D'un côté de la cure, il y avait la
prairie, avec toutes ses fleurs, à laquelle
conduisait une allée de noisetiers. De
l'autre côté, il y avait le
cimetière qui entourait l'église.
Là-haut étaient les cloches ;
elles sonnaient le matin et le soir ; elles
sonnaient aussi le dimanche, et à leur appel
arrivaient les habitants du village.
Elles sonnaient parfois dans la
semaine, et cela voulait dire, tantôt :
« enterrement » ;
tantôt :
« mariage » ! Il me
semblait que toute la vie des hommes était
contenue dans ces deux choses : Mariage, toute
la joie, la prairie ! Enterrement, toute la
tristesse, le cimetière ! On leur
donnait bien des fleurs, aux pauvres morts, mais de
lourdes fleurs tristes, pas celles qui poussent
librement dans la campagne. Je remarquais aussi que
les gens parlaient beaucoup plus du bon Dieu quand
il s'agissait d'enterrement que de mariage.
Même les moins religieux avaient alors
à la bouche des paroles pieuses. Aussi ne
tardais-je pas à penser que Dieu aimait
mieux les enterrements que les mariages.
Mais bientôt je fis une
découverte qui m'enleva du coeur une pierre.
Il y avait un nom que toujours j'entendais
prononcer, un nom qui était uni à
tous les événements de la vie, un nom
que seul je pouvais comprendre d'abord dans les
longs sermons de Papa. Ce nom rayonnait dans les
lumières de l'arbre de Noël, dans les
cantiques, dans toute l'année.
Quelle fut ma joie quand je
compris
que ce nom était intimement uni, non pas au
cimetière et à ses tristesses, mais
à la prairie et à ses joies :
« Regardez les fleurs des
champs ! » disait-il... non pas les
lourdes fleurs des jardins, mais celles des champs,
primevères, violettes et pâquerettes.
Et, quand il rencontrait un enterrement, celui qui
portait ce nom intervenait comme un
trouble-fête de la mort : il faisait
arrêter le cortège, et il rendait
l'enfant à sa mère ! Quand il y
avait un mariage, il y venait et voulait que les
gens y fussent très heureux.
Et, à une place, dans le gros
livre où Papa lisait, cet homme appelait
ceux qui étaient près de lui
« les amis de l'époux »
comme si c'était une noce. N'était-ce
pas plus beau que de les appeler convertis ou
croyants ?
(Jungfrau Else.)
Quelques jours avant Noël, une fillette
s'arrêtait avec sa mère devant la
vitrine d'une librairie. Un portrait du Christ
occupait le centre de l'étalage.
« Vois. tu, dit la mère à
l'enfant, c'est le Seigneur
Jésus ! » Et l'enfant
s'écrie : « Oh ! maman,
est-ce qu'il s'est fait photographier pour
Noël ? »
Chers souvenirs ! Il
fut un
temps où nous aurions pu penser, comme la
petite fille, que Jésus pouvait se faire
photographier pour Noël ! Quand nous
étions petits, Jésus était
pour nous quelqu'un de vivant, de réel, nous
l'aimions comme on aime un grand frère, nous
lui parlions dans nos prières comme on parle
à un ami, nous croyions à son
existence avec autant de certitude qu'à
celle de nos parents ou des frères absents
dont nous regardions la photographie sur la
cheminée. Jésus était vivant
dans nos coeurs.
Aujourd'hui nous sourions en
pensant
à la naïveté d'un enfant qui
peut croire que Jésus s'est fait
photographier ! Nous savons bien qu'il a
vécu, nous l'appelons même le Sauveur,
mais nous ne lui parlons Plus comme à un
ami, nous ne pensons plus qu'il est là chaque jour
près de nous et qu'il nous entend, nous ne
souffrons plus de lui faire de la peine, nous avons
perdu la vision de Jésus vivant.
Comme nous avons
changé ! Autrefois, Noël,
oh ! c'était la fête des
fêtes : la crèche de
Bethléem, les bergers, les mages,
l'étoile, et surtout le petit enfant
emmailloté, c'était réel, nous
y pensions avec les regards brillants, nous en
rêvions la nuit. Puis la vie est venue. Peu
à peu, la raison est entrée dans
notre coeur, nous avons discuté notre Bible,
nous avons rencontré des gens qui ne croient
pas en Jésus, nous nous sommes
demandé : est-ce bien
vrai ?
Peu à peu
l'indifférence est entrée dans notre
coeur. Cette figure dont la beauté captivait
notre enfance, ce Roi des rois qui vient
naître dans une étable, ce Sauveur
puissant qui se fait petit, qui renonce à
tout et qui veut qu'on le suive, nous avons
trouvé que c'était bien beau, mais
que ce n'est pas avec cela qu'on fait son chemin
dans le monde. Et nous voulions faire notre chemin,
gagner, jouir, briller. Cet idéal enfantin
nous a paru encombrant, nous l'avons
débarqué.
Peu à peu le mal est
entré dans notre coeur. Toutes ces choses
dont nous savions, quand nous étions petits,
qu'elles faisaient de la peine à
Jésus, nous les avons commises. D'abord nous
en avons souffert, il nous a semblé que le regard
du
Sauveur se posait sur nous avec tristesse. Alors,
pour ne plus voir ce regard, pour ne Plus entendre
Jésus pleurer sur nous, nous l'avons
supprimé de notre vie. Et maintenant, nous
ne croyons plus que Jésus peut se faire
photographier pour Noël, parce que dans nos
coeurs il ne vit plus.
Redevenons enfants. Sans doute,
certaines naïvetés de la foi enfantine
ne peuvent plus subsister dans notre âme.
Mais cette foi elle-même, elle est
vraie :
Jésus est vivant !
Dites-moi, depuis que vous l'avez laissé
mourir en vous, êtes-vous plus heureux ?
Êtes-vous plus heureux depuis que vous ne
croyez plus que Jésus pleure, que
Jésus souffre, que Jésus vous voit et
vous entend, depuis que vous avez cessé de
lui parler et de lui faire plaisir ?
Noëls, Noëls de notre enfance, Noëls
de foi profonde et vraie, de pureté,
d'idéal, de prière, Noëls
où Jésus est là, revenez
aujourd'hui dans nos coeurs.
Nous n'avons pas complètement
perdu la foi au Christ vivant. Beaucoup d'entre
nous croient en lui sincèrement. Mais,
parfois, cette figure se voile, elle perd sa
clarté, elle n'illumine plus la route.
Eh ! bien, ce que Noël nous apporte,
c'est, si je puis ainsi dire, une nouvelle
photographie
de
Jésus, une nouvelle image plus nette, plus
rayonnante, pour remplacer celle que l'année
écoulée a ternie.
Cette image de Jésus, nous
l'avons laissée se couvrir de
poussière : négligence dans
notre vie religieuse, manque de suite dans nos
résolutions, manque de foi dans nos
prières.
Pour d'autres, le portrait de
Jésus a été voilé par
les larmes. Depuis le dernier Noël, leur foi a
reçu l'assaut terrible de la souffrance et
du deuil. Ils ont tant pleuré qu'ils ne
voient plus bien clair, il leur semble que le ciel
s'est fermé, que Jésus est absent, ou
bien loin.
Pour d'autres, c'est encore plus
grave. Ce qui recouvre le portrait de Jésus,
ce sont des taches. Ils ont gâté,
souillé dans leur coeur l'image de leur
Sauveur.
Quand vient Noël, avec une
nouvelle consolation, un nouveau pardon, un nouvel
appel à la fidélité, une
nouvelle vision du Sauveur vivant, regardons-le
bien, et gravons son image dans nos coeurs, pour la
garder sans poussière et sans tache, et sans
que les larmes puissent la voiler, dans
l'année qui commencera.
J'ai connu une jeune fille dont l'exquise
perfection morale faisait l'admiration de tous ceux
qui la connaissaient. Elle portait à son cou
un médaillon en or qu'elle ne permettait
à personne d'ouvrir. Un jour, dans un moment
d'abandon inaccoutumé, elle autorisa une de
ses compagnes à presser le ressort, et
à apprendre ainsi son secret. L'amie lut ces
mots:
« Celui que j'aime, sans l'avoir
jamais vu. »
Lorsque Jésus, portant sa croix, monta
à Golgotha, on raconte qu'une femme,
nommée Véronique, émue de
pitié à la vue de cette figure
douloureuse et sanglante, jeta sur elle un mouchoir
blanc pour rafraîchir le supplicié, et
que le portrait du Christ se grava sur le
mouchoir.
Légende sans doute. Mais si l'on a
jeté en ce moment un mouchoir sur la figure
du Christ, quatre choses horribles ont pu s'y
graver : l'empreinte d'un baiser, d'un
crachat, d'un soufflet, et d'une épine
ensanglantée.
Certainement, si l'on avait demandé
au Maître ce qui lui faisait le Plus mal, il
aurait répondu : le baiser ! Doux
baisers de l'enfance, saintes caresses de nos
mères, lumineuses étreintes des
fiançailles, est-il possible que vous
puissiez connaître cette caricature
atroce : le baiser de Judas. Embrasser sa
mère, alors qu'on lui brise le coeur !
Embrasser son épouse, alors qu'on la
trompe ! Communier à la table du
Sauveur, alors qu'on porte dans le coeur le venin
d'un vice, le fiel de la haine, le poison du
péché ! Jésus pardonne.
Un soufflet ! qui de nous
résisterait à une telle insulte, et
ne se redresserait pas pour frapper le lâche
agresseur ? ou si cela est impossible, pour
lui jeter à la face la honte de sa
conduite ? Christ, « devine qui t'a
frappé ? » Jésus n'a
pas deviné.
Ah ! si cet homme était malade,
triste, malheureux, comme il saurait deviner sa
peine, lui qui lisait dans les coeurs et voyait les
larmes avant même qu'elles ne coulent. Mais
deviner qui l'a frappé ? Jésus
pardonne.
L'empreinte d'un crachat ! Chose
ignoble, infecte, marque définitive de la
souillure humaine. Il fallait que le Roi
portât cette marque sur son visage, rien ne
devait lui manquer. Semblable aux
décorations dont se constellent les
poitrines des souverains, ce crachat décore
la poitrine du Roi des rois, se mélangeant
au sang qui coule goutte à goutte de son
front couvert d'épines. Il le fallait, pour
soutenir le courage des témoins du Christ,
car la chose la plus difficile à supporter,
c'est le mépris. Vous qui luttez pour une
cause sainte, et qui souffrez tant d'être
méconnus, raillés, enveloppés
de ricanements, rappelez-vous qu'on a craché
sur lui. Et il est mort pour sauver les âmes
de ceux qui ont fait cela.
Puis on lui a mis la couronne du roi. Pour
être sûr qu'elle tienne bien sur son
front pendant le cortège, on a frappé
dessus afin qu'elle s'enfonce. Le sang qui coule
de la couronne vient
se
mêler à l'empreinte du baiser, aux
marques des coups de poing, aux crachats.
Encore une légende : un oiseau
terne, gris, sans apparence, ému par tant de
souffrances et tant de mépris, vint se poser
sur le bras de la croix et s'efforça
d'arracher une des épines qui blessaient le
mourant. Tandis qu'il s'évertuait, une
goutte de sang tomba sur sa poitrine, et ce fut le
rouge-gorge.
Nous t'aimons, ô Christ, parce qu'on t'a trahi et que tu es resté fort ; parce qu'on t'a haï et que tu as aimé ; parce qu'on t'a souffleté et que tu as pardonné ; parce que Dieu a laissé faire ces choses, et que tu as cru en lui ; parce que tu as cru qu'il valait la peine de souffrir et de mourir pour ceux qui t'ont maltraité et repoussé, pour ceux qui n'ont pas su être forts et aimants, être croyants et fidèles, pour nous !
- Par ta divine bonté, par ta sainte humilité,
- Par ta tendre charité, nos âmes t'implorent.
- Par le jour où tu fléchis sous l'opprobre et le mépris, Par la mort que tu souffris, nos âmes t'implorent.
- Par l'heure où Gethsémané t'a vu gémir prosterné, Et des tiens abandonné, nos âmes t'implorent.
- Par la coupe de douleur que tu bus pour nous, Seigneur,
- Par ta sanglante sueur, nos âmes t'implorent.
- Par ton corps qui fut percé, et sur la croix exposé,
- Par ton sang pour nous versé, nos âmes t'implorent !
À la vitrine d'un magasin d'objets d'art
était exposé un tableau de la
crucifixion. Je m'étais arrêté
à le regarder, quand je crus entendre
quelqu'un derrière moi. Et, me retournant,
j'aperçus un petit garçon
déguenillé, qui se mit à
contempler cette peinture avec
intensité.
« Sais-tu qui
c'est ? » lui dis-je.
« Oui, M'sieu, c'est
not'Sauveur ! »
Son regard exprimait une sorte de
pitié pour un adulte à ce point
ignorant de l' Évangile.
Après un moment de silence, et
manifestement désireux de m'instruire, il
ajouta : « Là, ce sont des soldats, des
soldats
romains, et
(avec un profond Soupir), cette femme qui pleure,
c'est sa mère. »
Il s'arrêta, s'attendant sans doute
à être questionné. Comme je ne
disais rien, il reprit d'un ton respectueux et
presque résigné :
« Ils l'ont tué,
M'sieu ! Ils l'ont tué »
Je regardais ce pauvre gamin, si sale dans
ses haillons.
Je lui demandai où il avait appris
cela.
« À l'école du
dimanche de la Mission
populaire ! »
Je m'éloignai, laissant mon diminutif
d'homme toujours en contemplation devant le
tableau. À peine avais-je fait quelques pas,
que je m'entendis héler
« M'sieu !...
M'sieu ! »
Le jeune garçon me courait
après. Essoufflé, il s'arrêta,
puis, levant sa main maigrelette, d'un ton de voix
triomphant, il dit :
« Je, tenais à vous faire
savoir encore qu'il est ressuscité ;
oui, M'sieu, il est
ressuscité ! »
Il triomphait, le gamin en haillons.
Cet accent triomphal, Seigneur, daigne nous
l'accorder à nous-mêmes ! Rends
à nos yeux l'éclat, à nos
fronts la sérénité, à
nos coeurs l'allégresse victorieuse ;
et que nous ne célébrions pas la
fête de Pâques avec des palmes
fanées et des hymnes
étouffés ! »
L'Évangile nous dit que, lorsque
l'enterrement de Jésus fut terminé,
Joseph d'Arimathée roula une grande pierre
à l'entrée du Sépulcre et s'en
alla.
Cette manière de faire prouve combien
les amis du Christ étaient loin de
s'attendre à sa résurrection. On ne
roule pas une grande pierre sur la tombe de
quelqu'un qui va en ressortir. Quand nous nous
décidons à fermer un cercueil et
à laisser la terre le recouvrir
« avec ce retentissement creux et rauque
qui est comme un cri de triomphe du néant
engloutissant sa proie », c'est que nous
savons que tout est bien fini.
Pour Joseph, Jésus était bien
mort. Pour les femmes aussi qui le regardaient
faire, puisqu'elles employèrent leur samedi
de Pâques à préparer
l'embaumement du corps. Cette attitude fait
d'autant mieux ressortir la ténacité
humble de l'amour porté par ces pauvres gens
à leur Maître. Sans croire, sans voir,
ils ont eu le courage de lui rester fidèles
jusqu'à la mort, et, au milieu de
l'indifférence générale,
d'ensevelir convenablement un corps qui, sans eux,
eût été la proie des corbeaux.
Mais cette attitude fait surtout ressortir
l'immense
tristesse
des larmes versées sur la tombe de
Jésus. Tout est fini pour eux, il est
mort.
Oui, tout est fini, quand la mort a
passé. On a fermé les chers yeux, on
a reçu des fleurs, on est allé au
cimetière, puis, tout le monde est parti.
Mais on n'a pas pu se détacher de ce coin de
terre qui a tout englouti. On est revenu, à
l'heure où l'obscurité empêche
les regards indiscrets, à l'heure où
tout le monde repose ; on est revenu, et d'un
embrassement convulsif, on a étreint la
terre froide, comme si elle avait pu rendre sa
proie. On a appelé, et le silence a
répondu. Alors, avec un cri éperdu de
bête blessée à mort, qui a
résonné dans la forêt toute
proche, on est reparti dans la nuit, et on est
retourné au milieu des hommes, en tenant la
main sur son coeur pour empêcher le sang de
couler.
Marie pleurait près d'une tombe.
Es-tu sûre, Marie, que tout soit
fini ? Écoute ! quelqu'un te
parle. Retourne-toi, il y a là quelqu'un...
alors elle s'est retournée, elle l'a
reconnu, elle s'est jetée à ses
pieds : « Mon
Maître ! »
Puisqu'il vit, je puis vivre encore.
Puisqu'il vit, ils sont vivants. O radieux matin de
Pâques, que ton aurore se lève sur
tous les jardins de mort où l'on pleure de
ces larmes que Lui seul peut consoler !
Pierre pleurait dans le jardin du grand
prêtre.
Combien de temps est-il resté
là ? Où a-t-il été
cacher sa déchéance pendant cette
horrible journée ? Nous ne savons rien
de plus sur ce drame intime, simplement cela
« Il pleurait
amèrement ». Les larmes qu'on
verse sur ses bien-aimés, elles ne sont pas
amères. Mais les larmes qu'on verse sur soi,
sur sa lâcheté, sur sa honte !
N'est-ce pas plus horrible que le deuil ?
Avoir eu un ami, le meilleur, le plus
confiant... et avoir trahi cet ami juste au moment
où il était dans la Plus grande
peine, et quand on avait dit qu'on irait jusqu'au
bout avec lui ! Et se dire que cet ami est
mort sans qu'on l'ait revu, sans qu'on ait pu lui
dire son regret, sans qu'il ait vu les larmes du
repentir. Tout est fini. On a perdu sa raison
d'être.
L'âme était montée,
joyeuse, vers l'idéal ; elle avait
répondu à l'appel d'En-Haut. Elle
sentait bouillonner en soi les forces de la vie et
de l'amour. Puis elle a renié, elle a
brisé son idéal. Il n'y a plus de
pardon possible, plus de relèvement, plus de
joie. Il n'y a qu'à se laisser couler dans
un abîme sans fond. On est disqualifié
pour la vie. Plus rien à faire, puisque
Jésus est mort.
Es-tu sûr, Pierre, que tout soit
fini ? Regarde, il y a quelqu'un sur le
rivage, quelqu'un qui a l'air de t'attendre, avec
ce regard plein de vie que tu te rappelles si bien
et qui t'a toujours relevé et
encouragé. Quelqu'un qui t'appelle par ton
nom, non pour te condamner, mais pour te demander
si tu l'aimes. Alors Pierre, tout simplement, mais
du fond de son âme, lui dit :
« Tu sais que te t'aime »
Puisqu'il vit, je puis vivre encore, vivre
par Lui, vivre pour Lui ! O radieux matin de
Pâques, que ton aurore se lève sur
tous les jardins de mort et de péché
où l'on pleure de ces larmes que Lui seul
peut consoler !
(Quelques lignes de la déclaration
retrouvée dans les papiers de
Jean-Frédéric Oberlin, et qu'il
écrivit le jour de ses vingt ans.)
Dieu saint ! Je me donne aujourd'hui
à toi de la manière la plus
solennelle.
Je confesse aujourd'hui que le Seigneur est
mon Dieu ! Je déclare que je suis du
nombre de ses enfants.
Je renonce à tous les maîtres
qui ont autrefois dominé sur moi, aux joies
du monde auxquelles je m'étais donné,
et aux désirs charnels qui étaient en
moi.
Je te consacre, ô Dieu, tout ce que je
suis et tout ce que j'ai : les facultés
de mon âme, les membres de mon corps, ma
fortune et mon temps. Aide-moi toi-même
à n'employer tout cela qu'à ta
gloire.
J'ai la volonté, Esprit saint, de te
demeurer fidèle jusqu'à la fin de ma
vie. Permets-moi de pouvoir, dans les jours qui me
seront encore accordés, acquérir ce
qui me manque, et améliorer mes voies.
Je remets à ta direction ma personne,
et tout ce qui m'appartient. Conduis toute chose
selon que ton infinie sagesse le trouvera bon. Je
m'en remets à toi pour la direction de tous
les événements, et je dis sans aucune
restriction : « Que ta
volonté soit faite, et non la
mienne. »
Et qu'après que j'aurai
cherché à t'obéir, et à
me soumettre à tes volontés, tu me
retires d'ici-bas à l'heure, et de la
manière dont tu le trouveras bon. Permets
qu'à l'heure de ma mort, et aux portes de
l'Éternité, je me souvienne encore de
ces engagements, et que j'emploie mon dernier
soupir à te servir.
En ouvrant l'un de ses cours à
l'Université de Genève, le professeur
Gaston Frommel a raconté à ses
étudiants comment il était devenu
chrétien, considérant qu'il leur
devait la « franche
explication » dont voici quelques
lignes :
C'était aux environs de ma
dix-septième année. J'allais dans la
vie, suivant mes propres voies. Elles ne me
conduisaient point vers celles que j'ai parcourues
dès lors... Je n'étais pas
étranger au christianisme, je lui
étais indifférent. Je le connaissais
aussi bien que peut le connaître un jeune
homme qui en a été soigneusement
instruit, et qui l'a vu sérieusement
pratiqué à la maison paternelle.
J ' allais régulièrement au
culte Public, mais par devoir, et avec un ennui qui
touchait parfois au dégoût. Au fond,
et dans la prise effective qu'il réclamait
sur ma volonté, je repoussais le
christianisme. Les passions, les convoitises du
monde, sans m'entraîner tout à fait,
avaient en moi un écho complaisant. J'entendais
rester
libre ;
j'avais la passion de ma propre
indépendance. Je ne voulais appartenir
à rien, ni à personne qu'à moi
seul. Tout joug m'était odieux. Le
christianisme m'apparaissait comme un joug ;
le Plus odieux, parce que le plus asservissant des
jougs.
Déjà, cependant, certains
troubles m'avaient assailli. Ces impressions,
d'abord fugitives et bientôt oubliées,
devinrent peu à peu plus fréquentes
et plus tenaces. Je ne croyais plus au bonheur, Je
n'attendais plus rien de l'avenir. L'existence
M'apparaissait comme une déroute.
Tel était mon état. Il
n'était encore rien au prix de ce qu'il
allait devenir, lorsque la mort s'approcha de moi.
Je tombai malade. Je souffrais à
peine ; seulement, d'un moment à
l'autre, je pouvais, je devais, j allais mourir...
Dans l'immobilité silencieuse, la conscience
éleva la voix. Plus je l'écoutais -
et je ne pouvais pas ne pas l'écouter - plus
elle me jugeait, plus elle me condamnait... tout
entier... dans le mal que je confessais, comme dans
le bien que je m'étais
attribué ; il n'y avait plus de
différence. J'étais perdu, sans qu'il
me fût possible de me raccrocher nulle
part.
C'est alors que Dieu me fit faire
l'expérience de son salut.
Déjà, aux heures les plus sombres et
les plus désolées, il m'avait fait
entrevoir au loin la croix du Calvaire, qui se
dressait, lumineuse et paisible, comme le seul
refuge offert à
ma détresse. Mais elle était trop
loin, et j'étais trop indigne.
Maintenant, il m'envoya l'un de ses
serviteurs. Je ne saurais vous dire ce que fut sa
parole. Je ne le sais plus moi-même. Je sais
seulement qu'elle retentit dans mon âme,
forte et douce, sévère et consolante,
sainte et miséricordieuse... Elle me jeta
brisé, vaincu, aux pieds du Christ ; et
là, sans hésitation, sans
réticence, sans curiosité
théologique d'aucune sorte, simplement parce
qu'il était Sauveur et que j'étais
perdu, je m'abandonnai moi-même, et me donnai
à lui.
C'est de ce jour, Messieurs, que date ma
conversion chrétienne et ma vocation
pastorale. C'est de ce jour et parce que, dans le
même temps où je me donnai à
Christ, je me suis senti reçu par lui, saisi
par lui, aimé par lui, - c'est de ce jour
que j'ai su de toute certitude que le Christianisme
est une rédemption.
Ce jour est, dans mon passé,
déjà loin derrière moi. Mais
il y brille comme celui d'une nouvelle naissance.
Sans doute, hélas, il y a eu depuis bien des
défaillances ! Elles n'ont pas
effacé ce fait que j'appartenais à
Christ. C'était un point de départ.
Ce que Christ devint alors pour moi, il l'est
toujours resté.
Les paroles suivantes sont dues à l'une
des plus hautes intelligences du siècle
écoulé, à un homme qui a
porté les charges de son pays comme peu
d'hommes les ont portées, et qui
était alors au moment culminant de ses
succès.
« Je désire ce soir, vous
parler seulement du nom sacré de
Jésus-Christ, qui est ma vie, mon
inspiration, mon espérance, ma
sûreté...
C'est à Christ que je dois la
formation de mon âme et de mon
caractère plus qu'à toute autre
influence exercée sur moi par mon
père et ma mère.
C'est de Christ que j'ai tiré mon
idéal secret de la beauté. C'est de
lui qu'ont émané mes pensées
sur tout ce qui est viril, noble et pur.
Christ est à mon âme ce qu'est
à l'été le soleil avec sa
puissance créatrice et fécondante.
Les feuillages, les fleurs, les fruits, tout ce qui
s'épanouit sur la terre, doit son origine
à sa lumière et à sa chaleur.
De même, tout ce qui constitue la richesse de
ma vie : ces affections qui
s'épanouissent autour de moi et en moi, ces joies
qui illuminent mon
coeur
de chrétien, tous ces bienfaits ont leur
source unique en Jésus-Christ, le soleil de
mon âme.
Ce n'est pas tout. Je sens que j'ai
puisé auprès du Christ chaque
pensée qui pour moi fait du ciel une
réalité. »
(La vie transformée.) (1)
Cité par DRUMMOND.
Une légende raconte qu'un jour
Jésus enfant fit soudain jaillir à
son approche une source intarissable sur les bords
de laquelle apparut un parterre de fleurs.
Partout où Jésus a
passé il a fait jaillir les sources du
dévouement, et sur leurs bords, fleurir de
la tendresse. Plus rien ne poussait, dit-on, sur le
sol qu'avait foulé le cheval d'Attila. Lui,
Jésus, il a fait germer à son
approche les moissons opulentes de la
charité. Certes, ce fut avec sa fatigue, ses
larmes et son sang. Il n'en est que plus digne
d'être aimé, adoré, servi.
C'est toujours sur sa route la même
floraison. Regarde les plus belles vies ! Il a
passé par là. Regarde les
relèvements les plus éclatants !
Il a passé par là. Regarde ceux qui
ont appris à s'aimer ! Il a
passé par là.
Mets-toi sur son chemin. Tu connaîtras
la puissance de vie qu'il apporte avec lui. Tu
sentiras s'épanouir comme en un printemps ce
qu'il y a de meilleur en toi, tout ce qui est pur,
tout ce qui est vrai, tout ce qui est beau.
Et tu seras à ton tour de ceux qui
font jaillir les sources de la vie, et refleurir
l'humanité.
Personne n'a aimé comme le Christ. Il n'y
a dans son amour rien de fade, et pas de
restrictions.
Son amour ne dépend pas de choses
extérieures un physique agréable, une
maison cossue, une belle intelligence. Il t'aime
aussi, nature ingrate, figure peu aimable,
existence vulgaire.
Il ne dépend pas de choses
intérieures. Accueilles-tu son amour ou le
repousses-tu ? Il reste fidèle à
son plan : donner sa vie pour toi. Ses ennemis
eux-mêmes n'ont pu l'empêcher de prier
pour eux.
Il t'aime quand tu es heureux ; ton
bonheur le réjouit. Il t'aime aussi quand tu
souffres. Celui qui a pu dire : « Le
Père m'a aimé », alors
qu'il était en pleine angoisse, sait bien
que la souffrance ne saurait nous séparer du
Père.
Son amour est divin, aucun sentiment
terrestre ne l'influence, aucun calcul ne s'y
mêle, aucun égoïsme n'y
transparaît. Et c'est un amour infiniment
humain ; il n'impose aucune vie à
contre-sens, aucun détachement inutile,
aucune démarche contre-nature. Il transpose
simplement dans la sphère divine nos
sentiments naturels : fiançailles et
mariage, paternité et maternité,
amitié, travail, ambitions saintes, tout
cela est, par lui, transfiguré.
Laisse toi aimer, tu vivras
intensément. Puis, sur ton lit de mort, il
se penchera encore pour te dire: « Me
voici ! »
Je pense à quelqu'un qui vit à
l'étranger, qui depuis longtemps n'entend
plus sa langue maternelle. Un jour, dans la rue, il
perçoit l'accent du pays. Comme il
écoute ! Comme il est heureux !
Comme il cherche à comprendre ! On dit
que les soldats suisses au service du roi de
France, quand ils entendaient les chants de leur
patrie, pleuraient et n'y tenaient plus. Ils
voulaient revoir le pays.
Telle est la voix de Jésus-Christ.
C'est la langue de la patrie, dont nous sommes
exilés, que nous avons presque
oubliée. Elle nous dit :
« Reviens au pays où l'on croit,
où l'on aime, où l'on
prie ! »
Quand on entend cette voix, on se
repent.
Je pense à cet homme malade dans un
hôpital étranger. Un jour, sur son
lit, une forme animée se penche, et il
entend une voix : sa mère est
là. Je pense à cette mère qui
disait à son fils quand il venait lui
raconter ses chagrins et craignait de l'importuner
« Verse seulement, pourvu que ça
t'allège ! »
Telle est la voix de Jésus-Christ.
Quand on entend cette voix, on prend confiance, on
peut tout verser, et ça allège
tellement !
Je pense encore aux parents qui veillent au
chevet d'un petit malade. Depuis des heures il ne
peut plus parler. Tout à coup ses mains se
tendent, il appelle :
« Maman ». Quelle
étreinte ! et quel espoir de le
guérir, puisqu'il appelle.
Telle est la voix de Jésus-Christ.
Elle résonne dans l'appel des enfants qui
demandent leur mère, dans les
gémissements des blessés et dans les
pleurs des veuves, dans la voix cassée du
vieillard et dans la menace du sans-travail...
toutes ces voix qui appellent au secours, qui
réclament de l'aide, l'écho de la
caravane humaine qui lutte et qui peine.
Quand on entend cette voix, on va et on
aime !
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