M. le Curé. - C'est un soleil radieux
qui s'est levé aujourd'hui sur nous : il éclairera de ses
célestes rayons notre dernière causerie. Représentez-vous que c'est la
lumière d'En-haut et, devant Dieu, dites-moi toute la vérité.
Vous avez affecté toujours d'invoquer l'Écriture
Sainte, la préférant à la respectable tradition de l'Eglise romaine...
M. A. - Je vous ai
cité la tradition pour vous prouver que la plupart du temps elle
n'appuie pas les dogmes que vous professez. Il ne faut pas se borner à
ne prendre dans un auteur adopté par Rome, que ce qui approuve un
article de foi et passer sous silence tout ce qui lui est
contraire !
M. le Curé. - Le saint
Concile de Trente, persuadé que le Livre sacré ne suffisait pas pour
établir toute la doctrine romaine, a dit qu'il fallait recevoir et
honorer d'une égale affection de piété, dévotion et révérence les
traditions qui appartiennent tant à la foi qu'aux moeurs (1).
M. A. - Eh bien,
qu'entendez-vous par tradition ?
M. le Curé. - C'est la
parole de Dieu transmise de vive voix par les Apôtres aux premiers
chrétiens...
M. A. - Fort bien. Il
s'agit donc des livres canoniques, de l'Evangile...
M. le Curé. - Je le
croyais aussi, mais, à cette légitime tradition apostolique, on en
ajoute une autre qui nous est parvenue par les Décrets des Conciles,
par la liturgie (cérémonies et prières) qui ont toujours été en usage
dans l'Eglise, enfin par les écrits des Saints-Pères (2).
M. A. - Donc, la foi
catholique romaine repose sur la Parole de Dieu (Bible), sur les
Conciles, sur les usages de l'Eglise et sur le consentement unanime
des Pères. Tout dogme, ou doctrine ; on enseignement qui
sortiront de cette règle seront déclarés hérétiques et anathèmes...
M. le Curé. - Je
n'hésite pas à l'affirmer.
M. A. - En
conséquence, tout dogme qui sera né plusieurs siècles après les Pères
apostoliques, qui aura été ignoré pendant cette période où les
premiers docteurs de l'Eglise ont écrit pour combattre les hérésies et
mettre plus en lumière les dogmes attaqués, ce dogme, dis-je, ne
pourra appartenir à la foi catholique ? (3).
M. le Curé. - Cela me
semble ressortir de nos canons et décrets... Mais tout concile
postérieur a été déclaré infaillible pour justifier les dogmes apparus
au cours des siècles.
M. A. - Que
faites-vous donc de l'unité romaine dans la foi et dans les
moeurs ? Vos dogmes ont varié souvent !
En ce qui concerne la lecture de la Bible, par
exemple...
M. le Curé. - Nous
avons constaté des hésitations jusqu'au XVIe siècle et, contrairement
au Concile de Trente, nous avons déclaré avec l'Écriture Sainte que
tous les fidèles étaient appelés à la lire.
M. A. - Sur les
questions touchant à la papauté, à la primauté de saint Pierre, aux
privilèges des Papes, à l'infaillibilité, avons-nous rencontré l'unité
dans les décisions des Conciles, confirmée par le consentement unanime
des Pères ? Avons-nous trouvé la pratique constante de l'Eglise
dans ces dogmes et sa foi permanente en leur divine institution ?
M. le Curé. - Dites
plutôt que nous n'avons constaté que discussions et querelles ;
que nous aurions pu parler du grand schisme d'Occident où deux ou
trois papes portaient la tiare, et des oppositions du gallicanisme.
Nous avons dû arriver péniblement en 1870 pour entendre la définition
du dogme de l'infaillibilité !
M. A. - Relativement
aux ordres monastiques, au clergé...
M. le Curé. - Je
n'hésite plus à reconnaître que l'Écriture les condamne.
M. A. - Avons-nous été
plus heureux avec le Baptême et l'Eucharistie ? Tous les décrets
des Conciles furent-ils identiques pour ces Sacrements ? La
liturgie n'a-t-elle jamais varié surtout pour la
transsubstantiation ? L'usage de l'Eglise a-t-il été le même
toujours ? Rome possède-t-elle le consentement unanime des
Pères ? Et les cinq autres sacrements ?
M. le Curé. -
L'Écriture sainte, les Conciles des premiers âges, les Pères
apostoliques ne professaient pas nos dogmes actuels sur ces
matières...
M. A. - Ont-ils donné
leur adhésion au culte des saints, à celui de la Vierge Marie, au
dogme de l'Immaculée-Conception ?
M. le Curé. - Pas
davantage... mais ne m'accablez pas ...
M. A. - Pourquoi le
Concile de Trente place-t-il la tradition sur le même rang que
l'Écriture sainte ? Espérait-il que se fiant à sa parole nul ne
la consulterait ?
M. le Curé. - Les
saints prélats n'admettent d'autre tradition que celle qui est
conforme à leur doctrine.
M. A. - Voilà un
étrange raisonnement ! Vous dites :
- Nous fondons notre foi sur la tradition !
C'est bien, on vous écoute, et on apporte ce que
vous appelez la tradition. Alors vous vous écriez :
- Mais nous ne recevons la tradition que tout
autant qu'elle coïncide avec notre foi !
Et voilà comment vous faites plier la tradition
pour appuyer tous vos dogmes nouveaux.
M. le Curé. - On ne
peut rien définir sans cela. En 1854 pour affermir le dogme de
l'Immaculée Conception et en 1870 pour défendre celui de
l'infaillibilité, il a fallu rechercher dans les textes anciens, ceux
qui pouvaient être considérés comme une approbation tacite. Pie IX
aurait été bien naïf si, en séance, il avait lu les textes que vous
m'avez cités. Personne n'aurait voté son infaillibilité !
M. A. - De sorte que
vous appelez les Pères et les auteurs quand ils vous approuvent et
vous les ignorez quand leur voix vous condamne ! Le procédé est
commode, il est peu loyal ; les gens simples, les ignorants, se
laisseront prendre, mais les croyants instruits et intelligents vous
abandonneront dès que la lumière se fera dans leur esprit.
M. le Curé. -
L'Écriture ne condamne pas la tradition !
M. A. - C'est à la
tradition des pharisiens que saint Paul doit d'avoir persécuté les
chrétiens :
« Vous avez sans doute appris quelle était
ma conduite lorsque j'étais encore juif, avec quelle fureur je
persécutais l'Église de Dieu et cherchais à la détruire ;
surpassant dans mon zèle pour le judaïsme la plupart des Juifs qui
vivaient de mon temps, étant en plus ardent zélateur qu'eux tous
dans la tradition de nos pères (4). »
M. le Curé. - Notre
tradition n'est pas en cause !
M. A. - Et c'est
pourtant au nom de votre tradition, tout comme saint Paul, que vous
avez en la Saint-Barthélemy et les Dragonnades, traquant jusque dans
les forêts des chrétiens dont le crime était de prier Dieu avec la
Bible, au lieu de le faire en latin, avec des chapelets bénits,
conformément aux ordres de vos conciles !
M. le Curé. - Ils
avaient refusé nos moyens de grâce et menaçaient de faire sombrer la
foi catholique romaine...
M. A. - Ces chrétiens
voulaient et veulent encore que l'Évangile domine sur la tradition,
que la Parole de Dieu soit écoutée de préférence à la parole des
hommes : Saint Paul disait bien longtemps avant eux :
« Je vous rappelle l'Évangile que je vous,
ai prêché, que vous avez reçu, dans lequel vous persévérez, et par
lequel vous arriverez au salut pourvu que vous reteniez ma doctrine,
telle que je vous l'ai prêchée, et que ce ne
soit pas en vain que vous ayez reçu la foi (5). »
J'ai plus de confiance en la doctrine de saint Paul
qu'en celle du Concile de Trente. Celle de l'apôtre me conduit au
salut, à la vie éternelle ; je n'ai point à me préoccuper des
anathèmes qui ne peuvent m'atteindre !
M. le Curé. - Cette
malédiction que vous bravez, ne viendrait-elle point de Dieu ?
Souvenez-vous que la tradition, c'est la parole même de Dieu transmise
de vive voix.
M. A. - Ce sont les
hommes qui le disent et qui plus est, ceux qui en font usage pour les
besoins de leur cause !
Quand je veux affermir ma foi, j'ouvre le Livre
sacré ; je ne me laisse détourner par aucun autre évangile,
fût-ce même celui du Concile de Trente, car je lis :
« Si quelqu'un vous annonce un autre
Évangile que celui que vous avez reçu, qu'il soit
anathème ! » (6).
M. le Curé. - Oui,
pour tout évangile, où l'on ne parle pas du Christ.
M. A. - D'après l'abbé
Glaire, un autre évangile, c'était au fond celui de Jésus-Christ,
auquel on joignait la pratique de la loi de Moïse, laquelle addition
suffisait pour renverser l'Évangile du Christ.
Développez cette pensée : un autre évangile,
c'est celui de Jésus-Christ, auquel on ajoute la pratique des
commandements de l'Eglise, la tradition et les dogmes nouveaux,
additions qui suffisent pour renverser l'Évangile du Christ !
M. le Curé. - Vous
voulez donc revenir purement et simplement à la saine doctrine...
M. A. - Oui, parce
qu'il n'est que trop vrai que la prophétie de saint Paul s'est
réalisée -
« Il viendra un temps où les hommes ne
pourront souffrir la saine doctrine, mais ne voulant entendre que ce
qui les flattera, ils chercheront sans cesse des docteurs au gré de
leurs désirs ; et, s'écartant de la vérité, ils prêteront
l'oreille à des fables .... (8) »
M. le Curé. - O
ciel ! Où est la Vérité, et où sont les fables ?
M. A. - La vérité,
c'est que la parole de Dieu doit être lue de tous ; les fables,
c'est que les seuls ecclésiastiques aient le droit de la lire ;
la vérité, c'est que saint Pierre n'a pas eu une double primauté
d'honneur et de juridiction ; les fables, c'est qu'il a été pape
vingt-cinq années et qu'il a fondé la papauté ; la vérité, c'est
que nous devons nous aimer les uns les autres ; les fables, c'est
que l'Eglise a le pouvoir d'employer la force pour
maintenir sa domination ; la vérité, c'est que les chrétiens
doivent aller et instruire les nations ; les fables, c'est que
quelques-uns se cloîtrent par dévotion ; la vérité, c'est que le
sang de Jésus-Christ nous purifie de tout péché ; les fables,
c'est que l'eau bénite efface le péché originel ; la vérité,
c'est que le Saint-Esprit est un don de Dieu ; les fables, c'est
que l'évêque qui confirme le donne à l'enfant ; la vérité, c'est
que le Christ a dit en instituant la Cène : Faites ceci en
mémoire de moi ; les fables, c'est la présence matérielle du
corps de Christ dans l'hostie et dans le vin de la communion..
M. le Curé. - Les
fables c'est que la Fête du Saint Sacrement repose sur les visions
d'une religieuse ! Le Sacrement du Mariage, erreur voulue de
traduction ! Le Purgatoire... hésitations du Concile de
Trente ! L'Extrême-Onction... simple pratique mentionnée par
saint Jacques et non institution du Seigneur ! ...
M. A. - La vérité
c'est qu'il n'y a qu'un seul avocat, un seul médiateur, un seul nom à
invoquer pour être sauvé ; les fables c'est que tous les saints,
et la Vierge Marie peuvent intercéder pour nous ... Et maintenant,
vous, qui portez le titre glorieux de ministre de Jésus-Christ,
irez-vous encore prêcher cet autre évangile ? Serez-vous
satisfait si vos paroissiens continuent à prêter une complaisante
oreille à ces fables ?
M. le Curé. - Je sais
qu'en le faisant j'agirais contre ma conscience...
M. A. - « Tout
ce qui ne se fait pas de bonne foi est péché (9). »
M. le Curé. - Que
faire ? Mes cheveux ont blanchi dans le ministère... je ne puis
abandonner une carrière sacrée... je suis prêtre, prêtre jusque dans
l'Éternité ! ... Vous me dites : Prêchez la Vérité !...
Si j'ouvre l'Évangile à mes fidèles, on me crie
anathème ... Si je discute, si je raisonne, anathème !... On
m'interdit... Mon âge même ne serait point respecté ! Je plie,
accablé, sous un joug qui m'oppresse O mon Dieu ! Quand serai-je
affranchi ? Malheureux que je suis Esclave aux dures chaînes... O
liberté, liberté, pourquoi me fuis-tu ?...
M. A. - Si le Fils
de Dieu vous met en liberté vous serez vraiment libre (10).
M. le Curé. - Vain
mirage ! Cette liberté n'est pas connue à Rome... Lorsque le daim
est en liberté, il court, s'élance et bondit de cime en cime... en
cage, il est sans vigueur et ses membres agiles s'alourdissent... Le
Séminaire c'est notre cage, et là, nos intelligences
s'engourdissent....
M. A. - Êtes-vous
prêtre de Rome ou de Dieu ? La Vie Éternelle, est-ce le Vatican
ou bien le Royaume des cieux ? La saine
doctrine est-elle dans la Bible ou dans les catéchismes
romains ?... Vous ne pouvez servir deux maîtres... Lequel
choisissez-vous ?
M. le Curé. -
Dieu ! ...
M. A. - Eh bien,
démissionnez afin de libérer votre conscience. Vous ne serez plus
prêtre romain, mais vous resterez prêtre éternel, consacré à
Jésus-Christ et vous prêcherez l'Évangile (11).
M. le Curé. - En
aurai-je le courage ? Quelle clameur autour de moi... Famille,
amis, supérieurs vont me couvrir de leur mépris. Que
ferai-je ?... Leurs yeux obscurcis n'ont pas connu les lumières
de l'Évangile !...
M. A. - « Vous
serez doux envers tous, patient, reprenant modestement ceux qui
résistent à la vérité, dans l'espérance que Dieu leur donnera un
jour l'esprit de pénitence (repentance) pour qu'ils connaissent la
vérité (12). »
M. le Curé. - Depuis
longtemps j'avais des doutes... J'ai beaucoup lu depuis ma sortie du
Séminaire ... Je me suis enseveli dans une dévotion extraordinaire
pour ne plus entendre la voix de ma raison... Je n'ai réussi qu'en
partie... À l'autel, pendant les offices, aux processions, une voix
sévère troublait ma conscience : cherche la vérité ! Et
l'argent que je recevais pour mes messes ! Oh ! il me
brûlait la main... Je croyais prendre les trente pièces d'argent de
Juda !
M. A. - Qu'est-ce qui vous retenait encore ?
M. le Curé. - Un vieux préjugé. Je suis né
catholique - disais-je - je suis prêtre romain... transformer ma foi
serait une apostasie !
M. A. - Que dites-vous à présent ?
M. le Curé. - Je dis que je suis né romain, que je
suis prêtre romain, mais que je reconnais enfin qu'il n'y a qu'une
seule religion, qu'une seule foi, qu'un seul baptême... je dis que je
vais envoyer ma démission à Monseigneur et que je ne serai pas un
prêtre défroqué, ni un apostat ; que je ne change pas de
religion, mais que délaissant la forme romaine, erronée, du
christianisme, j'entre dans la grande église catholique apostolique,
qui est celle de Jésus-Christ et des apôtres !
M. A. - La lumière de la vérité vous éclaire, c'est
une nouvelle vie, féconde et bénie, qui s'ouvre à vous ...
M. le Curé. - 0 Christ, je viens, je viens à
vous... car vous êtes le chemin, la vérité et la vie !
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