Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE III

De l'Eucharistie comme Sacrement.

& 2. - QUELQUES CONSÉQUENCES DU DOGME DE LA TRANSSUBSTANTIATION. SUPPRESSION DE LA COUPE.



M. le Curé. -Bien que la question de l'Eucharistie soit d'une haute gravité, je ne puis vous accorder aujourd'hui que peu de temps pour continuer notre entretien. Je vais faire quelques visites pour inviter mes paroissiens à célébrer dignement la fête du Saint-Sacrement.
J'ose croire que les protestants ne l'ont point rejetée, c'est la fête de Notre Seigneur et non celle de l'un des saints canonisés...

M. A. - Les protestants n'ont pas réservé un jour particulier pour célébrer la fête de Jésus-Christ immolé, car pour eux elle revient tous les jours dans leur culte de famille ; ils ont comme vous les fêtes de Noël, de Pâques... mais à l'exemple des apôtres ils n'ont point institué la Fête-Dieu.

M. le Curé. - Vous dites vrai ; la primitive Église s'est bornée à désigner le Dimanche comme jour du Seigneur. Notre fête actuelle date seulement du XIIIe siècle.

M. A.. - Cela coïncide avec la mise en pratique du dogme de la Transsubstantiation : la nouveauté de la fête est une preuve de la nouveauté du dogme. Vous connaissez l'histoire de cette fête ?....

M. le Curé. - On célébra d'abord - je ne sais au juste quand - l'anniversaire de l'institution de l'Eucharistie le Jeudi saint ; la pensée de la Passion qui commençait le lendemain empêchait de se livrer complètement à la joie. Au XIIe siècle...

M. A. - Vous sautez par-dessus les siècles avec une habileté surprenante !

M. le Curé. - Je veux être exact et ne vous dire que ce que nous savons de source certaine. Au XIIe siècle, des hérésies s'étant élevées contre la présence réelle matérielle, du Christ dans l'hostie, l'Eglise jugea opportun d'établir une fête particulière en l'honneur de ce mystère.

M. A. - Permettez-moi une remarque. Au XIIe siècle il n'y avait pas de protestants, donc les hérésies dont vous parlez ont surgi dans le sein de l'Eglise romaine, il s'agit. précisément des moines, de l'archidiacre, etc., qui se sont élevés contre le dogme de la transsubstantiation préconisé par Paschase Radbert. Votre fête a donc une base très contestable.

M. le Curé. - Ajoutez plutôt à cela que Notre Seigneur a fait demander sa fête par sa mère à une religieuse du diocèse de Liège (1). C'était en 1247, cette sainte femme appelée Julienne vit en songe une échancrure à la lune ; la vierge Marie lui expliqua que c'était le signe qu'une fête manquait à l'Eglise et Notre Seigneur révéla que c'était la sienne.
Alors l'évêque Robert et le légat Hugo proclamèrent à Liège la Fête du Saint-Sacrement ; les papes Urbain Il (1264), Clément V (1311), et Jean XXII (1316) décrétèrent sa diffusion dans toute la chrétienté.

M. A. - Avouez que, si avant le XIIIe siècle on avait cru à la présence matérielle du corps de Christ, on aurait évidemment pensé à cette fête.
Les grands conciles oecuméniques se seraient prononcés ; mais je vous l'ai dit « à dogme nouveau, fête nouvelle ».

M. le Curé. - Si le corps du Christ n'est pas matériellement. dans le saint ciboire que l'on promène processionnellement le jour de la Fête-Dieu, les fidèles qui s'agenouillent, qui se signent, qui courbent la tête, sur son passage, auraient un culte superstitieux... Vous avez soulevé une question très grave.

M. A. - Elle n'est pas la seule. Le dogme de la Transsubstantiation a fait naître la loi du jeûne eucharistique.

M. le Curé. - Cette loi est d'une sévérité telle qu'elle n'admet pas de légèreté dans la matière. Depuis minuit, il faut n'avoir rien pris comme boisson, nourriture ou remède, même en très petite quantité. On ne pourrait communier par exemple, si l'on avait bu volontairement quelques gouttes d'eau (2).

M. A. - Dans quel but a-t-on édicté des mesures aussi sévères ?

M. le Curé. - Pour ne point profaner le corps du Seigneur, ce qui se produirait indubitablement s'il se trouvait dans le corps avec quelque autre nourriture.

M. A. - Vous avouez malgré vous que le jeûne eucharistique est un fruit du dogme de la Transsubstantiation. Notre Seigneur n'a jamais institué le jeûne eucharistique.

M. le Curé. - Vous avez raison. C'est pendant qu'ils soupaient que Jésus a rompu le pain et donné le calice (3). Dans les premiers siècles on communiait aussi après avoir mangé, pour imiter la conduite de Notre Seigneur. Dans la suite, l'Eglise établit le jeûne eucharistique par respect pour le corps de Notre Seigneur Jésus-Christ (4).

M. A. - Dans la suite, c'est-à-dire au XIIIe siècle, lorsque le dogme de la Transsubstantiation ont été défini à Latran.
L'Eglise romaine a préféré son dogme à l'intégrité de l'Écriture ; un sacrement est une chose sacrée, nul n'a le droit d'en modifier à son gré l'institution, sans être infidèle.

M. le Curé. - Comme prêtre, je suis tenu de me soumettre aux décrets de nos saints conciles.

M. A. - Comme chrétien, vous devez obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes et ne pas supprimer non plus le calice dans la communion des fidèles.

M. le Curé. - Il y avait à craindre que les communiants ne laissassent tomber à terre quelques gouttes du précieux sang (5).

M. A. - Mais cette observation s'applique également au prêtre ; l'officiant peut aussi laisser échapper quelques gouttes du calice ! Vous verrez que cette loi nouvelle découle encore du dogme du XIIIe siècle.
Au Ve siècle, le pape Gélase I disait que communier sans le calice était un sacrilège (6).

M. le Curé. - Il disait cela aux prêtres.

M. A. - Selon les Éditions romaines de l'ouvrage de Gratien ; mais recourez au texte original et vous verrez que Gélase parlait à tous les fidèles.
Les Pères et les docteurs de l'Eglise : Jérôme, Tertullien, Jean Chrysostome, Grégoire le Grand ont donné la communion aux chrétiens de leur paroisse sous les deux espèces.

M. le Curé. - En confidence, je puis vous dire, car je sais que vous ne me trahirez point, que la question du calice ne s'est posée qu'après la controverse de Paschase Radbert.

M. A. - Vous voyez donc que la Fête-Dieu, le Jeûne eucharistique, la suppression du calice n'ont été admis dans l'Eglise de Rome que comme conséquence du dogme de la Transsubstantiation. Même le calice n'a été refusé aux fidèles qu'à partir du Concile de Constance, en 1415 (15me Session).

M. le Curé. - Je sais encore que le Concile de Bâle, en 1433, a autorisé les Bohèmes et les Moraves à conserver le calice.

M. A. - On avait essayé de tremper du pain dans du vin pour réunir les deux espèces en une seule !

M. le Curé. - On y a bientôt renoncé.

M. A. - Cela rappelait trop la scène de la désignation du traître Juda, lorsque le Christ lui donna du pain trempé. Le pape Jules Il a tenté de revenir à l'institution évangélique (1550).

M. le Curé. - Il sentait gronder la Réforme, mais ses efforts ont été vains ; deux années plus tard, le Concile de Trente devait trancher la question.

M. A. - C'est précisément ce qu'il n'a pas fait. Le 16 juillet 1552, il déclare anathème quiconque demande le rétablissement de la communion sous les deux espèces pour les fidèles ; dix années s'écoulent ; en septembre 1562, quelques prélats remettent la question sur le tapis, et ce même Concile, au lieu de répondre et de trancher le débat par l'anathème prononcé, fait de grandes concessions :
« Si pour quelques raisons honnêtes et convenables à la charité chrétienne, il semblait qu'il fallait concéder l'usage du calice à quelque nation ou royaume, et s'il le faut concéder sous quelques conditions et quelles elles sont.... que l'affaire soit rapportée tout entière à notre Saint-Père, afin que, selon sa singulière prudence, il fasse ce qu'il jugera être profitable à la République chrétienne et salutaire à ceux qui demandent l'usage du calice (7). »

M. le Curé. - Dans la pratique usuelle, les fidèles communient sans le calice.

M. A. - Les hommes ont-ils le droit de changer quoi que ce soit à un sacrement

M. le Curé. - Non, mais..

M. A. - Mais il est nécessaire d'obéir à Jésus-Christ. Le soir de l'institution de la Sainte Cène, Notre Seigneur a dit : « Buvez en tous » (8; supprimer le calice est une infidélité au premier chef.

M. le Curé. - Avec le sens spirituel que vous défendez, toutes les contradictions, toutes les difficultés que le dogme de la Transsubstantiation soulève, disparaissent, cela est vrai. Mais si vous gardez cette position, vous faites de la communion un mémorial, et rien de plus ; vous affaiblissez ainsi le sacrement.

M. A. - La Cène est plus qu'un simple mémorial ; si, d'une part, elle est pour nous la mémoire de la vie, de la passion, de la mort et de la résurrection de Notre Seigneur ; d'autre part, elle est un acte par lequel le chrétien, en réponse à sa foi, entre en communion avec son Sauveur, reçoit le bénéfice de la miséricorde acquise au monde par le divin Crucifié. En renouvelant cet acte sacré, le fidèle annonce à toutes les nations de la terre que Jésus a tout consommé, que son sang purifie de tout péché, et cela jusqu'au retour glorieux du Christ (9).

M. le Curé. - Votre conception de la Cène est fort belle, il n'y manque qu'une chose : la présence réelle du corps de Notre Seigneur.

M. A. - Jésus, notre Sauveur, est présent, réellement présent, par son Saint-Esprit. C'est cette présence réelle et non matérielle qui donne au Sacrement toute sa puissance,

M. le Curé. - Vous croyez donc que, en prenant le pain et le vin avec foi et repentance, le chrétien reçoit spirituellement le Christ par le Saint-Esprit, et que l'hypocrite, qui mange le pain et boit le vin indignement, ne discernant pas le corps du Seigneur, mange et boit sa propre condamnation ?... (10 ).

M. A. - C'est bien là ce que je crois. Ajoutez que ce sacrement ainsi compris constitue pour le racheté de Jésus-Christ une appropriation de la vie divine de son Sauveur, un témoignage rendu à la mort rédemptrice du Fils de l'homme, acceptée en rémission de ses péchés .....

M. le Curé. - Combien ce sacrement est parfait ! Quelle révélation ! ...
... Vous m'ouvrez des horizons infinis où mon âme, au lieu de trouver des ténèbres et des doutes, s'éclaire de la lumière divine...
Oh ! mais... les anathèmes des Conciles !...
Que puis-je ?...
O mon Dieu ! Éclairez-moi par votre parole sainte, car votre Parole est Vérité (Jean 17-17).


(1) Exp. cat. Clerm., p. 475. 

(2) Exp. cat - Clerm., p. 317.

(3) Math 26. P. R. Le Dimanche des Rameaux, p. 3.6.

(4) Exp. cat. Clerm., p. 318.

(5) Exp cat. Clerm., p. 311.

(6) Gratien, Décret de Consécrat., Dist. 2, ch. 12.

(7) Conc. de Trente, 5 Session sous Pie IV, Canon 1; 6em. Session sous Pie IV, Décret

(8) Matth. 26, P. R., Le Dimanche des Rameaux, p. 326. 

(9) 1 Cor. 11, P. R., Le Jeudi-Saint, p. 335.

(10
) 1 Cor. 11, P. R., Le Jeudi-Saint, p. 335.
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