M. le Curé.
- Quel affreux temps d'automne nous avons !
Les brouillards ont tout envahi. Mon clocher
s'aperçoit, à peine ! Que ce
doit être effrayant sur l'océan !
Les matelots ont à craindre à tout
instant de sombrer !... Tel est aussi le cas
de ceux qui ont perdu la foi, tout est brume, tout
est ténèbres autour d'eux. Et je
parle pour moi ; nos causeries ont eu pour
résultat de m'envelopper dans les voiles
sombres du doute... Où me
conduisez-vous ?
M.
A. -
À la vérité, à la foi,
à la source pure et jaillissante qui
s'échappe du sein de
Jésus !
M.
le
Curé. - Sur sept de nos Sacrements,
c'est à peine si vous en avez laissé
deux debout : le Baptême et
l'Eucharistie.
M.
A. -
Dites encore que j'ai combattu votre conception du
Sacrement donnant une vertu cachée à
l'acte matériel.
Pour vous, l'eau
du
baptême purifie, le Saint-Chrême
donne le Saint-Esprit, etc...
M.
le
Curé. - C'est la notion du Concile de
Trente et de nos théologiens.
M.
A. -
Je ne puis me mettre d'accord avec eux. Je
préfère comprendre l'Évangile.
- Un Sacrement est un signe par lequel le disciple
de Jésus-Christ fait une profession publique
de sa foi...
M.
le
Curé. - Tiens ! Dès lors
le chrétien qui participe au Sacrement n'en
éprouve la vertu qu'en raison de
l'intensité de sa foi ! Que votre
conception est faible ! Vous réduisez
le Sacrement à n'être qu'une simple
démonstration de foi ! ...
M.
A. -
Vous m'avez interrompu avant que j'aie
achevé ma définition.
J'avais parlé du
fidèle, il faut ajouter que le Sacrement
nous présente Jésus-Christ, notre
Sauveur et, avec lui, tous les trésors de la
grâce divine.
M.
le
Curé. Vous définiriez
donc ?
M.
A. -
Un Sacrement est un signe visible de la foi du
fidèle et un signe, visible aussi, des
grâces invisibles du Seigneur en
réponse à cette foi
professée.
M.
le
Curé. - Je comprends pourquoi vous
n'en recevez que deux. Le Baptême et
l'Eucharistie seuls entrent dans votre
définition.
M.
A. -
La vraie raison, c'est que ce sont les deux seuls
que Jésus ait institués. Pour les
cinq autres de l'Eglise romaine nul ne peut donner
une parole précise ; on hésite, on croit que la
Confirmation, on
pense que l'Extrême-Onction, furent
institués par le Seigneur.
M.
le
Curé. - En vérité, plus
les fidèles auront de moyens de grâce
et mieux cela vaudra. Sept, ce n'est pas
trop !
M.
A. -
Alors, ajoutez-en d'autres ! Le lavement de
pieds, par exemple, qui constitue un ordre
très net de Jésus :
« Si donc je
vous ai
lavé les pieds, moi votre Seigneur et votre
Maître, vous aussi, vous devez vous laver les
pieds les uns aux autres
(1). »
M.
le
Curé. - C'est juste... Mais alors
pourquoi les protestants ne l'ont-ils point
adopté ? Cette réforme
s'imposait.
M.
A. -
Les chrétiens de tous les âges ont vu
dans cet acte une admirable leçon
d'humilité. Les apôtres et les
Pères avaient maintenu les deux seuls
sacrements dont nous avons parlé, parce
qu'en eux abondent et surabondent les
trésors de la grâce divine.
M.
le
Curé. - Soit ! Ne retenons que
ces deux Sacrements. Qu'entendez-vous par la
grâce ?
M.
A. -
C'est, d'une part, l'oeuvre de
réhabilitation de l'humanité
déchue et, d'autre part, l'amour de Dieu
manifesté en Jésus-Christ mort pour
notre salut.
M.
le
Curé. - Où trouvez-vous
cela ?
M.
A. -
Dans aucune décision de Concile, mais dans
la Parole de Dieu qui est ma seule autorité.
Cette notion est inscrite à
chaque page, la voici formulée par saint
Paul :
« La grâce de
Dieu, notre Sauveur, a paru à tous les
hommes ; et elle nous a appris que,
renonçant à l'impiété
et aux passions mondaines, nous devons vivre dans
le siècle présent, avec
tempérance, avec justice et avec
piété (3), etc...
M.
le
Curé. - La grâce dont vous
parlez ne concerne que les catholiques
...
M.
A. -
Saint Paul ne dit pas comme vos conciles et vos
Papes : « Hors de l'Eglise point de
salut. » Il dit avec la puissance d'un
apostolat vraiment chrétien :
« Hors de Christ, point de
salut. » Jésus-Christ avait dit en
effet :
« Dieu a
tellement aime
le monde qu'il a donné son Fils
unique ; afin que tous ceux qui croient en lui
ne périssent point, mais qu'ils aient la vie
éternelle (4). »
M.
le
Curé. - Dans ces moyens de
grâce que vous préconisez qui agit le
premier ? Est-ce Dieu ? Est-ce
l'homme ? Ne faut-il pas que l'Eglise aille
maternellement au-devant des pécheurs, leur
tendant sept sacrements pour les conduire à
Dieu ?
M.
A. -
Saint Paul va répondre à ma
place.
« J'ai une
ferme
confiance que celui qui a commencé en vous la
bonne
oeuvre, la conservera jusqu'à
l'avènement de Jésus-Christ
(5). »
M.
le
Curé. - Donc c'est la grâce qui
va au-devant de l'homme, et non l'Eglise catholique
romaine ! C'est Dieu qui commence l'oeuvre du
salut dans les coeurs et la
conserve !
M.
A. -
Tel fut l'enseignement des apôtres -
« Je poursuis ma course, disait
saint Paul, pour tâcher d'atteindre
où Jésus-Christ a voulu me
conduire
(6). »
M.
le
Curé. - Comment expliquez-vous alors
cette action de la grâce ?... Ne
découle-t-elle pas de la vertu
cachée, inhérente à l'acte
matériel du Sacrement ? N'est-ce pas
l'eau bénite du Baptême, le pain
changé en corps du Seigneur dans
l'Eucharistie qui produisent cette
grâce ?
M.
A. -
Il serait puéril de nous attarder à
réfuter une opinion inadmissible. L'eau
mêlée de sel est un rite
ecclésiastique ; la transsubstantiation
est contestée ... de sorte que ni l'un ni
l'autre n'ont le pouvoir de produire la
grâce. Tout repose en réalité
sur le don du Saint-Esprit et sur son action en
nous. Quelqu'un parle-t-il avec sagesse ?
c'est un don de l'Esprit ; quelqu'un
montre-t-il quelque science, a-t-il une grande foi,
c'est toujours l'oeuvre de l'Esprit
(7).
M.
le
Curé. - Votre raisonnement n'explique
pas tout. Je conçois votre baptême et
même votre Sainte Cène comme puissants
moyens de grâce ; mais comment vous
tirerez-vous d'embarras sans le Sacrement de
Pénitence ? Le coupable est
obligé à payer les dettes que son
péché a contractées
(8). Donc
vous ne
pourrez lui parler de grâce que si vous lui
avez donné l'absolution, et s'il a fait
pénitence, et s'il s'est acquis les
mérites attachés aux bonnes
oeuvres...
M.
A. -
Nous avons répondu à tout cela.
L'absolution vient de Dieu et non du prêtre,
tout homme donc qui n'est pas pardonné n'est
pas en état de grâce ; les
pénitences : regardez sur le Calvaire,
vous en connaîtrez le prix ; enfin si
les bonnes oeuvres gagnaient le ciel, le salut
cesserait d'être un don de Dieu, une
grâce, ce serait le paiement d'une dette, le
salaire d'un travail, ce serait dire avec le
poète catholique : « Qui
donne aux pauvres, prête à
Dieu. »
M.
le
Curé. - N'est-ce point
justice ?
M.
A. - Si c'est par grâce (que nous sommes
sauvés), dit saint Paul, ce n'est
plus par les oeuvres
(9).
M.
le
Curé. Ainsi la grâce contient
tous les trésors, tous les bienfaits de
Dieu ?
M.
A. -
C'est pour cela qu'il est inutile de multiplier les
moyens de grâce. Jésus nous en a
donné deux, le Baptême et la Sainte
Cène, signes visibles des grâces
invisibles de Dieu et qui nous donnent en
Jésus-Christ, tous les trésors de la
grâce divine. Ces trésors, ce
sont : la pénitence (ou repentance), la
foi, l'assurance que nous sommes adoptés par
Dieu comme ses enfants, l'espérance de la
vie éternelle, la paix et la joie dans notre
foi au salut gratuit en Christ
(10)
...
M.
le
Curé. - Cela provient de votre
hérésie...
M.
A. - ... Et le tout vient de Dieu qui nous a
réconciliés avec le Christ
(11).
M.
le
Curé. - 0 vérité !
Pourquoi a-t-on voilé ton radieux
visage ! Qu'il est obscur et sombre le chemin
qui conduit à toi ! On nous fait
traverser Rome et ses Catacombes ! À
peine avons-nous poussé un vagissement qu'on
nous dit : ton péché originel
est effacé... Nous grandissons heureux si
nous comprenons ces choses. mais soudain on nous
conduit tremblants aux genoux du prêtre, on
nous communie et sans même comprendre l'acte
que nous accomplissons on nous affirme que c'est le
corps même du Seigneur que nous avons reçu ;
l'évêque vient et nous donne le
Saint-Esprit ! Enfin nous sourions, nous
sommes sauvés !... Mais voici, les
pénitences se multiplient, les bonnes
oeuvres augmentent; dévotement nous
écoutons tout, nous faisons tout, nous
gagnons jour après jour des indulgences
plénières et, regardant le ciel, nous
nous croyons sauvés... Insensé !
Regarde... Ce prêtre va administrer un
agonisant... Il n'est pas sauvé !...
Peut-être les derniers Sacrements lui
conféreront-ils la grâce ?...
Hérésie !... Le Purgatoire
attend les âmes pour les torturer !...
Où sommes-nous ? Qui me dit que moi,
prêtre, j'ai le pouvoir de tirer une
âme, une seule, de ce lieu de
souffrances ? Sur l'honneur je ne puis pas
affirmer que les âmes pour lesquelles on m'a
payé tant et tant de messes sont
délivrées, que leur âme est au
ciel ...
O ténèbres ! O
ignorance ! O séculaires erreurs !
Qui me délivrera du joug qui
m'oppresse ?
M.
A. -
Que je vous plains ! Avec vos Conciles vous ne
pouvez donner à personne la certitude que la
grâce de Dieu est en elle et lui assure son
salut.
Le Concile de Trente
disait :
« Personne, ne peut
savoir
d'une certitude de foi, qu'il a obtenu la
grâce de Dieu
(13). »
M.
le
Curé. - Doctrine
désespérante qui durcit le coeur et
laisse l'âme en souffrance ! Quelle
consolation aurai-je jamais ?
M. A. - Celle de l'Écriture
Sainte qui dit Dieu veut que tous les hommes soient
sauvés, et qu'ils parviennent à la
connaissance de la vérité.
(14) »
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