Cantiques N°28 et 29.
Introduction. - La date de la
naissance de Jésus ne petit être
précisée d'après les documents
que nous possédons. Il y a là des
noms et des faits, qu'il n'est pas possible de
concilier.
Matthieu
(2 :
1) et Luc
(1 :
5 et 26)
parlent de la naissance de
Jésus au temps d'Hérode le
Grand, qui régnait en Judée, sous
la suzeraineté de Rome. Pompée avait
pris Jérusalem en 63 avant
Jésus-Christ, mettant fin au règne
indépendant des princes juifs
asmonéens. Ce n'était donc pas encore
tout à fait une province romaine. La
Palestine ne l'est devenue qu'en l'an 6
après Jésus-Christ, à la mort
d'Archélaüs, fils d'Hérode.
C'est alors que Quirinius devint gouverneur
de cette partie du pays.
Nous, ne voulons pas nous arrêter
à discuter ces événements.
Jésus est né au temps de l'empereur
Auguste (Luc 2: 1), probablement à une date
antérieure à celle de laquelle part
Père chrétienne et notre
manière de compter le temps (Hérode
le Grand est mort, en effet', en l'an 4 avant
Jésus-Christ.)
Le règne d'Auguste fut
brillant. Il connut de longues périodes de
paix, pendant lesquelles le Temple de Janus, qu'on
ouvrait seulement lors d'une déclaration de
guerre, demeura fermé. « C'est au
milieu de ce silence des armées, dit Victor
Duruy, que naquit Celui dont la parole allait
mettre ait ciel un seul Dieu, et sur la terre un
seul dogme, la charité. » Mme
Selma Lagerlöf, le célèbre
écrivain suédois,
a écrit un conte très poétique
à ce sujet dans « Les liens
invisibles » (p. 148 : la Vision de
l'Empereur) : « Alors il arriva
qu'une très grande et très sainte
nuit tomba sur la terre.... Comme les
ténèbres, le silence et le calme
étaient profonds. Les fleuves
s'étaient arrêtés dans leur
cours ; le vent ne soufflait pas ; les
feuilles même des trembles avaient
cessé de trembler.... Tout était
pétrifié et comme immobile pour ne
pas troubler la nuit sainte. L'herbe n'osait
croître ni la rosée tomber, ni les
fleurs exhaler leur parfum.
« À Rome, cette
nuit-là, un petit cortège s'en allait
du palais impérial vers le Capitole.
C'était l'empereur, avec quelques gens de
confiance. On parlait d'élever un temple
à Auguste sur la colline
sacrée ; et celui-ci voulait consulter
les dieux pour savoir s'ils agréaient ce
projet. Mais, tandis que le César essaie
vainement de sacrifier ses colombes, qui
s'échappent, la Sibylle, la vieille et
redoutable prophétesse, immobile non loin de
là, regardait à travers l'espace vers
un lieu très lointain, où, dans les
champs paissaient des troupeaux et sur lequel, dans
la nuit, des vols d'anges mettaient de la
lumière et des chants.
Et quand, brusquement troublée dans
sa vision par les éclats de voix de ceux qui
croyaient avoir reçu enfin un présage
favorable au projet de déifier l'empereur,
elle se tourne vers Auguste, c'est pour lui
montrer, tout là-bas, dans l'infini de
l'espace, une étable, quelques bergers et
une mère qui tient son petit enfant sur ses
genoux : « Ave Caesar !
dit-elle. Voici le Dieu qui sera adoré sur
le sommet du Capitole. » Et lentement
elle s'éloigna dans la
nuit. »
L'espérance. - Nous venons de
voir, dans les leçons
précédentes, comment le peuple juif
était rentre dans sa patrie, après le
long exil en Babylonie et la rude épreuve
qui avait suivi les séculaires
défaillances. Nous avons
écouté les hymnes d'allégresse
des prophètes et suivi les cortèges
qui revenaient vers Jérusalem, tandis que
palpitaient dans les coeurs les plus lumineux
espoirs de bonheur, de paix, de liberté, de
fidélité aussi à
l'Éternel. Mais ces espoirs ne se
réalisèrent guère. Le
règne d'un prince indépendant n'eut
que peu de durée, sous les Asmonéens.
Pendant les cinq siècles
qui vont du retour de l'exil à la naissance
de Jésus, les Juifs restèrent sous la
domination étrangère des Perses, puis
des Grecs et des princes syriens ; et nous
venons de rappeler la prise de Jérusalem par
Pompée en 63 avant Jésus-Christ.
Aussi, de plus en plus, se dessinait la vision du Messie, du
roi agréable à
l'Éternel, qui devait enfin réaliser
toutes les espérances, déçues
tant de fois, mais qui renaissaient toujours plus
vivaces, plus grandioses aussi. Ils étaient
nombreux ceux qui, comme le vieillard
Siméon, attendaient « la
consolation d'Israël »
(Luc
2 : 25).
Ils attendaient, certainement, autre chose
que ce que Dieu leur a donné. Coloré
par les souvenirs du passé, du temps de
David et de Salomon, leur espoir leur parlait
d'indépendance nationale, de gloires
terrestres, de succès immédiats, de
sainteté morale et de fidélité
religieuse aussi. C'est ainsi que beaucoup furent
déçus et ne reconnurent point en
Jésus le Messie promis et attendu. Ils se
détournèrent de lui ; les uns
pour chercher et attendre un Messie plus conforme
à leurs désirs, les autres pour se
contenter de ce qu'ils avaient et en jouir le mieux
possible.
La réalisation est si
différente de leurs rêves ! Ce
fils de David, car Jésus est bien de
la race royale, n'est qu'un descendant pauvre d'une
grande famille déchue. il va naître
dans une grotte servant d'étable à
quelque caravansérail ouvert à
tous ; il n'aura pas de cour vêtue de
brillantes couleurs et d'étoffes
précieuses pour saluer sa naissance. Des
bergers, gardant leurs troupeaux en pleine
campagne, viennent seuls se prosterner à
l'entrée de la grotte. Et quand il aura
grand"], quand il cherchera à grouper son
peuple autour de lui, il ne voudra le gagner que
par l'amour et par la sainteté de sa vie. La
liberté qu'il apporte, c'est celle de
l'enfant de Dieu, quittant l'esclavage du
péché pour se mettre an service du
Père céleste et se laver dans les
eaux de la miséricorde divine. Jésus
acceptera le titre de roi de la bouche de Pilate,
qui va le condamner, et faire graver en même
temps ce titre au-dessus de sa croix ; mais il
ajoute aussitôt : « Mon
royaume n'est pas de ce monde. »
Quelle majesté royale, pourtant, dans
le récit de Luc ; dans cette nuit auguste,
qui
annonce la naissance du petit enfant, du Sauveur du
monde ! Dans l'air calme, des voix se font
entendre, des anges sont là qui disent aux
hommes : « Ne craignez point, car je
vous annonce une grande joie.... »
Ne craignez pas! Quoi ?
Les
bergers tremblent devant le mystère qui les
environne et la grandeur du spectacle qui s'offre
à leurs yeux. Ils tremblent aussi, comme un
jour Esaïe, parce qu'ils contemplent
j'immensité de la sainteté et de
l'amour de Dieu et qu'ils se sentent en face d'elle
petits, faibles, pécheurs. La lumière
est toujours redoutable à celui qui fait mal
et quel est le coeur humain qui oserait affronter
la lumière du Soleil de justice, sans se
revêtir du « vêtement de
noce », du pardon que Jésus
apportait au monde ?
Nous comprenons la crainte qui trouble le
coeur des bergers. Une émotion profonde nous
saisit quand nous lisons ce récit, toujours
magnifique et toujours nouveau. Nous partageons les
sentiments qui agitaient leur âme en
entendant chanter les anges « Gloire
à Dieu au plus haut des cieux, paix sur la
terre... » ; et, comme à
Moïse, une voix nous dit :
« Ôte tes souliers de tes pieds,
car le lien où tu te tiens est une terre
sainte »
(Exode
3 : 5) quand sur les pas
des bergers, nous approchons de l'étable
où se tiennent Joseph, et Marie, et le petit
enfant.
Noël 1916. - Mais il y a autre
chose en nous que ce saint émoi en
présence d'un événement, qui
rapproche si intimement le ciel et la terre. Notre
crainte et notre tremblement s'expliquent pour
d'autres raisons encore. Et si nous
détournons nos regards de la lumière
qui resplendit sur les champs de Bethléhem,
ce n'est pas seulement parce qu'un regard mortel ne
supporte pas un tel éclat. Comme Esaïe
et avec plus de raison que lui encore, nous pouvons
dire : « Malheur à moi !
Je suis perdu car mes lèvres sont impures et
je demeure au milieu d'un peuple dont les
lèvres sont souillées et mes yeux ont
vu le Roi. »
(Esaïe
6 : 5).
Au moment où nous écrivons ces
lignes, nous regardons seulement du
côté de Noël, qui est encore
loin. C'est une claire et douce journée de
septembre. Depuis deux ans et deux mois, la guerre
fait
rage. Les hommes ont tué des milliers, des
centaines de milliers de leurs semblables. Ils ont
haï, ils ont menti. Même ceux qui se
réunissent habituellement autour de l'arbre
lumineux qui rend plus solennel l'anniversaire de
la naissance du Christ, n'ont pas su dire, ni
avant, ni pendant la catastrophe, les paroles
d'amour. Regardez encore l'image qui orne le
calendrier des Écoles du dimanche de
1916 : Jésus, le petit enfant de
Noël, le Crucifié du Calvaire, le Fils
de Dieu, descend une colline vers un champ de
carnage ; au-dessus des cadavres on a inscrit
la parole : « Aimez-vous les uns les
autres. »
Comment célébrerons-nous
Noël ? Ce Noël 1916 sera-t-il
semblable à ceux de 1914 et de 1915 ?
La guerre encore, avec ses morts, ses douleurs et
ses crimes ! Et nous n'aurons pas même
le spectacle, que nous pouvons rappeler à
nos enfants, du premier Noël de guerre,
où, des tranchées ennemies des
soldats sortirent pour fraterniser ; ils
n'étaient plus ennemis, ce
jour-là ; ils se souvenaient pour un
instant qu'ils étaient frères en
Christ et enfants d'un même Père
céleste. Les commandants d'armée ont
maintenant interdit ces manifestations,
décidément trop peu conformes
à ce qu'on attend de la guerre.
Que sera Noël 1916 ? Nous ne
pouvons pas le dire. Ah si nous pouvions alors
célébrer la paix. Si, vraiment, nous
entendions de nouveau le chant des anges : Gloire à Dieu au
plus haut des cieux.
Paix sur la terre parmi les hommes de bonne
volonté. Car nous gardons la vieille
traduction de la Bible latine : Et in terra
pax hominibus bonne voluntatis.
Quelle que soit la situation
extérieure et, si comme il le paraît,
la guerre doit encore persister à Noël,
le devoir reste le même. Nous devons
réagir contre les passions belliqueuses.,
arracher les haines de nos coeurs, nous dresser
contre tous les mensonges qui tourbillonnent autour
de nous. Et cela aussi : concerne les enfants.
Ils sont atteints par le fléau actuel ;
ils souffrent indiciblement, pauvres innocents,
dans les pays où les combats se
livrent ; ailleurs ils partagent les passions
ambiantes et imitent le langage violent qu'ils
entendent
autour
d'eux ; ils remplissent leurs yeux des visions
qu'ils contemplent aux devantures des magasins,
où les cartes illustrées, et les
revues, étalent des images qui les frappent
et les attirent.
« Paix sur la terre parmi les
hommes de bonne volonté, »
voilà le message de Noël. Paix,
parce que Dieu, en Jésus, rapprochait le
monde de son coeur de Père et le
réconciliait avec lui dans le pardon. La
crainte du châtiment fait place alors au
repentir et le pécheur se sent enfant du
Dieu qui pardonne en Jésus-Christ.
Mais Paix aussi, parce que les
hommes
doivent chercher, procurer, aimer la paix. Les
disciples de Jésus doivent être des
hommes de paix, c'est-à-dire unir la justice
et l'amour dans leurs coeurs, en se souvenant de ce
que demande d'eux celui que célèbre
Noël. L'humanité n'est pas dans le
chemin que Jésus a frayé ;
aucune subtile explication ne pourra le faire
croire.
Et la fête de Noël, qui est la
fête des enfants, doit être un appel
à l'esprit de paix et d'amour chez les
petits. Nous devons, dans la mesure où cela
nous est encore possible, élever nos
enfants pour la paix dans la justice et
l'amour. dans le respect des droits de chacun,
individu ou nation. Il ne faut pas
considérer comme un acte sans importance
s'ils répètent les mots injurieux
(par ex. : boches) et imitent les jugements
inconsidérés dont les grands donnent
l'exemple. La génération de demain ne
sera la génération de la paix que si
les coeurs sont préparés, dans
l'esprit de Noël et de Jésus, à
connaître, à aimer, à vouloir,
à pratiquer la « paix sur la terre
parmi les hommes de bonne
volonté ».
Et comme la Sibylle montrait à
l'empereur Auguste, à travers l'infini,
l'étable où reposait le petit
Jésus, ouvrons à notre tour l'espace
devant les yeux de nos enfants. Faisons leur
contempler, comme une émouvante vision, tous
ces soldats, ennemis, dans toutes les
tranchées, qui prient le même
Dieu et regardent au même Sauveur
en cette nuit de Noël. Faisons surgir devant
leurs regards confiants et candides, le spectacle
de tous ces enfants : allemands, anglais,
arméniens, autrichiens, français,
italiens, serbes, bulgares et
roumains, recueillis comme eux et chantant avec eux
les mêmes chants de Noël. Il
n'est pas nécessaire qu'ils comprennent ce
qu'ont fait leurs pères, c'est-à-dire
nous, pour les condamner ; mais il faut qu'ils
sachent ce qu'ils ont à faire eux, à
l'égard de ceux qu'ils doivent apprendre
à aimer comme des frères.
Noël 1916 ! C'est une
prière ardente et douloureuse, mais c'est
aussi un mot d'ordre impérieux et divin que
la parole des anges : « Paix sur la
terre parmi les hommes de bonne
volonté. »
RG. B.
La fête de
Noël, anniversaire
de la naissance du Sauveur qui nous est
racontée dans le deuxième
chapitre de l'évangile selon saint
Luc.
(Luc 2 : 1 -20..)
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