M. le Curé.
- Par ce sentier solitaire qui court sous les
chênes nous monterons sans fatigue
jusqu'à la chapelle
vénérée de Saint-Germain. Je
veux vous montrer la foi naïve de nos
fidèles exprimée en de touchantes
inscriptions.
M.
A. -
Cette foi, ce culte rendu aux saints auxquels vous
donnez une si grande importance, sont-ils de
précepte divin ? Ont-ils existé
dans l'Eglise apostolique ?
M.
le
Curé. - Tant qu'il n'y avait pas eu
de saints, on ne pouvait les honorer ; tel est
le cas de l'Eglise pendant le premier
siècle.
M.
A. -
Les apôtres, descendants des patriarches et
des prophètes, auraient pu invoquer
Hénoch « qui, par la foi, fut
enlevé au ciel » ; ou Abraham
appelé le père du peuple
d'Israël ; ou encore
après la transfiguration annoncer
l'intercession de Moïse et d'Elie
(1)...
M.
le
Curé. - Les apôtres ne l'ont
pas fait parce que Jésus était
toujours au milieu d'eux.
M.
A. -
Pourquoi ne l'ont-ils pas fait après
l'Ascension de Notre-Seigneur ? Outre les
« saints » de l'Ancienne
Alliance ils avaient saint Étienne, le
premier martyr chrétien
(2), mort
vers
l'an 36 ou 37; saint Joseph et la Vierge
Marie...
D'où vient, dis-je, que nul
apôtre ne les mentionne ?
M.
le
Curé. - Je ne sais que vous dire,
sinon que le Saint Concile de Trente déclare
que l'honneur rendu aux saints est un usage de
l'Eglise catholique et apostolique depuis les
premiers temps de la religion chrétienne
(3).
Consultez
l'histoire !
M.
A. -
La plus ancienne trace de respect
exagéré que je trouve pour les
reliques des saints remonte au second
siècle. Quelques chrétiens d'Antioche
rapportèrent les os de saint Ignace mort
martyr ; un fait analogue se produisit pour
saint Polycarpe (169), mais il s'agissait d'un
pieux devoir accompli et non d'un culte. Il n'est
pas question de miracles.
M.
le
Curé. Ce « pieux
devoir » est devenu un culte
sacré !
M.
A. -
Puisqu'il faut tout dire, c'était un emprunt
fait au culte des morts du paganisme. Les
chrétiens fidèles protestaient, car
ils redoutaient la superstition naissante ;
saint Antoine de Côme, au IIIe siècle,
ordonna de tenir secret le lieu de sa
sépulture afin que l'on ne fût pas
tenté de rechercher ses restes mortels pour
leur rendre un culte.
Saint Athanase fit murer les
reliques des martyrs pour mettre un terme au culte
que les fidèles commençaient à
leur rendre.
M.
le
Curé. - Ces mesures d'ordre avaient
pour but de préserver les chrétiens
d'abus possibles. Mais rien ne prouve l'origine
païenne...
M.
A. -
Écoutez Tertullien. Voici ce qu'il disait
aux chrétiens du IIIe siècle en
critiquant les dieux des Romains :
« Qui vous permet d'attribuer à
des hommes ce qui est réservé
à Dieu seul ? Qu'il suffise aux martyrs
de souffrir pour leurs propres
péchés. Qui donc a jamais payé
pour la mort d'autrui, sinon le Fils unique de Dieu
(4). »
M.
le
Curé. - Tertullien à lui seul
n'est pas une autorité. Ainsi Justin, martyr
au IIe siècle, Irénée, au IVe,
Lactance, au IVe ont parlé souvent des
saints et des martyrs...
M.
A. -
Oui, pour dire que les saints et les martyrs
attendaient le jour du jugement dernier pour entrer
dans le ciel (5)... Donc, il leur
était
impossible d'intercéder pour qui que ce
fût.
M.
le
Curé. - Je repousse votre opinion
parce que les païens n'avaient pas de saints
et que la pensée de les honorer est toute
chrétienne.
M.
A. -
J'ai appris que deux empereurs romains,
idolâtres, furent appelés l'un saint Gallien, l'autre saint
Valérien.
M.
le
Curé. - Soit ! Vous prenez en
défaut les connaissances historiques du
Concile de Trente, vous ne trouvez encore aucun
honneur rendu aux saints au IVe siècle,
recommandé par l'Eglise ; vous prouvez
que les Pères d'un consentement unanime
blâment ce culte...
Puisque vous êtes si
sûrement documenté, prouvez-moi
l'origine païenne de ce culte des
saints !
M.
A. -
En 313, l'empereur Constantin, devenu
chrétien, publia un édit proclamant
le Christianisme comme religion d'État. Ce
fut un coup de foudre ; les païens,
redoutant la persécution, entrèrent
alors en masse dans l'Église.
Ils introduisirent un certain
nombre
de leurs coutumes religieuses, en particulier leur
vénération pour leurs dieux
domestiques.
M.
le
Curé. - Le pape aurait dû
protester !
M.
A. -
C'était Damase. Au lieu d'arrêter net
ce mouvement dangereux, il convoqua un Concile tenu
à Constantinople en 381, où l'on se
préoccupa surtout de conserver la confiance
des païens nouveaux convertis.
On jugea opportun de ne pas
froisser
leur culte pour les morts, et on imagina de
remplacer leur vénération des dieux
lares par le culte des saints du
Christianisme !
M.
le
Curé. - Votre rapprochement est
frappant, car la dévotion aux saints date
précisément de ce Concile.
M.
A..
- En somme, c'était le même culte,
quelques noms seuls étaient
changés..
M.
le
Curé. - Quelques noms seuls !...
Pas tous ?...
Nous n'avons cependant aucun
ancien
dieu païen parmi nos saints...
M.
A. -
Je n'en doute pas. Mais quelques personnages
bibliques étaient connus et honorés
des païens. L'empereur Septime
Sévère avait, dans sa lararia
(6), placés côte à
côte Abraham et Orphée, Alexandre le
Grand et Jésus-Christ.
M.
le
Curé. - Et personne à cette
époque n'a protesté ?
M.
A. -
Saint Augustin a eu ce courage :
« Ne vous faites point
une
religion par un culte rendu à des
créatures mortes ; car si elles ont
vécu saintement, ce ne sont pas elles qui
recherchent cet honneur, mais elles nous demandent
d'honorer Celui par la lumière duquel elles
se réjouissent de pouvoir participer
à ses mérites.
Ainsi donc, ces âmes doivent
bien être honorées à cause de
l'imitation qu'elles font de ses mérites et
non pas être adorées pour cause de
religion (8). »
M.
le
Curé. - Je l'approuve, nous n'adorons
pas les saints..
M.
A.
Nous en dirons un mot dans un instant.
Au VIe siècle,
l'évêque de Marseille fit enlever
toutes les images de saints des églises de
son diocèse.
M.
le
Curé. - Ni l'évêque
d'Hippone, ni celui de Marseille ne furent
écoutés. En 608, le pape Boniface IV
obtint de l'empereur Phocas la
désaffectation de l'ancien temple de
Jupiter-Vengeur, élevé par Agrippa,
ainsi que l'autorisation de le consacrer à
la Vierge et aux saints.
M.
A. -
Ceci confirme ce que je vous disais.
Un temple païen est devenu une
église chrétienne, les noms seuls ont
été changés.
L'empereur Léon III, par son
édit de 726, essaya de mettre un frein
à ce nouveau culte ; il défendit
de se prosterner et de s'agenouiller devenu les
images des saints...
M.
le
Curé.. - Vous atténuez le
crime de ce maudit iconoclaste !
M.
A. -
Je reste dans la vérité
historique.
Le patriarche de Constantinople
souleva le peuple qui refusa d'obéir ;
alors, Léon III, en 730, c'est-à-dire
quatre ans plus tard, fit brûler les statues
des saints et effacer les peintures murales dans
les églises...
M.
le
Curé. - Que de massacres s'en sont
suivis !
M.
A. -
À qui la faute ?
M.
le
Curé. - Le pape Grégoire Il
protesta. Le Concile de Rome sous Grégoire
III, en 732, condamna l'empereur.
M.
A. -
Longtemps encore la lutte se poursuivra.
Constantin Copronyme, fils et
successeur de Léon III, convoqua un nouveau
Concile à Constantinople. en 754, où
338 évêques déclarèrent
d'un commun accord que le culte rendu aux images et
aux saints était une renaissance du
paganisme.
M.
le
Curé. - Léon IV avait aussi
suivi cette politique ; mais après sa
mort, Irène, impératrice
régente, s'entendit secrètement avec
le pape Adrien I, et les images
furent de nouveau rétablies en 780. Sept
années après, le deuxième
Concile de Nicée décréta que
le fait de se prosterner devant les statues ou les
images des saints n'était ni une
superstition, ni une
hérésie.
M.
A. -
Deux conciles, celui de Francfort (794) et celui de
Paris (825), refusèrent de se soumettre aux
décisions de Nicée.
M.
le
Curé. - Des docteurs érudits
tels que Claude de Turin (825), Agobard,
archevêque de Lyon (816), gagnèrent la
cause des saints.
L'impératrice Théodora
convoqua un grand Concile à Constantinople,
en 842 qui répéta les canons de
Nicée.
M.
A. -
Dès ce IXe siècle, le culte des
saints prend un développement
extraordinaire... C'est encore et toujours le moyen
âge !
M.
le
Curé. - Cela est vrai... La
canonisation de nouveaux saints date de cette
époque. Le pape Léon III
l'institua...
M.
A. -
Sur les conseils de Charlemagne et pour
éviter les abus des béatifications
hâtives et populaires.
M.
le
Curé. - En réalité,
c'est Alexandre III (1181), qui s'est
réservé le pouvoir exclusif de la
canonisation.
M.
A. -
Et celui de l'authenticité des
reliques ?
M.
le
Curé. - Rien ne vous
échappe ! ... Eh bien, oui, il y a eu
des scandales. Plusieurs reliques antérieures au
XIIIe siècle sont plus ou moins
authentiques ! Pour éviter des erreurs
connues, dues à l'engouement du peuple, le
Concile de Latran (1215), sur les sages avis
d'Innocent III, réserva au pape seul le
pouvoir de les garantir vraies. Enfin, le Concile
de Trente, dans sa dernière session, a tout
réglé : abus, doctrine et
canons.
M.
A. -
Donc, vous êtes tenu d'enseigner que les
saints régnant avec Jésus-Christ
offrent leurs oraisons à Dieu pour les
hommes, et que c'est une chose bonne et utile de
les invoquer humblement et de les supplier
(9)...
M.
le
Curé. - C'est tout à fait
cela.
M.
A. -
Eh bien, pour comprendre votre doctrine,
permettez-moi de vous demander qui vous appelez un
saint ?...
M.
le
Curé. - Je donne le nom de saints à tous les fidèles,
parce qu'ils sont appelés à
être saints, et qu'ils sont consacrés
à Dieu par le baptême
(10).
M.
A. -
Nous sommes d'accord. Le Nouveau Testament exprime
une pensée analogue ; tous les
convertis de Jérusalem sont appelés saints par Ananie de
Damas : « Seigneur
j'ai
appris
de plusieurs combien Saul
de Tarse a fait de maux à vos saints dans
Jérusalem
(11). »
M.
le
Curé. - Saint Paul désigne
ainsi les chrétiens d'Éphèse,
de Colosses, de Thessalonique ; il dit
à ces derniers :
« La volonté
de
Dieu est que vous soyez saints... Dieu ne vous a
pas appelés pour être impurs mais pour
être saints (12). »
M.
A. -
Dans aucun de ces passages il ne peut être
question des saints canonisés par Rome. Et,
chose digne de remarque, ni saint Joseph, ni saint
Étienne martyr, ni la Vierge Marie, ne sont
invoqués !
M.
le
Curé. - Je l'ai constaté avec
vous. Mais comme vous le savez il y a d'autres
saints, les béatifiés, ils
règnent dans le ciel, nous sommes en
communion avec eux...
M.
A. -
Voilà ce qu'enseigne votre Église,
mais c'est en dehors du christianisme.
Lorsque saint Pierre était
dans la prison où Hérode l'avait
jeté, l'Eglise intercédait pour lui,
auprès de Dieu directement sans invoquer les
saints :
« L'Eglise
faisait sans
cesse des prières à Dieu pour lui
(13). »
M.
le
Curé. - Pour eux, les apôtres
n'avaient pas besoin de saints ! Après
leur mort on leur demanda les mêmes faveurs
qu'ils accordaient de leur vivant, en
obéissance à cette parole du
Christ :
« Si quelqu'un
est mon
serviteur mon Père
l'honorera. »
Il s'ensuit que si Dieu, tout
grand,
tout majestueux, tout Dieu qu'il est honore les
saints, qui ont été ses serviteurs,
il est indubitable que nous devons aussi les
honorer (14).
M.
A. -
Dieu honore-t-il seulement les saints
canonisés par Rome ou bien tous ceux qui
sont ses serviteurs ?
M.
le
Curé. - La promesse donnée par
Notre Seigneur s'applique à tous les
chrétiens qui servent Dieu.
M.
A. -
L'honneur qui leur est réservé
s'applique-t-il aux seuls saints
béatifiés par les Papes ou à
tous les chrétiens
fidèles ?
M.
le
Curé. - L'honneur s'applique à
tous les chrétiens qui servent Dieu
fidèlement.
M.
A. -
Alors, le plus humble d'entre les chrétiens
reçoit les mêmes faveurs de Dieu, que
le plus vénéré d'entre vos
saints...
M.
le
Curé. Je vous l'accorde, mais ne niez
pas non plus l'honneur que Dieu leur rend
aussi.
M.
A. -
Je ne le nierai pas à la condition que vous
me prouverez que tous les saints que vous avez
canonisés ont été reçus
en grâce. Par exemple, votre très
saint Père Alexandre VI Borgia... Mais je
n'admettrai jamais qu'un saint
béatifié, quel qu'il soit,
possède la toute science, le pouvoir
d'être partout... Ces attributs lui seraient
nécessaires pour entendre toutes les
prières qui lui sont adressées d'un
bout à l'autre du monde. Jusqu'ici j'avais
cru que ces attributs n'appartenaient qu'à
Dieu.
M.
le
Curé. - Saint Thomas d'Aquin a
déjà répondu à cette
objection. Il dit que Dieu communique
lui-même aux saints toutes les prières
qui lui sont adressées.
M.
A. -
Dans ce cas nous n'avons pas besoin des saints pour
que nos supplications parviennent aux oreilles de
Dieu. Le proverbe populaire a raison il vaut mieux
s'adresser à Dieu qu'à ses
saints !
Dieu demeure donc à la merci
de ses saints ! S'ils exaucent, il
exauce ; sinon, non !
M.
le
Curé. - Le Saint Concile de Trente
réplique alors que nous honorons les saints,
serviteurs de Dieu, afin que l'honneur que nous
leur rendons rejaillisse sur leur Maître
(15).
M.
A. -
Ceci c'est le principe. Vous dites même qu'en
honorant les saints il faut avoir soin de les
imiter, car le plus grand honneur qu'ils attendent
de vous et sans lequel tout le reste est fort peu
de chose, c'est que vous les imitiez
(16)
M.
le
Curé. - Vous reconnaissez que notre
culte est très raisonnable...
M.
A. -
De la théorie passons à la pratique.
Je me demande si c'est
« honorer » ou
« imiter » les saints que de
« baiser leurs images, se
découvrir devant elles, se prosterner et
s'agenouiller à leurs autels
(17) ».
M.
le
Curé. - Ces hommages ne s'adressent
point aux saints ni à leurs images, mais
à Jésus-Christ que nous
adorons...
M.
A. -
Quand un catholique baise le pied de saint Antoine
de Padoue, s'agenouille devant la statue de saint
Joseph, ou se prosterne devant la sainte Vierge, il
rend un culte à ces saints et non à
Jésus-Christ !
M.
le
Curé. - Sans doute ! Mais il ne
vénère ces saints que parce qu'ils
sont la ressemblance de
Jésus-Christ...
M.
A. -
Quel labyrinthe ! Mais alors il vaut mieux
aller tout droit à Jésus,
obéissant à son
conseil :
« En
vérité je vous le dis, si vous
demandez quelque chose à
mon Père en mon nom, il vous le donnera.
Jusqu'ici vous n'avez rien demandé en mon
nom. Demandez et vous recevrez, afin que votre joie
soit parfaite
(18). »
M.
le
Curé. - Ces paroles étaient
pour les apôtres, tout ce qu'ils demanderont
leur sera accordé, si nous implorons leur
intercession nos prières seront
exaucées.
M.
A. -
Cela est vrai pour tous les croyants et non pour
les apôtres seuls, car la promesse de
Jésus est universelle :
« Quiconque
demande
reçoit et qui cherche trouve ; et l'on
ouvrira à celui qui frappe
(19). »
M.
le
Curé. - Si nos fidèles ne
s'approchent pas de Dieu directement c'est qu'ils
n'osent pas...
M.
A. -
Je vous prends en défaut. Le Paroissien
s'oublie quelquefois, témoin cet
introït où l'âme
s'élève immédiatement à
Dieu :
« Le Seigneur
a
exaucé ma voix de son saint temple,
alléluia ; et les cris que j'ai
poussés en sa présence sont parvenus
jusqu'à lui
(20). »
Lisez encore cette
offertoire :
« Béni soit le
Seigneur qui n'a pas rejeté ma
prière, ni ôté sa
miséricorde de dessus moi (21). »
M.
le
Curé. - Ici l'offertoire est
plutôt une louange qu'une
prière... l'exaucement a pu avoir lieu par
l'intercession des saints...
M.
A. -
Ne sentez-vous pas qu'en plaçant partout et
toujours cette médiation des saints vous
diminuez la valeur de celle de Jésus !
Oubliez-vous que saint Paul
disait :
« Tous ceux
qui
invoqueront le nom du Seigneur seront
sauvés
(22). »
M.
le
Curé. - Cette opinion
particulière à saint Paul, juste en
soi, ne condamne nullement l'invocation des
saints.
M.
A. -
Récuserez-vous de la même
manière, l'appel énergique de Notre
Seigneur :
« Venez à moi
vous tous qui êtes fatigués et qui
êtes chargés et je vous soulagerai (23) »
M.
le
Curé. - Venez à moi... Oui,
sans doute, mais dans tout procès il faut
des avocats et dans le nôtre avec Dieu, les
saints sont nos avocats auprès de
Jésus-Christ.
M.
A. -
Un seul avocat suffit pour défendre une
cause. Le succès est assuré si
l'avocat est, de l'aveu de tous, le plus grand, le
plus digne, celui auquel le juge suprême ne
peut rien refuser. Lequel choisirons-nous parmi les
centaines de saints
canonisés ?....
M.
le
Curé. - Cela dépend de
l'inclination de chacun. Les uns invoqueront saint
Pierre...
M.
A.
Mais il a renié son
maître !
M.
le
Curé. - D'autres prieront saint
Thomas...
M.
A. -
Mais il a douté de son
maître !
M.
le
Curé. - Ce sera au moins saint Jean,
l'ami de Jésus, celui qui reposait sa
tête sur le sein de son
maître...
M.
A. -
Il refuse cet honneur... Si quelqu'un
pèche, dit-il, nous avons pour avocat
auprès du Père Jésus-Christ le
Juste. (24)
M.
le
Curé. - ... Vous avez lu les canons
du Concile de Trente ... Si quelqu'un vient
à enseigner ou tenir une opinion contraire
à ces décrets... qu'il soit
maudit !
M.
A. -
Ceux qui enseignent une opinion contraire à
ces décrets, c'est Jésus-Christ,
c'est saint Pierre, c'est saint Paul, c'est saint
Jean, c'est tout l'Évangile !
...
M.
le
Curé. - Votre interprétation
des textes, bien qu'ayant toutes les apparences de
la vérité, peut être
erronée. Vous ne pouvez citer aucun
commandement net et précis condamnant tout
honneur ou vénération rendue aux
saints.
M.
A. -
il existe, mais il passe inaperçu dans la
manière dont l'Eglise romaine s'est permise
d'arranger les dix commandements donnés par
Dieu à Moïse.
Vous dites :
"Un seul Dieu tu adoreras Et
aimeras
parfaitement. »
Dieu avait dit sur le mont
Sinaï :
« Je suis
l'Éternel ton Dieu, tu n'auras point d'autre
dieu devant ma face, tu ne feras point d'image
taillée, ni de représentation
quelconque des choses qui sont en haut dans les
cieux, qui sont en bas sur la terre et qui sont
dans les eaux plus bas que la terre. Tu ne te
prosterneras point devant elles et tu ne les
serviras point (25). »
M.
le
Curé. - Ce commandement
s'élevait contre l'idolâtrie... La loi
a été accomplie par
Jésus-Christ, depuis lors les choses ont
changé.
M.
A..
- Ce commandement est demeuré,
répété par Notre
Seigneur.
Lorsque Jésus fut
tenté au désert, il repoussa Satan en
disant :
« Il est
écrit.
Vous adorerez le Seigneur votre Dieu et vous ne
servirez que lui seul
(26). »
M.
le
Curé. - Vous ne servirez que lui
seul...
Cela me parait vous donner
raison...
tout culte, tout service, hormis celui dû
à Dieu, est défendu !
M.
A. -
Donc cela anéantit tout culte de dulie ou
d'hyperdulie, malgré les malédictions
du Concile de Trente !
M.
le
Curé. - L'Évangile nous
laisse-t-il au moins les
images ? L'art chrétien serait-il un
attentat contre la majesté de
Dieu ?
M.
A. -
Représentez des saints, des scènes
bibliques et vous ferez une oeuvre excellente,
mais...
M.
le
Curé. - Les images que nous
répandons n'ont d'autre but que
d'élever notre esprit au Ciel afin d'y
honorer Jésus-Christ (27).
M.
A. -
Mais si vos images n'ont que ce but-là,
dites à vos fidèles de ne pas baiser
les saints, de ne pas s'agenouiller devant leurs
statues, ou se prosterner lorsqu'elles sont
promenées
processionnellement !
Dites-leur que pour aller
jusqu'à Dieu il ne faut pas s'arrêter
d'abord devant la Vierge Marie, puis devant les
saints de sa prédilection...
M.
le
Curé. Vous allez me dire encore
Jésus a dit : « Je suis la
voie... Venez à moi. Personne ne peut aller
à mon Père que par moi
(28)... »
Mais les saints sont, sinon les avocats, au moins
les conseillers de Dieu....
M.
A. - Qui a connu les pensées du Seigneur,
s'écrie saint Paul, ou qui l'a
aidé de ses conseils ?
(29)
M.
le
Curé. - Eh bien laissons encore le
culte des images ! Mais
je
vous tiens avec les Reliques, elles ont accompli de
très grands miracles.
M.
A. -
Elles n'en font plus guère
aujourd'hui !
M.
le
Curé. - Parce que les fidèles
ne les visitent plus.
M.
A. -
Puisque les reliques ont des pouvoirs si fameux,
comment se fait-il que l'on n'a pas gardé un
pan du vêtement de Jésus qui a
guéri l'hémorroïsse, un peu de
la salive qui a servi à la guérison
d'un sourd-muet... (30).
M.
le
Curé. - C'est une question à
laquelle je ne puis répondre... on a
gardé le linge avec lequel sainte
Véronique essuya la sueur qui perlait sur le
divin visage de Jésus...
M.
A. -
Je m'étonne qu'il ne fasse pas plus de
miracles que Lourdes !...
On n'a gardé ni
vêtement, ni salive parce que ce n'est ni
l'un ni l'autre qui ont opéré les
guérisons ...
M.
le
Curé. - Qu'est-ce
donc ?
M.
A. - C'est la foi.
À la femme qui a
touché son vêtement Jésus
dit :
« Ma fille
ayez
confiance : votre foi vous a guérie
(31). » s
À l'aveugle de Jérico,
Jésus dit :
« Recouvrez la
vue...
Votre foi vous a sauvé (32). »
M.
le
Curé. - Ce n'est pas autre chose qui
a accompli les miracles attribués aux
Reliques.
M.
A. -
Nous y voici ! Vous accordez à quelques
ossements plus ou moins authentiques les
mêmes pouvoirs qu'à
Jésus !
M. le Curé. - Soit !
C'est la foi en Jésus et en Jésus
seul qui sauve et qui guérit....
M.
A. -
Et grâce à elle je suis plus sûr
de mon salut, parce qu'elle a les promesses de la
vie présente et de celle qui est à
venir ; j'ai la confiance que mon âme
est rachetée
régénérée.
Les saints ne m'ont rien promis,
ils
ne me connaissent pas, tandis que Jésus
...
M.
le
Curé. - .... a sauvé les
hommes, je veux bien, mais les saints peuvent bien
parler en notre faveur, comme Abraham
intercéda pour Sodome !
M.
A. -
Pourquoi dresser encore cette
barrière !
« Jésus est
toujours en état de sauver tous ceux qui,
par sa médiation, s'approchent de Dieu,
puisqu'il vit toujours pour intercéder en
notre faveur
(33). »
M.
le
Curé. - Quel dommage qu'au Concile de
Trente on n'ait pas discuté comme nous le
faisons !
M.
A. -
Au moment de la lecture des Canons pour
l'intercession des
Saints,
un chrétien aurait dû
s'écrier :
« Arrêtez !
Arrêtez ! Ne parlez pas des
Saints ! Quiconque invoquera le nom du
Seigneur sera sauvé !
(34) »
M.
le
Curé. - Il eût
été chassé,
anathématisé !
M.
A. -
Eh bien, ce grand proscrit, c'est saint
Paul !
M.
le
Curé. - Alors je ne refuse pas de
l'être avec lui.
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