Dans un livre célèbre, Whymper, le
vainqueur du Cervin, a raconté à la
suite de quelles tentatives
répétées, de quels efforts
inouïs, il a enfin foulé la cime
vierge. Ces gens-là avaient des corps et des
caractères d'acier.
Mais ils avaient aussi des coeurs d'or.
Une des pages les plus attachantes est celle
où Whymper décrit un de ses
porteurs : Luc Meynet, un bossu, qu'il aimait
entre tous.
« Bien qu'il parût
construit de fragments dissemblables, dit-il, il
savait tirer parti de ses difformités
même. Il était, nous le
découvrîmes bientôt,
remarquablement doué ; et parmi les
habitants de la vallée nous eussions
trouvé peu de compagnons plus
agréables, et pas de plus agile grimpeur,
que le petit bossu du village de Breuil. Il se
montrait toujours le plus gai de
nous deux dans les passages difficiles ; et
dans les passages dangereux, il se donnait du coeur
en répétant :
« Après tout, on ne meurt qu'une
fois »... La première fois qu'il
arriva au col du Lion, et qu'il aperçut la
vue, il se jeta à genoux, joignit les mains,
et s'écria : « Oh mon
Dieu ! les belles
montagnes »
Nul besoin de s'appeler Whymper, ou
d'avoir été au Cervin pour avoir fait
les mêmes expériences. On sait bien
comment la moindre excursion peut être
embellie par un camarade aimé, et la plus
belle course gâtée par une seule
présence
désagréable...
Ainsi dans la vie. Tout dépend
des compagnons de voyage.
Or, quels ont été pour toi
les amis les plus précieux ?
Tu as pu être un moment
séduit par ceux ou celles qui t'avaient
introduit dans un monde douteux, dans des livres
pervers ou dans des conversations sales. C'est
savoureux, le fruit défendu ! Mais
là, tout au fond, étais-tu
heureux ?
Tu as pu rigoler avec des
farceurs ; c'est drôle un moment ;
mais ça fatigue vite. C'est énervant,
à la longue, les gens qui ne font que
rire !
Tu as pu être tout fier d'avoir
des amis huppés, et te rengorger en leur
compagnie ; mais s'ils n'étaient que
cela, tu auras fini par les trouver
pauvres...
Non, ce qui ensoleille l'existence,
c'est d'y rencontrer des êtres (riches ou
pauvres, bien faits ou bossus, peu importe),
à l'âme simple, au coeur
généreux, fidèle et
droit.
Choisis bien tes compagnons de route. Et
rappelle-toi aussi que « pour avoir des
amis, il faut en être un
soi-même ».
Au mois de janvier 1920 s'éteignait,
après onze mois de souffrances, un
étudiant en droit de l'Université de
Neuchâtel. Lieutenant de carabiniers, il
avait contracté la grippe au service
militaire. Puis il s'était guéri.
Puis il était retombé ; et la
tuberculose l'avait terrassé.. Quelque temps
après, dans un journal d'étudiants,
un de ses intimes lui rendait ce
témoignage.
Cet après-midi, je suis
allé sur la tombe de mon ami. Il y avait du
soleil. Plus loin que le lac, toutes les montagnes
s'éployaient en clarté. Je me suis
rappelé sa vie, ou plutôt (tant nos
vies pareilles ont été autrefois
mêlées), notre vie...
Dans sa chambre, nous avons vécu
de longues heures nocturnes, silencieux, ou
exprimant les mêmes espoirs ; nous y avons
été troublés par les
mêmes problèmes... Il était
plus âgé que moi, et son esprit me
fût un guide, souvent !
Nous avions pour notre lac le même
simple amour. Nous avons passé de douces
après-midi sur l'eau... Nous ne parlions
guère ; notre amitié alors,
n'avait plus besoin de
paroles ! je me souviens de ces heures comme
des meilleures que j'ai vécues.
Puis le hasard a séparé
nos vies.
Quand j'ai retrouvé mon ami, il
était malade... Pendant de longs mois, il
vécut dans une chambre d'hôpital
claire, d'où l'on voyait le paysage
d'arbres, de lac et de montagnes qu'il a toujours
aimé. Il semblait qu'il se
remît ; et à lui-même,
l'été apporta l'espérance
d'une guérison.
Vers l'automne, il se fit comme une
clarté dans son esprit. Il avait toujours
été sceptique ; sa philosophie
se résumait en le « Que
sais-je ? » de Montaigne. Un jour,
j'étais près de son lit ; nous
ne nous étions pas encore parlé. Il
souriait. Soudain il me dit : « Je
me suis converti. »
Sa vie, illuminée d'une foi
ardente, fut alors remplie de joies chaque jour
nouvelles. il voulait partager avec les autres
cette grâce, qui l'avait touché. Il
fut pendant les derniers mois de sa vie, comme une
lumière dans le triste hôpital. Il
connut le bonheur immense de faire le
bien...
Un jour d'hiver (la lampe était
allumée) comme j'étais près de
lui, il me sembla qu'il voulait dire les mots
définitifs. Il ne le put ; mais quand
je le quittai son sourire me
suivit jusqu'au seuil de cette chambre où il
mourait : un sourire sans tristesse. Mon
regard dut s'arracher au sien. En cet instant, je
connus la puissance de sa foi et l'assurance qu'il
avait d'une autre vie, vers laquelle il allait,
joyeux et paisible.
Je ne l'ai pas revu.
Ceux qui l'ont connu savent qu'il avait
une remarquable intelligence et une
singulière facilité à
comprendre toutes choses.
Ceux qui l'ont connu davantage ont senti
de quel prix était son amitié virile
et sa presque violente
sincérité.
Je me souviens simplement de lui, de sa
vie, de sa mort ; je me souviens qu'il fut mon
meilleur ami.
M. P.
Un ami, savez-vous ce que c'est ? C'est un
être qui ne doute jamais de vous, car la plus
grande injure qu'on puisse faire à un homme,
c'est de douter de lui.
Un ami, c'est un être qui ne vous
demande rien et qui est prêt à tout
vous donner.
Un ami, c'est un terre-neuve qui se
jette à l'eau pour vous repêcher.
C'est un chien qui saute à la gorge de ceux
qui vous attaquent.
Un ami, c'est un être clairvoyant
qui a le courage de vous dire : « Tu
fais mal ! ». Un ami, c'est un coeur
large qui oublie et qui pardonne.
Un ami, c'est un être qui se
compromet pour vous servir ; c'est la perle au
fond des mers.
Amis vivants, où
êtes-vous ? J'en connais un, moi. Je
dis : « Il me
suffit ».
O Christ aimé, tu ne trahis pas,
toi ! tu es sévère et
doux ; tu es bon à l'infini, tu
corriges et tu relèves. Tu n'as pas de
rancunes, tu es plus grand que nous, pauvres petits
êtres d'un jour qui rêvons
d'éternité et qui ne savons pas nous
aimer. Nous prenons nos passions terrestres pour de
l'amour, et notre amour égoïste pour
l'amour sans fond ni rives qui n'est qu'en
toi !
Le Père DIDON.
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