On raconte que Haendel, lors de la
répétition de son oratorio Le Messie,
interrompit soudain le choeur et l'orchestre au
moment ou la soliste venait de rendre la
phrase : Je sais que mon Rédempteur est
vivant ! Elle avait chanté à la
perfection au point de vue technique, avec une
énonciation admirable, mais quelque chose
d'essentiel faisait défaut. Le grand
artiste, dont toute l'âme était dans
sa composition, s'en alla droit à la
chanteuse et, au lieu de la complimenter sur le
soin qu'elle avait apporté à son
chant, il lui dit, le regard plein de
tristesse :
- Ma fille, savez-vous en
vérité que votre Rédempteur
est vivant ?
- Oh ! oui, répondit-elle,
rougissant, confuse. Certainement, je le
sais !
- Alors, chantez-le-moi ! Dites-le-nous
de façon que nous sachions tous que vous le
savez en vérité et que c'est pour
vous une joie et un triomphe !
La chanteuse reprit, elle y mit tout son
coeur, et elle fit jaillir les larmes dans les yeux
du vieux maître.
Combien peu d'entre nous savent dire :
Je crois ! avec l'accent d'une entière
et puissante conviction !
Les moniteurs, - y en avait-il de quoi les
mettre au pluriel ? - et les monitrices de la
Haute-Broye se sont réunis à
Mézières, mercredi 21, mai, à
10 1/2 h. du matin. Une centaine de participants,
largement à l'aise dans l'immense temple
paroissial, tout rempli du parfum des narcisses et
coloré par les généreux
bouquets des fleurs de la saison.
M. Émile Béranger, pasteur de
la paroisse, préside la réunion
suivant la coutume. Il adresse des salutations aux
participants, et des exhortations en partant d'une
parole du récit de la multiplication des
pains, Jean
6 : 9.
M. U. Briod, maître à
l'École d'application à Lausanne, a
présenté ensuite une étude sur
« Ce qui facilite la tâche du
moniteur ». Dans la séance de
l'après-midi, M. Georges Meylan, pasteur
à Lausanne, a pris la contre-partie de ce
sujet : « Ce qui complique la
tâche du moniteur. » Il s'agit
là, avant tout, d'études psychologiques. Ces
obstacles ou
ces appuis, que le moniteur rencontre dans sa
tâche, proviennent de la nature même de
l'enfant : confiance, curiosité, ou
distraction, mobilité d'esprit. Ces
études de psychologie pratique, fines et
nuancées, ont apporté beaucoup
d'excellents conseils et de piquantes
observations ; la discussion, suivant son
habitude, a dévié vers diverses
questions plus on moins connexes.
M. A. -O. Dubois, pasteur à
Peney-le-Jorat, a développé encore un
sujet biblique, et il l'a fait avec beaucoup de
clarté et de vie ; son thème se
prêtait aux descriptions
imagées : c'était la comparution
de Paul devant Festus et Agrippa. Ni. À.
Junod, pasteur à Savigny, a terminé
par la prière.
La partie spirituelle a été
bien remplie, mais elle ne fut pas la seule et il y
a d'autres choses encore à signaler à
côté des travaux substantiels de la
journée.
À midi, un pique-nique a
groupé les monitrices et les pasteurs sous
les grands arbres de la cure, chacun apportant ses
provisions, conformément à la
tradition de la Haute-Broye ; enfin, à
4 heures, un thé, offert par la paroisse de
Mézières et servi par les monitrices,
a rassemblé une dernière fois tout le
monde devant des fleurs et des assiettes bien
garnies.
Le quatuor pastoral, qui avait fort bien
chanté au culte, a encore embelli la partie
familière. Puis on a entendu M.
Béranger, qui annonce la présence de
délégués de la
Municipalité et du Conseil de
paroisse ; M. Monastier-Schroeder, pasteur de
Moudon, qui salue M. Biéler, pasteur de la
paroisse d'Oron, lequel va nous quitter ; il
le fait très fraternellement an nom des
collègues de l'Église libre ; M.
Albert de Haller, pasteur à Lausanne, qui
représente le Comité cantonal et nous
donne divers renseignements sur son
activité. Constatons avec plaisir que la
dernière édition du Cantique des
écoles du dimanche a un grand
succès et qu'elle rencontre l'approbation
partout dans le canton de Vaud et même au
delà, à Genève et
Neuchâtel. « Tout est bien qui
finit bien... »
M. R. Bornand, pasteur à Moudon,
remercie enfin les organisateurs : M. et Mille
Béranger, les monitrices, les
autorités de Mézières, qui ont
bien voulu assister à la réunion
familière. Et puis, rapidement, sous un ciel
qui devient noir et qui amasse de formidables
nuées, on se disperse : bicyclettes,
tram du Jorat et voitures ; mais l'humble
moyen antique de locomotion a encore de fervents
admirateurs, qui s'en vont à pied de leur
côté, malgré l'orage qui
menace.
Cette journée de
Mézières, bienfaisante et
fraternelle, vient s'ajouter à la liste de
ses devancières et en grossir le
trésor de lumineux souvenirs.
B.
Armez-vous
de
joie.
Toute oeuvre de Dieu devrait être faite
avec joie ; seule la joie donne la note juste
pour qui veut annoncer l'Évangile ; il
importe que nos moniteurs et nos monitrices, qui
ont charge d'âme auprès de notre
jeunesse, se pénètrent bien de cette
pensée.
Jésus disait à ses disciples,
en les entretenant de l'oeuvre qu'ils allaient
avoir à faire, comme ses
témoins : « Que ma
joie demeure en vous, que votre joie
soit complète. » Il les voulait
joyeux pour porter son message au monde ; il
ne pouvait les concevoir autrement que joyeux. La
joie est l'état normal pour le
chrétien. L'avez-vous jamais compris ?
Le comprenez-vous assez ?
Quelle est la vraie source de la joie ?
Nous trouvons de la joie à faire le
bien ; un moniteur, une monitrice qui a sa
tâche à coeur, trouve de la joie, une
joie pure et vive, à faire l'oeuvre de Dieu
auprès des élèves qui lui sont
confiés. Plus nous aimons nos
élèves, plus notre joie
s'accentue ; nous pouvons goûter un.
plaisir exquis à guider ces jeunes
âmes vers une pleine connaissance du Sauveur.
L'apôtre Paul attribuait à
Jésus cette parole, que nous ne retrouvons
pas néanmoins dans les récits de nos
Évangiles : « Il y a plus de
bonheur à donner qu'à
recevoir ; » après avoir
reçu la vérité pour
nous-mêmes, nous trouvons, en effet, du
bonheur à en faire part à d'autres,
à y initier nos enfants.
La vraie source du bonheur n'est pas
toutefois dans notre propre activité,
quelque zèle, quelque ferveur que nous y
apportions. Quand les disciples revinrent de leur
première excursion
missionnaire, tout joyeux de ce qu'ils avaient pu
faire et de la puissance dont ils avaient pu
disposer pour secourir et délivrer les
malheureux, le Maître leur dit :
« Réjouissez-vous plutôt de
ce que vos noms sont écrits dans les
cieux. » Telle est la vraie source de
joie. Armons-nous de cette
joie-là !
Jésus voulait que sa joie à
lui habitât aussi dans le coeur de ceux qu'il
envoyait continuer son oeuvre ; or, la joie de
Jésus résidait, avant tout, dans le
sentiment profond de l'amour de son Père. Il
était « le Fils bien-aimé
du Père », et il vivait de cette
pensée, qui faisait sa force et son bonheur
à travers toutes les douleurs auxquelles il
était soumis. La joie du disciple de
Jésus sera fondée sur l'assurance que
notre nom est écrit dans le ciel,
c'est-à-dire connu et aimé. de
Dieu.
Malgré toute notre indignité,
toutes nos offenses, tout le mal qui se
révèle dans nos instincts mauvais,
dans notre coeur même, dès que nous y
jetons un coup d'oeil et en dépit de tous
les mérites que nous pouvons avoir,
néanmoins Dieu nous aime ; nous pouvons
compter sur la miséricorde, sur la
bienveillance, sur la fidélité de
notre Père céleste. Nous sommes
pardonnés, définitivement
pardonnés, et adoptés ; notre
nom est écrit dans le Livre de vie ;
voilà la conviction dont Jésus veut
que nous nous pénétrions, afin, comme
il le dit, que notre joie soit complète,
parfaite, qu'il n'y manque rien et qu'elle atteigne
le plus haut degré. C'est armés de
cette conviction, que nous serons dans les
conditions voulues pour faire l'oeuvre de Dieu,
saintement, avec. succès.
Moniteurs, monitrices, armez-vous de cette
joie-là.
A. BR.
Réjouissez-vous toujours dans le Seigneur (Philip. 4 : 4).
« En vérité, je vous le dis, qui ne recevra pas le Royaume de Dieu comme un petit enfant, n'y entrera pas. » Cette parole - il y en a d'autres semblables - suffirait pour nous faire comprendre, à elle seule, quelle est, aux yeux du Maître, la noblesse de l'enfant. C'était quelque chose de nouveau. L'antiquité gréco-romaine, si cultivée, si artistique et, à bien des égards, si humaine, n'était pas loin d'ignorer, ce que nous ressentons tous, le charme de l'enfance. La littérature antique et l'art plastique n'abordent que rarement ce sujet. Combien différent est l'art chrétien ! combien grande est la place, dans la sculpture du moyen âge et la peinture de la Renaissance, de la glorification de la maternité et de l'enfance ! L'enfant inspire aux artistes les plus éblouissants chefs-d'oeuvres, et Victor Hugo exprime le même sentiment quand il s'écrie :
Lorsque l'enfant parait, le cercle de famille
Applaudit à grands cris....
Véritablement, le romancier Freussen a
raison quand il affirme que le christianisme a
révélé l'enfant au monde.
Néanmoins, il faut bien l'avouer, les
paroles de Jésus ont été
souvent mal comprises et mal
interprétées. Tout doit-il être
admiré chez l'enfant, tout imité ou
donné en exemple ? Nous ne le pensons
pas. Si l'on ne prend qu'une des paroles de
Jésus, on pourrait s'y tromper ; mais
il y en a plusieurs, et il en existe de
l'apôtre Paul sur le même sujet. Toutes
ensemble méritent notre attention ;
elles se complètent et s'expliquent
réciproquement. C'est pourquoi il nous a paru bon
d'étudier l'enfant à la
lumière du Nouveau Testament. Nous n'avons
pas l'ambition d'épuiser le sujet, encore
moins de fournir une étude approfondie sur
la nature et la psychologie de l'enfance ;
nous n'avons pas la compétence qu'il
faudrait en matière si délicate
(2).
Il y aurait
bien des observations à faire, si l'on
voulait être complet ; il faudrait, par
exemple, parler du besoin d'activité et de
sérieux de l'enfant ; établir le
rôle de l'éducation et la part de
l'hérédité, mais ce n'est pas
notre propos (3).
Nous voudrions seulement rechercher en quoi, du
point de vue évangélique, l'enfant
nous est en exemple, ce qui constitue sa
supériorité sur l'adulte. Question
importante aux yeux de tout éducateur
chrétien ! Car cette
supériorité une fois reconnue, il
faudra en tenir compte dans l'enseignement ;
il faudra même la posséder, la
conserver pour soi ou la reconquérir,
l'enfant étant, à certains
égards, un modèle à imiter.
Nous aurons en cours de route à
éliminer certaines idées
erronées. Il sera nécessaire de faire
un peu d'exégèse, mais nous nous
efforcerons d'être aussi simple et aussi
pratique que possible.
Si l'on examine les textes du Nouveau
Testament où il est question des enfants, on
est frappé d'abord par une contradiction
apparente entre le sentiment de Paul et celui de
Jésus. L'apôtre des nations a l'air de
considérer l'enfant comme un être
inférieur, faible, privé
d'expérience et partant de sagesse,
incapable d'absorber la nourriture des forts et de
comprendre les doctrines les plus
élevées du christianisme. Lui-même se
glorifie de s'être défait de ce qui,
en lui, tenait de l'enfant
(1
Cor. 13). Aux
Éphésiens, il recommande de
n'être pas des enfants emportés
à tout vent de doctrine ; aux
Corinthiens, il adresse la même invitation
pour une autre raison : il ne faut pas
être des enfants quant à
l'intelligence ; quant à la malice,
oui. Ce verset
(1
Cor. 14 : 20) est
précieux : il nous montre qu'il nous
faut faire un choix. Dans les épîtres
johanniques, l'enfant est le type du disciple
docile et aimant. Cette idée semble
procéder directement de Jésus, qui a
fait de l'enfant un modèle. Exemple :
Mat. 18 : 3 (Si vous ne devenez ....
) ;Mat.
11 : 25 et Luc
10 : 21 (l'Évangile
est réservé aux enfants, et
fermé aux sages et aux intelligents de ce
siècle) ; Mat.
18 : 2 et suiv. et le
passage déjà cité.
Jésus insiste sur la nécessité
d'être humble comme l'enfant. Il faut lui
ressembler. Et pourtant Jésus lui-même
reconnaît aux enfants certains
défauts ; il leur reproche leur
versatilité et leur esprit de contradiction.
Dans un passage bien connu
(Mat.
11 : 16), il compare sa
génération à des enfants qui,
jouant sur la place publique, se refusent à
tout, aux pleurs et aux chants.
Mais la contradiction n'est qu'apparente.
D'abord, il est très heureux que les deux
tendances, la pessimiste et l'optimiste,
d'apprécier l'enfant soient exprimées
dans le Nouveau Testament. En les lisant toutes
deux, on est poussé à la
réflexion et à l'observation. On
remarque que le Livre sacré ne tombe jamais
dans l'abstraction. Il est loin de se faire un type
unique et immuable de l'enfant comme l'ont
imaginé Rousseau et ses émules
modernes. Les écrivains bibliques
s'attachent partout à la
réalité ; on n'a qu'à les
lire pour se mettre en garde d'une idéologie
aussi dangereuse que fausse. Il y a des enfants
différents les uns des autres par leurs
facultés et leur caractère, leurs
dispositions et l'éducation qu'ils ont
reçue. L'enfant en soi, ça n'existe pas
(4). Ainsi
le
Nouveau Testament lui-même nous invite
à faire un triage, à distinguer.
C'est le travail que nous désirons faire. Voyons d'abord en quoi
l'enfant ne peut ni ne
doit nous servir de modèle.
I. Sa moralité. - On parle
beaucoup de l'innocence de l'enfant. Elle est
parfois réelle. Je n'en médis point.
Mais, même réelle, elle ne peut
constituer toujours un avantage. Jésus n'a
pas songé à promettre le salut
à ceux-là seulement qui sont
innocents ou sans péché. N'est-il pas
venu, apporter le pardon aux pécheurs,
justement ? Le Fils de l'homme est venu
appeler ceux-ci à la repentance et non les
justes ; ce ne sont pas les bien portants qui
ont besoin du médecin, mais les malades.
S'il fallait être innocent pour recevoir
l'Évangile, il ne serait pas le bon message
de pardon adressé aux perdus. Il y a
plus : l'innocence chez l'enfant est toute
relative. Quand elle existe véritablement,
elle est faite avant tout d'ignorance. On ne
saurait l'identifier avec la moralité
accomplie et voulue. Une fois la
naïveté primitive perdue, on ne peut la
retrouver. Il est impossible de revenir en
arrière ; on n'est enfant qu'une fois.
Si Jésus nous donnait l'innocence de
l'enfant en exemple, il nous proposerait un
idéal inaccessible. Nous serions en droit de
dire : ce que nous savons, nous ne pouvons
plus l'effacer de notre esprit ; impossible de
rebrousser chemin et de recouvrer l'innocence
première.
D'autre part, l'innocence et la
pureté de l'enfant, dont on fait tant de
cas, ne sont pas toujours réelles. Sa
pureté est parfois relative (nous avons en
vue les enfants de nos écoles du dimanche).
Les dernières recherches de la psychologie,
surtout celles de l'école de Freud (voir les
ouvrages de Pfister et de Jung, de Zurich), l'ont
prouvé. On a relevé des tares
effrayantes chez certains enfants, une
curiosité malsaine et une
perversité précoce. De très
bonne heure, plus tôt qu'on le croit, le
problème sexuel occupe les jeunes esprits,
et l'ignorance dans laquelle on cherche à
les maintenir ne fait souvent qu'exciter une
curiosité malsaine. On dira que nous citons
des cas anormaux, c'est peut-être
juste ; mais le 10 % de nos
élèves n'est-il pas composé
d'anormaux ? (5)
L'enfant est-il bon ? Oui et non. Il a
des sentiments d'attachement et, parfois, une
générosité touchante ; il
sait donner, car il manque de prévoyance et
il ne lui viendrait point à l'idée de
thésauriser. Il possède, en germe, de
grandes puissances d'amour, qui, lorsqu'elles
s'épanouissent dans toute leur
fraîcheur et leur poésie, nous
confondent devant la noblesse de la nature de
l'homme, « ce roi tombé qui se
souvient des cieux. » Mais ce fonds doit
être développé. Livré
à lui-même, l'enfant est
égoïste et parfois
férocement : il ne pense qu'à
lui, rapporte tout à lui et veut tout pour
lui. Il est facilement cruel (cet âge est
sans pitié...).
Résumons-nous : parmi les
enfants, il y a des coeurs tendres et
généreux, des âmes pures et
transparentes ; mais il y en a d'autres ;
et ce qu'il y a de meilleur chez les uns peut
facilement être perdu, gâté par
de mauvais exemples ou une éducation
inintelligente. L'âme de l'enfant est un coin
de nature à cultiver ; non soumise
à l'éducation, elle ne peut tout au
plus fournir, avec quelques fleurs
éclatantes, que des sauvageons et des
mauvaises herbes. Les poètes
représentent parfois les enfants comme de
petits anges vêtus de lumière,
descendant tout droit du paradis ; ne
vaudrait-il pas mieux, pour éviter certaines
illusions, se rappeler qu'ils sont de notre chair
et de notre sang, qu'ils sortent de la nuit
ancestrale, qu'ils sont le dernier chaînon
d'une longue chaîne de
générations qui toutes ont souffert
et péché ?
C'est pour cette même raison que nous
doutons que l'enfant soit nécessairement
plus heureux que l'adulte. Il souffre aussi ;
moins longtemps que ses aînés, mais
avec plus d'intensité, absorbé qu'il
est par l'impression du moment. Mais laissons la
question de côté, puisqu'elle ne
rentre pas dans le sujet.
Il. Et la mentalité de
l'enfant, serait-elle la mentalité
modèle ? Beaucoup le
prétendent ; ils peuvent s'appuyer sur
des faits indéniables. C'est dans la vole
par eux indiquée qu'il faudra chercher. Mais
là encore, il faudra choisir. Tout n'est pas
bon à imiter dans la pensée des
enfants. On a vanté leur logique, dont on a
fait je ne sais quelle logique du coeur à
opposer à celle de l'esprit. Cette
manière de parler prête à
confusion. La logique enfantine, les bons mots
d'enfants, leurs reparties naïves, tout cela
peut-être joli, touchant,
révélateur même ; mais
c'est trop fragmentaire et sujet à l'erreur.
L'enfant est sans contredit plus imaginatif, plus
intuitif que l'adulte ; c'est dans ce sens
qu'il faut comprendre l'observation du psychologue
Claparède, d'après laquelle la
pensée de l'enfant serait autre que celle de
l'adulte, et non une réduction de celle-ci.
L'esprit a plusieurs activités ;
l'enfant se livre volontiers à certaines de
ces activités, négligeant celles
auxquelles il se livrera plus tard avec plus de
plaisir et d'habileté, le raisonnement pur,
par exemple. Dans l'activité spirituelle des
enfants, le sentiment joue un rôle
prépondérant, mais leur
mentalité n'est pas essentiellement
différente de celle de leurs parents. Quand
l'enfant raisonne, il n'a pas recours à des
opérations logiques à nous inconnues.
Sa logique est la nôtre, mais il l'exerce
moins, et il déduit ses jugements de faits
peu nombreux et imparfaitement connus. Sa
simplicité a la même origine ;
elle ne constitue ni un mérite ni un
avantage. Si c'était le cas, pourquoi
soumettre l'enfant à
l'éducation ?
Pourquoi lui imposer les cadres d'une
mentalité adulte et des pensées
d'homme ? Pourquoi développer en lui la
raison, la logique ? Peut-on empêcher
l'être humain de s'épanouir et de
mûrir ? Ne serait-ce pas courir le
risque de tomber dans la
puérilité ? Il y a un temps pour
tout. Le moment arrive, où il faut, suivant
l'exemple de l'apôtre Paul, se défaire
de ce qui tenait de l'enfant, cesser de raisonner
et de parler comme lui, pour revêtir la
stature de l'homme fait. L'Évangile
surnaturel respecte toujours ce qu'il y a de sain
dans la nature. En conséquence nous
concluons que ce ne peuvent être la
moralité et la mentalité de l'enfant
comme telles qui nous sont proposées en
exemple, puisqu'elles ont aussi leurs lacunes
(signalées surtout par Paul), et puisque la
sagesse nous invite, - comme l'Écriture, -
à nous dépouiller de toute
puérilité. Il faut chercher encore.
Mais en déblayant le terrain, nous n'avons
pas perdu notre temps. N'est-ce rien que de
constater la perspicacité de Jésus et
de Paul vis-à-vis des enfants ;
n'est-ce rien que d'éviter un optimisme
aussi décevant que dangereux ?
(A suivre.)
L. MAMBOURY, pasteur.
1 Étude présentée à la réunion des moniteurs dit Nord, à Pomy, le 27 mai 1915.
2 Sur la matière il faut consulter l'ouvrage de M. Claparède (la psychologie de l'enfant), ainsi que « les causeries pédagogiques » de W. James, traduit en français par L. Pidoux, et les ouvrages de Foester.
3 Le rapport entre la volonté et l'intellect, tel qu'il a été observé par Schopenhauer, a aussi une grande importance, pour une connaissance approfondie de l'enfant.
4 Spitteler observe : l'enfant en soi est une invention des adultes.
5 C'est l'opinion du Dr Pfister, pasteur à Zurich et psychologiste très connu.
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