Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

DEUXIÈME PARTIE

Des Moyens de Grâce



CHAPITRE IV

De l' Eucharistie comme sacrifice

§ 1. - LE SACRIFICE DE LA MESSE.



M. le Curé. - Je suis heureux de ce que notre promenade nous ait conduits au sommet de la colline, nous dominons toute la plaine : voyez comme les aspérités du sol disparaissent dans l'ensemble. Élevons-nous aussi et demeurons dans les plus hautes régions spirituelles, nous verrons s'évanouir les contradictions et les critiques. La grandeur du dogme de l'Eucharistie est telle que nos observations des jours derniers s'effacent devant lui, surtout quand on le considère à son point le plus sublime, c'est-à-dire dans le saint sacrifice de la messe.

M. A. - Je ne refuse pas de m'élever bien haut avec vous, le Christianisme nous offre un espace infini. Mais je me sens retenu par toute sorte d'entraves qui paralysent mon élan. Ainsi en ce qui regarde la messe...

M. le Curé. - La messe ? C'est de toutes les actions du Christianisme la plus glorieuse à Dieu et la plus utile au salut de l'homme. Jésus-Christ y renouvelle le grand mystère de la rédemption ; il s'y fait encore dans un vrai sacrifice, quoique non sanglant, notre victime, et vient en personne nous appliquer à chacun en particulier les mérites de ce sang adorable qu'il a répandu pour nous tous sur la croix (1).

M. A. - Les apôtres n'ont jamais parlé du Saint-Sacrifice de la messe, mais plutôt de la Sainte-Cène renouvelée. L'église orthodoxe grecque célèbre une messe sans sacrifice : le pain et le vin restent du pain et du vin.

M. le Curé. - Les Pères de l'Église m'approuvent.

M. A. - Ce n'est pas le cas pour Justin Martyr par exemple au IIe siècle ; bien qu'il incline en faveur de la présence matérielle, il se garde de considérer la Cène renouvelée comme un sacrifice.

M. le Curé. - Je puis vous citer encore Tertullien et saint Augustin.

M. A. - À tort puisque ces grands théologiens ont considéré l'Eucharistie comme un mémorial et non comme un sacrifice (2).

M. le Curé. - Cela n'empêche pas que le mot messe était fort répandu au IVe siècle.

M. A. - Évidemment, puisqu'on s'en servait dans l'église latine pour le renvoi des prosélytes avant la communion. On disait : Ite missa est, « Allez, vous pouvez vous retirer. »
En 397, saint Ambroise fait du mot missa un substantif, non pour désigner un sacrifice accompli à l'autel, mais pour ordonner le renvoi des fidèles après la communion.

M. le Curé. - Vos renseignements sont très précis, mais il me semble que les nombreuses litanies, oraisons, prières et préfaces de nos paroissiens témoignent fortement en faveur du sacrifice de la messe.

M. A. - Savez-vous qu'il ne faut pas aller bien loin pour découvrir la date exacte où votre rituel a été arrêté ! ...

M. le Curé. - Je suis peu au courant de ces choses.

M. A. - Eh bien, je vais vous renseigner. Avant le VIe siècle on lisait dans le culte public des passages choisis de la Sainte-Écriture, on les a appelés des péricopes. Vous en trouverez la trace dans les citations de l'Écriture dans votre paroissien.
Grégoire le Grand a commencé à y ajouter quelques invocations sous forme de litanie, vers la fin du VIe siècle...

M. le Curé. - C'est lui qui, le premier, a parlé de la Sainte-Cène comme sacrifice quotidien d'immolation (3).

M. A. - Il ne considérait pas cela comme un dogme, et l'Église non plus, car ce n'est qu'en 1415 au Concile de Constance, et en 1433 au Concile de Bâle que la question a été reprise.

M. le Curé. - On a déclaré alors que le sacrifice de la messe était une pratique générale dans les paroisses.

M. A. - Mais on n'avait pas encore fixé le rituel. À l'exemple, de Grégoire le Grand, chaque évêque arrangeait le sien à sa guise, et les plus estimés faisaient adopter le leur par leurs voisins.

M. le Curé. - Je me souviens, en effet, d'avoir entendu parler du rituel anglican, du rituel gallican, du rituel gothique, du rituel mozarabique...

M. A. - Ce dernier a subi de curieuses transformations. Au VIIIe siècle il se rattachait au rituel gothique, au XIe il est devenu gallican, au XVIe le cardinal Ximénès l'a réformé à Tolède où je le crois en usage encore.

M. le Curé. - D'où est sorti le rituel actuel !

M. A. - Le Concile de Trente s'est préoccupé d'en rédiger un seul pour toute la chrétienté, mais les évêques nommés dans ce but n'ont pas pu s'entendre. Pie V s'est alors décidé à confier la rédaction définitive du rituel de la messe à la sainte congrégation des rites qui l'élabora en 1570.

M. le Curé. - C'est celui de notre paroissien actuel ?...

M. A. Oui, sauf quelques légères modifications introduites par Clément VIII (1604) et Urbain VIII (1634).

M. le Curé. - En ce qui concerne notre causerie, je relève que, dans ce rituel, on a maintenu irrévocablement la messe comme un sacrifice, celui du corps et du sang de Notre Seigneur Jésus-Christ, sous les espèces ou apparences du pain et du vin (4) ; conformément aux canons du Concile de Trente (5).

M. A. - Pour offrir un sacrifice il faut un sacrificateur, alors le prêtre...

M. le Curé. - N'est qu'un instrument et non un sacrificateur (6). Le Concile de Trente nous donne quatre preuves qui légitiment notre dogme de la messe envisagée comme sacrifice. Et voici la première :
« Saint Paul l'apôtre, à raison de l'imbécillité et faiblesse de la prêtrise lévitique... dit qu'il fallait qu'il se levât un autre prêtre selon l'ordre de Melchisédech. C'est à savoir notre Seigneur Jésus-Christ (7). »
Il en résulte que le Christ, prêtre éternel selon l'ordre de Melchisédech, offrit à Dieu son Père son corps et son sang, sous les espèces du pain et du vin, il les donna à prendre à ses apôtres, qu'il ordonnait alors prêtres du Nouveau Testament et leur commanda ainsi qu'à leurs successeurs en la prêtrise, de l'offrir par ces paroles : Faites ceci en mémoire de moi (8).

M. A. - Le prêtre, disiez-vous, n'est qu'un instrument, mais vous lui donnez explicitement le rôle de sacrificateur. Que vous dit l'évêque au moment de votre ordination ?

M. le Curé. Il nous applique les paroles du psaume 109 : « Vous êtes prêtre éternel, selon l'ordre de Melchisédech (9) ».

M. A. - Donc c'est bien la sacrificature que l'on confère au prêtre ; c'est un sacerdoce dont on le revêt, qui est semblable à celui de Notre Seigneur, puisqu'on se sert des mêmes paroles employées par saint Paul parlant de Jésus...

M. le Curé. - On explique... c'est un cas embarrassant que vous soulevez... on explique ceci : le prêtre à l'autel sert d'instrument et d'organe à Jésus-Christ, c'est Jésus-Christ qui parle par sa bouche, c'est Lui qui agit par ses mains, c'est Lui qui s'offre et s'immole par son ministère (10).

M. A. - L'opinion de votre évêque revient à dire que le rôle du prêtre à l'autel est un office, une charge remplie pour et au nom de Notre Seigneur.

M. le Curé. - Sans doute et non un rôle de sacrificateur.

M. A. - Je suis alors bien autorisé à ne pas tenir compte de cet anathème du Concile de Trente :
« Si quelqu'un dit... qu'il n'y a aucune puissance de consacrer et offrir le vrai corps et sang de Notre Seigneur... mais qu'il y a seulement un Office et simple charge de prêcher l'Évangile, anathème ! (11) »

M. le Curé. - Les deux opinions au lieu de se contredire se complètent.

M. A. - Il ne peut y avoir d'hésitation à ce sujet. De deux choses l'une, ou bien le ministère du prêtre est un office, une charge, ou bien c'est un sacerdoce selon l'ordre de Melchisédech.

M. le Curé. - Le prêtre c'est, entre Dieu qui est dans le ciel et l'homme qui le cherche sur la terre, un être, Dieu et homme, qui les rapproche en les résumant (12), donc son ministère, est un sacerdoce selon l'ordre de Melchisédech.

M. A. - Eh bien, écoutez attentivement ceci, ce sacerdoce-là n'appartient qu'à Jésus-Christ, il n'a pas été transmis aux apôtres ni à leurs successeurs, l'auteur de l'épître aux Hébreux s'écrie : « Jésus qui vit éternellement a un sacerdoce qui « ne passera jamais à personne (13) ».

M. le Curé. - Puisque cette première preuve donnée par le Concile vous paraît discutable, en voici une seconde : « L'ancienne Pâque des Juifs ayant été célébrée, Dieu institua une nouvelle Pâque, c'est à savoir soi-même, que l'Eglise devait immoler par les Prêtres sous des signes visibles en mémoire de son départ de ce monde à son Père. » (14)
Le saint Sacrifice de la messe ne peut pas être désigné plus clairement.

M. A. - La nouvelle Pâque, c'est celle de l'Agneau de Dieu, Jésus-Christ, immolé sur Golgotha, et non la consécration du pain et du vin.

M. le Curé. - En disant : « Faites ceci en mémoire de moi », notre Seigneur a ordonné de renouveler son sacrifice.

M. A. - Permettez, Jésus a ordonné de renouveler la mémoire de sa mort ; car pour son oeuvre, pour la valeur de son sacrifice, elle était achevée :
« Tout est consommé », dit-il sur la Croix (15).

M. le Curé. - Les apôtres n'ont point interprété comme vous.

M. A. - Lisez l'épître aux Hébreux :
« Jésus s'est offert une fois pour expier les péchés d'un grand nombre (16). »

M. le Curé. - Prétendez-vous que le prêtre n'ait ni le pouvoir ni la charge d'offrir chaque jour à l'autel le saint Sacrifice de la messe ?

M. A. - Aucun prêtre au monde, quelque saint qu'il soit, n'est digne d'offrir à Dieu un pareil sacrifice :
« Il nous fallait - dit l'épître aux Hébreux - un Pontife comme Jésus, saint., innocent, sans tache, séparé des pécheurs et plus élevé que les Cieux, qui n'eût pas besoin chaque jour comme les autres pontifes, d'offrir d'abord des victimes pour ses propres péchés, et ensuite pour ceux du peuple : c'est ce qu'a fait une fois, en s'offrant Lui-même, Jésus-Christ Notre Seigneur. » (17)

M. le Curé. - Puisque vous vous appuyez sur l'Écriture pour renverser ma deuxième preuve et que vous n'admettez pas que le sacrifice de Jésus puisse être renouvelé dans la messe, je me propose de vous renseigner plus exactement par la troisième preuve.
« Jésus-Christ est la pure et nette oblation, qui ne se peut souiller ni gâter par aucune indignité et malice de ceux qui l'offrent, laquelle aussi le Seigneur prédit par le prophète Malachie, qu'on l'offrirait pure et nette en tout lieu à son nom (18). »
Donc, quelle que soit l'indignité du prêtre, le saint Sacrifice de la messe est toujours celui de notre Seigneur. Vous ne pouvez le nier sans abolir la prophétie.

M. A. - Il est regrettable que le Concile de Trente ait établi une confusion entre les sacrifices de l'ancienne Alliance et celui de Jésus-Christ.
Le prophète Malachie rappelait au peuple que les sacrifices entachés de péchés et impurs n'agréaient point à l'Éternel. Il fallait donc un sacrifice unique, véritablement pur, véritablement net, c'est celui de Jésus.
En considérant qu'il a eu lieu une fois pour toutes, je n'abolis point la prophétie, je la considère comme accomplie, selon les paroles mêmes du Christ (19).

M. le Curé. - De sorte que, en ce qui concerne les sacrifices, les oblations à offrir à Dieu en tout lieu, vous les déclarez éternellement accomplies par le sacrifice unique de l'Agneau de Dieu, seule oblation pure et parfaite, offerte sur le Calvaire et agréable à Dieu ?...
Eh bien, ma quatrième preuve vous convertira à notre opinion.
L'apôtre saint Paul écrivant aux Corinthiens, leur dit que ceux qui sont souillés par la participation de la table des diables, ne peuvent être participants de la table du Seigneur, en l'un et en l'autre, entendant l'autel (20). il ne peut y avoir d'autel sans sacrifice.

M. A. - C'est le Concile de Trente qui parle d'autel et non l'apôtre, pour l'excellente raison qu'il n'y avait point d'autel dans l'Eglise chrétienne. On prenait un repas en commun à l'issue duquel on recevait la Cène selon l'institution et le commandement de Jésus.
L'apôtre explique aux Corinthiens que les nouveaux convertis d'entre les païens ne peuvent à la fois assister aux sacrifices en l'honneur des divinités du paganisme et prendre part à la cène des chrétiens. - Il les invite à rompre définitivement avec les anciennes pratiques de leur culte, car, selon ce qu'avait dit Jésus : « Nul ne peut servir deux maîtres (21) »

M. le Curé. Vous avez rendu bien faibles les quatre preuves du Concile ! Persistez-vous à vous passer du sacrifice renouvelé ?

M. A. - Je vous en ai donné les raisons, et j'ajoute cette citation du prophète Osée, faite par Jésus :
« Allez donc, et apprenez ce que signifie cette parole : Je veux la miséricorde et non le sacrifice (22). »

M. le Curé. - Vous privez l'autel de tout sacrifice, même non sanglant.

M. A. - Nous avons, vous dis-je, la Sainte-Cène, dont je vous ai expliqué le sens spirituel, profond. Ne nous contentons pas d'y participer ; mais après cela :
« Ne cessons pas d'offrir à Dieu par une hostie de louange, qui est le fruit de nos lèvres qui confessent son nom. Pratiquez la bienfaisance et la libéralité ; ce sont les hosties qui plaisent à Dieu... (23) »

M. le Curé. - Mon pauvre ami, vous êtes anathématisé ! « Si quelqu'un dit que le sacrifice de la messe est seulement sacrifice de louange et d'action de grâce... Anathème (24) ! »

M. A. - Je n'ai fait que citer l'auteur de l'épître aux Hébreux ; qu'il s'agisse de la messe comme sacrifice ou de l'hostie de louange agréable à Dieu., les anathèmes du Concile frappent les auteurs sacrés !...

M. le Curé. Je ne vois que trop que nos vénérables prélats n'avaient point consulté la Bible lorsqu'ils ont discuté !... Je n'ose pas vous dire toute ma pensée ; l'anathème, comme une épée de Damoclès, est suspendu sur ma tête... Je suis trop avancé en âge pour le braver...
Mais, de grâce, à demain, nous causerons encore de ce grave sujet.


(1) P. R. Méthode pour entendre la messe, p. 67. 

(2) Just. Martyr, Apol. I, c. 66. - Tertull., C. Marc, IV, 40. - Aug, C. Faust, Manich. XX, 18.

(3) Grég. le Gr., Moral., XXII. 26 Rituel.

(4) Expl . Cat. Clerm., p. 228-229.

(5) Conc. Trente, VIe session sous Pie IV, 17 septembre 1562, canon 1.

(6) Expl. Cat. Clerm., p. 228-229.

(7) Session précitée. Cite Héb. 5-6. P. R. Le mardi de la Septuagésime, p. 613, chap. I.

(8) Session précitée. Cite I Cor. II. P. R. Jeudi saint, p. 335.

(9) Exp. Cat. Clerm., p. 409.

(10) Exp. Cat. Clerm., p. 229.

(11) Conc. de Trente. VIIe Sess. sous Pie IV, 15 juillet 1562. Canon 1.

(12) R. P. Caussette. Manrèze du prêtre. Cité par Taine. Revue des Deux-Mondes, 15 mai 1891, p. 273.

(13) Héb. 7. P. R. Commun d'un confesseur Pontife, p. 534.

(14) Conc. Trente. VI, Session sous Pie IV, chap. 1. - Allusion à « Voici l'Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde ». Jean 1. P. R. L'Octave de l'Épiphanie, p. 255.

(15) Jean 19/30. P. R. Le Précieux Sang, p. 668.

(16) Héb. 7. P. R. Communion. Le Précieux Sang, p. 669.

(17) Héb. 7. P. R. Messe pour un Confesseur Pontife, p. 535. 

(18) Conc. Trente, VI, Sess. sous Pie IV, chap. 1. Malachie 1/11.

(19) Math. 5/17.

(20) Sess. précitée. Cite 1 Cor. 10/2.

(21) Matt. 6/24. P. R. Le XIVe Dimanche après la Pentecôte, p. 459. 

(22) Matt. 9/13. P. R. Le 21 septembre, Fête de saint Matthieu, p. 850.

(23) Hébr. 13. P. R., Le 6 décembre, Saint Nicolas, évêque, p. 595.

(24) Conc. de Trente. Session précitée. Canon 3. 
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