M. le Curé.
- Notre village est vide, nos braves gens sont
partis en pèlerinage. Ils vont, ces simples
en la foi, apporter leurs afflictions et leurs maux
à N. D. de Lourdes.
Dans la grotte où elle
apparut, vous les verriez, fervents, se prosterner
dévotement, pauvres et riches, soldats et
officiers, tous côte à côte,
unis dans la vénération de celle qui
fut la mère de Notre Sauveur.
N'allez pas troubler leur
piété, n'allez pas dire à ces
fidèles catholiques qu'ils ne sont pas
approuvés de Dieu... laissez aux protestants
leur froide incrédulité.
M.
A. -
C'est un reproche qu'ils ne méritent
à aucun titre. Non seulement les protestants
croient à la Vierge Marie - le contraire
serait absurde - mais encore ils l'honorent
grandement, ils l'appellent bienheureuse
(comme le Livre sacré) puisqu'elle a eu le
privilège si admirable d'être choisie
pour mère de Notre Seigneur.
M.
le
Curé. - Pourquoi donc ne viennent-ils
pas à nos
pèlerinages ?
M.
A. -
Parce que, à l'exemple des apôtres, de
l'Eglise apostolique et des Pères, ils
affirment que l'Écriture sainte leur
interdit de lui rendre un culte, un service
quelconque.
M.
le
Curé. - La preuve ?
M.
A. -
En dehors des textes invoqués contre le
culte des saints et qui s'appliquent aussi à
la Vierge, je vous ferai remarquer que nul
apôtre ne parle de la Vierge Marie. Le livre
des Actes des apôtres seul nous dit une fois
que la Mère de notre Sauveur priait dans la
Chambre Haute en compagnie des disciples
(1).
Jean, le disciple que Jésus
aimait, auquel la Vierge Marie fut confiée,
n'en parle jamais ni dans ses épîtres
ni dans l'Apocalypse. Il est étrange qu'il
n'ait point songé à saluer les
églises de sa part ; et surtout, dans
sa vision du ciel, il est plus que surprenant qu'il
ne nous ait jamais désigné celle que
vous décorez du titre majestueux de Reine du
ciel !
M.
le
Curé. - Ceci ne m'avait pas
frappé auparavant !... Le culte de la
Vierge n'a-t-il point commencé avec la
propagation de la foi
chrétienne ?
M.
A. -
Selon toutes probabilités il a pris naissance au
IVe siècle,
lors de la conversion de Constantin.
M.
le
Curé. - Encore une renaissance du
paganisme, comme le culte des
saints ?
M.
A. -
Vous savez que le culte des déesses
était fort en honneur à cette
époque, Nous en avons un exemple dans le
Nouveau Testament.
À Éphèse, les
fanatiques de Diane soulevèrent une
émeute contre saint Paul ; dans un lieu
public, nul ne put se faire entendre parce que la
foule vociféra pendant deux heures :
« Grande est la Diane des
Éphésiens ! »
(2)
M.
le
Curé. - Les Pères de l'Eglise
n'ont-ils pas protesté ?
M.
A. -
Saint Jean Chrysostome (407) a prêché
contre le nouveau culte, Nestorius...
M.
le
Curé. - Ce n'était pas un
Père, mais un hérétique !
Il refusait d'appeler - comme Anastase - la Vierge
Marie : Mère de Dieu !
M.
A. -
Parce que, disait-il, la Vierge Marie est la
mère de Jésus-Christ et non celle de
Dieu qui est éternel...
M.
le
Curé. - Son but était de
rabaisser la céleste fille
d'Anne !
M.
A. -
C'est une erreur. Nestorius consentait à la
dire Mère de Dieu, mais à la
condition qu'on insistât sur le mot Mère et qu'on ne la
divinisât
pas.
M.
le
Curé. - Nestorius a été
condamné comme hérétique par
deux conciles à Alexandrie, en 430 et
à Éphèse en 131. Là, il
fut excommunié.
M.
A. -
Condamné à Alexandrie ! Quoi
d'étonnant ! Le culte de la Vierge
était passé dans les moeurs. Comme
pour Diane on trouvait autour des autels à
Marie de pieuses femmes, se déclarant
« prêtresses de la
Vierge » et pétrissant de petits
gâteaux pour les lui
offrir !...
Ce sont aujourd'hui, à
quelques détails près, les
« Enfants de
Marie ! »
M.
le
Curé. - C'est un honneur d'avoir
réussi à christianiser les cultes du
paganisme !
M.
A. -
Tel n'était pas l'avis de saint
Épiphane (497). Il
s'écriait :
« Si Dieu ne permet
même pas d'adorer les anges, combien moins
permettrait-il que cet honneur fût
déféré à la fille
d'Anne, qui n'a point été
engendrée autrement que selon la nature des
hommes. Que Marie soit en honneur, mais que le
Père, le Fils et le Saint-Esprit soient
adorés (3). »
M.
le
Curé. - Mais nous n'adorons pas la
Vierge !
M.
A. -
Nous verrons tout à l'heure en quoi consiste
votre culte d'hyperdulie.
M.
le
Curé. - Le second Concile de
Nicée (787) a
déclaré qu'il n'y avait aucune
superstition dans l'honneur rendu à la
Mère du Seigneur et à son
image.
M.
A. -
Il n'avait pas prévu les pèlerinages,
le dogme de l'Immaculée-Conception, ni la
place prépondérante que l'on fait
prendre à la Vierge dans toutes les
églises.
En plein Moyen Âge, on
discutait encore là-dessus. Paschase Radbert
(845), polémisant avec Ratramme, n'a pas
encore l'idée de la conception
immaculée de Marie ; il ne la dit pas
« sainte », mais
« sanctifiée »
dès le sein de sa mère
(4).
M.
le
Curé. - Malgré toutes les
disputes, la Mère de Dieu triomphait ;
c'est à cette même époque que
les chanoines de Lyon préconisèrent
la fête de la Conception de la
Vierge.
M.
A. -
Un des éloquents prédicateurs de la
première Croisade, Bernard de Clairvaux
(1091-1153), disait que ce culte était
« une nouveauté
présomptueuse, mère de la
témérité, soeur de la
Superstition, fille de la
légèreté »
(5).
M.
le
Curé. - Cela n'a pas
empêché Urbain II, au Concile de
Clermont-Ferrand (1095), d'instituer l'Angelus
et
d'ajouter au bréviaire un office
spécial pour la bienheureuse Vierge
Marie.
M.
A. -
Depuis lors, si je ne me trompe, le samedi lui est
consacré...
M.
le
Curé. - Et en 1545, Philippe de
Néri, fondateur de l'ordre des Oratoriens,
institua le Mois de Marie.
M.
A. -
La question de l'Immaculée-Conception
était-elle résolue ?
M.
le
Curé. - Pas encore. On la discutait
avec acharnement ; les Thomistes et les
Dominicains refusaient d'admettre le dogme en
question ; les Scotistes et les Franciscains,
unis aux Cordeliers, le défendaient avec
énergie.
M.
A. -
Ils l'emportèrent, car l'Université
de Paris, en 1387 et en 1497, et le Concile de
Bâle en 1439, donnèrent leur satisfecit.
M.
le
Curé. - Les esprits n'étaient
pas encore calmés ; aussi, pour apaiser
la tempête qui grondait sourdement, le pape
Sixte IV tendit les mains aux deux partis
divisés. Aux Cordeliers, il accorda la
proclamation officielle de la fête de la
Conception de Marie le 8 décembre, se
gardant d'y mettre le mot
« Immaculée », qui
aurait remis le feu aux poudres ; aux
Dominicains, il déclara que, pour la
question dogmatique, à savoir si la Vierge
fut immaculée ou non, on pouvait à la
fois soutenir le pour et le contre.
M.
A. -
Le Concile de Trente s'est-il
prononcé ?
M.
le
Curé. - La discussion a
été obscure et embrouillée.
Fra Paolo Sarpi la relate fidèlement je
crois. Diego-Lainez, général de la
Compagnie de Jésus, aurait voulu la
définition du dogme de l'Immaculée
Conception, les autres docteurs n'osèrent
pas se prononcer. On en référa au
pape Paul III.
M.
A. -
Quel fut le résultat ?
M.
le
Curé. - On est resté dans le
vague, prétextant que dans la question du
Péché originel on ne s'était
pas occupé de la position de la Vierge
Marie :
« Le Concile
déclara que ce n'est pas son intention de
comprendre en ce décret (où il est
question du péché originel) la Sainte
et Immaculée Vierge Marie Mère de
Dieu ; mais qu'il faut observer les
constitutions de Sixte IV pape
(6). »
M.
A. -
Donc le Concile avoue que l'on peut soutenir le
pour et le contre ! Je n'aime pas ce, manque
de franchise, quand on anathématise de
gaieté de coeur. On doit être plus
nettement fixé sur ses dogmes.
M.
le
Curé. - Cela créa de grands
embarras dans l'Église. Grâce aux
Jésuites qui ne se tinrent pas pour battus,
une campagne fut menée en, faveur de
l'Immaculée Conception. Quelques papes les
favorisèrent de leurs décrets accompagnés
d'indulgences, tels furent Pie V (1570),
Sixte-Quint (1590), Clément VIII (1601),
Paul V (1616), Grégoire XIV....
M.
A. -
Clément VIII dut restreindre le mouvement
populaire : il régla les litanies pour
les processions, car leur nombre croissait
démesurément (7).
M.
le
Curé. - Alexandre VII constatait que
la croyance à l'immaculée conception
de Marie était universelle.
M.
A. -
Pourquoi n'a-t-il pas défini le
dogme ?
M.
le
Curé. - Je l'ignore ! Il a
laissé cet honneur à Pie IX qui, le
20 novembre 1854, l'a déclaré article
de foi dans la Constitution Ineffabilis
Deus :
« Nous définissons
que la doctrine qui regarde la très sainte
Vierge Marie comme ayant été
dès le premier instant de sa conception,
préservée de toute tache du
péché originel, par la grâce
particulière et le privilège du Dieu
Tout-Puissant et par les mérites de
Jésus-Christ, le Sauveur de la race humaine,
est une doctrine, révélée de
Dieu, et, en conséquence, doit être
observée fermement et constamment par tous
les fidèles. »
M.
A. -
Que dites-vous ? Une doctrine
révélée de Dieu ! Et il a
fallu 1854 ans pour s'en apercevoir !
Vérifions avec notre Paroissien la
solennelle déclaration de Pie IX
......
M.
le
Curé. - À cette époque
il peut encore errer il ne sera infaillible qu'en
1870...
Nous demandons à la Sainte
Mère de Dieu de prier pour nous ; nous
réclamons avec confiance sa puissante
protection ; nous sommes persuadés que
par l'intercession de cette sainte et glorieuse
Vierge, nous serons délivrés des
afflictions présentes et nous jouirons un
jour des joies éternelles
(8).
M.
A. -
Comptez-vous sur elle pour la rémission de
vos péchés ?
M.
le
Curé. - La Vierge sainte demande et
obtient pour nous la délivrance des
afflictions, le pardon, l'absolution et la
rémission de tous nos péchés
(9).
M.
A. -
Elle a donc des prérogatives divines !
C'est pour cela que vous l'appelez Reine du Ciel,
Reine des Anges... Sur la terre, à
Bethléem, à Nazaret, sa vie humble et
cachée ne faisait pas prévoir une
telle gloire !
M.
le
Curé. - Comme son divin Fils, elle
fut un modèle d'humilité.
M.
A. -
Mais comme Lui elle n'avait pas les paroles de vie
éternelle qui enthousiasmaient saint
Pierre ; elle ne pouvait parler comme Lui de
la gloire qu'il avait
auprès du Père avant que le monde
fût (10).
M.
le
Curé. - Elle a
préféré garder toutes ces
choses et les repasser dans son coeur... Son
humilité profonde lui fait répondre
à l'ange qui la vient
visiter :
« Voici la
servante du
Seigneur (11). »
M.
A. -
Ajoutez encore ce qu'elle dit à sa cousine
Elisabeth :
« Dieu a
regardé
la bassesse de sa servante
(12). »
À ce moment on lui aurait
montré la gloire terrestre dont l'Eglise
catholique romaine l'a 'entourée, qu'elle
aurait refusé de se
reconnaître...
M.
le
Curé. - Je vous prends en
défaut à votre tour ! Vous
prétendez connaître la Bible !
Mais lisez donc si la Vierge Marie n'a pas
prévu l'honneur qu'on lui
réserverait :
« Toutes les
générations - dit-elle - m'appelleront bienheureuse
(13). »
M.
A. -
Non, elle n'a pas prévu qu'on lui
dédierait des cathédrales, qu'on la
ferait apparaître aux quatre coins de la
France ... Elle a compris que tous les peuples de
la terre, lorsqu'ils connaîtraient le Fils
qu'elle allait leur donner, s'uniraient pour
reconnaître que Marie, objet du choix de
l'Éternel, devait être la plus pure,
la plus digne des filles d'Israël...
Bienheureuse, bienheureuse pourront-ils dire,
bienheureuse entre toutes les femmes, la
Mère du Sauveur des hommes !
M.
le
Curé. - Je vous défie de faire
dire ces choses à un
protestant !
M.
A. -
Il n'en est pas un seul qui refuserait de les
répéter. Tous ont une grande
vénération pour la Vierge
Marie ; les pasteurs dans leurs sermons la
donnent comme un sublime modèle
d'humilité et de vertu ; les auteurs
protestants ont des pages qui l'exaltent... Ce
grand honneur qu'ils rendent à la
bienheureuse fille d'Anne ne va pas jusques au
culte d'hyperdulie...
M.
le
Curé. - Je ne saisis pas la
différence ...
M.
A. -
Les protestants ne demandent pas à la Vierge
d'intercéder pour eux ; ils n'ont qu'un
seul intercesseur auprès du Père,
savoir Jésus-Christ, le Juste. Ils ne vont
pas s'agenouiller dans les chapelles
dédiées à Marie ; ils ne
se prosternent pas devant son image...
M.
le
Curé. - C'est votre
interprétation hérétique de
cette parole : « Tous les
siècles m'appelleront
bienheureuse », qui vous a induit en
erreur. Ne la détournez pas de son sens
naturel, et vous serez conduit au culte
d'hyperdulie.
M.
A. -
Je ne discute pas de parti pris ; le sens que
j'ai donné au
texte qui nous occupe est emprunté à
Notre Seigneur...
M.
le
Curé. - Je serais curieux d'en
être exactement
informé !
M.
A.
Pendant le ministère de Jésus, Une
femme voyant les oeuvres qu'il faisait,
s'écria :
« Heureux le
sein qui
vous a porté »
Le Christ répondit
aussitôt :
« Bien plutôt
heureux ceux qui écoutent la parole de Dieu
et qui la pratiquent
(14). »
Le privilège de ceux qui
conforment leur vie à l'enseignement du
Seigneur est plus grand que celui de Marie : Bienheureux
plutôt...
M.
le
Curé. - Jamais je n'avais eu
l'idée de mettre ces deux passages en
parallèle...
Ils atteignent la prévision
du culte que nous avons rendu à la Vierge,
mais ils laissent intacte son
intercession...
M.
A. -
Elle a donc le pouvoir de s'immiscer dans le
ministère de son divin
Fils ?...
M.
le
Curé. - Avec une autorité sans
égale. Elle demande et obtient la
grâce de tout pécheur qui
l'invoque.
M.
A. -
Je vais vous signaler deux circonstances de la vie
de Notre Seigneur où la Vierge Marie fut
appelée à comprendre que le
ministère confié à son Fils ne
regardait que Lui seul.
Une première fois, c'est
à Jérusalem. Jésus avait douze
ans ; il était resté pendant
trois jours dans le temple, discutant avec les
docteurs de la loi. Après l'avoir longtemps
cherché, puis retrouvé. Joseph et
Marie lui dirent leurs inquiétudes,
Jésus répondit :
« Pourquoi me
cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas qu'il faut
que je m'occupe de ce qui regarde le service de mon
Père (15). »
M.
le
Curé. - .... Jésus pouvait
faire allusion à ses devoirs religieux
plutôt qu'à son
ministère.
M.
A. -
Il serait facile de vous prouver que la fête
et les services religieux étaient
terminés depuis trois jours... Mais arrivons
à la deuxième circonstance.
C'était à Cana, en Galilée, la
mère de Notre Seigneur sollicita
discrètement un miracle :
« Ils n'ont
plus de
vin », dit-elle.
Et Jésus
répondit
« Femme, qu'y
a-t-il de
commun entre vous et
moi ? »
M.
le
Curé. - Est-ce que cela
signifie : « Laissez-moi la
liberté que demande mon
ministère ? »
M.
A. -
En parlant ainsi, Notre Seigneur n'a fait que
répéter ce qu'il a déjà
dit en sortant du temple : que la
volonté de son Père était la
seule règle qu'il
eût à suivre dans l'exercice de son
ministère.
M.
le
Curé. - Vous êtes toujours
hérétique dans vos
explications !
M.
A. -
Croyez-vous ? Je n'ai cité que
l'abbé Glaire (16)...
Depuis ce jour la Vierge Marie
n'a
plus tenté de s'occuper du ministère
de son Fils.
M.
le
Curé. - Lorsque Notre Seigneur
était sur la Croix, expirant pour
l'humanité coupable, il nous a donné
Marie pour Mère, dans la personne de son
disciple :
À sa Mère il
dit : « Femme voilà ton
fils ; puis il dit au disciple : Voilà votre mère
(17). »
C'est de ce moment solennel que
datent nos relations avec notre Bonne
Mère.
M.
A. -
Je ne vois dans cette émouvante scène
qu'un acte d'amour. Jésus confie sa
mère au disciple qu'il aimait et non
à toute l'humanité ! Les paroles
« Femme voilà ton
fils », ne conféraient aucun
ministère à la Vierge Marie ni en
faveur de Jean qui au contraire devait la
protéger, ni pour l'humanité que
Jésus achevait de sauver.
M.
le
Curé. - Qu'est-ce qui le
prouve ?
M.
A. -
Le texte lui-même qui ajoute ces simples
mots : Et
depuis
ce jour-là le disciple la recueillit dans sa
maison.
M.
le
Curé. - Je relève en votre
faveur que les apôtres et l'Église
primitive n'ont pas célébré de
culte, ni réclamé l'intercession de
la Vierge. Mais j'estime que les grands pouvoirs de
Marie proviennent surtout de sa conception
immaculée.
M.
A. -
À quel endroit de l'Écriture sainte
en est-il parlé ?
M.
le
Curé. - Nulle part, c'est une
tradition. L'Église célèbre la
fête de l'Immaculée-Conception parce
que la très sainte Vierge a
été, par un privilège
spécial, exemptée du
péché originel
(18).
M.
A. -
La pure et pieuse fille d'Anne ne l'a jamais
cru...
M.
le
Curé. - Encore une nouvelle
hérésie !
M.
A. -
... Elle dit à
Élisabeth :
« Mon âme
glorifie le Seigneur, et mon esprit est ravi de
joie en Dieu mon Sauveur
(19). »
M.
le
Curé. - Je ne vois pas où vous
voulez en venir...
M.
A. -
Qu'est-ce qu'un Sauveur ?
M.
le
Curé. - C'est celui qui
sauve...
M.
A. -
De quoi Jésus nous a-t-il
sauvés ?
M.
le
Curé. - Du péché
originel et du péché
actuel.
M.
A. -
Quelqu'un exempt du péché originel et du péché
actuel
aurait-il eu besoin d'un Sauveur ?
M.
le
Curé. - Évidemment
non !
M.
A. -
Donc la Vierge Marie qui déclare se
réjouir d'avoir un Sauveur...
M.
le
Curé. - .......
M.
A. -
... N'était pas exempte du
péché originel, Saint François
d'Assise, un fervent de Marie,
disait :
« Ce lis de pureté
et d'innocence a été blanchi dans
le sang de l'agneau
(20). »
M.
le
Curé. - Il écrivait cela avant
la définition du dogme... Sixte IV aussi
n'était pas sûr de la conception
immaculée...
M.
A. -
Comment interpréterez-vous la Purification
de la Vierge ? Immaculée dans sa
conception donnant au monde le Fils de Dieu, elle
était dispensée de droit divin, des
exigences de la loi
lévitique !
M.
le
Curé. - Elle est allée au
temple par humilité et par
obéissance, ne se mettant point en peine
d'être jugée impure par les hommes.
(21)
M.
A. -
En somme vous n'avez aucune preuve
catégorique à m'opposer pour
établir sur des bases solides le dogme de la
conception immaculée, l'Écriture Sainte et
l'histoire se sont élevées contre
vous.
M.
le
Curé. - La preuve catégorique,
irréfutable, c'est que la très sainte
Marie est restée toujours vierge
après la naissance de Jésus ;
elle n'a pas eu d'autre enfant.
M.
A. -
Nous n'en finirions plus si nous voulions
étudier toutes les combinaisons que les
théologiens catholiques romains ont
essayées pour expliquer tous les passages
analogues à celui-ci :
« Je ne vis à
Jérusalem, dit saint Paul, aucun des
autres apôtres, si ce n'est Jacques,
frère du Seigneur.
(22) »
M.
le
Curé. - Il faut savoir lire. Ce terme
affectueux est mis à la place de cousin. Il s'agit ici de
Jacques, fils de
Marie, soeur de la Vierge, et de Cléophas
appelé aussi Alphée.
M.
A. -
Je réponds à ce seul argument. Parmi
les douze apôtres choisis par Jésus,
nous trouvons Jacques, fils de
Zébédée, et Jacques, fils
d'Alphée, le cousin de Jésus
...
M.
le
Curé. - C'est ce dernier qu'on
appelle par amitié « le
frère du Seigneur »,
M.
A. -
Les disciples croyaient-ils en
Jésus ?
M.
le
Curé. - Quelle question ! Ils
ont tout quitté pour le
suivre !
M.
A. -
Or, l'Évangile selon saint Jean nous dit que
« les
frères mêmes de Jésus ne
croyaient pas en lui
(23) »
M. le Curé.
Hélas ! il parle de ses
cousins !
M. A. - Mais vous venez
d'admettre
que son cousin Jacques, fils d'Alphée,
était au nombre des douze !... Donc il
croyait en lui et Jean nous parle réellement
des propres frères de Jésus qui n'y
croyaient pas...
M. le Curé, - Jacques, le
cousin de Jésus, croyait, ce sont les autres
qui ne croyaient pas...
M. A. - Jean en aurait fait la
remarque ; mais ce qui prouve davantage encore
qu'il est réellement question de Jacques,
frère du Seigneur, c'est que, pour
établir sa foi chancelante, Jésus lui
apparaît
particulièrement :
« Jésus,
nous apprend saint Paul, s'est fait voir
à Jacques et puis à tous les
apôtres ».
(24)
Ce n'est pas du cousin de
Jésus dont parle saint Paul, ni de Jacques,
fils de Zébédée, ceux-ci sont
compris dans les apôtres ; il est bien
question de Jacques, frère du Seigneur, bien
désigné en dehors du collège
des douze.
M. le Curé. Jamais je n'avais
fait pareille remarque ! Quelle
révolution à opérer ! O
douce Vierge, que vas-tu devenir !
M. A. - Elle gardera la place
qu'elle a toujours occupée ; elle sera
aimée comme mère du Sauveur, parée de ses
réelles vertus, et non d'une
immaculée conception imaginaire ; elle
sera honorée comme dans
l'Évangile : modeste vierge en
Israël et mère tendre ; femme
pieuse qui s'efface derrière l'oeuvre de son
Fils qu'elle appelle son Sauveur, qui se joint aux
premiers chrétiens, non pour occuper une
place prépondérante, mais pour prier
avec eux. (25)
M. le Curé. - 0 vision sublime ! Mes yeux s'éclairent, je vois Marie, la vraie Marie de l'Évangile, modèle de foi, de piété, d'humilité, d'amour... Les statues tombent en poussière, les décrets des conciles s'effacent, le culte d'hyperdulie a vécu ! Je vois la foule des pèlerins qui se pressait dans les sanctuaires, se tenir autour de la Vierge, prête à obéir... Alors la voix céleste de Marie se fait entendre, tandis qu'elle désigne son Fils, et elle dit comme jadis à Cana : « Faites tout ce qu'il vous dira ! » (26)... Désormais j'obéirai à la Vierge Marie en me prosternant aux pieds de son divin Fils.
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