Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE IV

De l' Eucharistie comme sacrifice

§2. - DES DIFFÉRENTES MESSES ET DE LEUR RÉTRIBUTION.



M. le Curé. - Je vous ai demandé une nouvelle causerie et je vous avoue que je la redoute ; j'ai lu avec intérêt le traité d'Innocent III sur la messe et, grâce aux prescriptions minutieuses du Livre IV, j'ai compris tout le sérieux de l'Eucharistie.

M. A. - Vous auriez pu y trouver la confirmation de ce que je vous ai dît sur la nouveauté du dogme de la Transsubstantiation. Les disciples n'ont pas eut la puérilité de se demander, comme le pape que vous citez, ce que deviendrait l'hostie dévorée par une souris !

M. le Curé. - Cela n'est pas explicitement traité dans l'Évangile, mais c'est la tradition qui l'a maintenu.

M. A. - Saint Paul, pendant ses longs voyages maritimes, devait communier ; comment se fait-il qu'il ne nous ait pas prévenus du danger qu'il y a, lorsque le navire est ballotté par les vagues, à laisser tomber quelques gouttes du précieux sang ?

M. le Curé. - L'Eglise avait tranché la difficulté en créant la messe nautique, où l'on communiait avec l'hostie seule.

M. A. - Et cependant Jésus avait dit - « Buvez- en tous » (1), afin que personne ne supprimât le calice ! Notre Seigneur connaissait les habitudes maritimes de ses apôtres, anciens pêcheurs du lac de Génésareth ; il les a envoyés évangéliser toutes les nations (2) il savait donc qu'ils traverseraient les mers ! Il n'est pas admissible qu'il n'ait pas créé lui-même la messe nautique ; ou bien, il faut confesser que votre dogme lui était inconnu !
Saint Paul fait naufrage, Luc nous donne sur cet événement grave des détails très minutieux ; il ne parle jamais d'une communion célébrée sans le calice (3).

M. le Curé. - Tous les faits que vous citez me paraissent constituer un dossier redoutable contre le dogme de la Transsubstantiation ; toutefois, je voudrais...

M. A. - ... En avoir d'autres ? Que pensez-vous des messes en faveur des âmes du Purgatoire ? Il a fallu huit siècles pour songer à les établir, car pour la première fois le pape Grégoire III en fait mention.

M. le Curé. - Cette question est délicate.

M. A. - Nous l'aborderons particulièrement plus tard, parlons maintenant des messes basses.

M. le Curé. - La messe basse a du bon. Elle permet le recueillement, mieux que la messe solennelle ; elle est dite par un prêtre seul à voix très basse, sans aucun chant. Toutefois, bien que particulière ou privée, cette messe a la même valeur que la grand'messe.

M. A. - Je me demande ce que cette cérémonie peut faire en faveur du développement de la foi dans l'âme du fidèle ! Saint Paul nous dit :
« La foi vient de ce qu'on a entendu et ce qu'on a entendu est la parole de Jésus-Christ (4). »

M. le Curé. - Il est vrai qu'aux messes basses nous ne prêchons pas.

M. A. - Vous avez donc oublié le commandement rapporté par saint Pierre :
« Jésus nous a commandé de prêcher au peuple. » (5).

M. le Curé. - En somme la réforme que vous demandez est de peu d'importance, elle pourrait bien être obtenue un jour et nous serions bientôt d'accord.

M. A. - Il existe un obstacle peu facile à surmonter. Les Conciles ont autorisé les prêtres à recevoir de l'argent pour leurs messes !

M. le Curé. - La coutume est très ancienne, elle est née de ce que les premiers chrétiens avaient l'habitude d'offrir des dons en nature à leur pasteur.

M. A.. - Mais l'huile, le miel, les fruits que l'on apportait ainsi, ne constituaient pas une rétribution.
Il était d'usage que les fidèles apportassent eux-mêmes le pain et le vin de la communion ; après la cérémonie, ce qui restait était distribué aux pauvres, preuve de plus contre le dogme de la transsubstantiation.

M. le Curé. - Le pape Grégoire III a pensé qu'il serait plus avantageux pour les prêtres que les dons en nature fussent convertis en espèces sonnantes.

M. A.. - Remarquez que ces sommes ne représentaient pas une rétribution pour quelque cérémonie, car ce n'est qu'au XIIe siècle que l'usage de payer les messes s'est généralisé.

M. le Curé. - Je le sais bien, mais nos souverains Pontifes ont eu la sagesse de prévenir les abus possibles. Urbain VIII a décrété qu'un prêtre chargé de messes généreusement payées, n'aurait pas le droit de les faire dire à un autre prêtre qui les accepterait à un prix inférieur.

M. A.. - De pénibles scandales avaient nécessité celle mesure.

M. le Curé. - Clément IX (1668) autorisa les prêtres à dire les messes des morts en même temps que celles du jour.

M. A.. - Il s'est contenté de régler un usage courant. Benoît XIV en 1750 a été contraint de décréter que tout prêtre qui ne dirait pas lui-même les messes dont il avait accepté le paiement, serait suspendu (6).

M. le Curé. - Il y avait, hélas ! des prêtres peu scrupuleux. Mais il est permis de recevoir une rétribution pour chaque messe non due à d'autres titres, pourvu qu'on se contente de ce qui est réglé par l'Ordinaire ou par un légitime usage ; on peut recevoir aussi ce qui serait donné de plus sciemment et libéralement, et même exiger une augmentation de la rétribution ordinaire a raison de la peine ou fatigue extraordinaire attachée à la célébration, moyennant qu'il n'y ait rien en cela d'odieux ou d'exagéré (7).

M. A. - Le Pape lorsqu'il célèbre une messe solennelle reçoit-il une rémunération ?

M. le Curé. - On lui remet une bourse avec 25 Jules de monnaie antique : pro bene cantata missa (8).

M. A. - Sans doute il importe de maintenir le principe ! Les apôtres avaient de leur ministère une opinion bien différente ; saint Paul écrivait aux Thessaloniciens :
« Vous vous souvenez, mes frères, des peines et des fatigues que nous avons souffertes, et qu'en « VOUS prêchant l'Évangile de Dieu, nous travaillons nuit et jour pour n'être à charge à aucun de vous (9). »
Les peines et les fatigues endurées par l'apôtre Paul dans l'évangélisation étaient autrement grandes que celles du prêtre à l'autel, et, au lieu de réclamer une rétribution, l'apôtre faisait des tentes pour gagner sa vie (10).

M. le Curé. - Vous n'oubliez pas cependant que Notre Seigneur a dit :
« L'ouvrier mérite son salaire (11). »

M. A. - Cela ne signifiait pas : « Tarifez les baptêmes, tarifez les messes, tarifez les funérailles, tarifez les sonneries des cloches ! »
Au contraire, lorsque Jésus eut donné de pleins pouvoirs à ses disciples : guérison des malades, résurrection des morts, purification des lépreux, délivrance des possédés, il leur interdit de recevoir aucun paiement en retour des actes de leur ministère.
« C'est gratuitement que vous avez reçu, gratuitement donnez (12). »

M. le Curé. - Je n'ai point lu cela dans mon paroissien. Croyez-vous qu'un prêtre puisse se contenter de son traitement annuel et refuser tout casuel ?

M. A. - Oui, à la condition que son salaire soit suffisant. Le ministère n'est pas un métier lucratif mais une vocation
Dans les parvis du temple de Jérusalem quelques Juifs vendaient des pigeons, des agneaux pour les sacrifices, d'autres échangeaient de la monnaie. C'était moins grave que de recevoir de l'argent pour les sacrements, pour les messes, pour les cérémonies du culte...

M. le Curé. - Je n'en sais rien.... il faudrait connaître les temps, les lieux, la situation...

M. A. - Dans tous les cas, écoutez ce que fit Jésus : « Étant entré dans le temple, il commença à en chasser ceux qui y vendaient et qui y achetaient, en leur disant : Il est écrit : Ma maison est une maison de prière et vous, vous en avez fait un repaire de voleurs (13). »

M. le Curé. - Songeriez-vous à appliquer ces dures paroles aux prêtres qui reçoivent de l'argent pour leurs messes ou pour toute autre cérémonie, qui ouvrent les troncs si généreusement remplis de Saint-Antoine de Padoue ?

M. A. - Je les applique simplement à l'exemple de Notre Seigneur, à ceux, quels qu'ils soient, qui font trafic des choses saintes...

M. le Curé. - Que reste-t-il donc de notre Sacrement de l'Eucharistie et de notre sacrifice de la messe !

M. A. - Cela n'est plus en cause, il faut, et c'est une question de vie ou de mort, revenir au Christianisme primitif, au pain rompu en mémoire du corps immolé de Jésus, au vin béni en commémoration du sang versé pour nous sur le Calvaire.
En fait de sacrifice, il est urgent : « d'offrir à Dieu notre corps comme une hostie vivante, sainte et agréable à ses yeux, ce qui est le culte spirituel et raisonnable que nous lui devons » (14).

M. le Curé. - Depuis longtemps je pressentais ces grandes vérités, je souffrais de notre organisation qui m'obligeait à percevoir de l'argent pour la fabrique. Je n'ai jamais rien gardé de ma part, j'ai tout distribué aux pauvres...

En prononçant ces paroles, le vénérable prêtre à cheveux blancs poussa un long soupir et se retira.


(1) Matt. 26. P. R., Le Dimanche des Rameaux, p. 326. 

(2) Matt. 28/19. P. R. La Fête de la Sainte Trinité, p. 402. 

(3) Actes 27.

(4) Rom.10. P. R. 30 novembre, Saint André, p. 590. 

(5) Actes, 10-42. P. R. Le Lundi de Pâques, p. 354.

(6) Cuénot, supérieur du Grand Séminaire. Méthode pour le gouvernement d'une paroisse, tome II, p. 41.

(7) Cuénot, cité tome II, p. 41.

(8) Pour avoir bien chanté la Messe, abbé Barnier. Cérémonie des grandes et petites messes, p. 101. Le Jule valait 30 centimes, il tirait son nom du pape Jules II. Une messe se paye donc au pape 7 fr.50.

(9) I Thes. 2 P. R. Le 6 juin, Saint-Jean-François-Régis, p. 744.

(10) Actes 18-3.

(11) Luc 10-7. P. R. Le 25 avril, Saint-Marc, p. 692.

(12) Math. 10-8.
(13)
Luc 19. P. R. Le IXe dimanche après la Pentecôte, p. 445
(14) Rom. 12. P. R. Le dimanche dans l'Octave de l'Épiphanie, p. 253.
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