Chaque fois que s ' éparpille une
nouvelle volée de
catéchumènes, je pense à vous
qui étiez là où ils en sont,
il y a un an, deux ans, ou plus ; je songe aux
émotions sincères qui remplissaient
votre coeur, aux projets que vous aviez
formés, aux résolutions que vous
aviez prises ; et je vous cherche par la
pensée et dans la prière partout
où vous êtes aujourd'hui
dispersés ; partout où vous ont
emmenés votre apprentissage, vos
études, vos plaisirs, les innombrables
chemins de la vie.
Beaucoup d'entre vous sont restés
fidèles ; ils se sont vaillamment unis
à ceux qui, dans les Unions
chrétiennes ou les jeunesses d'Eglise,
luttent pour entretenir la vie, en eux et autour
d'eux. Ils ont du moins tenu leur serment de suivre
les cultes, d'ouvrir leur Bible, de prier. À
ceux-là, je crie : « Bon
courage ! Ne vous lassez pas de faire le
bien ! Vous n'avez pas toujours
été vainqueurs ? Moi non plus.
Les prophètes non plus. Les apôtres
non plus. Ne vous rendez pas, jamais ! Dieu
tient en réserve pour vous la
récompense royale qu'il donne à ceux
qui se sont donnés. »
Mais je pense aussi, avec quelle
mélancolie, à ceux d'entre vous
(c'est le grand nombre, hélas 1) qui ont
déjà oublié ; qui se sont
laissé emporter vers
l'incrédulité, vers la
frivolité, et peut-être jusqu'à
la débauche. Et je demande à Dieu que
par la souffrance ou par la joie, vous puissiez
retrouver les émotions perdues, reprendre
les résolutions oubliées, sortir des
chemins où l'on s'égare.
Si ces lignes viennent à tomber sous
vos yeux, qu'elles soient pour vous un appel, une
supplication miséricordieuse de Celui qui
n'a jamais cessé de vous aimer, et de vous
attendre.
À Paris, aux jeux olympiques, il y eut
cette fameuse course des 400 mètres, dont le
Times disait que « C' était
probablement la course la plus dramatique qui ait
jamais été courue sur une
arène ».
Figurez-vous ce spectacle : le signal
du départ est donné. La troupe
impatiente des concurrents s'élance, un
chacun possédé d'un ardent
désir de victoire. Mais l'indécision sur l'issue
de la lutte cesse vite parmi les spectateurs des
gradins. On voit en effet un bel athlète
dépasser résolument ses camarades. La
tête dressée, les cheveux au vent, les
coudes au corps, la face grave, le regard au loin,
le moteur des reins fonctionnant à plein
rendement, il semble, en de superbes foulées
sur la piste de sable fin, une flèche en
plein vol qui va se planter dans le but.
Bientôt, les hauts parleurs annoncent
à la foule qu'Eric Lyddell devient champion
du monde, et qu'en 47 secondes et 3/5 il a battu
tous les records précédents. Tout
à l'heure, le télégraphe va
lancer dans l'espace le nom, hier obscur, de cet
étudiant en théologie venu
d'Écosse, à qui ira demain
l'admiration des jeunes hommes du monde entier.
C'est la gloire ! Son temps de course fut tel
que déjà l'on escompte sa facile
victoire à la course des 100 mètres,
le dimanche suivant.
Mais il y a surprise, et bientôt
stupeur. Ce jeune homme auquel on parle d'un second
triomphe, se récuse fermement. Il ne prendra
point part à la course de dimanche, dit-il,
parce qu'il est de ceux qui ont l'habitude de
mettre à part ce jour-là pour
obéir à la recommandation de
l'apôtre : « Exerce-toi
à la piété ; car
l'exercice corporel est utile à peu de
chose, mais la piété est utile
à tout, ayant la promesse de la vie
présente, et de celle qui est à
venir. » Très gravement, :Eric Lyddell
déclare aux
hommes qui l'entourent
« Messieurs, c'est une bonne
chose, par le temps qui court, que d'avoir de
fortes convictions ! »
Le dimanche suivant, Eric Lyddell, vainqueur
de la course des 400 mètres, occupe la
chaire de l'église protestante
écossaise de Paris. Un nombreux auditoire de
jeunes gymnastes, hommes et femmes, de tous les
pays anglo-saxons, des journalistes parisiens,
emplissent l'édifice. Ils sont attentifs et
recueillis. Très sérieusement,
très simplement, Lyddell développe sa
pensée sur cette prière « 0
Dieu, ouvre mes yeux, afin que je puisse voir les
choses merveilleuses qui sont écrites dans
ta loi. » Il y a une autre course, plus
nécessaire, plus essentielle que celle des
athlètes dans le stade : c'est celle de
la vie qui nous est donnée pour tendre
à l'acquisition d'un noble caractère,
et à la réalisation d'oeuvres bonnes.
Il importe qu'un jour nous puissions
« nous glorifier de n'avoir pas couru en
vain, d'avoir combattu le bon combat, et d'avoir
gardé la foi au Dieu de
Jésus-Christ. » « Ne
savez-vous pas que ceux qui courent dans le stade,
courent tous, mais qu'un seul remporte le
prix ; courez, de manière à le
remporter ! »
Il y a donc encore des hommes au monde qui
ont des principes, et qui jettent leurs couronnes
au pied du trône du Roi des rois !
... Parlons des crimes de l'alcool. Nous
employons à dessein ce mot un peu fort, en
parlant des méfaits de la boisson, ne
regrettant qu'une chose, c'est que la langue
française n'en ait pas de plus cinglant
à nous offrir pour les dénoncer et
les flétrir.
On peut entendre, ici ou là, tel bon
père de famille, chrétien calme et
sage, habitué à déguster, sans
troublé comme sans excès, son verre
de vin ou même son petit verre de liqueur,
déclarer avec quelque énervement que,
décidément, « on abuse de
l'antialcoolisme » et qu' « on
ne parle plus que de
tempérance ».
Nous répondons que ce qui abuse de la
patience humaine, ce n'est pas la parole des
« tempérants », mais les
cris des ivrognes, l'audace de leurs pourvoyeurs et
l'inertie des honnêtes gens. L'alcool ?
il serait plus court de dire ce qu'il
épargne que ce qu'il détruit. Quelle
est la cause qu'il ne gâte pas ? Quel
est le sentiment qu'il ne corrompe pas ? Le
problème social, si poignant de nos jours,
pourrait peut-être trouver une solution
équitable ? Soyez assurés que,
si elle se découvre, l'alcoolisme en
compromettra les bienfaits.
D'avance, il fausse vos calculs ;
d'avance, il brise votre effort, ô vous qui
désirez affranchir le
prolétariat ! En attendant d'obscurcir
l'avenir, il souille le présent. Les choses
les plus nobles et les plus saintes, il faut qu'il
les dénature : l'allégresse des
fêtes de famille ? il en fait une
griserie grossière et brutale ; la
douleur des afflictions ? il la noie dans un
étourdissement qui l'avilit et la
stérilise ; les nobles élans du
patriotisme ? il en fait des prétextes
à orgies honteuses ; le culte de la
liberté ? il s'en sert pour forger ou
river des chaînes.
C'est l'alcool, qui, dans le criminel,
achève d'étouffer la conscience, de
maîtriser la volonté, d'armer la main.
il y a de l'alcool dans la flamme des incendies,
dans la passion bestiale des impurs, dans la folie
de certains votes, dans la sauvagerie des foules,
dans le désespoir des suicidés !
Comme un refrain lugubre et monotone, ces quelques
mots terminent le récit des actes qui font
saigner ou pleurer « Il s'agit d'un
alcoolique ! »
Suprême ironie et suprême
injustice ! L'alcool est le seul criminel qui
bénéficie de tous ses forfaits et
pour qui la récidive soit un motif
d'acquittement. Il profite également des
circonstances les plus contradictoires : de
l'inventaire et de la grève, de la guerre et
de la paix, de la joie et de la tristesse, du
baptême et de
l'enterrement, du gain et de la perte ; et
quand la foule a contemplé
l'exécution de quelque malheureux que
l'alcool a conduit à l'échafaud, le
vrai coupable échappe et triomphe, car
lorsque le peuple impressionné par ce
spectacle se disperse, c'est encore pour aller
boire !
PIERRE DIETERLEN.
(Fragment d'un croquis paru dans les Cahiers
protestants.)
... Vingt-trois hommes vont vivre, deux mois
durant, dans la même chambrée, et
passer ensemble toutes les heures de la
journée. Pour la première fois, ce
soir, le clairon vient de sonner l'extinction des
feux.
Ah ! malheureux pioupiou, savais-tu
quelle tempête tu allais
déchaîner dans ces coeurs d'hommes
quand tu t'es levé et que tu as crié,
goguenard : « Camarades, nous allons
faire la prière » ?
Joignant les mains, et levant les yeux au
ciel par dérision, tu as osé,
pioupiou, oui tu as osé dire le
« Notre Père... », et,
tordant cruellement chacune des paroles
immortelles, tu les as noyées dans le
blasphème et dans
l'obscénité.
Rires jaunes...
Et toi, que penses-tu dans ton coin, imberbe
candidat, théologien de rien, que penses-tu
dans ton coin ? Vas-tu protester, t'afficher
comme ça, « sortir le bon
Dieu » dès le premier soir ?
Tu n'y songes pas ! Ces affaires-là se
règlent d'homme à homme, pas
vrai ? Comme c'est tentant parfois... le
silence ?
Mais une Force, tout à coup, t'a
dressé sur ton lit, et (tu ne sais plus ce
que tu as dit) tu as parlé comme un fils
ému parle de son père qu'on vient
d'insulter. Tu as fais là (ô quelle
chaire ! ô quelle robe !), tu as
jeté là, comme un volcan sa lave, le
seul sermon vraiment éloquent que tu fis
jamais.
... Silence absolu, silence plein de
secrètes méditations. « Ils
rentrèrent en eux-mêmes ».
Une mouche eût fait un bruit d'ouragan. Dix
minutes de gêne profonde avant que Deville,
le catholique valaisan, ne murmure :
« C'est vrai,
ça ! », avant que Denis, le
loustic, ne hasarde, d'une voix timide encore:
« M'sieu, on peut
tousser ? »...
Soudain, comme nageant dans le lait
bleuté que la lune,
badigeonnant tout, répand par les trop
hautes fenêtres, un spectre blanc traverse la
chambrée et vient s'asseoir au bord du
lit :
- Tu sais, j'suis pas plus mauvais qu'un
autre
- C'est possible, mais alors pourquoi
blesser profondément plusieurs camarades,
pourquoi offenser Dieu ?
- Écoute quand même. J'ai
été aussi à l'école du
dimanche... moi. Tiens, je vais te chanter tout
doucement un cantique. Je connais les trois
versets...
- « Une nacelle en silence voguait sur un lac d'azur ...
- de sa brebis en détresse il est toujours le berger. »
Une poignée de mains dans la nuit. On se
reverra demain.
Les heures passent... Sur la longue table
nue, la cruche à eau, figure de solitude,
allonge son ombre ridicule et
démesurée. En ligne
régulière, rangés deux
à deux comme à l'appel tout le long
des lits, les. gros souliers à clous, les
« godillots » béants
semblent bâiller leur fatigue de routiers et
leur indicible ennui... Déjà ronflent
les copains endormis... Dis, pastoureau sans
sommeil, pourquoi ce voile humide entre tes yeux
grands ouverts et ce plafond blafard ?
Petit pioupiou, soldat d'un sou, qu'es-tu
devenu dans la vie ?
Promettez-moi, chaque fois que vous choisirez
une toilette, de vous adresser cette
question : « Qu'est-ce que je me
propose, en m'ornant ainsi ? » Si la
réponse est : « je me propose
d'étonner les gens » ou
bien : « je me propose d'être
mieux que Louise, Lucie, Jeanne, etc... »
ou encore : « je désire qu'on
me croie riche... » - repoussez hardiment
la tentation : c'est de la mauvaise
coquetterie.
Ce sera de la bonne coquetterie si vous
pouvez loyalement vous répondre à
vous-même : « Je veux profiter
autant que possible de mes avantages naturels pour
être un objet agréable à tous
les yeux, et surtout aux yeux que j'aime. Je veux
en outre que mon extérieur renseigne le
mieux possible ceux qui me verront sur mon
âge, mes goûts, ma condition, afin que,
si l'on vient à m'aimer, ce soit moi que
l'on aime et non pas un personnage
travesti. »
Un journal de Suisse romande annonçait un
jour une nouvelle sensationnelle : On venait
de créer dans une de nos villes, un Institut
de beauté. Eh oui ! un institut
où l'on fabriquait la beauté,
où l'on réparait, par un traitement
approprié, ce que la nature avait mal
réussi. On vouait un soin tout
spécial aux yeux. Il suffit,
paraît-il, de quelques séances, pour
obtenir « un regard candide, hautain,
limpide, ou per vers ». Et quand on songe
à l'importance du résultat, le
traitement ne coûte pas cher : de 35
à 500 francs!
C'est pour rien !
Évidemment, les femmes qui
fréquentent ces institutions-là ne
s'en vantent pas. Mais à voir toutes celles
qui se pavanent dans nos rues en lissant leurs
plumes et en faisant la roue, à lire toutes
les annonces d'élixirs, de pommades et de
pilules qui doivent faire
« infailliblement »
disparaître les difformités de toute
sorte, on peut supposer que les instituts de
beauté ont de nombreux élèves,
et des élèves singulièrement
appliquées.
Ça fait sourire, mais au fond, c'est
triste. C'est l'indice d'une époque
malade ! Malheur au pays où des
habitudes et des ambitions pareilles deviendraient
générales.
Nos Églises, nos Unions sont aussi des
instituts de beauté, mais de beauté
intérieure. On n'y cultive pas le teint mat,
les cheveux ondulés, les yeux candides ou
pervers, on y cultive « l'être
caché du coeur, la parure
impérissable d'un esprit doux et
paisible ».
Là aussi, il faut un traitement pour
faire disparaître les
difformités : celle d'un
caractère acariâtre ou boudeur, ou
dissimulé, ou violent, ou sensuel. C'est un
traitement de longue durée, mais qui vaut
certes la peine d'être entrepris. L 'essayer,
c'est l'adopter.
S'il en est qui s'intéressent aux
programmes de ces institutions-là, nous
pouvons leur en indiquer les lignes
générales. Le remède ?
« La divine puissance nous a donné
tout ce qui contribue à la foi et à
la piété. » Les conditions
exigées des élèves ?
« Faites tous vos
efforts ! » Les résultats de
la cure ? On s'embellit « de vertu,
de science, de patience, d'amour fraternel, de
charité ».
De mon temps, tout le monde chantait. Nous avons
connu des ouvriers qui, le matin, ne pensaient
qu'à travailler. Ils se levaient le matin
(et à quelle heure !) et ils chantaient
à l'idée de travailler. À onze
heures, ils chantaient en allant à la
soupe.
Travailler était leur joie
même, et la raison de leur être. Il y
avait un honneur incroyable du travail, le plus
beau de tous les honneurs ! ...
J'ai vu toute mon enfance rempailler des
chaises (c'était le métier de sa
mère), exactement du même esprit, du
même coeur et de la même main, que ce
même peuple avait taillé ses
cathédrales... Il fallait qu'un bâton
de chaise fût bien fait. C'était
entendu. Il ne fallait pas qu'il fût bien
fait moyennant le salaire. il ne fallait pas qu'il
fût bien fait pour le patron, ni pour les
connaisseurs, ni pour les clients du patron. Il
fallait qu'il fût bien fait lui-même,
en lui-même, pour lui-même.
Une tradition venue du plus profond de la
race, un honneur, voulait que ce bâton de
chaise fût bien fait. Toute partie, dans la
chaise, qui ne se voyait pas, était exactement
aussi
parfaitement
faite que ce qui se voyait. C'est le principe
même des cathédrales...
C'était un beau sport continuel, qui
était de toutes les heures, dont la vie
même était
pénétrée, tissée.
... Un dégoût sans fond pour
l'ouvrage mal fait ! Un mépris, plus
que de grand seigneur, pour celui qui eût mal
travaillé. Mais l'idée ne leur en
venait pas...
Ils disaient en riant que travailler, c'est
prier ; et ils ne croyaient pas si bien
dire !... Tout leur travail était une
prière, et l'atelier un oratoire...
- Ils avaient un respect de l'outil, et de
la main, ce suprême outil. L'idée
qu'on aurait pu abîmer des outils
exprès ne leur eût pas même
semblé le dernier des sacrilèges.
Elle ne leur eût pas même semblé
la pire des folies. Elle ne leur eût pas
même semblé monstrueuse. Elle leur
eût semblé la supposition la plus
extravagante. C'eût été comme
si on leur eût parlé de se couper la
main.
L'outil n'était qu'une main plus
longue, ou plus dure ; une main qu'on
s'était faite exprès pour ceci ou
pour cela.
On vivait de rien. On était
heureux.
(Fragment.)
On entendit une jeune femme qui se plaignait en
ces termes :
« La vie est méchante et
stupide ! Voyez à quoi je dois vouer
mon temps : j'ai cousu, tricoté,
brodé. Les jours ont passé. Je dois
recoudre, retricoter, raccommoder. Mes yeux sont
rouges et mes doigts fatigués.
J'ai ôté la poussière et
enlevé les toiles d'araignée. La
poussière est aussitôt revenue et les
fileuses ont tissé de nouvelles toiles.
Le linge que j'ai lavé, blanchi et
repassé, le voilà couvert de taches
et mordu par l'usure.
Chaque jour le déjeuner doit
être prêt à l'aube, la table
mise, la vaisselle lavée et la tâche
matinale est à peine achevée qu'il
faut songer au repas de midi. J'y sers des mets
qu'on mange sans se douter de la peine qu'ils ont
coûté. Il en est de même des
repas du soir.
En vérité, la vie est sans
éclat et sans charme, usante et terre
à terre.
Elle s'acharne à détruire tout
ce que je fais. Y a-t-il un sens à ces
monotones et multiples devoirs qui s'appellent et
se répètent sans trêve ni
repos ? »
Mais n'oublie pas :
Que les plaisirs les plus coûteux sont
rarement les plus lourds de joie ; qu'on peut
se donner à peu de frais de vraies
fêtes.
Que tout plaisir prolongé outre
mesure est vicié. Les meilleures choses
doivent avoir leur limite. On a dit :
« Si les paresseux savaient ce
qu'éprouve le travailleur en se reposant,
ils s'empresseraient de travailler. Des
années de fainéantise et de plaisir
ne valent pas une heure de repos des vrais
travailleurs. »
Que tout plaisir qui fait du tort à
un autre ne peut-être que mauvais :
« Oh ! si seulement il n'y avait
point de dimanche ! » soupirait une
maman. Faut-il être inconscient pour faire de
ce beau jour une occasion de déroute, et de
souffrance pour d'autres !
Que les plus grands plaisirs ont toujours
été, non pas ceux que nous avons eus,
mais ceux que nous avons donnés ; que
faire un beau jour à quelqu'un nous a
toujours donné plus de satisfaction que de
se faire à soi un beau jour :
« On n'est heureux que dans la mesure
où l'on rend heureux ! »
Quelle source pour qui veut vraiment
s'amuser !
- Une voix dans mon coeur s'éveille
- Pour me dire dès le matin
- Cherche ton Sauveur de la veille,
- C'est ton Sauveur du lendemain.
- Me voici, cherchant ta présence
- À l'instant où renaît le jour,
- Heureux de sentir l'existence
- Et de retrouver ton amour.
Les cloches appellent, cloches de nos vieux
temples ou cloches des petites églises de
campagne. Ces cloches disent : « Tu
as des soucis, des chagrins, des désirs, des
ambitions ; tu voudrais supprimer les uns,
réaliser les autres. Vois-tu, rien ne peut
se faire de bon sans le secours de Dieu. Tout au
fond de toi, ton âme a soif du Dieu vivant,
ne la tiens pas à l'écart de la
source. »
La table de famille attend : le couvert
est mis pour tous. Il y a déjà,
hélas, des places vides. Qu'au moins toutes
celles qui peuvent être occupées le
soient. Que le moins possible il faille que ceux
qui restent au foyer se mettent
à table sans toi, qui es à ton
plaisir personnel. Sais-tu la somme de beaux
souvenirs que représente ce mot :
être en famille, le dimanche, tous ensemble,
tant qu'on peut rester ensemble ?
Ce dimanche, dont tu pensais que ce serait
une longue journée monotone, parce que tu
n'avais rien projeté de
spécial ; ce dimanche commencé
au temple et terminé au foyer, comme il a
passé vite ! Comme il a
été beau, même par la
pluie !
Car le bonheur vient du dedans, et
d'en-haut.
Au début du mois de juin 1918, je me
trouvais en plein travail par une de ces
après-midi accablantes qui font de la
Champagne une fournaise blanche, un désert
étincelant. Les blessés
étaient nombreux et la plupart privés
de soins depuis plusieurs jours. La baraque qui
servait de salle d'opération était
surchauffée ; notre besogne
était pleine de tristesse ; le
démon de la guerre nous tenait sous son
genou.
Nous nous sentions accablés,
irrités, débordés par les
réalités immédiates. Entre
deux blessés, comme je savonnais mes gants,
je vis mon jeune camarade qui regardait au loin,
par la lucarne, et son regard était soudain
baigné de calme et de paix.
- Que contemplez-vous ? lui
dis-je.
- Oh ! rien, fit-il, mais je me repose
avec cette petite touffe de verdure qu'il y a
là-bas : elle me rafraîchit
bien !
GEORGES DUHAMEL.
Ce coin de lac, ce pan de montagne, cette terre
qui les sépare ou qui les réunit,
à qui sont-ils ? Qui les
possède ?
L'eau du lac ? Personne. Les couleurs
que le soleil y broie ? Personne. La
lumière qui les baigne ? Personne
encore.
Mais encore, à qui tout cela
appartient-il ?
À cette malade, qui le voit de son
lit, par-dessus toits et cheminées ; et
par-dessus ce paysage, le ciel, les nues, les
rayons, les
étoiles, les rideaux obscurs et pesants des
averses, qui se traînent au long de ce mur
derrière lequel se perd le soleil quand il
est fatigué d'éclairer ce coin de
pays.
À qui ces rayons et ces lignes, ces
teintes et ces nuances ?
À tous ceux qui, comme cette malade,
les conquièrent par le regard des yeux et de
l'âme, mettent en eux ces visions, peuplent
leur monde intérieur.
Ils seront éternellement pauvres et
dépouillés, ceux qui n'ont de terre
et de bien qu'au cadastre...
Qui possède ? Ceux qui
regardent, qui jouissent des beautés du
monde comme d'une propriété indivise,
inépuisablement riche,
éphémère et destructible, mais
toute chargée de promesses
éternelles.
Amassez-vous des trésors...
L. -S. P.
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