M. A. -
Je viens
d'apercevoir sous la grande allée d'ormeaux
du château de Ch..., l'élégant
cortège nuptial de Mlle de T...
C'était charmant, tout le monde avait l'air
si heureux !
M.
le
Curé. - J'ai eu le privilège
de présider la cérémonie
sainte. Le Sacrement du mariage a uni les
époux jusqu'en l'Éternité.
M.
A. -
Est-ce Jésus-Christ qui a institué le
mariage ?
M.
le
Curé. - Je n'ai pas dit
cela...
M.
A. -
Vous dites qu'un sacrement est un signe sensible
institué par Notre Seigneur, et vous appelez
le mariage un sacrement ...
M.
le
Curé. - Je comprends votre
observation mais c'est Grégoire VII qui a
décrété que le mariage
était un sacrement. Le Concile de Trente
anathématise quiconque dit que le mariage
n'est pas véritablement et proprement un des
sept sacrements de la loi évangélique
(1).
M.
A. -
Avant l'ère chrétienne le mariage
n'existait-il pas, saint et
vénéré ?
M.
le
Curé. - Oui, mais c'est Jésus
qui l'a élevé à la
dignité de sacrement (2).
M.
A. -
Ah ! ce n'est plus Grégoire VII ?
Où trouvez-vous cela ?
M.
le
Curé. - Dans une épître
de saint Paul.
M.
A. -
De sorte que, comme pour la confirmation, comme
pour l'extrême-onction, vous ne pouvez citer
aucune parole de Jésus relative à
l'institution du sacrement de mariage.
M.
le
Curé. - Le texte tiré de saint
Paul est d'une précision telle qu'il ne
souffre aucune discussion.
En parlant du mariage, il
dit :
« Ce sacrement
est
grand, je dis en Jésus-Christ et dans
l'Église (3). »
M.
A. -
Étudions ce texte. Pour nous
préserver de toute erreur recourons au vieux
texte grec, original, du manuscrit du Vatican. Quel
mot y a-t-il à la place de
« sacrement » ?
M.
le
Curé. - Je cherche... attendez.... ah
voici : to musterion.
M.
A. -
Dans cette même épître aux
Éphésiens nous retrouvons deux fois
ce même mot : chapitre premier, verset 9
et chapitre III, verset 5. Comment l'abbé
Glaire l'a-t-il traduit ?
M.
le
Curé. Par son équivalent
français : mystère.
M.
A. -
Ouvrons encore la première
épître à Timothée,
chapitre III, verset 9, le mot musterion s'y
trouve, et il est traduit avec l'approbation du
Saint-Siège par..
M.
le
Curé. - Mystère.
M.
A. -
Donc vous connaissez le sens que saint Paul donnait
à ce mot et vous allez traduire directement
du grec en français notre passage des
Éphésiens.
M.
le
Curé. - Je ne me sens pas libre de le
faire, car, précisément au seul
endroit qui concerne le mariage, on a traduit sacrement et non
mystère.
M.
A. -
Ne soyez pas en souci de ce que les traducteurs ont
fait. Lisez vous-même.
M.
le
Curé. - Évidemment, je suis
contraint par le texte même de traduire
ainsi :
« Ce mystère
est
grand ; je dis cela par rapport à
Christ et à l'Église. »
M.
A. -
Nous ne sommes pas au bout de nos peines, il faut
comprendre la pensée de l'apôtre.
Saint Paul, dans tout le chapitre V, établit
une comparaison mystique entre l'union des
époux et l'union du Christ, avec son
Église. Ce dernier hymen est un mystère, on dit de l'Église
qu'elle est l'épouse du Christ, et
l'apôtre effleurant à peine la
profondeur d'une semblable pensée
s'écrie :
« Ce mystère
est
grand, je dis cela par rapport (à l'union)
de Christ avec son
Église. »
M.
le
Curé. - Votre interprétation
est admirable ! On perd toute la saveur
chrétienne et intime de la pensée de
l'apôtre, on la rend même très
obscure en disant : « Ce sacrement est grand »
au lieu de
dire : « Ce mystère
est grand ».
M.
A. -
Cette union du Christ avec son épouse ne
peut être que sainte et pure : l'hymen
des époux sera beau et grand s'il lui
ressemble.
Uni à Christ le
chrétien s'écrie :
« Ce n'est pas moi qui vis, mais le
Christ vit en moi
(4). »
Cette union sainte prépare,
développe, agrandit l'union des
époux...
M.
le
Curé. - Ne craignez-vous pas
d'affaiblir la sainteté du mariage si vous
cessez de le considérer comme un
sacrement ?
M.
A. -
Le mariage est d'institution divine, qu'y a-t-il de
plus sacré ?
« L'Éternel
Dieu
dit : Il n'est pas bon que l'homme soit
seul ; je lui ferai une aide semblable
à lui (5). »
Les mariages protestants sont
aussi
sérieux, aussi respectés, aussi
sacrés que les mariages catholiques, bien
que pour eux l'hymen ne soit pas « un
signe sensible institué par Notre
Seigneur ».
M.
le
Curé. - Je sais que la
cérémonie de la
bénédiction nuptiale dans un temple
protestant est solennelle et émouvante, mais
j'ignore le sens qu'on lui donne.
M.
A. -
Après avoir rappelé l'institution
divine du mariage, le ministre lit les textes qui
contiennent sur ce grave sujet l'enseignement du
Christ et des apôtres. Il déclare que
l'union des époux est sainte comme l'union
de Jésus avec son Église, qu'elle est
faite d'amour et de respect, qu'elle est honorable
entre toutes choses, inviolable en ce sens que la
fidélité de l'un et de l'autre
époux ne doit souffrir aucune atteinte
(6).
M.
le
Curé. - Je soupçonne,
plutôt que je ne connais, le bonheur d'un
hymen contracté entre deux fidèles
chrétiens.
M.
A. -
C'est, pourquoi l'institution divine s'est
trouvée replacée sous son
véritable jour par Jésus-Christ. Il
n'en a pas fait un sacrement nouveau mais il en a
montré la pureté et le
caractère moralisateur. La
société se réformerait
bientôt si tous les mariages bénis
étaient des mariages
chrétiens.
M.
le
Curé. - Votre conception est fort
belle, elle n'attache, il est vrai, aucune vertu
surnaturelle (don de la grâce) à la
cérémonie religieuse... Mais vous
placez les époux devant Dieu avec tant de sérieux
que - si ce
n'était l'anathème du Concile de
Trente - je me rangerais de votre
côté...
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