C'est pendant longtemps, des années de ma
vie, que j'ai cherché, mollement comme
quelqu'un qui ne pense pas trouver ; cette
parole bonne qu'il faut dire uniquement, en
répétant le coup joyeux le long du
jour, comme le forgeron sur l' enclume, monotone et
utile, bruit du travail et mot, et son qui
façonne les âmes, je la cherchais, et
je ne la trouvais pas parce que ce n'était
pas constamment, avec un coeur qui n'a plus que son
désir.
Dieu dit de chercher, non que l'on
puisse trouver, mais seulement pour qu'on
cherche ; et quand on trouve, il nous laisse
croire que c'est nous qui avons trouvé et ne
nous apprend pas tout de suite qu'il avance l'objet
sous notre main, et que, lorsque nous forons la
montagne, un peu à l'aventure, il a commencé le
tunnel
à l'autre bout pour que nous nous
rencontrions plus tôt dans la
lumière.
Alors j'ai trouvé, longtemps
après, ayant un peu cherché seulement
de temps en temps, - parce que Dieu continuait sans
s'interrompre de chercher, de me chercher, ne se
donnant nul repos, lui qui ne perd jamais rien de
vue.
J'ai trouvé ce seul mot tellement
clair et intelligent, centre des rayons qui sont
les vérités d'où sortent,
fulgurants, les éléments du vrai,
innombrables, et diversement dirigés, tandis
qu'il est le centre, isolé et relié,
j'ai trouvé que c'était l'amour.
C'est pourquoi je viens vous dire, ô hommes,
avec l'obstination de l'homme qui ne sait que cela
qu'il a trouvé dans son champ, que c'est
l'amour, l'amour qui est arrivé à son
heure, et que le blé jauni est l'amour,
prêt pour les faucilles, et que le son de
trompette prolongé jusqu'à toutes les
oreilles et l'air familier que reconnaîtront
ceux qui attendent le moment, mais qui ne veulent
partir que s'ils reconnaissent le signal, c'est
amour, l'amour, l'amour, et que cela viendra, comme
je vous le dis, peut-être plus tard que
demain, mais aussi sûr que demain.
Donner... se donner ! Toute la distance
entre les piétés stériles et
la foi chrétienne est dans ces deux
mots.
... Pour éclairer un peu ce grand
sujet, voici quelques images.
Prenons-en une d'abord dans le monde
inanimé.
Nous ne sommes pas des financiers ;
nous avons tous entendu pourtant une fois dans
notre vie, le mot « usufruit ».
Avoir l'usufruit d'une fortune, c'est pouvoir
utiliser les intérêts d'un capital
sans posséder le capital. Il arrive qu'un
vieil oncle, en mourant, lègue à la
Mission tout son avoir, réservant toutefois
à sa nièce l'usufruit de sa fortune.
Sa nièce pourra toucher
régulièrement, à la banque,
les rentes qui lui reviennent, mais il lui sera
toujours interdit de mettre la main sur le capital.
L'argent n'est pas à elle ; seuls les
intérêts lui appartiennent.
Il arrive par contre que tel parrain sans
descendance constitue sa filleule
héritière de ses biens. Alors tout
est à elle : le capital et les
intérêts ; elle en peut user
à son gré et sans
limites. La fortune est donnée dans son tout
avec ce qu'elle rapporte.
Une autre image, moins matérielle.
Voici venir l'automne. Un négociant qui n'a
pas de verger achète les fruits d'un pommier
chez le paysan son voisin. Les pommes sont à
lui ; l'arbre ne lui appartient pas. Il
pourrait ni le transplanter, ni le greffer, ni
l'abattre. Il a les fruits, c'est tout. L'arbre
n'est pas donné, il donne seulement ses
produits.
Le propriétaire de l'arbre, au
contraire, est le maître de la situation
absolument : de plante et récolte il
dispose en souverain.
Une dernière image enfin, plus proche
de nous.
Une jeune fille vient d'être
demandée en mariage. Attirée par une
situation qui s'annonce brillante, mais sans amour,
elle accepte et se fiance. Les fiançailles
sont l'occasion de jolies fêtes de
famille ; les jeunes gens, suivant la
tradition, se voient souvent, se promènent
au clair de lune, se font de gracieux cadeaux. il
apporte des fleurs ; elle brode un cosy pour
la théière... Ce sont des
fiancés modèles.
Est-ce bien sûr ? Non ! Tout
est là sauf l'essentiel. Oui, ils se
comblent d'attentions, mais ces attentions
mêmes ont quelque chose d'offensant et de
faux, car ils ne se sont pas donnés l'un
à l'autre, chacune réserve son
coeur : ils ne s'aiment pas.
Et ce mariage de raison, qui peut avoir
toutes les apparences favorables, être
assorti et correct, ce mariage ne sera pas heureux,
ce mariage est une affaire ou un arrangement
mondain. Tout est donné entre les
époux, sauf le coeur.
Ai-je besoin, par contraste, de vous
décrire les vraies, les pures
fiançailles, celles où les coeurs se
donnent sans partage ? S'informe-t-on alors si
les fortunes sont grandes, si les conventions sont
ménagées ? Eh ! non,
qu'importent toutes ces questions
accessoires ; les fiancés
s'aiment ; cet amour fait leur bonheur :
le reste est secondaire ou suivra de
soi-même.
Vous avez compris ces images transparentes.
Il y a une piété qui offre
à Dieu l'usufruit du vivant capital que
constitue notre personnalité ; il y a,
au contraire, une foi joyeuse qui lui donne le
capital et tous ses intérêts.
Il y a une religion qui consent à
céder à Dieu les fruits de cet arbre
qu'est notre coeur, mais qui refuse l'arbre porteur
des fruits. Il y a, par contraste un libre culte
qui donne la racine, le tronc, les branches et les
fruits.
Il y a un formalisme qui croit pouvoir
conclure avec Dieu - si vous permettez cette
expression risquée - une espèce de
mariage de raison sans amour. Il y a par contre une
sainte ferveur qui unit le coeur du Créateur
au coeur racheté de sa créature.
Il y a une piété qui
donne ; il y a une foi qui se donne.
FRANZ BURNAND.
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