Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE III

La Bible et la Tradition. - Conclusion.

M. le Curé. - C'est un soleil radieux qui s'est levé aujourd'hui sur nous : il éclairera de ses célestes rayons notre dernière causerie. Représentez-vous que c'est la lumière d'En-haut et, devant Dieu, dites-moi toute la vérité.
Vous avez affecté toujours d'invoquer l'Écriture Sainte, la préférant à la respectable tradition de l'Eglise romaine...

M. A. - Je vous ai cité la tradition pour vous prouver que la plupart du temps elle n'appuie pas les dogmes que vous professez. Il ne faut pas se borner à ne prendre dans un auteur adopté par Rome, que ce qui approuve un article de foi et passer sous silence tout ce qui lui est contraire !

M. le Curé. - Le saint Concile de Trente, persuadé que le Livre sacré ne suffisait pas pour établir toute la doctrine romaine, a dit qu'il fallait recevoir et honorer d'une égale affection de piété, dévotion et révérence les traditions qui appartiennent tant à la foi qu'aux moeurs (1).

M. A. - Eh bien, qu'entendez-vous par tradition ?

M. le Curé. - C'est la parole de Dieu transmise de vive voix par les Apôtres aux premiers chrétiens...

M. A. - Fort bien. Il s'agit donc des livres canoniques, de l'Evangile...

M. le Curé. - Je le croyais aussi, mais, à cette légitime tradition apostolique, on en ajoute une autre qui nous est parvenue par les Décrets des Conciles, par la liturgie (cérémonies et prières) qui ont toujours été en usage dans l'Eglise, enfin par les écrits des Saints-Pères (2).

M. A. - Donc, la foi catholique romaine repose sur la Parole de Dieu (Bible), sur les Conciles, sur les usages de l'Eglise et sur le consentement unanime des Pères. Tout dogme, ou doctrine ; on enseignement qui sortiront de cette règle seront déclarés hérétiques et anathèmes...

M. le Curé. - Je n'hésite pas à l'affirmer.

M. A. - En conséquence, tout dogme qui sera né plusieurs siècles après les Pères apostoliques, qui aura été ignoré pendant cette période où les premiers docteurs de l'Eglise ont écrit pour combattre les hérésies et mettre plus en lumière les dogmes attaqués, ce dogme, dis-je, ne pourra appartenir à la foi catholique ? (3).

M. le Curé. - Cela me semble ressortir de nos canons et décrets... Mais tout concile postérieur a été déclaré infaillible pour justifier les dogmes apparus au cours des siècles.

M. A. - Que faites-vous donc de l'unité romaine dans la foi et dans les moeurs ? Vos dogmes ont varié souvent !
En ce qui concerne la lecture de la Bible, par exemple...

M. le Curé. - Nous avons constaté des hésitations jusqu'au XVIe siècle et, contrairement au Concile de Trente, nous avons déclaré avec l'Écriture Sainte que tous les fidèles étaient appelés à la lire.

M. A. - Sur les questions touchant à la papauté, à la primauté de saint Pierre, aux privilèges des Papes, à l'infaillibilité, avons-nous rencontré l'unité dans les décisions des Conciles, confirmée par le consentement unanime des Pères ? Avons-nous trouvé la pratique constante de l'Eglise dans ces dogmes et sa foi permanente en leur divine institution ?

M. le Curé. - Dites plutôt que nous n'avons constaté que discussions et querelles ; que nous aurions pu parler du grand schisme d'Occident où deux ou trois papes portaient la tiare, et des oppositions du gallicanisme. Nous avons dû arriver péniblement en 1870 pour entendre la définition du dogme de l'infaillibilité !

M. A. - Relativement aux ordres monastiques, au clergé...

M. le Curé. - Je n'hésite plus à reconnaître que l'Écriture les condamne.

M. A. - Avons-nous été plus heureux avec le Baptême et l'Eucharistie ? Tous les décrets des Conciles furent-ils identiques pour ces Sacrements ? La liturgie n'a-t-elle jamais varié surtout pour la transsubstantiation ? L'usage de l'Eglise a-t-il été le même toujours ? Rome possède-t-elle le consentement unanime des Pères ? Et les cinq autres sacrements ?

M. le Curé. - L'Écriture sainte, les Conciles des premiers âges, les Pères apostoliques ne professaient pas nos dogmes actuels sur ces matières...

M. A. - Ont-ils donné leur adhésion au culte des saints, à celui de la Vierge Marie, au dogme de l'Immaculée-Conception ?

M. le Curé. - Pas davantage... mais ne m'accablez pas ...

M. A. - Pourquoi le Concile de Trente place-t-il la tradition sur le même rang que l'Écriture sainte ? Espérait-il que se fiant à sa parole nul ne la consulterait ?

M. le Curé. - Les saints prélats n'admettent d'autre tradition que celle qui est conforme à leur doctrine.

M. A. - Voilà un étrange raisonnement ! Vous dites :
- Nous fondons notre foi sur la tradition !
C'est bien, on vous écoute, et on apporte ce que vous appelez la tradition. Alors vous vous écriez :
- Mais nous ne recevons la tradition que tout autant qu'elle coïncide avec notre foi !
Et voilà comment vous faites plier la tradition pour appuyer tous vos dogmes nouveaux.

M. le Curé. - On ne peut rien définir sans cela. En 1854 pour affermir le dogme de l'Immaculée Conception et en 1870 pour défendre celui de l'infaillibilité, il a fallu rechercher dans les textes anciens, ceux qui pouvaient être considérés comme une approbation tacite. Pie IX aurait été bien naïf si, en séance, il avait lu les textes que vous m'avez cités. Personne n'aurait voté son infaillibilité !

M. A. - De sorte que vous appelez les Pères et les auteurs quand ils vous approuvent et vous les ignorez quand leur voix vous condamne ! Le procédé est commode, il est peu loyal ; les gens simples, les ignorants, se laisseront prendre, mais les croyants instruits et intelligents vous abandonneront dès que la lumière se fera dans leur esprit.

M. le Curé. - L'Écriture ne condamne pas la tradition !

M. A. - C'est à la tradition des pharisiens que saint Paul doit d'avoir persécuté les chrétiens :
« Vous avez sans doute appris quelle était ma conduite lorsque j'étais encore juif, avec quelle fureur je persécutais l'Église de Dieu et cherchais à la détruire ; surpassant dans mon zèle pour le judaïsme la plupart des Juifs qui vivaient de mon temps, étant en plus ardent zélateur qu'eux tous dans la tradition de nos pères (4). »

M. le Curé. - Notre tradition n'est pas en cause !

M. A. - Et c'est pourtant au nom de votre tradition, tout comme saint Paul, que vous avez en la Saint-Barthélemy et les Dragonnades, traquant jusque dans les forêts des chrétiens dont le crime était de prier Dieu avec la Bible, au lieu de le faire en latin, avec des chapelets bénits, conformément aux ordres de vos conciles !

M. le Curé. - Ils avaient refusé nos moyens de grâce et menaçaient de faire sombrer la foi catholique romaine...

M. A. - Ces chrétiens voulaient et veulent encore que l'Évangile domine sur la tradition, que la Parole de Dieu soit écoutée de préférence à la parole des hommes : Saint Paul disait bien longtemps avant eux :
« Je vous rappelle l'Évangile que je vous, ai prêché, que vous avez reçu, dans lequel vous persévérez, et par lequel vous arriverez au salut pourvu que vous reteniez ma doctrine, telle que je vous l'ai prêchée, et que ce ne soit pas en vain que vous ayez reçu la foi (5). »
J'ai plus de confiance en la doctrine de saint Paul qu'en celle du Concile de Trente. Celle de l'apôtre me conduit au salut, à la vie éternelle ; je n'ai point à me préoccuper des anathèmes qui ne peuvent m'atteindre !

M. le Curé. - Cette malédiction que vous bravez, ne viendrait-elle point de Dieu ? Souvenez-vous que la tradition, c'est la parole même de Dieu transmise de vive voix.

M. A. - Ce sont les hommes qui le disent et qui plus est, ceux qui en font usage pour les besoins de leur cause !
Quand je veux affermir ma foi, j'ouvre le Livre sacré ; je ne me laisse détourner par aucun autre évangile, fût-ce même celui du Concile de Trente, car je lis :
« Si quelqu'un vous annonce un autre Évangile que celui que vous avez reçu, qu'il soit anathème ! » (6).

M. le Curé. - Oui, pour tout évangile, où l'on ne parle pas du Christ.

M. A. - D'après l'abbé Glaire, un autre évangile, c'était au fond celui de Jésus-Christ, auquel on joignait la pratique de la loi de Moïse, laquelle addition suffisait pour renverser l'Évangile du Christ.
Développez cette pensée : un autre évangile, c'est celui de Jésus-Christ, auquel on ajoute la pratique des commandements de l'Eglise, la tradition et les dogmes nouveaux, additions qui suffisent pour renverser l'Évangile du Christ !

M. le Curé. - Vous voulez donc revenir purement et simplement à la saine doctrine...

M. A. - Oui, parce qu'il n'est que trop vrai que la prophétie de saint Paul s'est réalisée -
« Il viendra un temps où les hommes ne pourront souffrir la saine doctrine, mais ne voulant entendre que ce qui les flattera, ils chercheront sans cesse des docteurs au gré de leurs désirs ; et, s'écartant de la vérité, ils prêteront l'oreille à des fables .... (8) »

M. le Curé. - O ciel ! Où est la Vérité, et où sont les fables ?

M. A. - La vérité, c'est que la parole de Dieu doit être lue de tous ; les fables, c'est que les seuls ecclésiastiques aient le droit de la lire ; la vérité, c'est que saint Pierre n'a pas eu une double primauté d'honneur et de juridiction ; les fables, c'est qu'il a été pape vingt-cinq années et qu'il a fondé la papauté ; la vérité, c'est que nous devons nous aimer les uns les autres ; les fables, c'est que l'Eglise a le pouvoir d'employer la force pour maintenir sa domination ; la vérité, c'est que les chrétiens doivent aller et instruire les nations ; les fables, c'est que quelques-uns se cloîtrent par dévotion ; la vérité, c'est que le sang de Jésus-Christ nous purifie de tout péché ; les fables, c'est que l'eau bénite efface le péché originel ; la vérité, c'est que le Saint-Esprit est un don de Dieu ; les fables, c'est que l'évêque qui confirme le donne à l'enfant ; la vérité, c'est que le Christ a dit en instituant la Cène : Faites ceci en mémoire de moi ; les fables, c'est la présence matérielle du corps de Christ dans l'hostie et dans le vin de la communion..

M. le Curé. - Les fables c'est que la Fête du Saint Sacrement repose sur les visions d'une religieuse ! Le Sacrement du Mariage, erreur voulue de traduction ! Le Purgatoire... hésitations du Concile de Trente ! L'Extrême-Onction... simple pratique mentionnée par saint Jacques et non institution du Seigneur ! ...

M. A. - La vérité c'est qu'il n'y a qu'un seul avocat, un seul médiateur, un seul nom à invoquer pour être sauvé ; les fables c'est que tous les saints, et la Vierge Marie peuvent intercéder pour nous ... Et maintenant, vous, qui portez le titre glorieux de ministre de Jésus-Christ, irez-vous encore prêcher cet autre évangile ? Serez-vous satisfait si vos paroissiens continuent à prêter une complaisante oreille à ces fables ?

M. le Curé. - Je sais qu'en le faisant j'agirais contre ma conscience...

M. A. - « Tout ce qui ne se fait pas de bonne foi est péché (9). »

M. le Curé. - Que faire ? Mes cheveux ont blanchi dans le ministère... je ne puis abandonner une carrière sacrée... je suis prêtre, prêtre jusque dans l'Éternité ! ... Vous me dites : Prêchez la Vérité !...
Si j'ouvre l'Évangile à mes fidèles, on me crie anathème ... Si je discute, si je raisonne, anathème !... On m'interdit... Mon âge même ne serait point respecté ! Je plie, accablé, sous un joug qui m'oppresse O mon Dieu ! Quand serai-je affranchi ? Malheureux que je suis Esclave aux dures chaînes... O liberté, liberté, pourquoi me fuis-tu ?...

M. A. - Si le Fils de Dieu vous met en liberté vous serez vraiment libre (10).

M. le Curé. - Vain mirage ! Cette liberté n'est pas connue à Rome... Lorsque le daim est en liberté, il court, s'élance et bondit de cime en cime... en cage, il est sans vigueur et ses membres agiles s'alourdissent... Le Séminaire c'est notre cage, et là, nos intelligences s'engourdissent....

M. A. - Êtes-vous prêtre de Rome ou de Dieu ? La Vie Éternelle, est-ce le Vatican ou bien le Royaume des cieux ? La saine doctrine est-elle dans la Bible ou dans les catéchismes romains ?... Vous ne pouvez servir deux maîtres... Lequel choisissez-vous ?

M. le Curé. - Dieu ! ...

M. A. - Eh bien, démissionnez afin de libérer votre conscience. Vous ne serez plus prêtre romain, mais vous resterez prêtre éternel, consacré à Jésus-Christ et vous prêcherez l'Évangile (11).

M. le Curé. - En aurai-je le courage ? Quelle clameur autour de moi... Famille, amis, supérieurs vont me couvrir de leur mépris. Que ferai-je ?... Leurs yeux obscurcis n'ont pas connu les lumières de l'Évangile !...

M. A. - « Vous serez doux envers tous, patient, reprenant modestement ceux qui résistent à la vérité, dans l'espérance que Dieu leur donnera un jour l'esprit de pénitence (repentance) pour qu'ils connaissent la vérité (12). »

M. le Curé. - Depuis longtemps j'avais des doutes... J'ai beaucoup lu depuis ma sortie du Séminaire ... Je me suis enseveli dans une dévotion extraordinaire pour ne plus entendre la voix de ma raison... Je n'ai réussi qu'en partie... À l'autel, pendant les offices, aux processions, une voix sévère troublait ma conscience : cherche la vérité ! Et l'argent que je recevais pour mes messes ! Oh ! il me brûlait la main... Je croyais prendre les trente pièces d'argent de Juda !

M. A. - Qu'est-ce qui vous retenait encore ?

M. le Curé. - Un vieux préjugé. Je suis né catholique - disais-je - je suis prêtre romain... transformer ma foi serait une apostasie !

M. A. - Que dites-vous à présent ?

M. le Curé. - Je dis que je suis né romain, que je suis prêtre romain, mais que je reconnais enfin qu'il n'y a qu'une seule religion, qu'une seule foi, qu'un seul baptême... je dis que je vais envoyer ma démission à Monseigneur et que je ne serai pas un prêtre défroqué, ni un apostat ; que je ne change pas de religion, mais que délaissant la forme romaine, erronée, du christianisme, j'entre dans la grande église catholique apostolique, qui est celle de Jésus-Christ et des apôtres !

M. A. - La lumière de la vérité vous éclaire, c'est une nouvelle vie, féconde et bénie, qui s'ouvre à vous ...

M. le Curé. - 0 Christ, je viens, je viens à vous... car vous êtes le chemin, la vérité et la vie !


FIN



(1) Conc. Trente. IVe Sess. sous Paul III, 8 avril 1546. Décret 1. 

(2) Exp. cat. Clerm., p. 137. 

(3) Ibid.

(4) Gal. 1-13 à 14. P. R. 30 juin. Commém. de saint Paul, p. 769.

(5) 1 Cor. 15/2. P. R. Le Ile Dimanche après la Pentecôte, p. 450. 

(6) Gal. 1/8. Abbé Glaire, note.

(8) Il Tim. 4/3-4. P. R. Saint Sylvestre, p. 238.

(9) Rom. 14-23

(10) Jean, 8-36.

(11) Il Tim, 4. P. R. Saint Sylvestre, p. 238.

(12) Il Tim. 2-24 à 25.
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