M. le Curé.
- Je vous ai demandé une nouvelle causerie
et je vous avoue que je la redoute ; j'ai lu
avec intérêt le traité
d'Innocent III sur la messe et, grâce aux
prescriptions minutieuses du Livre IV, j'ai compris
tout le sérieux de l'Eucharistie.
M.
A. -
Vous auriez pu y trouver la confirmation de ce que
je vous ai dît sur la nouveauté du
dogme de la Transsubstantiation. Les disciples
n'ont pas eut la puérilité de se
demander, comme le pape que vous citez, ce que
deviendrait l'hostie dévorée par une
souris !
M.
le
Curé. - Cela n'est pas explicitement
traité dans l'Évangile, mais c'est la
tradition qui l'a maintenu.
M.
A. -
Saint Paul, pendant ses longs voyages maritimes,
devait communier ; comment se fait-il qu'il ne
nous ait pas prévenus du danger qu'il y a,
lorsque le navire est ballotté par les
vagues, à laisser tomber quelques gouttes du
précieux sang ?
M.
le
Curé. - L'Eglise avait tranché
la difficulté en créant la messe
nautique, où l'on communiait avec
l'hostie seule.
M.
A. -
Et cependant Jésus avait dit -
« Buvez- en tous »
(1),
afin que
personne ne supprimât le calice ! Notre
Seigneur
connaissait les habitudes maritimes de ses
apôtres, anciens pêcheurs du lac de
Génésareth ; il les a
envoyés évangéliser toutes les
nations (2) il
savait donc qu'ils traverseraient les mers !
Il n'est pas admissible qu'il n'ait pas
créé lui-même la messe
nautique ; ou bien, il faut confesser que
votre dogme lui était
inconnu !
Saint Paul fait naufrage, Luc
nous
donne sur cet événement grave des
détails très minutieux ; il ne
parle jamais d'une communion
célébrée sans le calice
(3).
M.
le
Curé. - Tous les faits que vous citez
me paraissent constituer un dossier redoutable
contre le dogme de la Transsubstantiation ;
toutefois, je voudrais...
M.
A. -
... En avoir d'autres ? Que pensez-vous des
messes en faveur des âmes du
Purgatoire ? Il a fallu huit siècles
pour songer à les établir, car pour
la première fois le pape Grégoire III
en fait mention.
M.
le
Curé. - Cette question est
délicate.
M.
A. -
Nous l'aborderons particulièrement plus
tard, parlons maintenant des messes
basses.
M.
le
Curé. - La messe basse a du bon. Elle
permet le recueillement, mieux que la messe
solennelle ; elle est dite par un prêtre
seul à voix très basse, sans aucun
chant. Toutefois, bien que particulière ou
privée, cette messe a la même valeur
que la grand'messe.
M.
A. -
Je me demande ce que cette cérémonie
peut faire en faveur du développement de la
foi dans l'âme du fidèle ! Saint
Paul nous dit :
« La foi vient
de ce
qu'on a entendu et ce qu'on a entendu est la parole
de Jésus-Christ
(4). »
M.
le
Curé. - Il est vrai qu'aux messes
basses nous ne prêchons pas.
M.
A. -
Vous avez donc oublié le commandement
rapporté par saint Pierre :
« Jésus nous a
commandé de prêcher au
peuple. » (5).
M.
le
Curé. - En somme la réforme
que vous demandez est de peu d'importance, elle
pourrait bien être obtenue un jour et nous
serions bientôt d'accord.
M.
A. -
Il existe un obstacle peu facile à
surmonter. Les Conciles ont autorisé les
prêtres à recevoir de l'argent pour
leurs messes !
M.
le
Curé. - La coutume est très
ancienne, elle est née de ce que les
premiers chrétiens avaient l'habitude
d'offrir des dons en nature à leur
pasteur.
M.
A..
- Mais l'huile, le miel, les fruits que l'on
apportait ainsi, ne constituaient pas une
rétribution.
Il était d'usage que les
fidèles apportassent eux-mêmes le pain
et le vin de la communion ; après la
cérémonie, ce qui restait
était distribué aux pauvres, preuve
de plus contre le dogme de la
transsubstantiation.
M.
le
Curé. - Le pape Grégoire III a
pensé qu'il serait plus avantageux pour les
prêtres que les dons en nature fussent
convertis en espèces sonnantes.
M.
A..
- Remarquez que ces sommes ne représentaient
pas une rétribution pour quelque
cérémonie, car ce n'est qu'au XIIe
siècle que l'usage de payer les messes s'est
généralisé.
M.
le
Curé. - Je le sais bien, mais nos
souverains Pontifes ont eu la sagesse de
prévenir les abus possibles. Urbain VIII a
décrété qu'un prêtre
chargé de messes généreusement
payées, n'aurait pas le droit de les faire
dire à un autre prêtre qui les
accepterait à un prix
inférieur.
M.
A..
- De pénibles scandales avaient
nécessité celle mesure.
M.
le
Curé. - Clément IX (1668)
autorisa les prêtres à dire les messes
des morts en même temps que celles du
jour.
M.
A..
- Il s'est contenté de régler un
usage courant. Benoît XIV en 1750 a
été contraint de
décréter que tout prêtre qui ne
dirait pas lui-même les messes dont il avait
accepté le paiement, serait suspendu
(6).
M.
le
Curé. - Il y avait,
hélas ! des prêtres peu
scrupuleux. Mais il est permis de recevoir une
rétribution pour chaque messe non due
à d'autres titres, pourvu qu'on se contente
de ce qui est réglé par l'Ordinaire
ou par un légitime usage ; on peut
recevoir aussi ce qui serait donné de plus
sciemment et libéralement, et même
exiger une augmentation de la rétribution
ordinaire a raison de la peine ou fatigue
extraordinaire attachée à la
célébration, moyennant qu'il n'y ait
rien en cela d'odieux ou d'exagéré
(7).
M.
A. -
Le Pape lorsqu'il célèbre une messe
solennelle reçoit-il une
rémunération ?
M.
le
Curé. - On lui remet une bourse avec
25 Jules de monnaie antique : pro bene cantata
missa (8).
M.
A. -
Sans doute il importe de maintenir le
principe ! Les apôtres avaient de leur
ministère une opinion bien
différente ; saint Paul écrivait
aux Thessaloniciens :
« Vous vous
souvenez,
mes frères, des peines et des fatigues que
nous avons souffertes, et qu'en « VOUS
prêchant l'Évangile de Dieu, nous
travaillons nuit et jour pour n'être à
charge à aucun de vous
(9). »
Les peines et les fatigues
endurées par l'apôtre Paul dans
l'évangélisation étaient
autrement grandes que celles du prêtre
à l'autel, et, au lieu de réclamer
une rétribution, l'apôtre faisait des
tentes pour gagner sa vie (10).
M.
le
Curé. - Vous n'oubliez pas cependant
que Notre Seigneur a dit :
« L'ouvrier
mérite son salaire
(11). »
M.
A. -
Cela ne signifiait pas : « Tarifez
les baptêmes, tarifez les messes, tarifez les
funérailles, tarifez les sonneries des
cloches ! »
Au contraire, lorsque Jésus
eut donné de pleins pouvoirs à ses
disciples : guérison des malades,
résurrection des morts, purification des
lépreux, délivrance des
possédés, il leur interdit de
recevoir aucun paiement en retour des actes de leur
ministère.
« C'est
gratuitement
que vous avez reçu, gratuitement donnez
(12). »
M.
le
Curé. - Je n'ai point lu cela dans
mon paroissien. Croyez-vous qu'un prêtre
puisse se contenter de son traitement annuel et
refuser tout casuel ?
M.
A. -
Oui, à la condition que son salaire soit
suffisant. Le ministère n'est pas un
métier lucratif mais une vocation
Dans les parvis du temple de
Jérusalem quelques Juifs vendaient des
pigeons, des agneaux pour les sacrifices, d'autres
échangeaient de la monnaie. C'était
moins grave que de recevoir de l'argent pour les
sacrements, pour les messes, pour les
cérémonies du culte...
M.
le
Curé. - Je n'en sais rien.... il
faudrait connaître les temps, les lieux, la
situation...
M.
A. -
Dans tous les cas, écoutez ce que fit
Jésus : « Étant
entré dans le temple, il commença
à en chasser ceux qui y vendaient et qui y
achetaient, en leur disant : Il est
écrit : Ma maison est une maison de
prière et vous, vous en avez fait un repaire
de voleurs (13). »
M.
le
Curé. - Songeriez-vous à
appliquer ces dures paroles aux prêtres qui
reçoivent de l'argent pour leurs messes ou
pour toute autre cérémonie, qui
ouvrent les troncs si généreusement
remplis de Saint-Antoine de
Padoue ?
M.
A. -
Je les applique simplement à l'exemple de
Notre Seigneur, à ceux, quels qu'ils soient,
qui font trafic des choses saintes...
M.
le
Curé. - Que reste-t-il donc de notre
Sacrement de l'Eucharistie et de notre sacrifice de
la messe !
M.
A. -
Cela n'est plus en cause, il faut, et c'est une
question de vie ou de mort, revenir au
Christianisme primitif, au pain rompu en
mémoire du corps
immolé de Jésus, au vin béni
en commémoration du sang versé pour
nous sur le Calvaire.
En fait de sacrifice, il est
urgent : « d'offrir à Dieu
notre corps comme une hostie vivante, sainte et
agréable à ses yeux, ce qui est le
culte spirituel et raisonnable que nous lui
devons » (14).
M.
le
Curé. - Depuis longtemps je
pressentais ces grandes vérités, je
souffrais de notre organisation qui m'obligeait
à percevoir de l'argent pour la fabrique. Je
n'ai jamais rien gardé de ma part, j'ai tout
distribué aux pauvres...
En prononçant ces paroles, le vénérable prêtre à cheveux blancs poussa un long soupir et se retira.
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