Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LE LONG DU CHEMIN

suite

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Grimpe !

En plaine, les moindres détails de l'existence commune vous séparent ; en montagne, tout vous rapproche. Vous buvez au même verre, mangez au même plat, partagez la même couche.

Mauvais montagnards, ceux qui gardent pour eux les trésors de leur sac ou cherchent à toute occasion à se caser aussi douillettement que possible, fût-ce aux dépens d'autrui ; gent détestable, celle des pique-assiettes qui sont les parasites des grimpeurs de bonne volonté. En montagne, la loi du partage est constante.

Nous transportons notre maison avec nous et nous prétendons exercer, jusque sur la cime, le privilège de l'hospitalité, invitant l'inconnu de la veille à prendre place en ami à notre foyer mouvant. Les vies là-haut, ne se frôlent point, elles se pénètrent. Demain, déjà, nos voies se sépareront peut-être à jamais, il n'importe ; le coeur, près des sommets, se donne, il ne se reprend plus.

La grimperie exige de ses adeptes cette réelle domination de soi qui constitue, à elle seule, le ciment de toute association ; n'en faut-il donc pas pour refréner la tentation de vider la dernière goutte de sa gourde afin de ne pas éveiller l'envie des camarades qu'enfièvre la fatigue ou l'insolation ? Vous êtes harassé, la mauvaise humeur emplit votre esprit, le découragement vous étreint et voilà qu'il faut refouler les pensées sombres, tenir sa peur secrète, être gai, de cette gaîté franche qui fuse à tout propos et transforme en sujets d'allégresse les vicissitudes de l'expédition.
O la chaîne bénie qui nous rend solidaires les uns des autres !
Nous partageons les anxiétés comme les douces rêveries nées aux heures paisibles du crépuscule, les émotions de la lutte comme l'exaltation de la victoire. Donnons-nous la main, amis, une page de notre vie s'est écrite là-haut, jamais plus l'un de nous ne la relira sans y associer ceux qui la vécurent avec lui !

Là-haut, nos coeurs ont battu à l'unisson et nous avons été heureux. Mais qui est-ce qui nous retient d'en user de même dans le domaine de notre vie de tous les jours ? pourquoi ce qui est possible en montagne deviendrait-il irréalisable en plaine ? Est-ce question d'altitude, effet de l'air subtil, charme prenant de l'Alpe ? Oui, la montagne est un cadre exceptionnel dans la sérénité, mais la force d'aimer n'est point dans les roches, elle est toute en nous.
L'alpinisme est une force qui nous lie.

(Fragment.)

Louis SPIRO.



Croquis.

Plus haut, le soleil !
En cabane, quatre heures du matin. L'un après l'autre les touristes s'éveillent. On entend pétiller le feu. Pourtant nul ne se presse. C'est qu'un épais brouillard s'est installé victorieusement à la place du jour qui vient.

Rien à faire pour aujourd'hui, si le fâcheux ne s'en va pas. Il faut attendre. Les connaisseurs affirment qu'on en a pour la journée entière. Figures de vaincus.

Cependant il y en a deux qui ne prennent pas leur parti de la défaite, ce sont deux fillettes. On leur a dit qu'on les mènerait là-haut, elles veulent aller là-haut. Elles vont, viennent de la fenêtre au fourneau où le chef de caravane remue le chocolat pour éviter la discussion.
« Il y a peut-être du soleil plus haut ! » essaie timidement la première.
« Je crois que le brouillard diminue ! » insinue la seconde, tandis que l'atmosphère s'épaissit encore.
« Allons un petit bout, rien que pour voir ! » conclut le duo.

Et voilà comment, sous le regard narquois des autres hôtes de la cabane, la petite caravane finit par s'embarquer. Les fillettes ont une tête ! Après tout on ne risque rien, la trace est marquée, on en sera quitte pour redescendre quand elles en auront assez.
... Trois cents mètres plus haut, il y avait un éclatant lever de soleil. Ce fut une course glorieuse

Imagination.
Soleil ardent sur le glacier. La démoralisation est totale. On se traîne, on n'en peut plus. Les plaisanteries même ont l'air, recuit. Qu'attendre encore de gens qui ont des mines de forçats condamnés à la marche obligatoire ?

Tout à coup, du haut de la pente une pierre se détache, puis une autre. C'est l'artillerie de la montagne ! Certains projectiles s'arrêtent à quelques pas de la caravane.
Regardez-les courir, ces fatigués, ces éreintés

Quand le danger est pressant, Plus de fatigue. On s'est cru à bout de forces. Allons donc ! Pure imagination ; il y a des réserves encore.
N'entendez-vous pas les pierres qui vont écraser nos âmes, qui menacent nos compagnons ? Ne faites pas semblant d'être fatigués

Encore elle
.
Il doit y avoir par là un passage très dur. C'est un mur de glace, terrible, qu'il faudra descendre. La perspective est redoutable. Silence. Appréhension.
Vu de près, le fameux mur se trouve être, cette année du moins, une pente sans danger, où mord le crampon. Que de soucis on aurait pu s'épargner, si on ne s'était pas persuadé que c'était si dur

Le bon moment.
C'est tout plaisir de marcher sur cette neige durcit par le gel. Quelle fête pour les yeux et le coeur !
Regardez maintenant ceux qui ont manqué le bon moment. Comme ils pataugent ! Lourdement leurs pieds s'enfoncent dans la neige que le soleil amollit.
Il faut partir à l'heure propice.

Essaie encore !
Ce n'est pas une bien haute montagne, mais elle est rebelle. Il a fallu dix ans pour arriver là-haut !
La première fois on a été vaincu par le manque d'entraînement ; le courage a fait défaut. À recommencer !

Une autre fois, il y a eu tempête. C'eût été imprudent de pousser plus loin. À recommencer !
Puis sont venus des temps difficiles où l'on a été attaché à la plaine par la souffrance. Mais le rêve est demeuré ; il faudra bien arriver une fois là-haut.
Quel beau jour, quand enfin on pose le pied sur le sommet ! On l'a eu, parce qu'on a voulu l'avoir.

Presque sans le vouloir.
« Ce n'est pas la peine de se morfondre tout le jour dans cette cabane. il pleut encore, mais pas beaucoup. La montée est sans danger. Allons un bout, pour voir ! »
On ne voit rien, du reste. Les nuées se traînent, la pluie recommence. Abrités sous un roc, ils tiennent conseil.
« Est-ce qu'on redescend ? »
« Dommage ! Faisons encore un bout, on en sera quitte pour se sécher au retour. »

Encore un... et puis encore un... et puis on s'est trouvé au sommet, presque sans le savoir. Et là, il y a eu un spectacle de toute beauté.
Ne vaut-il pas la peine, sans savoir si on arrivera, de faire encore un bout ?

Fleurettes.
Pendant huit jours, il n'y a eu que de la glace et des rocs. Ah ! ce fut une belle course !
Encore une crevasse à franchir, encore les rocs de la moraine. Maintenant c'est un tapis multicolore : des fleurs, des fleurs partout. Étendre son corps fatigué dans toute cette fraîcheur, quelle suavité !

Mon âme, tu dois aspirer à la lutte, tu dois aimer le sublime. Mais tu n'es pas faite pour vivre constamment dans le sublime et pour lutter sans cesse en corps à corps avec ces rocs.
Assieds-toi maintenant près de la source, et repose-toi. Cueille la fleurette que Dieu a placée pour toi au bord du sentier.
Plus tard, restauré, tu reprendras ta marche vers les sommets.

Chante !
Il est des gens honnêtes, zélés, pieux, qui pensent bien faire en bannissant de la vie toute fantaisie. Certes le travail est chose sacrée, mais point ne suffit encore d'oeuvrer sans relâche ; l'homme ne vit pas de pain seulement.

« Il y a un travail sans entrain, un plaisir dépourvu de sourire, une religion privée d'âme, une vertu sans grâce, un amour sans mystère, un art sans rayonnement... Pourquoi ? Leur parfum s'est évaporé, et le parfum, c'est la poésie intime, mêlée à tout l'être et à toute l'existence comme un principe vivifiant. »

CH. WAGNER.




C'est notre joie et non notre tristesse qui peut honorer Dieu. Une foi sans joie est un autel sans parfum. »

A. VINET.




« Si certaine page de Beethoven était mieux connue de ceux qui souffrent et s'entr'égorgent, elle parviendrait à désarmer bien des ressentiments, elle ramènerait, sur des visages crispés, un suave, un ineffable sourire. »

G. DUHAMEL.

 

« L'Éternel est ma force et mon cantique », dit un psaume.
Il n'est vraiment notre force que s'il est notre cantique. Si la pensée de Dieu n'éveille pas en nos coeurs l'émoi et le désir de le célébrer, c'est que nous n'avons de lui qu'une connaissance tout intellectuelle, superficielle et stérile. Il aurait réellement tué son être intérieur, celui qui n'éprouverait jamais le besoin de crier à Dieu sa louange, et qui resterait insensible à l'ouïe d'un hymne à sa gloire.

Le cantique est donc l'écho de notre vie personnelle, mais il devient à son tour source de vie religieuse. Il s'est révélé, au cours des âges, comme l'un des plus sûrs messagers de la foi. À chaque époque où la foi renaît, le cantique reprend vie et pousse des ailes. Songez à la floraison morave, au printemps franciscain ; et que furent les rendez-vous des premières confréries chrétiennes, sinon, selon la lettre de Pline à Trajan, « des assemblées où, dès avant le jour, on chantait à Christ » ?




Ce rêve, de voir, par un matin de dimanche tous les croyants sortir de leurs lieux de culte divers, pour s'en aller sur quelque colline entonner ensemble le cantique nouveau et partir à la rencontre de leur Maître, lequel n'attend que ce mouvement de leur part, pour venir au milieu d'eux, ce rêve, nous n'accepterons pas qu'on nous l'enlève. Précieusement gardons-le, mais n'oublions pas qu'il n'est encore qu'un rêve.

Et pour qu'il se réalise quelque jour, pour que l'heure vienne, où l'Eglise universelle triomphante entonne l'alléluia, ne laissons pas le cantique s'enfuir de notre vie...

... Les cantiques les plus précieux de l'apanage chrétien, Jean-Sébastien Bach les a entendus à son oreille, au travers du tumulte des soucis domestiques, d'embarras d'argent et de tracas professionnels sans fin.

Avec Dieu dans le coeur, l'existence la plus décolorée se métamorphose et retentit de symphonies ineffables, et, quel que soit le cadre de nos jours, on vit dans le sublime.

PAUL CARDINAUX.


 
À la
campagne.

Savez-vous qu'il est souvent plus difficile d'être chrétien au village qu'à la ville ?
Certes, nous savons le danger des villes, et tous ceux qui, venus intacts du village, s'y sont perdus corps et biens. Ce que nous voulons relever ici, pour encourager les jeunes campagnards, ce sont certaines difficultés indépendantes de leur volonté, dues à la vie campagnarde, et qu'il faut surmonter puisqu'on ne peut les supprimer.

D'abord une question de densité. Si, dans une paroisse de dix mille habitants, un millier remplissent le temple chaque dimanche, cela constitue un auditoire impressionnant. Mais, selon la même proportion, il n'y aura que cinquante personnes au temple de votre village, ce qui paraîtra peu de chose.

Dans la vaste paroisse urbaine, je puis réunir une centaine de jeunes, et c'est un beau groupement. Essayez de la même proportion pour une population de cinq cents habitants, il y a à peine de quoi fonder une Union chrétienne.

Puis une question de publicité. En ville, celui qui me rencontre dans la rue ne se demande guère si je vais au cinéma ou à l'église. Au village, tout se sait, tout se raconte, tout se commente. Et les premiers essais de vie religieuse, qui, comme les débuts de toute vie, devraient être enveloppés d'intimité, sont immédiatement connus et publiés. Il faut plus de courage pour braver l'opinion sur un petit théâtre que dans la grande foule.

Enfin une question de ressemblance. Je veux dire par là qu'en ville, les chrétiens ont les professions les plus diverses, ce qui donne à leurs rencontres plus de charme et de variété et ce qui évite les conflits d'intérêt. L'un demeure près du lac, l'autre en banlieue. La joie de se rencontrer au local unioniste ou à la salle du culte est grande. Au village, par la force des choses, on se voit tous les jours ; une rencontre n'a pas l'attrait de l'imprévu. Chacun a une occupation qui ressemble à celle des autres, d'où moins de variété dans la conversation. Surtout les intérêts sont constamment mélangés, les causes de conflits entre familles abondent, et il faut beaucoup plus de courage et d'amour pour vivre en paix avec tous, pour éviter toute dispute, pour se sentir frères.

Amis de la campagne, c'est difficile, mais ce n'est pas impossible. Essayez, il en vaut la peine !


 
Les
bienfaits de l'absence.

Ainsi qu'à une certaine heure, les pêcheurs de Galilée virent leur maître transfiguré, ses vêtements blancs comme la neige et son visage brillant comme le soleil, ainsi y a-t-il des heures où notre vie mortelle nous apparaît radieuse... Les amis absents et ceux qui sont partis pour le dernier voyage nous apparaissent réunis, brillants d'une joie immortelle, toute trace de l'infirmité humaine disparaît chez ceux qui nous sont chers. Combien nous semblent beaux le mari, l'épouse, la mère absente, le père à cheveux blancs, la fille à l'oeil brillant ! Vus à la lumière du présent, tous ont des torts, des défauts, mais dans l'absence, nous ne voyons que leurs qualités permanentes.

De notre lointain foyer, nous ne nous rappelons ni un seul jour sombre, ni un seul soin servile, rien que l'écho de ses hymnes saintes et la sérénité de ses beaux jours ; de notre père, ni une parole impatiente ni un reproche injuste, rien que sa mâle tendresse ; de notre mère, nulle humaine faiblesse, mais seulement son inépuisable amour ; de notre frère, pas une taquinerie, pas une impatience, mais la fière beauté de ses meilleurs jours ; de notre soeur, de notre enfant, rien qui ne soit gracieux et doux.

C'est là le véritable idéal de la vie, le calme miroir dans lequel nous voyons que, malgré toutes nos fautes, nous tendons vers quelque chose de plus noble que ce que nous sommes.
Lors de la résurrection, nous verrons pour toujours nos amis comme ils nous apparaissent dans ces heures de clairvoyance.

H. BEECHER-STOWE.



L'éloquence des choses.

Le temps efface les impressions les plus vives, comme il efface les traces les plus profondes, et les effigies les plus marquées. La poussée des instincts vulgaires, la séduction des mauvais exemples, le sourire des incrédules, s'unissent pour ternir les enthousiasmes les plus sincères. Et les rafales de la tentation viennent tout bouleverser.

Garde précieusement les souvenirs, les gravures, les livres qu'on t'a donnés aux heures de la ferveur et de la confiance. Garde la Bible sur la première page de laquelle une main aimée, la main d'un disparu peut-être, a inscrit pour toi quelque parole sacrée. Environne-toi de ces choses. Elles te garderont toi-même. Elles seront pour toi comme une sainte compagnie. Elles resteront auprès de toi comme les témoins muets et éloquents des meilleurs moments de ta vie.

Une jeune fille écrivait à son pasteur que dans son exil, elle regardait souvent, et souvent avec larmes, la modeste image suspendue près de son lit, de l'église où elle avait été à l'école du dimanche, et où elle avait terminé, en un jour de lumière, son instruction religieuse. D'un pays lointain, où les tentations étaient nombreuses, un jeune homme écrivait : « Chaque soir, je fais ma prière à genoux devant les photographies de mon père et de ma mère. » Et celui qui recevait ces lignes se souvient toujours lui-même de cette soirée où inquiet des responsabilités qui venaient, le coeur serré d'être si loin des siens, il ouvrit sa malle, et aperçut une gravure que ses parents y avaient glissée en secret au moment du départ : une femme, debout devant un champ de blé mûr, et au-dessous, la parole adressée à Néhémie : « Prends courage et agis ».

Il y a trente ans de cela. Cette gravure, il la possède encore ; que de fois, aux heures solennelles et difficiles, elle lui a apporté son message de réconfort et d'espérance !



Presque

Un mot dangereux ! Il a tiré en bas plus d'un homme qui aurait pu avoir du succès, s'il avait pris l'habitude, dès sa jeunesse, de tendre à la perfection, de bien faire tout ce qu'il faisait.
Il y a des multitudes de gens qui croupissent dans la médiocrité, et qui ont sombré juste en face du but, parce qu'il se sont contentés de faire presque bien toutes choses, d'apprendre presque leurs devoirs, de presque finir ce qu'ils entreprenaient.
Ils ne comprenaient pas le gouffre qui sépare « presque » de « tout à fait ». Ils ressemblent au petit berger de l'anecdote. Son père lui demandait s'il avait retrouvé les brebis égarées.
« Oui, papa... presque »



Les demi-
confessions.

Un homme vint un jour chez son pasteur. Il avait quelque chose sur la conscience, « une chose qui me pèse jour et nuit ».
- Qu'est-ce donc ?
- Je n'ose pas le dire. C'est trop pénible
- Il faut cependant l'avouer ; sans cela, vous n'aurez pas de repos
- J'ai volé !
- Quoi ?
- Une corde
- Eh ! bien, rapportez la corde à qui vous l'avez prise, et dites-lui vos regrets ; l'affaire s'arrangera sûrement !

Peu de jours après, le voleur reparut. Il n'avait toujours pas retrouvé la tranquillité d'esprit. Le pasteur lui demanda :
- M'avez-vous tout dit ?
- Non !
- Eh bien, dites-moi toute la vérité, cette fois !
- C'est que... il y avait quelque chose au bout de la corde.
- Qu'est-ce qu'il y avait ?
- Il, il.. y... avait... une vache !

Il en va ainsi, souvent, de ceux qui se mettent à faire des aveux. On avoue la corde, mais on passe la vache sous silence. Voilà pourquoi il n'y a pas de paix, pas de victoire, pas de régénération intérieure, pas de progrès dans la vie divine.

Soyons sincères, devant Dieu et devant les hommes !



De 
six à huit heures.

On a dit que l'avenir de la plupart des jeunes gens se décidait entre six et huit heures du soir. C'est tout à fait exact, mais il faut encore étendre la portée de cette affirmation et dire que le sort de la plupart des vies, l'avenir de tous les jeunes ménages, la destinée des parents comme des enfants, le bonheur de la famille, et même la prospérité de la patrie se fixent entre six et huit heures du soir.
- Pourquoi donc cela ?
- Tout simplement parce que c'est entre six et huit heures que chacun détermine l'emploi de la soirée et que, dans le monde moderne, toute la vie individuelle et sociale est comme suspendue à ces heures qui peuvent être si tragiques ou si belles.

Au sortir de l'atelier, du bureau, du magasin, au moment où s'ouvre la porte libératrice, il y a une minute de détente, un instant délicieux où celui qui a eu, pendant tant d'heures, l'impression d'être pris dans l'engrenage, savoure sa liberté.

C'est l'instant psychologique où retentissent tous les appels qui spéculent sur cette liberté de l'homme les journaux déployés donnent le « carnet du jour » les affiches violentes hurlent leurs promesses de joie derrière le rideau qui crée l'attrayant mystère, le cabaret aligne ses tables propices au jass ; les orchestres de la rue annoncent leurs confrères des dancings, et tout le brouhaha de la rue n'est qu'une insistante question que vas-tu faire, où vas-tu aller ce soir ?
« Hélas la plupart des gens ne parlent plus du soir, mais des soirées. On remplit ce moment de la journée, unique, qui pourrait être exquis et salutaire, de plaisirs et d'excitations ; on le remplit ? non, on le vide de sa valeur et de son bienfait. »

C'est pour beaucoup, en effet, l'heure de la séparation d'avec tout ce qui pourrait constituer la véritable vie et créer un peu de vrai bonheur : le mari se sépare de sa femme et perd un peu de son affection ; les enfants se séparent des parents et trouvent, de jour en jour, plus fade le goût du foyer ; les frères et soeurs se séparent et c'est l'étranger, l'être banal, le comédien, la danseuse, l'étoile de cinéma, le loustic de restaurant, le brasseur d'affaires, le monteur de coups, le vulgaire camarade, l'ami de fortune, tous ces êtres qui peuplent la soirée, qui peuplent aussi le coeur et le dépeuplent des affections sûres.

Où se sont amorcés les 2500 divorces qui sont prononcés, chaque année, dans notre pays ?
- Dans des soirées mal employées.

Où disparaît l'argent qui assurerait la tranquille sécurité matérielle du ménage ?
- Dans des soirées mal employées.

Où se consume la force physique, intellectuelle, spirituelle que demandent les études, le commerce, la direction de la famille et l'accomplissement du devoir ?
- Dans des soirées mal employées.

Où les parents et les enfants préparent-ils les chagrins qui brisent le coeur ?
- Dans des soirées mal employées.

Inutile d'allonger ; il n'est personne qui ne sache ce que l'on peut inscrire dans ce triste bilan, car il n'est personne qui ne souffre de l'état de choses actuel. C'est la voix de l'expérience humaine autant que la voix de la sagesse chrétienne qui crie : La soirée appartient à la famille. Il faut la lui rendre.

Entre six et huit heures, mon frère, au moment où tes regards sont si ardemment sollicités par les spectacles de la perpétuelle foire au milieu de laquelle nous vivons, tu les porteras, par un énergique effort de volonté, sur le foyer que tu as fondé au meilleur jour de ta vie, mais où la flamme de l'amour n'est Plus qu'un lumignon qui fume ; tu iras à l'épouse et aux enfants qui ont besoin de toi et, par un sacrifice joyeusement consenti, tu feras brûler le feu clair de la joie au foyer.

Et toi, ma soeur, tu resteras au foyer : il y a des mères qui doivent rapprendre à rester chez elles et à donner à leurs enfants cet amour dont ils ne sentent jamais mieux le charme de la puissance qu'aux heures du soir propices à l'intimité, au jeu tranquille, aux confidences, aux aveux, aux conversations où la mère apparaît comme la messagère de Dieu. Il faut, mères, que vous soyez là, même quand l'enfant dort, pour être l'invisible et sûre présence qui enveloppe son coeur d'une paix dont il vous bénira un jour.

Et il faut bien choisir, jeunes gens, entre le bonheur et cette lâcheté qui piétine sur le coeur des pères et des mères et qui les sacrifie aux indignes profiteurs de votre argent, de votre santé, de vos forces. Ils ne peuvent aller ensemble ; entre six et huit heures, chaque jour, vous tournerez le dos à l'un ou à l'autre.

Et surtout le dimanche soir : il n'est point de jour comme lui, pourvoyeur de joie ou de honte. 0 vous tous qui sentez trembler votre vie de famille, sauvez votre dimanche soir, vous sauverez une bonne part du reste avec

JULES VINCENT.



« C'est si simple d'
aimer... »

Ainsi dit la chanson, mais la chanson a tort. Quand le soleil luit, quand les oiseaux sifflent dans les branches des lilas fleuris, oui, il n'y a rien de plus simple que de sourire à la vie. Seulement, quand le chemin se fait sombre ; quand les hommes sont hostiles et vous rabrouent durement, quand l'existence s'impose à vous comme une énigme indéchiffrable, alors c'est autre chose.

C'est relativement facile d'aimer son prochain dans la chaleur communicative d'un banquet, mais on n'est pas toujours assis pour festoyer. Non, ce n'est pas si simple d'aimer ; c'est au contraire un art très difficile. Il n'y a qu'à voir les faits : on s'aime peu dans ce monde et c'est la raison pour laquelle on y souffre tant.




Notre siècle s'est imaginé qu'il suffisait de réunir des hommes pour les rapprocher. Et qu'est-il arrivé ? Il est arrivé ceci que l'époque du trafic intense, des moyens de communication rapides et nombreux, des congrès internationaux et des matches internationaux est en même temps l'époque qui a vu la plus cruelle des guerres internationales.

Les hommes se rapprochent, mais à la façon de deux pôles électriques. Le résultat, c'est une explosion : la haine aveugle, la guerre.
Plus ils se voient, les hommes, plus ils ont de la peine à se comprendre. Ils se connaissent trop pour pouvoir se respecter. Et comme le dit la langue avec une profondeur naïve : on se « heurte », on se « choque » et les points de contact sont des points de « frottement ».

Les sociétés de tous genres foisonnent dans nos villes et nos villages. On veut se voir ; il faut qu'on se voie. On fuit la solitude comme la peste. On va mendier un peu de distraction aux portes de tous les clubs. Et plus l'on se réunit, plus on a l'âme vide plus on récolte d'ennui, malgré tout l'effort que l'on fait pour se distraire de soi-même et les uns des autres. Réunir les hommes, ce n'est pas les rapprocher, ni les moraliser. Amasser nos misères morales en un même lieu, ce n'est pas les guérir. Au contraire, le danger de contamination augmente. Les mauvaises compagnies corrompent les bonnes moeurs.

Hélas, un homme ne risque-t-il pas d'être pour un autre homme une mauvaise compagnie quand il est dépité et aigri, comme on l'est presque toujours à notre époque agitée et malade ? Afin de ne pas exercer de mauvaise influence les uns sur les autres, il faut que Jésus marche avec nous dans le chemin, entre nous, comme il marcha le soir de la première Pâque chrétienne entre les deux disciples d'Emmaüs. C'est quand nous sommes réunis « en son nom » que nous sommes réellement unis, que nous nous comprenons, et sommes capables de nous aimer.

« Si nous marchons dans la lumière, comme il est lui-même dans la lumière, nous sommes mutuellement en communion. » Enfin et seulement alors !

La récompense sera que pour finir, à force de nous y exercer, nous aimerons facilement. Certainement, c'est très simple d'aimer, ... en Jésus-Christ !

ALEXIS MAMBOURY.


 
Nous étions
cinq...

« Nous étions cinq ou six dans la même chambre à coucher, et l'on ne peut se faire une idée de la conduite de mes camarades. Il y en avait encore quatre ou cinq dans un cabinet attenant. Un seul d'entre eux avait quelque moralité et certains principes... »

Le petit apprenti drapier qui écrivait ces lignes décida de réunir ses camarades pour étudier la Bible et prier. Quelque temps plus tard, le 6 juin 1844, la première Union chrétienne était fondée.
Et depuis lors, la modeste phalange mobilisée par George Williams est devenue cohorte nombreuse, puis armée immense. Elle est actuellement, dans le monde, la plus puissante organisation de jeunesse masculine, et compte, répartis dans tous les pays, 9746 sections et 1 950 000 membres.

Ni des saints, ni des mômiers, ni des sectaires.
Mais des jeunes qui veulent être forts, avoir le coeur viril, la main loyale, le regard clair. Des jeunes qui ne prennent point leur parti du désarroi moral de ce siècle, et gardent en eux l'ambition sainte et audacieuse d'amener à Christ ceux de leur génération.

TH. -D. PACHE.



La 
présence de Dieu.

X... revient de la retraite de A.... et affirme que l'atmosphère y était unique. Y... a participé au Congrès de B... et raconte que la Stimmung y fut extraordinaire. Quant à Z.... qui a fait le camp de C.... il est enflammé d'un enthousiasme rétrospectif qui le rend sévère pour la paisible église de son village à laquelle manquent précisément cette atmosphère, et cette Stimmung, et cet enthousiasme qui, ailleurs, rendent Dieu si « sensible au coeur ».

Voilà que l'été s'achève, et plusieurs, qui ne sont allés ni à la retraite de A.... ni au congrès de B.... ni au camp de C..., ont un regard d'irrésistible envie pour ces veinards d'X, d'Y et de Z. C'est bon d'avoir vécu des heures de commune élévation, d'avoir passé quelques jours dans le milieu et avec les amis qu'on s'est choisis. En dehors de l'horizon familier et des circonstances coutumières, quand on est libéré des entraves menues, Multiples et tenaces des routines et des monotonies, qu'on voit un autre ciel et d'autres visages, qu'on est loin du lieu de ses chutes, on se découvre plus propre qu'on n'osait l'espérer à la pensée, à la prière et aux préoccupations supérieures.

Voici que le lien s'établit d'une âme à l'autre, comme par enchantement. Sans effort on s'allie. Chacun pour l'autre devient une force. Ce qu'on entend s'amplifie par la vibration de mille cordes associées, et les réponses d'En-Haut prennent figure de révélations décisives. On s'éveille pour voir le soleil glisser sur la rosée, on s'endort dans la douceur des nuits étoilées, et l'on s'écrie comme l'unioniste à la fois coupable et béni d'un temps lointain : « C'est ici la Maison de Dieu ! c'est ici la porte des cieux ! »

Que X Y et Z soient des privilégiés, nul n'en saurait douter.
Mais il faut reconnaître aussi qu'ils ont leur particulière tentation, qui est de s'imaginer que Dieu est proche seulement quand on éprouve sa présence. Ils inclinent à croire que l'Éternel n'habite qu'en Sion, qu'il faut l'aller voir pour le connaître vraiment, qu'Il n'agit jamais sans preuves et qu'Il déserte les pauvres demeures, les vieilles paroisses, les fâcheux voisinages et les chantiers banals. Comme s'il Lui fallait, pour bénir et pour aimer, notre atmosphère, notre Stimmung et notre enthousiasme !

Serait-ce encore marcher par la foi que de suivre tous les jours une nuée lumineuse ?
Je crois de toute mon âme au Dieu qui n'apparaît aujourd'hui que pour nous aider à marcher demain sans rien voir ; qui ne donne à son peuple bien-aimé le pays découlant de lait et de miel que pour le conduire ensuite au désert où « il parlera à son coeur » ; qui règne assez souverainement pour agir alors même que l'ambiance nous semble défavorable, et qui est d'autant Plus proche, parfois, que nous le croyons plus absent.

Si Dieu nous fait sentir sa présence, il faut l'en bénir grandement. Mais par la foi qui est « une démonstration des choses qu'on ne voit point », nous ne doutons pas, lorsque vient le temps où Il n'est plus guère sensible à notre coeur.
Il nous appartient, aux jours ordinaires, « d'espérer, comme Abraham, contre toute espérance ». Autant dire que notre foi ne repose pas d'abord sur nos raisons de croire, à savoir sur nous-mêmes, mais sur l'initiative souveraine et prévenante de Dieu « qui opère en nous la volonté et l'exécution ». En effet, ceux-là seulement découvrent leurs raisons de croire, qui d'abord ont cru.

Alors, frères X, Y et Z, qui êtes revenus au foyer, si vous avez rencontré Dieu là-bas, croyez qu'Il est encore au milieu de vous dans l'humble église de vos pères, et qu'Il parcourt éternellement « toutes les villes et tous les villages, prêchant l'Évangile du royaume et guérissant toutes sortes de maladies et d'infirmités ».

Et vous qui êtes restés, comme Cendrillon, à tisonner dans l'ombre, vous avez manqué sans doute des heures éclatantes, mais vous ne devez pas vous exagérer votre perte. Les collines, retraites, conventions et camps, sont utiles, bienfaisants, parfois merveilleux. Mais c'est Dieu qui sauve, et je pense qu'Il était dans votre mélancolie pour que vous ne cherchiez de lumière qu'en Lui.

Aux uns, durant la vie de tous les jours, le devoir de témoigner de ce qu'ils ont vu ; aux autres, le pouvoir d'être de ces « heureux qui n'ont pas vu et qui ont cru ».

Le monde a besoin et des uns et des autres.

(Extrait de « Jeunesse ».)

MARC DU PASQUIER.

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