L'autre jour, en passant sur un de ces champs de
foire où l'on organise de si beaux vacarmes,
j'ai vu ceci : Un petit jeune homme aux traits
fins, aux cheveux bouclés, faisant partie
sans doute d'une famille de forains, et
rentré pour les vacances dans la roulotte
paternelle, se tenait accroupi sur un pliant, les
coudes sur les genoux, les pouces dans les
oreilles, les yeux plongés dans un
livre.
À droite, criait un
bateleur ; à gauche, ronflait un
trombone ; une grosse caisse battait son
plein, plusieurs orgues rivalisaient sur des airs
différents. Des chiens aboyaient, des
passants chantaient, criaient, se
battaient.
Le petit, lui, restait
imperturbable !
Longtemps je le regardai. Il
m'apparut comme un symbole. Si
l'on veut arriver maintenant à se recueillir
c'est un peu comme lui qu'il faudra s'y
prendre.
Imitons ce vaillant enfant, qui,
à force de volonté,
établissait le silence en plein tumulte.
CH. WAGNER.
L'âme humaine est semblable à ce
grand vaisseau que portent les flots.
Toute une partie du navire
émerge ; c'est celle du pont, des
cheminées, de la mâture. L'autre
plonge dans l'eau. Elle contient les machines, le
charbon, les vivres, les marchandises, les
richesses. Située au-dessous de la ligne de
flottaison, elle est invisible.
Or il importe que le capitaine la surveille
avant tout. Car c'est d'elle que dépend la
sécurité du navire. Il vaut ce
qu'elle vaut. Le sous-marin qui rôde pour le
détruire cherche à l'atteindre, et
à y provoquer la fissure par où l'eau
s'engouffrera dans ses flancs, éteindra les
feux de ses machines, et le fera sombrer.
Insensé serait le capitaine qui
surveillerait et soignerait avant
tout ce qui se voit de son bateau, et n'aurait que
la préoccupation de le voir briller au
soleil.
Insensé, de même, celui qui ne
soigne, de sa vie, que ce que les hommes en
aperçoivent, les actes et les paroles, et
qui ne prend pas un soin constant, n'exerce pas une
surveillance assidue sur ses pensées
secrètes, ses sentiments intimes, les
désirs de son coeur.
Si tu ne veux pas faire naufrage, veille sur
ce que les hommes ne voient pas ; entretiens
de pensées nobles et de visions pures le
foyer caché de ta vie. « Garde ton
coeur plus que toute autre chose, car c'est de lui
que procèdent les sources de la
vie. »
Quelle activité dévorante,
partout, dans les beaux jours
d'été ! Comme il est
affairé, dans l'air, le monde des
oiseaux ! À nos pieds, la fourmi court
à son travail. Dans les champs, des chars,
des chevaux, des mouchoirs rouges, des
râteaux qui se dépêchent, des
fourches que l'on brandit... Je voudrais chanter un
hymne au travail fidèle, fécond,
divin !
Pourtant, dans le grand livre de la nature
sans cesse ouvert devant nous pour notre
instruction, je lis une leçon suggestive et
salutaire.
Tu vois ce faucheur si pressé,
pendant que le beau temps dure, d'abattre les rangs
serrés de l'herbe bariolée ?
À chaque instant, il s'arrête :
il a besoin d'aiguiser sa faux. - Sur ce pommier,
tout près, un pinson fait de
même ; il a picoré sur la route,
il a fait toc toc contre les troncs :
maintenant, prenant une branche comme molette, le
voici qui s'appointit à nouveau le bec. -
Même cette automobile « dernier
cri » qui vient de passer sur la route
dans un nuage de poussière malodorante,
regarde, elle a dû s'arrêter au
village : sans provision nouvelle de benzine,
elle n'aurait pu aller plus loin.
- L'églantine si joliment piquée dans
la haie a eu sa robe toute
empoussiérée ; elle est
fatiguée du reste d'avoir ouvert toute la
journée ses yeux tout grands ; pendant
que le soleil baisse sur le Jura, elle se
ferme ; demain, dès l'aube, toute
réconfortée et rafraîchie par
la nuit et la rosée, elle se rouvrira et
recommencera à nous embaumer et à
nous réjouir...
Crois-moi, travailleur actif et
consciencieux, ton âme aussi, chaque jour
s'use et s'épuise. Dans la fièvre et
la fatigue du devoir journalier, au frottement de
la vie, dans le contact de mauvais ou
d'indifférents, dans la lutte pour surmonter
les obstacles du dehors et les tentations du
dedans, le fourreau use la lame ; les bonnes
dispositions fléchissent, la volonté
se détend, l'humeur s'aigrit, la
fidélité à Dieu s'entame.
Un grand penseur a dit que notre monde
mourait de ne savoir pas faire silence. À
chaque andain, si tu ne veux pas t'agiter beaucoup
pour n'avancer à rien, il te faut aiguiser
à nouveau ton âme. À chaque
étape, il te faut faire une provision
nouvelle d'esprit. Sinon, au milieu de tout ce qui
vit, sert, court au but, tu resteras en
panne ; et tu auras manqué ta vie.
Pour pouvoir vivre, il faut prendre le temps de
se nourrir. Notre âme ne vivra que si nous
lui donnons le temps d'assimiler la force de
Dieu.
Pour vivre une vie qui vaille la peine
d'être vécue, qui ne soit pas le long
bâillement de l'égoïste, il faut
se donner. Mais pour se donner, il faut d'abord se
posséder.
Pour te posséder, tu dois apprendre
à rentrer en toi-même. Est-ce donc que
nous sortons de nous-mêmes ?
Constamment. Notre personnalité est double,
il y a en nous quelqu'un qui veut vivre et qu'il
faut faire mourir, quelqu'un qui est
égoïste, sensuel, buveur, menteur,
paresseux, ... et quelqu'un d'autre qui est plus
profond et qui est vraiment nous. C'est ce meilleur
toi-même que tu retrouves chaque fois que tu
te recueilles. Prends garde de le perdre, et de
laisser l'autre, le mauvais, prendre le dessus. En
te recueillant tu reprends contact avec toi, et
avec Celui qui est en toi, et qui te veut, ton
Sauveur.
Il y a deux sortes de recueillement :
celui qui nous est nécessaire dans les
grandes crises de notre vie, quand nous devons
prendre
une
décision qui influencera toute notre
carrière. Et puis le recueillement quotidien
où se renouvelle le contact avec Dieu.
Du premier, je t'apporte deux
exemples :
Comment Louis s'est
recueilli.
Le meunier arrêta son char devant la
maisonnette de Jeanne :
« Voilà votre garçon,
cria-t-il, je vous l'ai fourré là,
sur mes sacs ; essayez voir de lui faire
chanter des psaumes, à
présent ! » Il tira par les
bras un grand garçon en habit militaire,
qui, une fois par terre, se mit droit comme il put.
C'était Louis, le fils de Jeanne. Il fit
deux ou trois pas en chancelant, rencontra le
visage de sa mère, vit deux grosses larmes
qui coulaient, silencieuses, sur ses joues
pâles, la regarda tout interdit, puis fut se
jeter sur son lit... Le lendemain, Louis se
réveilla, entendant un bruit de voix de
l'autre côté de la paroi.
C'était sa mère qui priait .....
Alors, si le soleil eût
éclairé la chambre de Louis, on
eût pu voir se redresser un jeune homme
très grand, très pâle, le front
sincère, et les yeux résolus. Il
passa ses habits ordinaires, et descendit sans
bruit l'escalier. Il alla chercher dans le fouillis
des haies un abri plein de fraîcheur,
écarta les branches, pénétra
dans le fourré, retira son
bonnet et se tint debout le front
découvert :
« Mon Dieu, dit-il, j'ai mal
fait ! »
Puis il resta silencieux. D'une voix plus
basse, il reprit : « J'ai
été
lâche ! »
Puis il releva la tête, il regarda le
ciel, il le regarda d'un oeil loyal et confiant, et
s'écria : « Mon Dieu, je veux
marcher avec toi ! »
Son front rayonnait, et une telle joie
emplit son coeur qu'il serra ses deux mains dessus
avec force, comme pour le contenir. Sa
résolution était
arrêtée. Il avait plongé dans
la boue, la boue l'avait souillé, il la
méprisait, elle lui soulevait le coeur. Et
son âme, qui avait senti la honte, savourait
le bonheur d'un parti-pris loyal, sans faiblesse et
sans retour. Il remonta le chemin creux, d'un pas
ferme, la tête haute, le front radieux. En
rentrant, il vit sa mère, marcha vers elle,
lui prit les deux mains, et, la regardant bien en
face
« Mère, fit-il, j'ai
compris ! .... »
(D'après un récit de Mme de Gasparin.)
Avez-vous compris comment une heure de
recueillement peut transformer toute une vie ?
La Bible nous raconte que le fils prodigue
« rentra en lui-même »...
et dit : « Je me lèverai,
j'irai vers mon père, et je lui dirai :
j'ai péché ! », et que
Pierre, dans le jardin du grand-prêtre,
« pleura amèrement ».
Votre vie peut dépendre d'une heure
semblable.
Le recueillement dans la
souffrance.
Le chagrin d'Halfdan était immense.
Sa fiancée l'avait abandonné. Un jour
et une nuit, il s'enferma dans sa chambre, avec une
expression dans la figure telle que sa soeur
n'aurait pas osé le laisser seul, si elle
n'avait pas su avec qui il s'enfermait. Toute la
nuit, elle l'entendit aller et venir, ou s'asseoir
lourdement.
Le matin, il entra vers elle, pâle, et
lui dit : « je porterai ma croix et
je vivrai. Ce qui doit être porté peut
être porté : Il faut que je monte
plus haut ! » Dès ce jour, il
se remit au travail comme si rien ne s'était
passé.
I. M. SICK.
La Bible nous parle de Marie, qui pleurait sur une tombe le matin de Pâques, qui rencontra son Sauveur et lui dit : « Mon Maître ! » Sa vie en fut transformée.
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