est plongé dans le mal, que la perdition est la pente naturelle du coeur et la voie de la multitude, que Satan est devenu le Prince de ce monde, que Dieu se repent d'avoir formé l'homme, et qu'au lieu que le ciel n'a pas cessé de présenter à la terre la magnifique spectacle de ses jours resplendissants et de ses nuits étincelantes, la terre ne présente plus au ciel qu'une vaste scène de désordre, de querelles, de guerres, de rapines de meurtres, de souillures de crimes du jour et de crimes de la nuit, répondez : C'est la peccadille d'Adam.

Ah ! Si vous pouviez douter encore de l'énormité du péché d'Adam, je sais un homme qui n'en doutait pas, et que je voudrais pouvoir vous faire entendre ici à ma place : cet homme c'est Adam lui-même.

Nous avons sur lui le triste avantage de voir le ruisseau auquel il venait d'ouvrir un passage changé en un fleuve immense, qui couvre de son débordement la terre entière ; mais il avait sur nous l'avantage plus triste encore de l'avoir vu naître et commencer à couler. Seul entre tous les hommes, Adam a pu comparer le second état de sa race avec le premier. Pour nous, qui naissons dans le péché, le péché est devenu comme une seconde nature, et nous pouvons à peine concevoir la condition séparée de ce désordre ; mais lui, auteur de ce premier péché qui avait bouleversé l'ouvrage de Dieu, - de ce premier péché - il pouvait sans doute retrouver encore au fond de son âme un souvenir amer de son innocence primitive. Quel changement, ô mon Dieu, quel changement ! Quand, fatigué du poids du jour, Adam venait s'asseoir aux portes d'Éden, et raconter à ses enfants comment elles s'étaient fermées et pour lui et pour eux ; quand, appelant le cadavre d'Abel et s'étonnant de ce sommeil qu'il pouvait troubler, il se demandait si ce ne serait pas là cette mort que Dieu lui avait prédite ; quand, après avoir accompli ses neuf cent trente années, et touchant presque à la naissance de Noé s'il voyait l'iniquité de Caïn, surpassée par ses descendants, se communiquer à la race sortie de Seth ; quand il se disait enfin que la ruine universelle du genre humain s'était consommée dans sa personne, sous l'arbre de la science du bien et du mal, - oh ! Alors, qu'eût-il pensé d'un homme qui, jugeant ainsi que vous jugez, serait venu lui dire que le péché qu'il avait commis dans Éden était petit devant Dieu ?

Mais, au reste, qui pourrait mieux nous instruire du jugement de Dieu que Dieu Lui-même ? Écoutez le : « Par un seul homme le péché est entré au monde » « et par le péché la mort » ; et ainsi la mort est parvenu « sur tous les hommes, parce que tous ont péché ; » et encore : « Par un seul péché les hommes sont assujettis à la condamnation. » (Rom 5/12-16). »

C'est que « l'Éternel regarde au coeur, tandis que « l'homme regarde à ce qui est devant les yeux (1 Sam 16/7). » Vous considérez le fait matériel et vous dites ; Adam n'a fait que manger d'un fruit, qu'est-ce que cela ? Ou peut-être, vous pénétrez quelque peu sous la surface, et cherchant les causes immédiates du péché d'Adam, vous dites ; Un mouvement d'orgueil, de convoitise ou de curiosité, qu'est-ce que cela encore ? Mais Dieu entre plus avant, et il trouve dans Adam un coeur qui lui désobéit, le sachant et le voulant.

Que dis-je, manger d'un fruit ce que c'est que cela ? C'est transgresser une défense de Dieu, c'est-à-dire la jeter à terre et la fouler aux pieds ; c'est rejeter, dans ce seul commandement, l'autorité du législateur, et avec cette autorité la loi tout entière.

Manger d'un fruit, quand Dieu a dit : Tu n'en mangeras point, c'est, révolter contre Dieu ; c'est dire : « Nous ne voulons point que celui-ci règne sur nous (Luc 19/14) ; » c'est lever la main sur son trône pour l'en faire tomber, si l'on pouvait, pour y monter, dirai-je ? Ou pour y faire monter le tentateur en sa place.

Manger d'un fruit, quand Dieu a dit : Tu n'en mangeras point, c'est pécher, et en péchant ouvrir la porte à tous les péchés ; c'est faire, en principe et comme en germe, ce que fit Caïn en tuant Abel, Lémec en se livrant à la convoitise et à la vengeance, les tyrans en opprimant les peuples, Cam en se moquant de son père, Taré en servant les faux dieux, et tout le genre humain en corrompant sa voie.

Que dis-je, manger d'un fruit défendu ? L'acte extérieur n'est pas même nécessaire ; les mains et la boucle ne sont ici pour rien, et devant Dieu le péché est déjà tout entier dans la seule pensée du péché : « Celui qui regarde une femme avec des yeux de convoitise a déjà commis adultère avec elle dans son coeur, » (Math 5/28) et « celui qui hait son frère est un meurtrier » (1 Jean 3/15).

Sans doute il y a des degrés dans l'offense ; mais l'offense, comme offense, mais le péché, comme péché, est toujours infiniment grave devant Dieu, et il le serait à nos propres yeux s'il ne nous avait tellement enveloppés qu'il nous éblouit et nous aveugle. Un petit péché, c'est une contradiction dans les termes ; c'est comme si l'on parlait d'une énormité légère ou d'un attentat insignifiant

Aussi est-il écrit : « Le salaire du péché, c'est la « mort (Rom 6/22) ; » il n'est pas dit, le salaire d'un certain nombre de péchés, mais le salaire du péché n'y en eût-il qu'un seul d'accompli ; il n'est pas dit non plus, le salaire de tel ou de tel péché, mais le salaire du péché, fût-il de ceux que vous jugez les moins graves. Le péché est péché, cela suffit. Comme il ne faut à un homme qui traverse un torrent sur un pont étroit qu'un faux pas qu'un petit faux pas, pour tomber et périr, il ne faut aussi pour perdre une âme, pour ruiner un monde, qu'un péché, qu'un petit péché ; il ne faut que manger d'un fruit défendu, que prononcer une parole coupable, que nourrir une pensée criminelle, que faire une de ces choses que vous avez faites tous les jours de votre vie.

Car, n'essayez pas de vous tranquilliser en séparant votre condition de celle d'Adam, cela pourrait vous réussir devant votre conscience égarée, mais non pas devant Dieu. L'épître aux Romains, dans laquelle nous lisons ces paroles que nous venons de rappeler : « Le salaire du péché, c'est la mort, » n'a pas été écrite pour Adam, mais pour nous.
Ne dites pas que vous n'avez pas péché, comme Adam, contre une loi expresse du Seigneur. Cela n'est pas vrai. Quelle loi plus expresse voulez-vous que celle-ci
« Parlez en vérité à votre « prochain ? » et vous avez menti ;
Ou celle-ci : ne médisez point les uns des autres ? Et vous avez médit ;
Ou celle-ci : Soyez doux ? Et vous êtes mis en colère ;
Ou celle-ci « honore ton père et ta mère ? Et vous avez manqué à vos parents et combien d'autres commandements exprès n'avez-vous pas transgressés : Ne dites pas non plus que vous ne vous êtes pas trouvé dans la condition où était Adam lors de son épreuve, n'ayant jamais été sans péché. Cela est vrai. Mais n'avez-vous jamais fait une chose que vous saviez être mauvaise, et que vous auriez pu ne pas faire ?

Eh bien, quand vous avez fait cela, vous avez fait ce qu'a fait Adam, et vous ne sauriez vous plaindre de voir votre conduite assimilée à la sienne.

Ne dites pas enfin que le péché a tant d'empire sur vous que vous n'y pouvez résister. Eh quoi ! C'est là ce qui vous rassure ? C'est bien plutôt ce qui doit vous faire trembler ; ou bien vous n'auriez qu'à vous engager plus avant dans l'iniquité pour devenir plus excusable encore, et si vous pouviez atteindre à la corruption absolue du démon, vous seriez exempt de tout châtiment ! Non, ne dites rien pour atténuer votre culpabilité ou pour dissimuler votre péril ; mais mesurez-vous à la mesure dont Dieu s'est servi avec Adam, et voyez-vous tel que vous êtes.

Que si le seul péché d'Adam a été jugé digne d'un châtiment si épouvantable, apprenez de là, honnêtes gens du monde, ce que pèse devant le même Dieu la masse de ces péchés que vous appelez petits et qui remplissent votre vie. Prenez un, un seul, un mensonge, par exemple, et l'envisagez en face. Tirez en des conséquences pareilles à celles que vous venez de voir résulter du péché d'Adam, et faites cette réflexion : Si j'eusse été dans Éden à la place du sein, j'aurais fait autant de mal qu'en a fait le premier homme. Puis, prenez tous les petits péchés que vous commettez dans une journée, et calculez si vous le pouvez, tout ce qu'ils renferment de criminel aux yeux de Dieu et tout ce qu'ils méritent de châtiment. Puis enfin, rassemblez tous les petits péchés de votre vie entière sans parler des grands, pour en faire l'objet d'un calcul semblable... ou plutôt, laissez là tous ces calculs, qui ne vous donnent qu'une mesure d'homme pour des jugements de Dieu. Rapportez-vous en à Dieu lui-même, écoutez le témoin fidèle et véritable. Mettez dans vos coeurs ces paroles : il y aura tribulation et angoisse pour toute âme d'homme qui fait le mal, (Rom 2/9) les yeux de Dieu sont trop purs pour « voir le mal ; l'âme qui pèche mourra » ; notre Dieu « est un feu consumant (Hébr. 12/29) ; » et tant d'autres semblables. Voyez enfin vos péchés comme les voit celui qui doit vous juger. Alors, au lieu de penser dorénavant qu'ils ne soient pas de nature à l'offenser et à troubler votre paix, vous les trouvez au contraire si graves, si nombreux, si accablants, que vous succomberez sous votre fardeau, et que la seule question qui vous restera sera de savoir s'il y a bien quelque salut possible pour un pécheur aussi criminel que vous l'êtes !

Vous venez d'apprendre à contempler vos péchés sous un nouveau jour. Mais, quoi qu'il en soit, vous pensez avoir aussi quelques vertus : Qu'en ferons-nous ? Si Dieu est juste pour punir les premiers, le sera-t-il moins pour récompenser les secondes ? Après tout, un bon fils, un bon mari, un bon père de famille, un homme probe, moral, bienfaisant, soit réputé devant Dieu dépourvu de tout bien et digne seulement de condamnation, cela vous paraît inadmissible, cela blesse votre raison et votre conscience elle-même. Mais n'y aurait-il pas ici une seconde illusion ? Les vertus qui vous flattent sont-elles aussi réelles aux yeux de Dieu qu'aux vôtres ? Nous disons, aux yeux de Dieu : car nous n'avons garde de contester la valeur, l'utilité, la beauté de la vertu humaine, même séparée de la foi, pour l'ordre de la vie présente ; mais nous l'envisageons ici dans la lumière de Dieu, et comme moyen de justification devant lui.

Commençons par poser un principe que personne de vous ne contestera, et qui, une fois reconnu, nous permettra de résoudre cette question ? Comme nous avons résolu la première, par des faits : toute vertu qui s'allie avec l'habitude du crime ou du vice est fausse et n'a que des apparences trompeuses. Expliquons-nous par un exemple. Un homme est cité comme un modèle de respect et de tendresse pour sa mère. Si je viens à découvrir que cet homme vit dans la pratique du vol et qu'il subvient aux besoins de sa mère avec le fruit de sa criminelle industrie, je conclus de là que sa piété filiale n'est pure ni même réelle, et qu'elle ne mérite pas le nom de vertu au jugement de celui qui connaît toutes choses. Pourquoi ? Parce que, selon cette parole de l'Écriture que nous avons déjà citée, « Dieu regarde au coeur, » et qu'il n'y a pour lui de vertu véritable que celle qui procède d'un coeur attaché au bien. Telle n'est pas la piété filiale de ce voleur ; car s'il prenait soin de sa mère par amour du bien, le même amour du bien l'empêcherait également de dérober. La tendresse qu'il lui porte n'est donc qu'une tendresse de tempérament et d'instinct, qui n'a rien de vertueux pour « le Dieu qui sonde les coeurs et reins.

Mais une fois que vous admettez qu'une vertu alliée à l'habitude du crime ou du vice n'a que des apparences trompeuses, il faut convenir que les vertus de l'honnête homme selon le monde ne doivent pas le rassurer, parce qu'il n'en est aucune qu'on ne voie associée quelquefois avec les plus mauvaises convoitises. Sans chercher trop curieusement dans votre propre vie si les vertus que vous vous attribuez ne s'y trouveraient pas réunies à des pratiques immorales ; sans parler du ces fameux scélérats qui ont poussé fort loin certaines vertus sociales ou domestiques, ni de ces esclaves des passions charnelles qui sont capables de généreux sacrifices, bornons-nous à un exemple tiré de la mieux avérée de toutes les histoires, celle de la Bible. Que diriez-vous si je vous faisais voir que des hommes qui se sont livrés pendant une longue suite d'années à l'injustice et à l'oppression la plus odieuse qui fut jamais, et qui ont fini par commettre le plus grand de tous les crimes, ont possédé plusieurs des vertus dont vous vous vantez et par lesquelles vous pensez vous justifier devant Dieu ?

La terre vit-elle jamais un forfait plus noir que le crucifiement du Seigneur ?
À le considérer comme un supplice atroce infligé à un innocent, c'est une injustice horrible,
À le considérer comme un supplice atroce infligé au premier bienfaiteur de l'humanité, c'est une ingratitude révoltante.
À le considérer comme un supplice atroce infligé au plus grand prophète du Seigneur, c'est une impiété détestable.
Mais de quel nom l'appeler, quand on le considère comme un supplice atroce infligé au Fils de Dieu, descendu du ciel en terre pour sauver l'homme perdu ?

Et qui sont les auteurs de ce forfait ? Je ne dis pas les exécuteurs, ce sont les Romains ; mais les véritables auteurs, les instigateurs du crime, qui sont-ils ? Ce sont les sacrificateurs, les scribes et surtout les pharisiens.

C'est eux qui s'opposèrent dès le commencement à Jésus, parce qu'il blessait leur orgueil, démasquait leur hypocrisie et ruinait leur crédit ; c'est eux qui lui présentèrent à plusieurs reprises des questions captieuses, « pour le surprendre en paroles et pour avoir de quoi l'accuser » ;

C'est eux qui plus d'une fois envoyèrent des messagers pour se saisir de lui et le traduire devant le Sanhédrin ; c'est eux qui, exaspérés par le miracle qu'il venait d'accomplir sur Lazare, délibérèrent de ne plus laisser faire cet homme, et depuis ce jour-là se consultèrent ensemble pour le faire mourir.

C'est eux qui achetèrent sa tête pour trente pièces d'argent ;

C'est eux qui le firent arrêter en Gethsémané, et traîner de Caïphe à Pilate, de Pilate à Hérode, et encore d'Hérode à Pilate ;

C'est eux qui excitèrent la multitude à crier : Crucifie ! crucifie et qui effrayèrent Pilate en le menaçant de l'accuser devant César, s'il ne leur livrait celui qu'on appelait le « roi des Juifs ; »

C'est eux encore qui l'insultèrent jusque dans son agonie en disant : « Il a sauvé les autres, et il ne peut se sauver « Lui-même ! Qu'il descende maintenant de la croix, et nous croirons en lui ».

Eh bien, ces meurtriers de Jésus-Christ, ces pharisiens, c'étaient, en partie du moins, c'étaient peut-être en général d'honnêtes gens selon le monde, Il ne faut pas se figurer en effet que les pharisiens fussent tous des barbares, des libertins, des spoliateurs, des impies. Il pouvait y en avoir de ce caractère ; mais ce n'est pas l'idée que le Nouveau Testament nous donne du plus grand nombre. Tels qu'il nous les fait connaître, beaucoup d'entre eux passeraient dans le monde pour d'honnêtes gens, si ce n'est pour des hommes vertueux. Il est vrai que nos saints livres nous montrent en même temps de mauvaises convoitises, des vices régnant chez eux ; mais tel est dans tous les temps la contradiction de l'honnête homme du monde avec lui-même.

La réputation de haute sainteté que les pharisiens avaient usurpée auprès du peuple, et qui faisait dire au Seigneur : « Vous vous justifiez vous-mêmes devant les hommes (Luc 16/15), » serait bien difficile à expliquer s'ils n'eussent possédé quelques vertus humaines, et surtout de celles qui sont les plus utiles à la société. Ils tenaient à la religion ; et en opposition aux saducéens, qui étaient les matérialistes de l'époque, ils faisaient hautement profession de croire à l'immortalité de l'âme et à la résurrection. Leur zèle pour l'accomplissement des devoirs extérieurs du culte avait passé en proverbe, et le Seigneur rend témoignage à l'exactitude avec laquelle ils payaient les dîmes, tout en leur reprochant de négliger les préceptes plus spirituels et plus importants de la loi. (Math 23/27)

Leurs vertus se mêlent à leurs vices mêmes, et paraissent jusque dans le temps qu'ils persécutaient le Seigneur et se préparaient à le crucifier. Cet argent qu'ils ont donné à Judas pour prix de sa trahison, et que Judas jette dans le temple, qu'en font-ils ? Ils répugnent à le mettre dans le trésor, parce que c'est « le prix du sang : « quelle délicatesse ! Et puis ils l'emploient à « acheter le champ d'un potier pour « sépulture des étrangers : » quelle charité !

Saint Paul, qui avait appartenu aux pharisiens jusqu'à sa conversion, s'exprime partout sur le caractère moral de cette secte en termes qui confirment le jugement que nous venons d'en porter. En se défendant contre ses accusateurs, il s'honore d'avoir « vécu pharisien, selon la secte la plus exacte de la religion des Juifs, » et il veut que sa nation et ses adversaires eux-mêmes trouvent dans ce fait une garantie de « la vie « irréprochable qu'il a menée dès sa jeunesse.

Enfin, et surtout, la parabole d'où notre texte est tiré, et dans laquelle le Seigneur a voulu nous mettre devant les yeux un pharisien qui fut comme le type du pharisaïsme, nous représente un homme qui, tout éloigné qu'il est d'être justifié devant Dieu, n'en n'a pas moins de grandes vertus devant le monde et devant sa propre conscience. Jugez-en par sa prière ; car outre que rien ne donne à entendre que sa conduite extérieure ne soit pas telle qu'il la dépeint, il prononce cette prière « à l'écart et en lui-même, » et l'on n'a pas intérêt à mentir dans une prière particulière. « Il n'est pas comme le reste des hommes » : « il a donc les dehors d'une vertu singulière. « Il n'est pas ravisseur « ni injuste : » c'est donc un homme probe dans les affaires. « Il n'est point adultère : « ses moeurs sont donc pures. Mais il y a plus : « Il jeûne deux fois la semaine : » voilà les habitudes de la dévotion portées jusqu'aux privations et aux pénitences. « Il donne la « dîme de tout ce qu'il possède : » voilà de grands sacrifiées qui supposent une bienfaisance et une piété rares ; y en a-t-il beaucoup d'entre vous qui réservent aux pauvres ou aux oeuvres religieuses un dixième de leur revenu ?

Enfin il reconnaît dans ses vertus un don de Dieu, car il lui en rend grâces : Je te rends grâces « de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes. »

Qui ne verrait là un homme estimable, vertueux, religieux, selon le monde ? Ce n'est pourtant, je le répète, qu'un pharisien, qu'un type de pharisaïsme.
Mais si l'honnête homme n'a point de vertus qu'il ne partage avec le pharisien, comment ces vertus pourraient-elles le rassurer contre le jugement de Dieu ?

Avec toutes ces vertus, vous pouvez donc porter un coeur rempli des sentiments qui déplaisent le plus au Seigneur. Avec toutes ces vertus, vous pouvez être au fond un ennemi de Dieu, de la vérité et des gens de bien.

Avec toutes ces vertus, vous auriez pu, si vous aviez été contemporain de Jésus-Christ, être trouvé, non parmi ses disciples, mais parmi ses meurtriers. Cette pensée vous révolte, et vous croyez que j'exagère ; mais prenez garde, on se connaît si mal soi-même ! Le coeur irrégénéré renferme des germes secrets dont il est bien loin de prévoir les développements futurs. Quand les élèves du collège de Nantes invités par leurs maîtres, à décerner à l'un d'entre eux le prix de vertu, couronnaient, après sept ans d'épreuve, le jeune Robespierre, savait-on ce qu'il ferait un jour ? Le savait-il lui-même ? Mais voici un exemple qui se rapporte plus directement à notre sujet. Les pharisiens disaient aussi : « Si nous avions été du « temps de nos pères, nous n'aurions pas participé au « meurtre des prophètes ; » et à quelques jours de là ils crucifiaient le prophète des prophètes, le Fils de Dieu ! Ce sont là des faits, mes chers frères ; et l'on ne peut pas rejeter des faits. Mais le résultat auquel nous venons d'arriver vous étonne à tel point que vous avez peine à en croire vos yeux.

Qu'y a-t-il donc dans les vertus de l'honnête homme selon le monde, qu'y a-t-il dans les vôtres qui les rende capables de s'allier au péché, au vice, au crime, et qui leur ôte tout mérite devant Dieu ? Le voici, mes chers frères et je réclame ici toute votre attention : c'est que l'amour de Dieu n'est pas le principe et l'âme de ces vertus. Nous disions tantôt que la seule vertu véritable est celle qui procède d'un coeur bon ; faisons un pas de plus, et reconnaissons qu'il n'y a de coeur vraiment bon que celui qui aime Dieu ; or on ne l'aime que lorsqu'on a cru en Jésus-Christ. Celui qui fait le bien pour le monde a droit aux applaudissements du monde ; celui qui le fait pour la conscience a droit à l'approbation de sa conscience ; mais celui-là seul qui le fait pour Dieu a droit à la faveur de Dieu. Voilà ce que l'honnête homme ne comprend pas, et c'est ce qui corrompt à leur source toutes ses vertus. En oubliant d'aimer Dieu, il a oublié non-seulement « le premier et le « plus grand commandement, » mais encore celui « duquel dépendent toute la loi et les prophètes, » et sans l'observation duquel tout le reste n'est que comme un corps sans âme. Car Dieu étant notre Créateur, et le principe de toutes les relations que nous soutenons avec les créatures, ainsi que de toutes les obligations qui en résultent, lui ôter la première place, c'est tout confondre, tout bouleverser. Sans l'amour de Dieu dans le coeur, les plus belles vertus ressemblent à ces fruits parés de belles couleurs, mais dont un petit ver dévore l'intérieur.

Fidèle à l'esprit de ce discours, je voudrais vous montrer la vérité comme à l'oeil plutôt que la prouver par de longs raisonnements, j'en appelle à une comparaison, ou, si vous voulez, à une parabole. Celui qui remplit les devoirs de la vie, sans mettre Dieu au centre de tout, ressemble à un homme dont je vais vous raconter l'histoire.

Uni à une femme qu'il a rendue mère, mais lassé de son amour et consumé d'une flamme adultère, il fuit loin de sa famille avec la complice de son crime, et va cacher sous un ciel étranger sa honte avec ses plaisirs, là il comble cette femme des marques de son attachement et prodigue les plus tendres soins aux enfants qu'elle lui a donné. Ses nouveaux amis, qui n'ont pas connu son histoire, le citent comme le modèle des maris et des pères. Mais vous qui la connaissez, que pensez-vous de cette affection conjugale et de cette affection paternelle qui laissent languir dans l'abandon sa femme et ses enfants légitimes ? N'est-elle pas vicieuse dans son principe ? Et n'est-il pas vrai qu'il ne faut, pour mettre à néant toutes les vertus de ce chef de famille, que produire l'acte qui révèle son premier, son véritable engagement ? Eh bien, voilà votre honteuse image à vous qui dites : Je remplis mes devoirs de fils, de père, de citoyen, sans songer à votre premier devoir de chrétien, pour ne pas dire de créature ; et pour mettre à néant toutes vos vertus, pour les convaincre de vanité et de mensonge, il ne faut ? que montrer ce commandement du Dieu qui a fait le ciel et la terre : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de « tout ton coeur, de toute ton âme et de toute ta pensée ; « voilà le premier et le plus grand commandement. »

Que si, non content de vous arrêter à cette vertu sans vie et sans réalité, vous oser vous en faire un titre pour vous justifier devant Dieu. Et si vous dites, ce qu'on entend dire sans cesse : Je n'ai pas à redouter la condamnation de Dieu, parce que je suis un honnête homme, qui satisfait à toutes ses obligations et qui ne font de tort à personne, - oh ! Alors ce n'est pas assez de dire que cette vertu est nulle : elle devient ce que l'Écriture appelle « la justice propre, » qui est le pire de tous les péchés. Il n'y a pas, aux yeux de Dieu, de plus détestable péché que l'orgueil, ni d'orgueil plus insupportable que celui d'une créature pécheresse qui pense trouver en elle-même de quoi lui mériter la faveur de Dieu. Honnêtes gens du monde qui vous complaisez en vous-mêmes, je n'hésite pas à vous le déclarer : la condition d'une pauvre Marie-Magdeleine qui pleure aux pieds du Seigneur, ou d'un pauvre brigand crucifié qui dit : « Seigneur, souviens-toi de moi quand « tu viendras en ton règne, » vaut mieux que la vôtre. Il y a plus de ressource, il y a plus de lumière, il y a plus de vertu véritable chez cette femme enveloppée de honte et chez ce meurtrier couvert de sang, mais qui ont appris du moins à se connaître et à s'écrier : Mon Dieu, sois apaisé envers moi pécheur ! » Que chez vous, qui passez aux yeux du monde et aux vôtres pour un homme sans reproche, peut-être pour un homme vertueux Mais qui ne comprenez, ni la volonté de Dieu ni l'état de votre coeur, et qui venez étaler avec complaisance devant nos regards, les haillons impurs de votre propre justice.

La pécheresse et le meurtrier pénitents rendent du moins hommage à la sainte loi de Dieu, par l'amertume de leur repentir et par leur résolution arrêtée d'entrer dans une voie nouvelle ; mais vous, qui ne songez ni à déplorer le passé ni à rien changer pour l'avenir, vous méconnaissez cette loi, vous la traitez comme si elle n'était pas, vous la foulez aux pieds. Ah ! Ce n'est pas moi qui vous condamne, c'est Jésus-Christ ;

Jésus-Christ, qui disait aux pharisiens, à ces honnêtes gens de Jérusalem : « Vous vous justifiez vous-mêmes devant les hommes, mais Dieu connaît vos coeurs ; car ce qui est grand devant les hommes est une abomination devant  Dieu (Luc 16/15) ; »

Jésus-Christ, qui nous montre l'humble publicain de notre parabole justifié préférablement au pharisien superbe, et qui élève la pécheresse pleurant à ses pieds au-dessus de l'irréprochable Simon ; Jésus-Christ, qui déclare « qu'il est venu pour des pécheurs, non pour des justes, » et « qu'il y a plus de « joie au ciel pour un seul pécheur qui se repent que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'ont pas besoin « de repentance (Luc 15/7) ; »

Jésus-Christ, enfin qui accueille avec une compassion si tendre « les péagers et les pêcheurs » altérés de pardon et de grâce, et qui ne s'écarte de sa douceur ordinaire que pour foudroyer l'orgueil des pharisiens. Eh ! Quels autres a-t-il jamais, appelés « hypocrites, sépulcres blanchis, fous et aveugles, race de vipères, serpents, fils de la géhenne, » qui semblent ne pouvoir « échappés à la colère à venir ? »

Mais ce n'est pas pour vous troubler que je suis monté dans cette chaire, c'est pour vous sauver. Ah ! Si vous avez commencé d'apercevoir, et le crime de vos péchés, et le crime plus grand de votre justice propre, n'endurcissez point vos coeurs !
Non, n'endurcissez point vos coeurs ! Si un pauvre pécheur comme moi a pu vous faire entrevoir les terreurs du jugement à venir, que sera-ce quand vous comparaîtrez devant ce Dieu « dont les yeux sont trop purs pour voir le mal ? »

Que ferez-vous quand celui qui sonde les coeurs fouillera dans les replis du vôtre, et recherchera le fond de vos péchés et de vos vertus, à la lumière de sa sainte et redoutable loi ?

Que ferez-vous alors ? Mais plutôt que voulez-vous faire aujourd'hui ? Car alors il sera trop tard ; mais aujourd'hui vous avez un Sauveur.

Oui, un Sauveur ! Et un Sauveur qui sauve en vérité quiconque ne veut être sauvé que par lui seul ! Non pas un Sauveur qui nous apporte une doctrine de Salut, mais qui la confirme par son martyre, mais un Sauveur qui est lui-même « notre propitiation, » et qui « nous purifie de tout péché ; » non pas un Sauveur qui achève, de conduire au ciel ceux qui ont fait la moitié du chemin sans lui, mais un Sauveur qui a tout souffert et tout accompli pour nous, et qui nous a « pré-connus, prédestinés, appelés, justifiés, glorifiés (Rom 8/28-29) ; »

Non pas un Sauveur qui nous laisse toute notre vie incertains de ce qui doit suivre la mort, mais un Sauveur qui nous garde, qui prie pour nous, qui accomplit tout en tous, « de qui, par qui et pour qui « sont toutes choses ! » (Rom 11/36). Ah, Et quel autre sauveur pourrait suffire à des misérables tels que nous ? Quel titre pourrions-nous présenter hors de lui ? Quelle condition remplir ? Quelle faveur mériter ? Et que nous reste-t-il enfin que d'être blanchis dans ton sang, enveloppés dans ta justice, scellés de ton Esprit, marqués de ton nom, trouvés en toi, « Agneau de Dieu qui ôtes le péché du monde ? »

Ne voulez-vous pas venir à lui pour avoir la vie ?

Ne voulez-vous pas ouvrir à celui qui vous dit avec tant de douceur : « Je me tiens à la porte et je frappe ; « si quelqu'un entend ma voix et m'ouvre la porte, j'entrerai chez lui, et je souperai avec lui, et lui avec moi ? » (Apoc 3/20).

Ne voulez-vous pas échanger votre espérance illusoire contre la promesse du Dieu qui ne peut mentir, « les linges souillés de votre justice » contre la justice du « Saint des saints, » votre vie de péché contre le service glorieux de Jésus-Christ, et la colère à venir contre les plaisirs éternels ?

Ne voulez-vous pas vous séparer de la prière présomptueuse du pharisien « Je te rends grâces de ce que je ne suis pas « comme le reste des hommes, ni même aussi comme « ce péager, » et vous allez mettre à genoux à côté du pauvre péager pour vous associer à son humble, à sa bienheureuse prière « Mon Dieu, sois apaisé envers « moi pécheur ? »

Anges du ciel, qui assistez à notre culte et qui en portez les nouvelles à l'Église d'en haut, que lui direz vous de notre réunion de ce jour ? Pourrez-vous dire qu'elle a fait passer une âme « de la mort à la vie et « de la puissance de Satan à Dieu ? »

Oui, Dieu, votre Dieu et notre Dieu, est fidèle ! Il a donné gloire à sa parole ! Cherchez, et vous trouverez dans quelque coin de cette assemblée un pécheur qui s'humilie, qui pleure et qui prie. Portez une de ses larmes au ciel, et chantez sur lui les cantiques de l'enfant prodigue : « II était mort et il est ressuscité, il était perdu et il est « retrouvé, » tandis que nous vous répondrons sur la terre par le cantique que vous nous apprîtes au-dessus des plaines de Bethléhem « Gloire soit à Dieu au « plus haut des cieux ! Paix sur la terre ! Bonne volonté envers les hommes ! »

Amen.


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