Mais d'autres sources encore nous sont ouvertes.
Rambert a dit à propos de Vinet :
« Les hommes supérieurs ont deux
espèces de disciples, ceux qui, sans tenir
compte de la différence des temps, refont ce
que le maître a fait, et ceux qui font ce que
ferait le maître, s'il vivait encore. Les
premiers répètent son oeuvre, les
seconds la fécondent. » Il ne
s'agit donc pas de simplement redire les histoires
de la Bible ou les paraboles de Jésus, il
faut poursuivre l'oeuvre dans le même esprit.
À nous de cueillir à notre tour dans
la nature, dans la famille, dans l'histoire
ancienne et moderne, disons même :
jusque dans la science et l'industrie actuelle, les
nombreuses illustrations qui s'adapteront à
l'enseignement religieux.
Faisons un pas de plus ; après
avoir éveillé l'attention, l'image
peut influencer les facultés de l'âme
avec une rare puissance.
À propos des paraboles, Jésus
dit à ses disciples : « C'est
à vous qu'il a été
donné de connaître le mystère
du royaume de Dieu ; mais pour ceux qui sont
du dehors, tout se passe en paraboles, afin qu'en
voyant ils n'aperçoivent pas, et qu'en
entendant, ils ne comprennent pas. »
Pour Jésus, les paraboles sont
dès l'abord une pierre de touche qui
détermine la valeur morale de
l'auditeur ; c'est un réactif qui fait
apparaître l'indifférence ou
l'intérêt, l'incrédulité
ou la foi. Par là commence à se
dessiner l'attitude des auditeurs, leur triage
progressif et leur sort dernier.
« Car, ajoute Jésus, on
donnera à celui qui a déjà, et
à celui qui n'a pas, on lui ôtera
même ce qu'il a. »
La parabole sollicite l'intelligence
pour l'amener à la réflexion ;
la sensibilité, pour qu'elle devienne du
coeur ; l'effort pour qu'il s'affirme en
résolution agissante, en volonté
persévérante. Ainsi, même dans
sa forme d'enseignement, l'Évangile fait
appel aux énergies humaines, et veut la
constitution d'une piété personnelle
par le travail de la pensée, du coeur et de
la volonté.
Comment les paraboles de Jésus
agissaient-elles sur l'intelligence ? En
provoquant des réflexions que nous avons
peine à nous représenter, aujourd'hui
que la lumière est faite, soit par les
instructions de Jésus, soit par les
événements historiques qui ont suivi.
Ce qui est certain, c'est que la mentalité
juive s'opposait aux enseignements de Jésus.
La parabole si simple du semeur n'est pas
même comprise des disciples ; elle
cachait des idées qui révolu.
tonnaient la pensée juive sur l'oeuvre du
Messie et les conditions du salut. On s'attendait
à une apparition éclatante, c'est un
humble semeur qui se présente ;
à des prodiges venant du ciel, c'est un
travail obscur de germination qui se fait
d'après les lois naturelles ; à
un salut mérité de tous les enfants
d'Abraham, et voici quatre terrains
différents dont un seul est bon !
Que ces images devaient paraître
énigmatiques d'abord ! Comme on voit
bien l'intention du Maître de provoquer la
réflexion, même au prix d'un triage
parmi les auditeurs !
Recevons instruction : aujourd'hui, on
exige que la prédication, la
méditation religieuse soit aisée
à suivre, que les difficultés soient
écartées, que tout soit clarté
et jouissance. La méthode de Jésus
était bien différente ; virile,
stimulante, elle réclamait la
réflexion, l'effort personnel qui change le
mot en réalité et la doctrine en
conviction.
Pourquoi ne reprendrions-nous pas la
méthode du Maître, aux leçons
de l'école du dimanche ? Pourquoi
après avoir raconté telle parabole ou
telle anecdote religieuse, n'essayerions-nous pas
de voir si les enfants peuvent eux-mêmes
trouver l'explication ? Il n'est que trop
fréquent et trop facile d'avoir des
élèves passifs ; ce qui est trop
rare et ce qui importe, c'est de les rendre
actifs : éveillés, chercheurs,
réfléchis. Peut-être quelque
question adroitement posée, quelque
indication discrètement donnée,
amènerait-elle nos enfants à
conquérir la vérité
plutôt qu'à la subir.
De plus, si les faits racontés sont
dûment reconnus, puisés dans
l'expérience et l'histoire, nous aurons
fourni à nos enfants des pièces
à conviction et nous aurons
procédé selon cette parole de
Jésus si conforme aux exigences
scientifiques de tous les temps :
« Venez et voyez ! »
Après l'intelligence, c'est le sentiment que l'image
prend à partie,
chacun le sait bien. Non seulement, le récit
intéressant offre à l'intelligence un
problème à résoudre, un
document à utiliser, mais encore il apporte
au coeur comme une tranche de vie, palpitante,
colorée, émouvante. Et là
où le facteur intellectuel a
échoué, le facteur émotionnel
pourra réussir. On parle
d'idée-force, on pourrait à plus
juste titre parler de sentiment force.
Qui ne connaît l'influence de
l'imagination sur la vie et comment, dans certains
cas pathologiques, le sujet est à la merci
de l'image qui le poursuit ? Lors du
choléra à Paris, un homme dut coucher
dans un lit où, disait-on, un
cholérique était mort. Le lendemain,
l'homme avait trépassé ; et
cependant le lit était parfaitement propre
et n'avait jamais été occupé
par un cholérique !
Voyez encore d'où vient la puissance
des romans et des cinématographes :
toujours de l'image ! Le monde sait comment il
faut entraîner les gens, et Jésus
disait déjà que les enfants de ce siècle
sont plus avisés que les enfants de
lumière. Nous, quel usage faisons-nous de ce
puissant moyen d'émouvoir les coeurs -
l'image ? Nous avons les vignettes de
l'école du dimanche, qui ont leur
utilité, mais dont l'effet ne peut
être considérable. Nous avons des
projections lumineuses dont l'usage au point de vue
religieux est passablement limité. Mais ce
qui est plus facile à découvrir,
à utiliser, ce qui laisse dans l'âme
une trace parfois, ineffaçable, c'est encore
le récit imagé, la parabole
religieuse, biblique ou moderne.
Évidemment il ne s'agit pas de
chercher à « taper sur les
nerfs » ! Il ne faut pas faire aux
enfants des descriptions fantastiques du ciel et de
l'enfer. Imitons plutôt la
sobriété de Jésus ;
inspirons-nous de son esprit de respect pour les
âmes ; puis, ayons confiance en l'action
salutaire de la parabole.
Quoi de plus émouvant que l'histoire
de l'enfant prodigue ? En voici une preuve
qui, du même coup, montre comment l'image.
biblique peut se renouveler
merveilleusement :
Une bande d'artistes ambulants aux figures
noircies, aux costumes étranges, parcourait,
sous le nom de chanteurs éthiopiens,
les rues d'une petite ville. À l'un d'eux,
grand et beau jeune homme qui faisait la
quête, un négociant donna un franc,
plus un livre qu'il tira de sa vitrine.
« Voici mon don, dit-il, à la
condition que vous lisiez une page de ce petit
livre devant le public. » -
« C'est bien facile, dit en riant le
chanteur. Attention ! La séance va
commencer ! » Il prit le livre et
lut à la page indiquée par le
négociant :
- Jésus dit : Un homme avait
deux fils ; le plus jeune dit à son
père Mon père, donne-moi la part de
bien qui me doit revenir. Et le père leur
partagea son bien.
La voix du chanteur, d'abord
déclamatoire, était devenue
sérieuse. Il continua :
- Et peu de jours après, le plus
jeune fils, ayant tout ramassé, s'en alla
dans un pays éloigné où il
dissipa ses biens en vivant dans la
débauche.
- C'est comme toi, Jacques, lui souffla un
de ses camarades. C'est juste ce que tu m'as
raconté de toi et de ton père.
Le lecteur reprit Et après qu'il eut
tout dépensé, une grande famine
survint dans ce pays et il commença à
se trouver dans le besoin.
- Te voilà encore, reprit la
même voix, continue !
- Alors, poursuivit le lecteur, il alla se
mettre au service d'un des habitants du pays qui
l'envoya dans les champs garder ses pourceaux. Il
eût bien voulu se rassasier des carouges que
les pourceaux mangeaient ; mais personne ne
lui en donnait.
- Voilà comme nous sommes tous,
interrompt le même personnage ; nous
sommes des mendiants, alors que nous pourrions
être des heureux.
Un plus loin.
- Alors, étant rentré en
lui-même, il dit : « Combien
de mercenaires chez mon père ont du pain en
abondance et moi, je meurs de faim ! Je me
lèverai, j'irai vers mon père et je
lui dirai : Mon père, j'ai
péché....
Ici, les larmes étouffèrent la
voix. Tous les assistants étaient
impressionnés. Pour lui, il pensait à
son père, à sa mère qu'il
avait quittés, à l'affection qui
l'attendait encore dans sa famille. Ce fut une
heure décisive. Le négociant
reçut sa confession, les parents furent
avisés, et le fils prodigue put rentrer
à la maison paternelle
(1).
Telle est la puissance d'un simple
récit, que le coeur, resté sourd
à tout appel et à tout raisonnement,
se brisera sous le coup de
l'émotion. On a dit que la froideur,
l'égoïsme de bien des hommes, la
cruauté même, a pour cause bien
souvent le manque d'attention, surtout
l'épaisseur de l'imagination. Pour notre
compte, nous avons l'impression que la profondeur
de sentiment, la grande pitié qu'on observe
chez la femme, vient en bonne partie de son
admirable faculté d'imagination, de son
étonnante intuition. L'enfant aussi se
distingue par ce côté; tirons-en donc
profit dans l'enseignement religieux.
L'image agit encore sur la volonté. La psychologie
démontre que l'imagination d'un mouvement
produit la tendance à exécuter ce
même mouvement. On explique ainsi les tables
tournantes, ou le vertige d'un ascensionniste qui
suit du regard la chute d'une pierre.
Imaginer un acte vertueux ou un acte
coupable, c'est se représenter tous les
mouvements nécessaires à
l'accomplissement de cet acte, c'est se disposer
à l'exécuter, c'est l'avoir fait
au-dedans de soi. Voilà pourquoi il est
dangereux de se familiariser avec l'idée
d'un péché. La tentation n'est pas
autre chose.
« Que faut-il ordinairement pour
être amené à mal faire? Tout
simplement avoir l'imprudence d'y penser trop
souvent ou trop longtemps. Même des assassins
ont déclaré que l'idée du
meurtre ne leur était venue qu'à
force de voir juger, condamner, exécuter des
assassins, ou de lire de tels récits
(2). »
D'autre part, la tendance au bien
naîtra de l'image belle et bonne. Faisons
donc imaginer le bien, occupons l'esprit
d'excellentes visions et le bien s'accomplira. Tel
récit pourra déterminer un changement
de vie étonnant, une résolution
décisive et salutaire.
Selon W. James, les prédicateurs
méthodistes racontent facilement l'anecdote
suivante : « Un homme tomba de nuit
dans un précipice. En tombant, il parvint
à s'accrocher à une branche et y
resta suspendu, plein d'angoisse, durant plusieurs
heures. À la fin, ses mains
épuisées tâchèrent prise
et, disant un adieu suprême à la vie,
il se laissa choir. Quinze centimètres plus
bas, ses pieds rencontraient le sol. S'il avait
renoncé plus tôt à son
pénible effort, il n'aurait pas eu toute
cette angoisse
(3). »
À combien d'âmes perplexes et
malheureuses ce récit n'a-t-il pas
apporté le mot salutaire : Laissez-vous
tomber dans les bras du Père céleste
et vous aurez la paix.
Il faudrait encore ouvrir tout un chapitre
sur l'influence, de la parabole sur la conscience. Ce serait
trop long.
Prenons seulement le cas de David, lorsque
Nathan, pour le convaincre de crime et
d'adultère, vient lui raconter l'histoire du
riche qui enlève au pauvre son unique
brebis. Ne voyons-nous pas que c'était
là le seul moyen d'obtenir du roi un
jugement équitable ? Attaqué
directement, il se serait probablement
révolté et endurci.
Par l'emploi de l'image, notre cas personnel
est laissé de côté, la
conscience est dégagée des
intérêts égoïstes,
l'orgueil n'empêche pas de prononcer le
jugement et, quand l'application vient à se
faire, la conscience ne peut plus se
déjuger. Il est nombre de récits,
d'illustrations qui peuvent produire cet effet sur
la conscience. Rappelons seulement la
légende du berger Gygès dans Platon
et le conte de William Wilson dans Edgar
Poë.
En définitive, l'image parabolique
aide à l'homme à se découvrir
lui-même, à se sentir, à se
ressaisir. Une fois les traits fondamentaux de
l'âme remis au jour, une fois les
énergies du coeur et de la volonté
mises en branle, l'homme reconnaît en lui
l'empreinte du divin, et cette découverte l'ouvre
aux impressions
religieuses. On pourrait ranger les paraboles dans
ces choses terrestres dont parle Jésus
(Jean
3 : 12), auxquelles il
faut d'abord croire avant de croire aux choses
célestes.
Pour allumer la lampe électrique de
certains appareils à projections, on chauffe
d'abord avec la flamme d'une humble lampe à
esprit de vin ; c'est seulement après
que le courant électrique peut passer et la
lumière d'abord rouge sombre devenir d'un
blanc éblouissant.
Ainsi l'humble historiette sait d'abord
réchauffer l'âme, l'éclairer
jusqu'à un certain degré ; alors
peut venir le grand courant de l'Esprit divin qui
subjugue l'âme et l'emplit des rayons de la
vie éternelle.
C'est pourquoi, illustrons l'enseignement
religieux et si quelqu'un trouve ce
procédé enfantin et trop peu digne,
répondons encore par ces quelques remarques
sommaires :
1° La science moderne réclame des faits ; les anecdotes et paraboles sont des tranches de vie, des documents qui répondent aux exigences de la pensée religieuse.
2° Ce procédé apparaîtra bien vite, à qui l'emploie, comme plus fructueux que les simples explications et raisonnements. Il est, comme nous l'avons vu, calqué sur les besoins de la vie religieuse.
3° Jésus n'en a pas usé autrement. En toute simplicité, il cherchait l'image : À qui comparerons-nous le royaume des cieux et par quelle parabole le représenterons-nous ? À qui comparerai-je cette génération ? » (Luc 4 : 30 et Matthieu 11 : 16.)
En illustrant nos enseignements, nous suivons la
grande tradition de Jésus et des plus
puissants serviteurs de Dieu.
Mais comment terminer cette modeste
étude sur l'image, sans évoquer
par-dessus tout l'image auguste, infiniment belle,
indiciblement aimée de notre Sauveur ?
Notre ambition n'est-elle pas de
la faire apparaître et briller dans
l'âme de nos enfants ? À nous de
contempler Jésus toujours mieux, de
percevoir sa voix toujours plus distinctement, afin
d'en mieux retracer la beauté à nos
chers élèves, - ce qui sera leur
sauvegarde pour la vie.
Bodeslas, roi de Pologne, portait toujours
sur lui un médaillon qui renfermait le
portrait de son père. Dans les circonstances
difficiles, il lui suffisait de jeter un, regard
sur l'image vénérée, en
disant : « Bodeslas, ton père
te regarde ! » pour retrouver le
courage ou la sagesse qui allait lui manquer.
Qu'ainsi nos enfants apprennent à
contempler la gloire du Seigneur pour être
transformés en la même image !
(2
Cor. 3 : 18.)
G. PERRET-GENTIL.
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