M. A. -
Vous aviez
une grande fête hier dans votre paroisse.
Tout était pavoisé et
enguirlandé, les rues étaient
couvertes de fleurs...
M.
le
Curé. - Nous avons eu l'honneur de
recevoir Monseigneur qui venait pour la
Confirmation de nos jeunes communiants.
M.
A. -
Considérez-vous la Confirmation comme un
Sacrement ?
M.
le
Curé. - C'est un Sacrement
précieux qui nous donne le Saint-Esprit,
avec l'abondance de ses dons et nous rend parfaits
chrétiens (1).
Il est administré dans
l'église romaine en mémoire du jour
où le Saint-Esprit descendit sur Notre
Seigneur sous la figure visible d'une colombe
(2).
Comme cela eut lieu lors du
baptême de Jésus, nous rattachons le
sacrement de la Confirmation à celui du
Baptême. Notre Seigneur, par la colombe,
figure du Saint-Esprit, recevait la confirmation
des promesses qu'il venait de faire.
M.
A. -
Vous avez de la peine à vous expliquer parce
que vous sentez la différence fort grande
qui existe entre la descente de l'Esprit saint sur
Jésus et le Sacrement actuel de la
Confirmation. Au bord du Jourdain le
« Confirmé », c'est
Jésus et non de jeunes enfants ; le
ministre de la Confirmation c'est Dieu et non un
simple évêque ; le mode de la
manifestation divine c'est le ciel qui s'ouvre et
non une imposition des mains, accompagnée
d'onction de Saint Chrême et du petit
soufflet...
M.
le
Curé. - Tous nos écrivains ne
rattachent pas la Confirmation au baptême de
Notre Seigneur ; la plupart se
réfèrent à la
Pentecôte :
« Les
disciples virent
comme des langues de feu qui se partagèrent
et s'arrêtèrent sur chacun d'eux (3). »
Cette descente du Saint-Esprit
était la confirmation des promesses que les
disciples avaient faites lors du baptême de
Jean.
M.
A. -
Je ne voudrais pas vous froisser, mais ici encore
je ne vois ni évêque, ni enfants, ni
imposition des mains, ni Saint Chrême, ni
petit soufflet... J'y trouve au contraire la
réalisation parfaite de cette promesse de
Notre Seigneur :
« Je prierai
mon
Père et il vous donnera un autre consolateur,
afin
qu'il
demeure toujours avec vous, l'Esprit de
vérité
(4). »
M.
le
Curé. - Vous n'avez pas compris que
l'institution de ce Sacrement a été
graduelle ; en décomposant chacune des
cérémonies qui l'accompagnent, vous
l'approuverez certainement.
M.
A. -
Eh. bien, commençons par l'imposition des
mains.
M.
le
Curé. - Elle signifie que le
Saint-Esprit descend sur celui qui la
reçoit. En voici la preuve :
« Pierre et
Jean,
étant venus (en Samarie), prièrent pour eux, afin qu'ils
reçussent l'Esprit saint alors ils leur
imposèrent les mains et ils recevaient
l'Esprit saint
(5). »
M.
A. -
Je me proposais de me servir de ce passage pour
critiquer votre Sacrement. En effet, remarquez bien
les différences caractéristiques qui
s'offrent à nous :
L'évêque, par la
cérémonie de la confirmation, donne le Saint-Esprit avec
l'abondance de
ses dons ; les apôtres prient ils
intercèdent pour ceux qui ont cru afin
« qu'ils reçoivent
l'Esprit-Saint ». Comme
témoignage de leur foi ils imposaient les
mains, alors Dieu exauçait leur
prière et confirmait la
réalité de la conversion des nouveaux
fidèles par l'envoi de son Esprit Saint.
M.
le
Curé. - Je vous abandonne ce texte
pour vous opposer l'église
d'Éphèse :
« Et après que
Paul leur eut imposé les mains, le
Saint-Esprit descendit sur eux, et ils parlaient
diverses langues, et ils prophétisaient (6). »
M.
A. -
Les douze hommes dont il est question avaient
reçu le baptême de Jean et celui de
saint Paul au nom de Jésus-Christ, ils
étaient mis à part pour le service de
Dieu. L'apôtre comme une prière, leur
impose les mains... Mais cet acte ne leur donna point l'Esprit
de Dieu ; c'est
Dieu qui l'envoya du ciel en confirmation de
la consécration de ces
Éphésiens. Aussi voyez les pouvoirs
extraordinaires qui leur sont dévolus :
don des langues, prophétie !
...
M.
le
Curé. - Croyez-vous que l'imposition
des mains n'était que l'expression d'une
prière, l'attente d'un
exaucement ?
M.
A. -
La preuve, c'est qu'au lieu d'être mise en
pratique pour la descente du Saint-Esprit
seulement, elle a servi pour demander des
guérisons de malades, des
bénédictions, etc...
Ainsi, Jaïrus dit à
Jésus :
« Venez,
imposez votre
main sur ma fille, et elle vivra
(7). »
Lorsque de pieuses mères
conduisirent leurs petits enfants à
Jésus, il leur imposa les mains pour les bénir et
non
pour leur donner le Saint-Esprit :
« Et Jésus
leur
ayant imposé les mains, il partit de
là
(8). »
M.
le
Curé. - Notre Seigneur avait tout
pouvoir ; ni ses disciples, ni leurs
successeurs n'étaient autorisés
à agir de même.
M.
A. -
Mais les disciples étaient tenus
d'obéir et leurs successeurs aussi ;
c'est pourquoi vous auriez dû maintenir
l'imposition des mains pour la guérison des
malades ; c'était un ordre de
Jésus : « Ceux qui auront
cru... imposeront les mains sur les malades, et les
malades seront guéris
(9). »
M.
le
Curé. - L'imposition des mains ayant
quelquefois précédé la
descente du Saint-Esprit, nous avons
préféré ne l'appliquer
qu'à la confirmation.
M.
A. -
Vous avez préféré ! Mais
vous n'aviez pas à choisir ! Même
pour la descente du Saint-Esprit, un signe vous
était donné par
Jésus-Christ :
« Jésus leur
dit
une seconde fois : la paix soit avec vous.
Comme mon Père m'a envoyé, aussi je
vous envoie. À ces mois, il souffla sur eux
et leur dit : Recevez le Saint-Esprit (10). »
Si l'évêque a
réellement le droit de donner le
Saint-Esprit, il devrait souffler sur les jeunes
communiants et non leur imposer les
mains.
M.
le
Curé. - C'est par respect pour Notre
Seigneur que nous ne l'imitons pas. Jamais le
Saint-Esprit n'est descendu sans l'imposition des
mains.
M.
A. -
Interrogez saint Pierre et vous
verrez !
« Pierre
parlait encore
lorsque le Saint-Esprit descendit sur tous ceux qui
écoutaient la parole (11). »
Vous voyez qu'il n'est pas
question
de l'imposition des mains.
M.
le
Curé. - Nous ne vivons plus dans ces
temps bénis. Enfin, quoi qu'il en soit, nous
ne supprimerons jamais l'imposition des
mains.
M.
A. -
Gardez-la au contraire, mais ne lui donnez pas une
vertu matérielle inhérente à
l'acte même ; mettez-la en pratique
comme prière d'intercession, non pour donner le Saint-Esprit,
mais pour demander quelque chose à Dieu :
guérison, bénédiction ou
descente de l'Esprit-Saint.
M.
le
Curé. - Si l'imposition, à
elle seule, est impuissante à justifier le
sacrement de Confirmation, il faut ajouter à
son autorité l'onction de Saint Chrême, qui
signifie
la douceur de la grâce que donne le sacrement
de Confirmation (12).
M.
A. -
L'onction en usage en Orient avait un tout autre
caractère ; elle servait de
remède pour la guérison des
malades.
L'huile d'olive que l'on
employait
était quelquefois mêlée de vin,
mais jamais avec un baume consacré le
Jeudi-Saint (13).
M.
le
Curé. - C'est parce que l'huile se
mélangeait à la myrrhe que nous
ajoutons le Saint Chrême.
M.
A. -
L'huile que l'on mêlait à la myrrhe et
à la cinamone formait un parfum que l'on ne
pouvait brûler que dans le temple ; il
n'était pas permis d'en faire un autre usage
(14).
Pour les maladies, c'était
bien l'huile et le vin qui étaient
employés. Notre Seigneur, dans la parabole
du Bon Samaritain, nous dit que cet homme
charitable, « s'étant donc
approché, pansa les plaies du blessé,
après y avoir versé de l'huile et du
vin (15) ».
M.
le
Curé. - Peu importe le
mélange, l'essentiel c'est que l'onction ait
été en usage.
M.
A. -
On s'en est servi, cela va sans dire, mais non pour
la confirmation. Les douze disciples envoyés en
mission guérissaient les malades en les
oignant d'huile (16) ;
saint
Jacques parle également d'une onction unie
à la prière pour le soulagement d'un
malade (16).
M.
le
Curé. - L'Église romaine,
estimant que l'onction d'huile d'olive
mêlée de Saint-Chrême signifiait
l'infusion de la grâce du Saint-Esprit, a
jugé bon de l'employer, non pas pour les
malades, mais pour les jeunes communiants et pour
les agonisants ... Je regrette que nos auteurs
n'aient cité aucun passage de
l'Écriture Sainte pour autoriser cette
pratique.
M.
A. -
Voici donc l'onction qui ne repose sur aucune base
précise, comme aussi l'imposition des mains,
eu égard à votre Sacrement. Reste le petit soufflet.
M.
le
Curé. - Il apprend au communiant
qu'il doit être prêt à tout
souffrir, et même à mourir pour le
soutien de la foi et des maximes chrétiennes
(17).
M.
A. -
La leçon est fort belle, mais quelle trace
trouvez-vous de ce petit soufflet dans le
Nouveau-Testament ?
M.
le
Curé. - Lorsque Notre Seigneur
était en butte aux mauvais traitements des
soldats romains, ces
misérables venaient à Lui et ils lui
donnaient des soufflets (18).
C'est l'enseignement sublime de
la
souffrance suivie de la mort pour garder intactes
ses maximes.
M.
A. -
Ne m'avez-vous pas dit qu'un sacrement était
un signe sensible institué par Notre
Seigneur (19) ?
M.
le
Curé. - C'est là notre
doctrine.
M.
A. -
Eh bien, croyez-vous que les soufflets des soldats
soient « un signe sensible
institué par Notre Seigneur » et
qu'ils puissent avoir leur place dans le Sacrement
de Confirmation ?... L'évêque
remplirait alors le rôle des
soldats !
M.
le
Curé. - retenons la pensée de
souffrances et nous songerons encore au soufflet
dont parle saint Paul :
« Un aiguillon
a
été mis dans ma chair, instrument de
Satan comme pour me souffleter
(20). »
M.
A. -
Vous ne pouvez invoquer ce texte pour appuyer votre
Sacrement ! Le soufflet - cette souffrance
à laquelle fait allusion saint Paul - est
appelé un instrument de Satan !
Je fais trop d'honneur à votre
évêque pour lui dire que son petit
soufflet a cette origine !
En conclusion, ni l'imposition
des
mains, ni l'onction d'huile, ni le petit soufflet,
tel que les comprend votre
Sacrement de Confirmation, ne sont d'institution
divine.
M.
le
Curé. - Notre évêque
l'affirme cependant.
M.
A. -
Il n'en est pas sûr ; il dit très
naïvement :
« On croit
que
Notre Seigneur a institué ce sacrement dans
le temps qui s'est écoulé entre sa
résurrection et son ascension
(21). »
M.
le
Curé. - Monseigneur s'appuie sur la
tradition, que le Concile de Trente place au
même rang que les Saintes-Écritures et
veut que l'on ait pour elle le même respect
(22).
M.
A. -
Ah ! nous aurions pu en venir là
immédiatement. Eh bien consultons la
tradition.
M.
le
Curé. - Saint Irénée,
dès la fin du IIe siècle, ne
parle-t-il pas d'une onction faite après le
baptême ?
M.
A. -
Deux siècles de christianisme se sont
écoulés, et cette observation d'un
Père de l'Église s'applique non aux
fidèles chrétiens, mais aux
hérétiques gnostiques qui en
faisaient usage (23).
M.
le
Curé. - Tertullien y fait allusion
dans l'Église chrétienne
même.
M.
A. -
Il parle d'une onction qui accompagnait le
baptême du nouveau converti et non d'un sacrement
conférant le
don du Saint-Esprit à un jeune communiant
(24).
M.
le
Curé. - Saint Ambroise me
paraît faire allusion au Sacrement de
Confirmation lorsqu'il dit :
« N'attristez
pas le
Saint-Esprit dont vous avez été
marqués comme d'un sceau
(25). »
M.
A. -
Convenez que saint Ambroise parle au figuré, qu'il s'adresse
non aux
catéchumènes, mais aux ministres de
Dieu et que cette simple phrase relevée dans
toute l'oeuvre de ce saint que vous avez
canonisé, ne peut en aucune façon
appuyer l'institution d'un sacrement.
M.
le
Curé. - Nous pouvons encore invoquer
l'autorité de saint Augustin.
M.
A. -
On l'a fait par erreur, car il considère
l'imposition des mains comme une prière
(26).
Donc au
Ve siècle, le Sacrement de confirmation
n'était pas encore administré dans
l'Église ; il en résulte
évidemment qu'il n'avait pas
été l'objet d'une
révélation divine.
M.
le
Curé. - Nous avons des documents de
réelle valeur à partir du XIIIe
siècle grâce aux travaux d'Alexandre
de Hales (1245).
M.
A. -
Ce docteur, dont on fait grand cas, nous renvoie
non à Jésus-Christ, mais à
Pierre Lombard qui vivait vers
1160 et qui réserve la confirmation aux
seuls évêques, afin de relever leur
prestige sérieusement compromis
(27).
M.
le
Curé. - C'est à son opinion
que s'est rangé le Concile de
Trente.
M.
A. -
Non sans discussion car, dit Fra Paolo Sarpi,
« on exposa que la confirmation n'avait
pas dû être pratiquée attendu
que l'Église n'eût jamais aboli une
cérémonie si utile
(28). »
M.
le
Curé. - Depuis que la question a
été tranchée par le Concile,
toute discussion devient inutile. La confirmation
est un sacrement dont l'évêque est le
seul ministre. Anathème à qui dira
autre chose (29).
M.
A. -
Je crois me souvenir que le pape Grégoire le
Grand au VIIe siècle permettait aux simples
prêtres d'administrer l'imposition des mains
et l'onction ; le pape Eugène accorda
la même faveur aux
Arméniens.
M.
le
Curé. - Cette tolérance n'est
plus admise. On se base sur le fait qu'en Samarie,
le diacre Philippe n'avait pas imposé les
mains, il avait attendu pour cela l'arrivée
des apôtres Pierre et Jean.
M.
A. -
Vous assimilez vos prêtres à un
diacre !
À la bonne heure !
Cependant je ne puis croire que les apôtres
seuls eussent le droit d'imposer les mains lorsque
je vois un simple laïque, Ananie, s'en
acquitter sur le grand apôtre saint
Paul :
« Ananie étant
entré dans la maison, il imposa les mains
à Saul
(30). »
M.
le
Curé. - Ce fut un ministère
occasionnel, l'obéissance à un ordre
émanant de Dieu...
M.
A. -
Il nous permet de conclure que l'imposition des
mains n'appartenait pas aux apôtres et aux
évêques, que vous leur donnez pour
successeurs, mais qu'elle était le
privilège accordé à tous les
croyants par notre Seigneur :
« Voici les
prodiges
qui accompagneront ceux qui auront cru ils
imposeront les mains sur les malades et les malades
seront guéris
(31). »
M.
le
Curé. - On a laissé ce
sacrement aux évêques pour relever
leur prestige.
M.
A. -
Je trouve étrange qu'on leur abandonne si
généreusement la Confirmation, alors
que des Sacrements de première importance,
tels que le Baptême et l'Eucharistie, sont
administrés par de simples
prêtres !
M.
le
Curé. - Si vous supprimiez la
Confirmation, sous le prétexte qu'elle n'a
jamais été d'institution divine,
comment recevriez-vous vos jeunes
communiants ?
M.
A. -
Je suivrais l'usage de l'église apostolique
dans son admirable simplicité
(32). Lorsque
de jeunes chrétiens parvenus à
l'âge de raison avaient été
jugés dignes de communier, ils confirmaient
leur foi en Jésus-Christ mort pour leurs
péchés et ressuscité pour leur
justification. Toute l'Eglise assemblée les
entourait. Le ministre officiant, après
avoir prié, leur imposait les mains,
appelant sur eux la bénédiction
divine.
M.
le
Curé. - Cela est très beau,
très émouvant ! Quel dommage
qu'aucune église n'ait songé à
conserver une cérémonie aussi
touchante !
M.
A. -
L'Eglise protestante possède cette
cérémonie solennelle, c'est la
« Réception des
catéchumènes ».
M.
le
Curé. - Je voudrais la voire, mais je
ne le puis pas ! Néanmoins je vous
remercie. Vous me faites voir les choses avec une
grandeur chrétienne surprenante. Avec vous
je suis toujours élevé au-dessus de
nos coudes et de nos papes... Je me sens plus
près de l'Évangile, donc plus
près de la
vérité....
En se retirant, M. le Curé me
montrait un beau rayon de soleil qui se jouait sur
la fenêtre de son cabinet de travail et il me
dit : « C'est le soleil se levant
d'en haut qui est venu me visiter (33). »
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