Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE IX

Des moyens de grâce dans l'Évangile

M. le Curé. - Quel affreux temps d'automne nous avons ! Les brouillards ont tout envahi. Mon clocher s'aperçoit, à peine ! Que ce doit être effrayant sur l'océan ! Les matelots ont à craindre à tout instant de sombrer !... Tel est aussi le cas de ceux qui ont perdu la foi, tout est brume, tout est ténèbres autour d'eux. Et je parle pour moi ; nos causeries ont eu pour résultat de m'envelopper dans les voiles sombres du doute... Où me conduisez-vous ?

M. A. - À la vérité, à la foi, à la source pure et jaillissante qui s'échappe du sein de Jésus !

M. le Curé. - Sur sept de nos Sacrements, c'est à peine si vous en avez laissé deux debout : le Baptême et l'Eucharistie.

M. A. - Dites encore que j'ai combattu votre conception du Sacrement donnant une vertu cachée à l'acte matériel.
Pour vous, l'eau du baptême purifie, le Saint-Chrême donne le Saint-Esprit, etc...

M. le Curé. - C'est la notion du Concile de Trente et de nos théologiens.

M. A. - Je ne puis me mettre d'accord avec eux. Je préfère comprendre l'Évangile. - Un Sacrement est un signe par lequel le disciple de Jésus-Christ fait une profession publique de sa foi...

M. le Curé. - Tiens ! Dès lors le chrétien qui participe au Sacrement n'en éprouve la vertu qu'en raison de l'intensité de sa foi ! Que votre conception est faible ! Vous réduisez le Sacrement à n'être qu'une simple démonstration de foi ! ...

M. A. - Vous m'avez interrompu avant que j'aie achevé ma définition.
J'avais parlé du fidèle, il faut ajouter que le Sacrement nous présente Jésus-Christ, notre Sauveur et, avec lui, tous les trésors de la grâce divine.

M. le Curé. Vous définiriez donc ?

M. A. - Un Sacrement est un signe visible de la foi du fidèle et un signe, visible aussi, des grâces invisibles du Seigneur en réponse à cette foi professée.

M. le Curé. - Je comprends pourquoi vous n'en recevez que deux. Le Baptême et l'Eucharistie seuls entrent dans votre définition.

M. A. - La vraie raison, c'est que ce sont les deux seuls que Jésus ait institués. Pour les cinq autres de l'Eglise romaine nul ne peut donner une parole précise ; on hésite, on croit que la Confirmation, on pense que l'Extrême-Onction, furent institués par le Seigneur.

M. le Curé. - En vérité, plus les fidèles auront de moyens de grâce et mieux cela vaudra. Sept, ce n'est pas trop !

M. A. - Alors, ajoutez-en d'autres ! Le lavement de pieds, par exemple, qui constitue un ordre très net de Jésus :
« Si donc je vous ai lavé les pieds, moi votre Seigneur et votre Maître, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres (1). »

M. le Curé. - C'est juste... Mais alors pourquoi les protestants ne l'ont-ils point adopté ? Cette réforme s'imposait.

M. A. - Les chrétiens de tous les âges ont vu dans cet acte une admirable leçon d'humilité. Les apôtres et les Pères avaient maintenu les deux seuls sacrements dont nous avons parlé, parce qu'en eux abondent et surabondent les trésors de la grâce divine.

M. le Curé. - Soit ! Ne retenons que ces deux Sacrements. Qu'entendez-vous par la grâce ?

M. A. - C'est, d'une part, l'oeuvre de réhabilitation de l'humanité déchue et, d'autre part, l'amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ mort pour notre salut.

M. le Curé. - Où trouvez-vous cela ?

M. A. - Dans aucune décision de Concile, mais dans la Parole de Dieu qui est ma seule autorité.
Cette notion est inscrite à chaque page, la voici formulée par saint Paul :
« La grâce de Dieu, notre Sauveur, a paru à tous les hommes ; et elle nous a appris que, renonçant à l'impiété et aux passions mondaines, nous devons vivre dans le siècle présent, avec tempérance, avec justice et avec piété (3), etc...

M. le Curé. - La grâce dont vous parlez ne concerne que les catholiques ...

M. A. - Saint Paul ne dit pas comme vos conciles et vos Papes : « Hors de l'Eglise point de salut. » Il dit avec la puissance d'un apostolat vraiment chrétien : « Hors de Christ, point de salut. » Jésus-Christ avait dit en effet :
« Dieu a tellement aime le monde qu'il a donné son Fils unique ; afin que tous ceux qui croient en lui ne périssent point, mais qu'ils aient la vie éternelle (4). »

M. le Curé. - Dans ces moyens de grâce que vous préconisez qui agit le premier ? Est-ce Dieu ? Est-ce l'homme ? Ne faut-il pas que l'Eglise aille maternellement au-devant des pécheurs, leur tendant sept sacrements pour les conduire à Dieu ?

M. A. - Saint Paul va répondre à ma place.
« J'ai une ferme confiance que celui qui a commencé en vous la bonne oeuvre, la conservera jusqu'à l'avènement de Jésus-Christ (5). »

M. le Curé. - Donc c'est la grâce qui va au-devant de l'homme, et non l'Eglise catholique romaine ! C'est Dieu qui commence l'oeuvre du salut dans les coeurs et la conserve !

M. A. - Tel fut l'enseignement des apôtres - « Je poursuis ma course, disait saint Paul, pour tâcher d'atteindre où Jésus-Christ a voulu me conduire (6). »

M. le Curé. - Comment expliquez-vous alors cette action de la grâce ?... Ne découle-t-elle pas de la vertu cachée, inhérente à l'acte matériel du Sacrement ? N'est-ce pas l'eau bénite du Baptême, le pain changé en corps du Seigneur dans l'Eucharistie qui produisent cette grâce ?

M. A. - Il serait puéril de nous attarder à réfuter une opinion inadmissible. L'eau mêlée de sel est un rite ecclésiastique ; la transsubstantiation est contestée ... de sorte que ni l'un ni l'autre n'ont le pouvoir de produire la grâce. Tout repose en réalité sur le don du Saint-Esprit et sur son action en nous. Quelqu'un parle-t-il avec sagesse ? c'est un don de l'Esprit ; quelqu'un montre-t-il quelque science, a-t-il une grande foi, c'est toujours l'oeuvre de l'Esprit (7).

M. le Curé. - Votre raisonnement n'explique pas tout. Je conçois votre baptême et même votre Sainte Cène comme puissants moyens de grâce ; mais comment vous tirerez-vous d'embarras sans le Sacrement de Pénitence ? Le coupable est obligé à payer les dettes que son péché a contractées (8). Donc vous ne pourrez lui parler de grâce que si vous lui avez donné l'absolution, et s'il a fait pénitence, et s'il s'est acquis les mérites attachés aux bonnes oeuvres...

M. A. - Nous avons répondu à tout cela. L'absolution vient de Dieu et non du prêtre, tout homme donc qui n'est pas pardonné n'est pas en état de grâce ; les pénitences : regardez sur le Calvaire, vous en connaîtrez le prix ; enfin si les bonnes oeuvres gagnaient le ciel, le salut cesserait d'être un don de Dieu, une grâce, ce serait le paiement d'une dette, le salaire d'un travail, ce serait dire avec le poète catholique : « Qui donne aux pauvres, prête à Dieu. »

M. le Curé. - N'est-ce point justice ?

M. A. - Si c'est par grâce (que nous sommes sauvés), dit saint Paul, ce n'est plus par les oeuvres (9).

M. le Curé. Ainsi la grâce contient tous les trésors, tous les bienfaits de Dieu ?

M. A. - C'est pour cela qu'il est inutile de multiplier les moyens de grâce. Jésus nous en a donné deux, le Baptême et la Sainte Cène, signes visibles des grâces invisibles de Dieu et qui nous donnent en Jésus-Christ, tous les trésors de la grâce divine. Ces trésors, ce sont : la pénitence (ou repentance), la foi, l'assurance que nous sommes adoptés par Dieu comme ses enfants, l'espérance de la vie éternelle, la paix et la joie dans notre foi au salut gratuit en Christ (10) ...

M. le Curé. - Cela provient de votre hérésie...

M. A. - ... Et le tout vient de Dieu qui nous a réconciliés avec le Christ (11).

M. le Curé. - 0 vérité ! Pourquoi a-t-on voilé ton radieux visage ! Qu'il est obscur et sombre le chemin qui conduit à toi ! On nous fait traverser Rome et ses Catacombes ! À peine avons-nous poussé un vagissement qu'on nous dit : ton péché originel est effacé... Nous grandissons heureux si nous comprenons ces choses. mais soudain on nous conduit tremblants aux genoux du prêtre, on nous communie et sans même comprendre l'acte que nous accomplissons on nous affirme que c'est le corps même du Seigneur que nous avons reçu ; l'évêque vient et nous donne le Saint-Esprit ! Enfin nous sourions, nous sommes sauvés !... Mais voici, les pénitences se multiplient, les bonnes oeuvres augmentent; dévotement nous écoutons tout, nous faisons tout, nous gagnons jour après jour des indulgences plénières et, regardant le ciel, nous nous croyons sauvés... Insensé ! Regarde... Ce prêtre va administrer un agonisant... Il n'est pas sauvé !... Peut-être les derniers Sacrements lui conféreront-ils la grâce ?... Hérésie !... Le Purgatoire attend les âmes pour les torturer !... Où sommes-nous ? Qui me dit que moi, prêtre, j'ai le pouvoir de tirer une âme, une seule, de ce lieu de souffrances ? Sur l'honneur je ne puis pas affirmer que les âmes pour lesquelles on m'a payé tant et tant de messes sont délivrées, que leur âme est au ciel ...
O ténèbres ! O ignorance ! O séculaires erreurs ! Qui me délivrera du joug qui m'oppresse ?

M. A. - Que je vous plains ! Avec vos Conciles vous ne pouvez donner à personne la certitude que la grâce de Dieu est en elle et lui assure son salut.
Le Concile de Trente disait :
« Personne, ne peut savoir d'une certitude de foi, qu'il a obtenu la grâce de Dieu (13). »

M. le Curé. - Doctrine désespérante qui durcit le coeur et laisse l'âme en souffrance ! Quelle consolation aurai-je jamais ?

M. A. - Celle de l'Écriture Sainte qui dit Dieu veut que tous les hommes soient sauvés, et qu'ils parviennent à la connaissance de la vérité. (14) »


(1) Jean 13-14, P. R. Le Jeudi-Saint, p. 336. 

(3) Tite 2-11, P. R. La Nativité de Notre Seigneur, p. 204.

(4) Jean 3, P. R. Le Lundi de la Pentecôte, p. 399.

(5) Philipp., 1-6. P. R, XXII, Dimanche après Pentecôte, p. 481. 

(6) Philipp., 3-12 P. R., Saint Étienne de Grandmont, p. 652. 

(7) 1 Cor. 12-9, P. R., Le Xe Dimanche après la Pentecôte, p. 447.

(8) Dimitte nobis debila nostra, Sicut et nos dimittimus debitoribus nostris, P. R., Pater, p. 6. 

(9) Rom., 11-6.

(10) Actes 11-18. Note Abbé Glaire : La pénitence c'est le repentir de ses péchés et la conversion à la foi ; Phil. 1-29 ; Rom. 8-15, P. R., Le VIIIe Dimanche après la Pentecôte, p. 441 ;1 Pierre, P. R., La chaire de saint Pierre à Rome, p. 611 ; Rom. 15-13, P R., Le IIe Dimanche de l'Avent, p. 172. 

(11) Il Cor., 5-18.

(13) Conc. de Trente, VIe sess. sous Paul III, chap. IX.
(14) 1 Tim., 2-4.
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