Ta vie n'est pas faite que de crises, elle est
faite surtout de devoirs réguliers, de
tentations renouvelées, de victoires
à remporter chaque jour. Comment faut-il s'y
prendre ?
D'abord prendre le temps, quelques
minutes au moins chaque jour, une heure le
dimanche. Choisir le moment le plus favorable, si
possible dès le début de la
journée. Aller dans sa chambre, si on a le
privilège d'en avoir une. Sinon, se chercher
un coin tranquille, peut-être dans la grange,
ou dans la belle nature, ou au galetas,
qu'importe ? Un jeune garçon n'a-t-il
pas trouvé pour se recueillir le seul
endroit où on le laissait tranquille, un
« boiton » vide ?
Tu ouvres ta Bible et tu lis quelques
versets. Tu auras soin de te procurer un de ces
calendriers de lectures bibliques qu'on distribue
dans toutes nos paroisses. Tu
auras aussi des versets à toi, ceux que tu
as soulignés et qui te rappellent une date
de ta vie. Tu lis lentement, à demi-voix,
pour que les paroles résonnent jusque dans
ta conscience et dans ton coeur. Car tu sais que
Dieu a quelque chose à te dire, aujourd'hui,
par sa Parole. Tu sais aussi qu'en ce moment
même, beaucoup lisent la Bible, dans toutes
les langues du monde. Tu t'enveloppes de cette
présence invisible des croyants, et de cette
présence divine. Tu écoutes quelqu'un
qui veut te parler, tu luttes contre ce qui te
distrait... et Jésus est là,
près de toi.
Il te montre deux tableaux :
l'image de ce que tu es, et l'image de ce que tu
dois être. Tu traces un parallèle
entre ce que tu as dit et fait le jour
précédent, et ce que tu aurais pu et
aurais dû dire et faire. Tu seras chaque jour
humilié par ta laideur, ton
égoïsme, ton orgueil, et tu seras en
même temps ému et soulevé par
la beauté de ta vision : ce que je dois
devenir. Tout naturellement tu commenceras à
prier : « Seigneur, prends-moi tel
que je suis, et rends-moi tel que je dois
être ! » C'était la
prière de la femme de David
Livingstone.
À cette lumière, tu
envisages les devoirs du jour, la tâche
à faire, les êtres à aimer. Tu
pries pour toi, et tu pries pour eux. Tu racontes
au Père, en pensant qu'Il est un Père
auquel on peut tout dire, tes pensées, tes projets,
et comme tu es
égoïste, sensuel, faible, malheureux.
Tu n'auras pas peur de demander les choses les plus
petites, et les choses matérielles, la
santé, les ressources pécuniaires, la
mémoire, le chemin à suivre. Dieu se
charge de faire le triage, et il donne toujours
tout ce qu'il faut pour notre âme. Surtout,
si, t'oubliant toi-même, tu demandes pour les
autres ; si, demandant pour toi, tu penses
toujours à ce qui, en toi, pourra servir aux
autres.
Après cela, va à ta
journée. Je te promets qu'elle sera bonne.
Le Dieu que tu auras cherché sera avec toi.
Une présence invisible t'accompagnera. Au
milieu du brouhaha de la vie, tu resteras
recueilli, tranquille, en pleine possession de toi.
On le sentira à toute ta manière
d'être, on le verra dans ton regard. Tu seras
un appui pour les tiens, un fort pour soutenir les
faibles, une lumière pour celui dont la
route croisera la tienne.
Le légionnaire Froidevaux,
empoisonné au Tonkin par une piqûre
d'épine, couché depuis par dizaines
de fois sur la table d'opération,
amputé peu a peu de ses membres,
était arrivé aux confins du
désespoir.
... Un soir, que je me trouvais plus
malheureux que jamais et que je regardais fixement
devant moi, je vis très nettement une croix
lumineuse dessinée sur le noir de la paroi.
Ayant détourné les yeux, je regardai
de nouveau : la croix était encore
là, aussi brillante. Je fus si saisi que je
dis à haute voix :
« Allons ! pas de bourrage de
crâne ! » Cependant j'avais vu
juste et je voyais encore. Peu à peu, la
croix s'effaça.
Cette apparition, que je ne veux pas
essayer d'expliquer, de discuter, me calma
beaucoup. Alors que je me trouvais
abandonné, couché dans le
néant, l'esprit écorché vif,
quelque chose avait pénétré
dans ma chambre, une force très douce qui
peu à peu m'enveloppait. Sans
réfléchir, sans me débattre,
je me laissai aller. Et cette nuit-là, je
dormis comme rarement.
Et le lendemain matin, tout
naturellement, pour m'évader de mon abandon,
conseillé par mon père, je récitai les
prières de mon enfance. Mais ça ne me
suffisait pas. J'essayai d'une prière
directe, inventée par moi, poussée
dehors par ma sincérité du moment, et
je demandai à Dieu de me tirer de cette
terrible situation, de se tenir près de moi
dans mon abandon. Il le fit presque
immédiatement parce que je l'avais
demandé avec une foi inouïe, celle du
noyé qui regarde l'homme qui pourrait lui
tendre la main.
Dans la suite, pourtant, je
réfléchis à ce qui
m'était arrivé et j'arrivai à
établir la logique des choses. La mort de
Jésus, sur la croix, fut glorieuse et
surtout lumineuse puisqu'elle resplendit depuis ce
moment sur la terre. Sans quoi, est-ce qu'il y
aurait encore beaucoup de croyants ? Or,
depuis deux mille ans, il y en a. Et j'en avais vu
un, mon père, qui souriait malgré son
cancer.
Jour après jour il se fit un
grand apaisement en moi, un grand repos. Je ne me
sentais plus seul. Et je n'avais pas besoin de me
raisonner. C'était comme ça. Alors je
me dis : « Essaie
d'écrire ». J'avais un crayon
à ma portée et un bout de ficelle. Je
commençai par m'attacher ce crayon au
poignet droit en m'aidant de la bouche et de la
main gauche où restait donc un
cinquième de pouce. Comme j'ai béni
ce moignon ! Le crayon attaché, je
traçai des traits sur un journal, puis je
tentai d'écrire mon nom. Après un quart d'heure je
contemplai
le
résultat : oh ! rien de la
calligraphie, des lettres tourmentées,
rondes ou aplaties, mais on pouvait lire. Alors
j'attaquai une petite phrase où je voulais
exprimer ma reconnaissance.
Après une heure d'efforts, je pus
lire : « Jésus est mon
Sauveur. » À ce moment un fleuve
de joie coula dans mon coeur.
Seigneur, dans la simplicité de mon
coeur, je m'offre à toi aujourd'hui pour te
servir et pour t'obéir.
Daigne m'accepter pour l'amour de ce
sacrifice qui a consommé mon salut et le
salut de tout le peuple.
Seigneur, tous les péchés que
j'ai commis devant toi depuis le jour ou j'ai
commencé à pécher
jusqu'à cette heure, je te les offre sur
l'autel de la croix.
Tous ces péchés, je les
regrette vivement, je suis décidé
à ne plus les commettre... Je me confie en
ta miséricorde je me remets entre tes mains.
Je t'offre aussi toutes mes oeuvres, pauvres
et imparfaites, afin qu'en les épurant et en
les sanctifiant, tu les aies pour agréables,
et qu'en me rendant meilleur, tu me conduises
à une heureuse fin.
Je t'offre aussi les besoins de mes parents,
de mes amis, de tous ceux qui me sont chers, de
tous ceux qui ont rendu à moi ou à
d'autres quelque service à cause de ton
amour, de tous ceux enfin qui se sont
recommandés mes prières.
Je te prie principalement pour ceux qui
m'ont offensé en quelque chose, qui m'ont
affligé, qui m'ont blâmé, qui
m'ont causé quelque tort ou quelque peine.
Je te prie enfin pour tous ceux que j'ai pu
troubler, affliger, scandaliser, le sachant ou sans
le savoir, afin que tu nous pardonnes à
tous.
Ôte, Seigneur, de nos coeurs, le
soupçon, l'amertume, la colère, tout
ce qui divise, tout ce qui pourrait blesser la
charité et diminuer l'amour fraternel.
Du journal intime du lieutenant Raymond de
Perrot, tombé au Maroc.
Nif, Aderj, 17 mai 1925. - La question
est simple. Suis-je prêt à renoncer au
monde et à vivre pour Dieu ; ou vais-je
continuer à me laisser dominer par
l'ambition mesquine ?
Je viens de passer deux journées
mauvaises ; il faut que Dieu me terrasse. Il
est 4 h. 25 du soir. J'ai jusqu'à minuit
pour voir clair.
QUI est-ce que renoncer au monde et
vivre pour Dieu ?
Dans ma vie privée, c'est me
recueillir et prier jusqu'à ce que
l'impulsion de Dieu soit ressentie.
Rechercher les idées-force de la
Bible.
Voir dans chaque tentation une occasion
d'intercession. Chasser Satan dans toutes ses
suggestions mauvaises.
Renoncer dans tous mes actes et toutes
mes pensées à tout entraînement
vers la sensualité.
C'est accepter Dieu comme maître
absolu, lui abandonner la direction totale de ma
vie. Ce n'estpas à moi
à me tracer un plan d'avenir, je n'ai
qu'à accepter celui de Dieu.
Dans ma vie sociale : vivre pour
les autres, pour mes hommes, pour mes camarades,
pour mes chefs, afin de les rendre plus heureux et
meilleurs.
Mon but doit être de me
perfectionner, afin d'être entre les mains de
Dieu un instrument plus utile.
7 h. 20. Il faut que je sois
brisé ! J'ai été
jusqu'ici un égoïste et un ambitieux.
Dieu, qui le sait, ne peut que me
mépriser.
8 h. 15. Le moment de choisir est
arrivé : ou bien tomber de chute en
chute, en voulant lutter par mes propres forces, ou
me jeter dans tes bras, mon Dieu, pour te supplier
de me prendre pour ton enfant.
Je reconnais ma misère, mon
impuissance. Je te demande pardon. Pour combien de
lâchetés, mon Dieu, n'ai-je pas
à te demander pardon ?
Il faut que Christ, qui a souffert,
intercède pour moi, afin que sa souffrance
puisse racheter mes fautes.
8 h. 45. Ne suis-je pas capable de
lutter avec Dieu jusqu'à
minuit ?
9 h. 05. J'ai trois heures devant moi.
Aide-moi à réaliser la grandeur du
don que tu me fais en effaçant mes
fautes.
Aide-moi à me préparer
à ma tâche qui est celle d'un disciple
de Christ.
10 h. 15. Dieu m'accorde son alliance.
Le mal ne me tente plus. Je suis un chevalier du
Christ.
11 h. 40. Et maintenant, à
l'oeuvre ! Vie mystique. Vie d'étude.
Vie de réalisation sociale.
Minuit. Mon Dieu, merci de m'avoir
pardonné !
Dieu veut le bien, tout le bien, rien que le
bien, toujours le bien ; par conséquent
il veut notre bien, il nous aime. De quelque
manière que ma constitution mentale se soit
formée, elle m'oblige à chercher dans
le bien moral la dernière raison de
l'existence, ce qui revient à penser que
Dieu m'aime. Je sais qu'il est parce que je sais
que j'en suis aimé, je ne subsiste que par
cet amour.
Dans ses pages les moins oubliées,
Théodore Jouffroy retrace avec une
éloquence un peu voulue la nuit où
s'écroulèrent les croyances de sa
jeunesse. Si j'ai quelquefois envié ce don
d'éloquence, c'eût été
pour fixer l'instant où, dans une
soirée d'hiver, sur la
terrasse d'une vieille église, je sentis
entrer en moi, avec le rayon d'une étoile,
l'intelligence de cet amour. Il y a bien cinquante
ans de cela, car mon foyer n'était pas
fondé. Je rentrai chez moi avec quelque
hâte, j'essayai de me concentrer et d'adorer.
Pressé de traduire l'impression reçue
en pensées distinctes, j'écrivis avec
une impétuosité que j'ignorais et qui
n'est jamais revenue ; je m'efforçai de
graver l'éclair sur des pages que je n'ai
jamais relues. Je crois que le cahier qui les
renferme existe encore, mais je n'oserais l'ouvrir,
certain que l'écart serait trop grand entre
la lumière aperçue et les mots
tracés alors par la plume.
Depuis ce moment, j'ai vécu, j'ai
souffert, j'ai eu des torts dont le souvenir me
laboure, j'ai essayé de bâtir des
systèmes ; les motifs de nier ont
passé sur mon âme, j'ai vu les
difficultés se dresser l'une sur l'autre,
j'ai compris que je n'avais réponse à
rien, mais je n'ai jamais douté.
L'évidence du contact prévaut sur
tous les raisonnements, sur tous les spectacles,
sur toutes les fautes.
Nous sommes aimés, Dieu nous veut
quand même je le crois quand même,
c'est bien le moins !
CH. SECRÉTAN.
Chapitre précédent | Table des matières | Chapitre suivant |