Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE X

LE VERDICT DE LA PRUDENCE

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On raconte que le pape Grégoire disait un jour à Thomas d'Aquin : L'Eglise ne peut plus dire : « Je n'ai ni argent, ni or, » et que celui-ci lui répondit aussitôt : Elle ne peut plus dire non plus : « Au nom de Jésus-Christ de Nazareth, lève-toi et marche. » (Act. 3 : 6). Cette réponse pleine de sagesse doit nous faire, réfléchir. Plus les richesses augmentent, plus aussi diminue cette étroite dépendance de Dieu qui produit en nous la foi et la confiance habituelles. C'est quand nous sommes réduits à l'extrémité que la bonté de Dieu nous ouvre ses trésors ; c'est quand nous n'avons plus rien, que nous trouvons la clef qui nous permet d'entrer et, de prendre possession de tout ce qui est à nous en Christ.

De notre temps l'Eglise jouit d'une grande prospérité au point de vue terrestre, « elle est riche, elle s'est enrichie » (Apo. 3 : 17), il est donc à craindre quelle ne dise aussi : « Je n'ai besoin de rien. » (Apo. 3: 17). Nous vivons dans un temps où il n'est guère permis d'attendre de très grands triomphes de foi et d'intercession. Tout chrétien sait par expérience quelle différence il y a entre réciter des prières et crier à Dieu pour être secouru dans la détresse ; il en est de même pour l'Eglise ; la prospérité, l'absence de persécutions et d'autres épreuves sont pour elle des causes d'affaiblissement et de langueur. On ne prie pas à présent comme priaient jadis les apôtres, les martyrs et les réformateurs parce qu'on ne se sent pas comme eux pressé par l'ennemi et sans autre ressource que Dieu ; par conséquent on ne reçoit pas non plus les réponses qu'ils obtenaient de Dieu.

Ceci doit nous rendre prudents. Ne demandons pas trop des chrétiens d'aujourd'hui quant à la guérison divine. Quand il s'agit de Dieu, nous ne saurions trop demander et trop attendre de lui ; mais quand il s'agit d'hommes encore faibles et hésitants, il ne faut pas être trop exigeant, car leur foi quant à la guérison divine ne saurait s'élever au-delà du niveau général de la foi de l'Eglise. Il se fait beaucoup de prières de nos jours, prières liturgiques, prières d'abondance, prières à l'église et prières en famille, mais où sont les chrétiens qui puissent se souvenir de réponses directes et précises accordées à leurs requêtes ? De tous ceux qui heurtent chaque jour à la porte du ciel, combien s'en trouve-t-il qui sachent attendre et veiller jusqu'à ce que la porte s'ouvre et que la grâce demandée leur soit accordée ?
On ne peut raisonnablement pas attendre de ceux qui ne connaissent pas l'efficace de la prière pour d'autres choses, qu'ils puissent user tout à coup de « la prière de la foi qui sauve le malade. » (Jac. 5: 15.) À l'école de Dieu, comme dans les écoles de la terre, les élèves ne peuvent pas atteindre aux grades les plus élevés avant d'avoir passé par les premiers degrés de la foi, mais si l'Eglise entière en venait à saisir cette grâce avec l'assurance d'une ferme conviction, nous verrions des choses merveilleuses. En attendant qu'elle le puisse, ne nous laissons pas aller à douter parce que les victoires obtenues sont encore rares et clairsemées. Prions le Seigneur de vouloir bien rendre à son Église les premiers dons d'autrefois en la ramenant à son premier état de détachement du monde, d'humilité et de consécration à Dieu. Quand l'un des organes du corps est faible ou malade, le vrai moyen de le rétablir est de fortifier le corps entier, de le ramener ainsi à la santé normale ; de même pour le corps de Christ : dès qu'il reprendra vie par l'effusion de nouvelles grâces spirituelles, les dons de guérison ne tarderont pas à se répandre partout.

En traitant cette question, gardons-nous aussi de tomber dans l'hérésie. Ainsi que l'a dit un auteur chrétien, le mot hérésie signifie l'acte de diviser et choisir, d'adopter et de soutenir une partie seulement de la vérité à l'exclusion de l'autre côté de la question. Toute doctrine a deux faces à considérer. Quelle que soit celle qui s'impose à notre attention, nous devons nous souvenir de sa contre-partie, afin de ne pas faire pencher la balance d'un seul côté. En ceci, comme dans tout ce qui concerne la prière, la liberté de l'homme et la souveraine puissance de Dieu se trouvent inséparablement réunies. Voici donc quelles sont les deux faces de cette doctrine :

« Demandez ce que vous voudrez et cela vous sera accordé. » (Jean 15 : 7).
« Si nous demandons quelque chose selon sa volonté, il nous écoute. » (1 Jean 5 : 14).

En croyant à la doctrine de la souveraineté de Dieu, n'oublions jamais le privilège qui nous a été accordé de présenter à Dieu nos requêtes avec la pleine et entière assurance qu'il nous exaucera selon cette promesse : « Tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, je le ferai. » (Jean 14 : 13). Nous ne saurions trop appuyer nos prières de cette promesse, mais n'oublions pas que toujours nos requêtes doivent être accompagnées de cette pensée : « Que ta volonté soit faite. » (Mat. 26 : 42). Sans doute il y a là une contradiction apparente, un mystère que la sagesse humaine n'a pas pu trancher ; mais puisque ces deux faces de la vérité se trouvent clairement signalées dans la Bible, nous devons les respecter toutes deux également. Soyons donc très prudent, ne parlons pas étourdiment de la doctrine de la guérison divine ; et quand on nous apprend la maladie d'un membre de l'Eglise, ne nous hâtons pas d'assurer qu'il sera guéri dès qu'on remettra son cas au Seigneur.

Ne perdons pas de vue Malte et Milet, nous souvenant qu'à Malte, Paul guérit par ses prières le père de Publius, tandis qu'à Milet, il laissa Trophime malade. Quelques commentateurs ont voulu voir dans cette maladie le moyen de préserver Trophime du martyre qu'il aurait probablement eu à subir en accompagnant Paul. Quoi qu'il en soit de cette conjecture, Dieu avait sans douté quelque bonne raison pour arrêter ainsi le compagnon de Paul. Laissons le Dieu tout sage, auteur de notre vie, se servir de la maladie, s'il le veut, comme d'un moyen pour nous amener à le servir mieux et à lui rendre gloire, et gardons-nous de vouloir faire prévaloir la volonté humaine sur la volonté divine, de tomber ainsi dans l'hérésie de l'arbitraire.

Ne faisons pas non plus dans le sens opposé ce que font ceux qui tombent dans l'autre extrême en insistant si bien sur la souveraineté de Dieu qu'ils n'admettent pas que l'homme puisse avoir la liberté de demander et d'attendre un miracle de guérison. Ils vont même si loin qu'ils fixent des bornes infranchissables à la souveraineté de Dieu, ne lui laissant plus la liberté de faire actuellement des miracles, comme si sa toute-puissance avait dû se restreindre pour cela au temps des apôtres. Ceci nous paraît être une erreur plus fâcheuse encore que l'autre, puisqu'il s'agit là non plus de limiter la liberté de prière de l'homme, mais de limiter la liberté d'action de Dieu. Il a parudernièrement dans nos journaux religieux des récits de délivrances frappantes qui ont soulevé une forte opposition quant à la possibilité d'admettre l'intervention miraculeuse de notre temps. On a même traité de grossière superstition la tentative d'appliquer la simple promesse de saint Jacques à notre temps et à nos circonstances actuelles. Les prédicateurs évangéliques qui parlent dans ce sens assument une grande responsabilité, car c'est ouvrir la porte à toute négation du surnaturel. L'incrédulité croissante de notre siècle ne tardera pas à s'en prévaloir pour passer de là aux abîmes du scepticisme.

Ah ! mais n'est-ce pas vous, s'écrie-t-on, qui nous poussez à l'incrédulité en nous présentant des promesses qui ne pourront produire que déception et faire ainsi douter de la Parole de Dieu. C'est là une objection dont on pourrait s'armer pour combattre tout ce qui concerne la prière. Tenons-nous en donc à signaler toutes les promesses que Dieu à faites, mais abstenons-nous de les surcharger de nos propres appréciations. Si notre fidèle attachement à ces promesses devait provoquer de l'incrédulité chez quelqu'un, c'est sur le Seigneur qu'en retombera la responsabilité, puisque c'est lui qui a fait les promesses, tandis que si nous les réfutons au lieu de les accueillir, c'est sur nous-mêmes que retombe la responsabilité, et les conséquences ne tarderont pas à s'en faire sentir.

Cherchons donc à éviter l'hérésie en conservant un juste équilibre entre ces deux éléments de la prière : Croire aux promesses et à la réponse de Dieu, mais les réclamer avec soumission à la volonté divine ; se souvenir de ces mots : « Ainsi parle l'Éternel, » aussi bien que de ceux-ci : « La volonté de Dieu soit faite. »

Soyons attentifs aussi à ne pas tomber dans le fanatisme en fait de guérison divine. Comme nous l'avons déjà dit, le fanatisme n'est pas nécessairement le signe de l'erreur ; souvent même il est un indice de vie religieuse plus encore qu'un symptôme fâcheux. Comme un accès de fièvre, il vient révéler à l'Eglise le besoin de guérison dans quelque partie avariée du corps de la doctrine. Quoi qu'il en soit, ce fanatisme doit être ramené à l'ordre, de peur que la vérité n'ait à souffrir de justes reproches; et c'est dans ce domaine-là en particulier qu'il faut chercher à les éviter.

Plus encore que pour d'autres points de doctrine, le zèle doit être ici tempéré par la connaissance. Les novices, enflés d'orgueil, s'emparent vivement de cette doctrine, et avec l'enthousiasme que provoque la découverte de quelque ancienne vérité longtemps négligée, ils font parade de leur foi d'une manière extravagante, tandis que rien ne demande plus de réserve et de calme que cette vérité-là.

Vouloir l'imposer à des âmes sans foi et sans instruction à cet égard, c'est l'exposer au mépris. Ceux qui ont le plus d'expérience en ceci n'en parlent qu'avec sagesse et réserve, sans ostentation ; mais ceux qui parlent à tout propos de cette doctrine, la criant sur les toits, montrent clairement qu'ils sont incapables d'en user. Il y a donc là un sérieux écueil à éviter ; mais toujours la vérité a couru de semblables dangers. La tradition aride et morte en est seule à l'abri.

Que tous ceux donc qui désirent de voir triompher la parole de Dieu se souviennent de prier beaucoup et d'argumenter peu. Qu'ils demandent à Dieu d'envoyer son Esprit, seul révélateur des choses profondes, pour enseigner à l'Eglise quelle est sa volonté divine à cet égard, et qu'ils se gardent bien d'exercer ce ministère avec une ardeur présomptueuse. Nous sommes convaincus qu'il n'y a pas de question plus difficile à élucider. Si donc quelqu'un désire sincèrement être employé par le Seigneur dans cette direction, qu'il commence par se laisser instruire par Dieu lui-même. Aucune école sur la terre n'a le pouvoir de conférer ni grade, ni doctorat à cet égard ; aussi n'adressons-nous le lecteur ni à tel livre, ni à tel théologien, mais l'engageons-nous à recevoir instruction tout directement de l'Esprit de Dieu. Nous admirons la franchise avec laquelle l'éminent Dr en théologie, Mr le professeur Godet, reconnaît quel est le vrai secret de toute connaissance dans ce domaine-là : « Une seule prière exaucée, un seul contact vivant avec la vertu du Père, un seul déploiement de la force de Christ dans notre infirmité nous en apprendra plus sur ce sujet des miracles que tout ce que cette Conférence a pu vous dire sur ce grand sujet. II. Conférences apologétiques. III. Les miracles de Jésus-Christ, p. 46, 47 ».

Qu'on se souvienne bien qu'il ne s'agit pas là de quelque art magique dont le premier venu puisse se faire un jeu. À moins d'être prêt à renoncer à soi-même pour marcher dans l'obéissance la plus complète, qu'on ne cherche pas même à s'initier aux secrets de cette école divine. On raconte que le pasteur Blumhardt, l'un des croyants les plus avancés dans cette voie, avait passé deux ans à examiner cette question, à prier, jeûner et réclamer la lumière du Saint-Esprit, avant d'avoir acquis l'assurance qu'il dût imposer les mains aux malades pour les guérir. D'autres encore, très bénis de Dieu dans cette voie, ont passé par la même expérience. Nous ne saurions donc trop insister sur la nécessité de n'apporter à cette affaire ni présomption, ni précipitation. Qu'on ne se presse pas de prier pour les malades, mais qu'on le fasse avec sérieux, avec sincérité, intelligence et foi.

Parmi ceux qui sont les plus opposés à la guérison divine et qui nient hardiment la possibilité de guérisons miraculeuses de notre temps, il en est qui joignent ces mots à leurs objections : « D'ailleurs il est clair qu'on doit prier Dieu pour les malades. » C'est-à-dire que tout en ayant la conviction intime que la volonté de Dieu n'est pas d'intervenir d'une manière surnaturelle pour les guérir, on doit pourtant lui demander leur guérison. Ceci ne nous dit-il pas qu'il vaudrait mieux s'abstenir de toute prière de ce genre jusqu'à ce qu'on eût reconnu son incrédulité et qu'on y eût renoncé ?
Pour exercer ce ministère, il faut une foi très vivante et très éclairée ; il faut aussi qu'un esprit de cordiale entende règne entre tous ceux qui se réunissent pour prier ensemble ; il faut enfin se conformer avec docilité à toutes les conditions que nous indique l'Écriture.

En achevant nos réflexions sur ce sujet, nous ne saurions trop mettre en garde contre toute tendance à dogmatiser, contre tout orgueil cherchant à faire prévaloir son opinion dans un domaine où « nous ne connaissons encore qu'en partie. » (1 Cor. 13, 9) Hélas ! que nous savons peu de chose encore de ces grandes vérités ; néanmoins nous pouvons les recevoir et les croire avec assurance parce que nous avons à cet égard « des promesses de Dieu qui sont oui en lui et Amen en lui, afin que Dieu soit glorifié par nous. » (2 Cor. 1: 20).

Nous avons exposé de notre mieux la doctrine, l'histoire et l'expérience de l'Eglise quant à cette grande question ; mais qu'il y a peu à dire encore quant à l'usage qu'on fait actuellement de ces grâces ! Ayons la confiance toutefois que le Seigneur nous accordera de nouvelles lumières par l'étude de sa Parole, aujourd'hui qu'un grand nombre de croyants s'informent exactement de ce que l'Esprit de Christ a voulu nous faire savoir quand il a tracé ces grandes promesses. Si Dieu veut nous révéler quelque chose de plus, soyons prompts à l'écouter » quel que puisse être d'ailleurs l'instrument dont il se servira pour nous enseigner. Ne méprisons pas en ceci le témoignage des « pauvres de ce monde, » riches en foi, de ces serviteurs de Christ qui, après avoir gémi longtemps sous le joug de la maladie, ont éprouvé en eux-mêmes la vérité de toutes ces promesses de guérison. Ne négligeons pas ce qu'ont à nous dire là-dessus ces enfants obéissants qui ont lutté contre les doutes, les démentis et les mépris du monde pour répondre avec joie à cet appel de Dieu : « Mettez-moi de la sorte à l'épreuve. » (Mal. 3: 10). Mais dans notre zèle à faire triompher la vérité divine sur ce point-là, n'oublions pas que les miracles ne sont que des signes et non l'essence même du christianisme. Cherchons avant tout à ramener les âmes qui se perdent ; travaillons-y par la prière, par la prédication et la persuasion, en portant la croix et « regardant toutes choses comme une perte en comparaison de l'excellence de la connaissance de Jésus-Christ, notre Seigneur. » (Phi. 3 : 8). Voilà ce qui doit nous occuper en attendant que paraisse le point du jour et qu'il dissipe les ombres de la nuit en attendant que soit achevée la moisson et qu'alors « les prémisses » ne soient plus nécessaires ; en attendant que ce qui est encore imparfait soit remplacé par ce qui est parfait

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