On raconte que le pape Grégoire disait un
jour à Thomas d'Aquin : L'Eglise ne
peut plus dire : « Je n'ai ni
argent, ni or, » et que celui-ci lui
répondit aussitôt : Elle ne peut
plus dire non plus : « Au nom de
Jésus-Christ de Nazareth, lève-toi et
marche. »
(Act.
3 : 6). Cette
réponse pleine de sagesse doit nous faire,
réfléchir. Plus les richesses
augmentent, plus aussi diminue cette étroite
dépendance de Dieu qui produit en nous la
foi et la confiance habituelles. C'est quand nous
sommes réduits à
l'extrémité que la bonté de
Dieu nous ouvre ses trésors ; c'est
quand nous n'avons plus rien, que nous trouvons la
clef qui nous permet d'entrer et, de prendre
possession de tout ce qui est à nous en
Christ.
De notre temps l'Eglise jouit d'une
grande prospérité au point de vue
terrestre, « elle est riche, elle s'est
enrichie »
(Apo.
3 : 17), il est donc
à craindre quelle ne dise
aussi : « Je n'ai besoin de
rien. »
(Apo.
3: 17). Nous vivons dans un
temps où il n'est guère permis
d'attendre de très grands triomphes de foi
et d'intercession. Tout chrétien sait par
expérience quelle différence il y a
entre réciter des prières et crier
à Dieu pour être secouru dans la
détresse ; il en est de même pour
l'Eglise ; la prospérité,
l'absence de persécutions et d'autres
épreuves sont pour elle des causes
d'affaiblissement et de langueur. On ne prie pas
à présent comme priaient jadis les
apôtres, les martyrs et les
réformateurs parce qu'on ne se sent pas
comme eux pressé par l'ennemi et sans autre
ressource que Dieu ; par conséquent on
ne reçoit pas non plus les réponses
qu'ils obtenaient de Dieu.
Ceci doit nous rendre prudents. Ne
demandons pas trop des chrétiens
d'aujourd'hui quant à la guérison
divine. Quand il s'agit de Dieu, nous ne saurions
trop demander et trop attendre de lui ; mais
quand il s'agit d'hommes encore faibles et
hésitants, il ne faut pas être trop
exigeant, car leur foi quant à la
guérison divine ne saurait s'élever
au-delà du niveau général de
la foi de l'Eglise. Il se fait beaucoup de
prières de nos jours, prières
liturgiques, prières d'abondance, prières
à l'église et prières en
famille, mais où sont les chrétiens
qui puissent se souvenir de réponses
directes et précises accordées
à leurs requêtes ? De tous ceux
qui heurtent chaque jour à la porte du ciel,
combien s'en trouve-t-il qui sachent attendre et
veiller jusqu'à ce que la porte s'ouvre et
que la grâce demandée leur soit
accordée ?
On ne peut raisonnablement pas attendre
de ceux qui ne connaissent pas l'efficace de la
prière pour d'autres choses, qu'ils puissent
user tout à coup de « la
prière de la foi qui sauve le
malade. »
(Jac.
5: 15.) À l'école
de Dieu, comme dans les écoles de la terre,
les élèves ne peuvent pas atteindre
aux grades les plus élevés avant
d'avoir passé par les premiers degrés
de la foi, mais si l'Eglise entière en
venait à saisir cette grâce avec
l'assurance d'une ferme conviction, nous verrions
des choses merveilleuses. En attendant qu'elle le
puisse, ne nous laissons pas aller à douter
parce que les victoires obtenues sont encore rares
et clairsemées. Prions le Seigneur de
vouloir bien rendre à son Église les
premiers dons d'autrefois en la ramenant à
son premier état de détachement du
monde, d'humilité et de consécration
à Dieu. Quand l'un des organes du corps est faible
ou
malade, le vrai moyen de le rétablir est de
fortifier le corps entier, de le ramener ainsi
à la santé normale ; de
même pour le corps de Christ :
dès qu'il reprendra vie par l'effusion de
nouvelles grâces spirituelles, les dons de
guérison ne tarderont pas à se
répandre partout.
En traitant cette question, gardons-nous
aussi de tomber dans l'hérésie. Ainsi
que l'a dit un auteur chrétien, le mot
hérésie signifie l'acte de diviser et
choisir, d'adopter et de soutenir une partie
seulement de la vérité à
l'exclusion de l'autre côté de la
question. Toute doctrine a deux faces à
considérer. Quelle que soit celle qui
s'impose à notre attention, nous devons nous
souvenir de sa contre-partie, afin de ne pas faire
pencher la balance d'un seul côté. En
ceci, comme dans tout ce qui concerne la
prière, la liberté de l'homme et la
souveraine puissance de Dieu se trouvent
inséparablement réunies. Voici donc
quelles sont les deux faces de cette
doctrine :
« Demandez ce que vous voudrez
et cela vous sera accordé. »
(Jean
15 : 7).
« Si nous demandons quelque
chose selon sa volonté, il nous
écoute. »
(1
Jean 5 : 14).
En croyant à la doctrine de la souveraineté
de Dieu,
n'oublions jamais le privilège qui nous a
été accordé de
présenter à Dieu nos requêtes
avec la pleine et entière assurance qu'il
nous exaucera selon cette promesse :
« Tout ce que vous demanderez au
Père en mon nom, je le ferai. »
(Jean
14 : 13). Nous ne saurions
trop appuyer nos prières de cette promesse,
mais n'oublions pas que toujours nos requêtes
doivent être accompagnées de cette
pensée : « Que ta
volonté soit faite. »
(Mat.
26 : 42). Sans doute il y
a là une contradiction apparente, un
mystère que la sagesse humaine n'a pas pu
trancher ; mais puisque ces deux faces de la
vérité se trouvent clairement
signalées dans la Bible, nous devons les
respecter toutes deux également. Soyons donc
très prudent, ne parlons pas
étourdiment de la doctrine de la
guérison divine ; et quand on nous
apprend la maladie d'un membre de l'Eglise, ne nous
hâtons pas d'assurer qu'il sera guéri
dès qu'on remettra son cas au
Seigneur.
Ne perdons pas de vue Malte et Milet,
nous souvenant qu'à Malte, Paul
guérit par ses prières le père
de Publius, tandis qu'à Milet, il laissa
Trophime malade. Quelques commentateurs ont voulu
voir dans cette maladie le moyen de
préserver Trophime du martyre qu'il aurait
probablement eu à subir en accompagnant
Paul. Quoi qu'il en soit de cette conjecture, Dieu
avait sans douté quelque bonne raison pour
arrêter ainsi le compagnon de Paul. Laissons
le Dieu tout sage, auteur de notre vie, se servir
de la maladie, s'il le veut, comme d'un moyen pour
nous amener à le servir mieux et à
lui rendre gloire, et gardons-nous de vouloir faire
prévaloir la volonté humaine sur la
volonté divine, de tomber ainsi dans
l'hérésie de l'arbitraire.
Ne faisons pas non plus dans le sens
opposé ce que font ceux qui tombent dans
l'autre extrême en insistant si bien sur la
souveraineté de Dieu qu'ils n'admettent pas
que l'homme puisse avoir la liberté de
demander et d'attendre un miracle de
guérison. Ils vont même si loin qu'ils
fixent des bornes infranchissables à la
souveraineté de Dieu, ne lui laissant plus
la liberté de faire actuellement des
miracles, comme si sa toute-puissance avait
dû se restreindre pour cela au temps des
apôtres. Ceci nous paraît être
une erreur plus fâcheuse encore que l'autre,
puisqu'il s'agit là non plus de limiter la
liberté de prière de l'homme, mais de
limiter la liberté d'action de Dieu. Il a
parudernièrement dans nos
journaux religieux des récits de
délivrances frappantes qui ont
soulevé une forte opposition quant à
la possibilité d'admettre l'intervention
miraculeuse de notre temps. On a même
traité de grossière superstition la
tentative d'appliquer la simple promesse de saint
Jacques à notre temps et à nos
circonstances actuelles. Les prédicateurs
évangéliques qui parlent dans ce sens
assument une grande responsabilité, car
c'est ouvrir la porte à toute
négation du surnaturel.
L'incrédulité croissante de notre
siècle ne tardera pas à s'en
prévaloir pour passer de là aux
abîmes du scepticisme.
Ah ! mais n'est-ce pas vous,
s'écrie-t-on, qui nous poussez à
l'incrédulité en nous
présentant des promesses qui ne pourront
produire que déception et faire ainsi douter
de la Parole de Dieu. C'est là une objection
dont on pourrait s'armer pour combattre tout ce qui
concerne la prière. Tenons-nous en donc
à signaler toutes les promesses que Dieu
à faites, mais abstenons-nous de les
surcharger de nos propres appréciations. Si
notre fidèle attachement à ces
promesses devait provoquer de
l'incrédulité chez quelqu'un, c'est
sur le Seigneur qu'en retombera la
responsabilité, puisque c'est lui qui a fait les
promesses, tandis que
si
nous les réfutons au lieu de les accueillir,
c'est sur nous-mêmes que retombe la
responsabilité, et les conséquences
ne tarderont pas à s'en faire
sentir.
Cherchons donc à éviter
l'hérésie en conservant un juste
équilibre entre ces deux
éléments de la prière :
Croire aux promesses et à la réponse
de Dieu, mais les réclamer avec soumission
à la volonté divine ; se
souvenir de ces mots : « Ainsi parle
l'Éternel, » aussi bien que de
ceux-ci : « La volonté de
Dieu soit faite. »
Soyons attentifs aussi à ne pas
tomber dans le fanatisme en fait de guérison
divine. Comme nous l'avons déjà dit,
le fanatisme n'est pas nécessairement le
signe de l'erreur ; souvent même il est
un indice de vie religieuse plus encore qu'un
symptôme fâcheux. Comme un accès
de fièvre, il vient révéler
à l'Eglise le besoin de guérison dans
quelque partie avariée du corps de la
doctrine. Quoi qu'il en soit, ce fanatisme doit
être ramené à l'ordre, de peur
que la vérité n'ait à souffrir
de justes reproches; et c'est dans ce
domaine-là en particulier qu'il faut
chercher à les éviter.
Plus encore que pour d'autres points de doctrine,
le zèle doit
être ici tempéré par la
connaissance. Les novices, enflés d'orgueil,
s'emparent vivement de cette doctrine, et avec
l'enthousiasme que provoque la découverte de
quelque ancienne vérité longtemps
négligée, ils font parade de leur foi
d'une manière extravagante, tandis que rien
ne demande plus de réserve et de calme que
cette vérité-là.
Vouloir l'imposer à des
âmes sans foi et sans instruction à
cet égard, c'est l'exposer au mépris.
Ceux qui ont le plus d'expérience en ceci
n'en parlent qu'avec sagesse et réserve,
sans ostentation ; mais ceux qui parlent
à tout propos de cette doctrine, la criant
sur les toits, montrent clairement qu'ils sont
incapables d'en user. Il y a donc là un
sérieux écueil à
éviter ; mais toujours la
vérité a couru de semblables dangers.
La tradition aride et morte en est seule à
l'abri.
Que tous ceux donc qui désirent
de voir triompher la parole de Dieu se souviennent
de prier beaucoup et d'argumenter peu. Qu'ils
demandent à Dieu d'envoyer son Esprit, seul
révélateur des choses profondes, pour
enseigner à l'Eglise quelle est sa
volonté divine à cet égard, et
qu'ils se gardent bien d'exercer ce
ministère avec une ardeur présomptueuse. Nous
sommes convaincus qu'il n'y a pas de question plus
difficile à élucider. Si donc
quelqu'un désire sincèrement
être employé par le Seigneur dans
cette direction, qu'il commence par se laisser
instruire par Dieu lui-même. Aucune
école sur la terre n'a le pouvoir de
conférer ni grade, ni doctorat à cet
égard ; aussi n'adressons-nous le
lecteur ni à tel livre, ni à tel
théologien, mais l'engageons-nous à
recevoir instruction tout directement de l'Esprit
de Dieu. Nous admirons la franchise avec laquelle
l'éminent Dr en théologie, Mr le
professeur Godet, reconnaît quel est le vrai
secret de toute connaissance dans ce
domaine-là : « Une seule
prière exaucée, un seul contact
vivant avec la vertu du Père, un seul
déploiement de la force de Christ dans notre
infirmité nous en apprendra plus sur ce
sujet des miracles que tout ce que cette
Conférence a pu vous dire sur ce grand
sujet. II. Conférences
apologétiques. III. Les miracles de
Jésus-Christ, p. 46,
47 ».
Qu'on se souvienne bien qu'il ne s'agit
pas là de quelque art magique dont le
premier venu puisse se faire un jeu. À moins
d'être prêt à renoncer à
soi-même pour marcher dans
l'obéissance la plus complète, qu'on ne cherche
pas même
à s'initier aux secrets de cette
école divine. On raconte que le pasteur
Blumhardt, l'un des croyants les plus
avancés dans cette voie, avait passé
deux ans à examiner cette question, à
prier, jeûner et réclamer la
lumière du Saint-Esprit, avant d'avoir
acquis l'assurance qu'il dût imposer les
mains aux malades pour les guérir. D'autres
encore, très bénis de Dieu dans cette
voie, ont passé par la même
expérience. Nous ne saurions donc trop
insister sur la nécessité de
n'apporter à cette affaire ni
présomption, ni précipitation. Qu'on
ne se presse pas de prier pour les malades, mais
qu'on le fasse avec sérieux, avec
sincérité, intelligence et
foi.
Parmi ceux qui sont les plus
opposés à la guérison divine
et qui nient hardiment la possibilité de
guérisons miraculeuses de notre temps, il en
est qui joignent ces mots à leurs
objections : « D'ailleurs il est
clair qu'on doit prier Dieu pour les
malades. » C'est-à-dire que tout
en ayant la conviction intime que la volonté
de Dieu n'est pas d'intervenir d'une manière
surnaturelle pour les guérir, on doit
pourtant lui demander leur guérison. Ceci ne
nous dit-il pas qu'il vaudrait mieux s'abstenir de
toute prière de ce genre
jusqu'à ce qu'on eût reconnu son
incrédulité et qu'on y eût
renoncé ?
Pour exercer ce ministère, il
faut une foi très vivante et très
éclairée ; il faut aussi qu'un
esprit de cordiale entende règne entre tous
ceux qui se réunissent pour prier
ensemble ; il faut enfin se conformer avec
docilité à toutes les conditions que
nous indique l'Écriture.
En achevant nos réflexions sur ce
sujet, nous ne saurions trop mettre en garde contre
toute tendance à dogmatiser, contre tout
orgueil cherchant à faire prévaloir
son opinion dans un domaine où
« nous ne connaissons encore qu'en
partie. »
(1
Cor. 13, 9) Hélas !
que nous savons peu de chose encore de ces grandes
vérités ; néanmoins nous
pouvons les recevoir et les croire avec assurance
parce que nous avons à cet égard
« des promesses de Dieu qui sont oui en
lui et Amen en lui, afin que Dieu soit
glorifié par nous. »
(2
Cor. 1: 20).
Nous avons exposé de notre mieux
la doctrine, l'histoire et l'expérience de
l'Eglise quant à cette grande
question ; mais qu'il y a peu à dire
encore quant à l'usage qu'on fait
actuellement de ces grâces ! Ayons la
confiance toutefois que le Seigneur nous accordera
de nouvelles
lumières par l'étude de sa Parole,
aujourd'hui qu'un grand nombre de croyants
s'informent exactement de ce que l'Esprit de Christ
a voulu nous faire savoir quand il a tracé
ces grandes promesses. Si Dieu veut nous
révéler quelque chose de plus, soyons
prompts à l'écouter » quel
que puisse être d'ailleurs l'instrument dont
il se servira pour nous enseigner. Ne
méprisons pas en ceci le témoignage
des « pauvres de ce monde, »
riches en foi, de ces serviteurs de Christ qui,
après avoir gémi longtemps sous le
joug de la maladie, ont éprouvé en
eux-mêmes la vérité de toutes
ces promesses de guérison. Ne
négligeons pas ce qu'ont à nous dire
là-dessus ces enfants obéissants qui
ont lutté contre les doutes, les
démentis et les mépris du monde pour
répondre avec joie à cet appel de
Dieu : « Mettez-moi de la sorte
à l'épreuve. »
(Mal.
3: 10). Mais dans notre
zèle à faire triompher la
vérité divine sur ce point-là,
n'oublions pas que les miracles ne sont que des
signes et non l'essence même du
christianisme. Cherchons avant tout à
ramener les âmes qui se perdent ;
travaillons-y par la prière, par la
prédication et la persuasion, en portant la
croix et « regardant toutes choses comme
une perte en comparaison de
l'excellence de la connaissance de
Jésus-Christ, notre Seigneur. »
(Phi. 3 : 8). Voilà ce qui doit nous
occuper en attendant que paraisse le point du jour
et qu'il dissipe les ombres de la nuit en attendant
que soit achevée la moisson et qu'alors
« les prémisses » ne
soient plus nécessaires ; en attendant
que ce qui est encore imparfait soit
remplacé par ce qui est parfait
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