Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Du rôle de l'image dans l'enseignement religieux.

(Suite et fin.)

Mais d'autres sources encore nous sont ouvertes. Rambert a dit à propos de Vinet : « Les hommes supérieurs ont deux espèces de disciples, ceux qui, sans tenir compte de la différence des temps, refont ce que le maître a fait, et ceux qui font ce que ferait le maître, s'il vivait encore. Les premiers répètent son oeuvre, les seconds la fécondent. » Il ne s'agit donc pas de simplement redire les histoires de la Bible ou les paraboles de Jésus, il faut poursuivre l'oeuvre dans le même esprit. À nous de cueillir à notre tour dans la nature, dans la famille, dans l'histoire ancienne et moderne, disons même : jusque dans la science et l'industrie actuelle, les nombreuses illustrations qui s'adapteront à l'enseignement religieux.

Faisons un pas de plus ; après avoir éveillé l'attention, l'image peut influencer les facultés de l'âme avec une rare puissance.

À propos des paraboles, Jésus dit à ses disciples : « C'est à vous qu'il a été donné de connaître le mystère du royaume de Dieu ; mais pour ceux qui sont du dehors, tout se passe en paraboles, afin qu'en voyant ils n'aperçoivent pas, et qu'en entendant, ils ne comprennent pas. »

Pour Jésus, les paraboles sont dès l'abord une pierre de touche qui détermine la valeur morale de l'auditeur ; c'est un réactif qui fait apparaître l'indifférence ou l'intérêt, l'incrédulité ou la foi. Par là commence à se dessiner l'attitude des auditeurs, leur triage progressif et leur sort dernier.
« Car, ajoute Jésus, on donnera à celui qui a déjà, et à celui qui n'a pas, on lui ôtera même ce qu'il a. »

La parabole sollicite l'intelligence pour l'amener à la réflexion ; la sensibilité, pour qu'elle devienne du coeur ; l'effort pour qu'il s'affirme en résolution agissante, en volonté persévérante. Ainsi, même dans sa forme d'enseignement, l'Évangile fait appel aux énergies humaines, et veut la constitution d'une piété personnelle par le travail de la pensée, du coeur et de la volonté.

Comment les paraboles de Jésus agissaient-elles sur l'intelligence ? En provoquant des réflexions que nous avons peine à nous représenter, aujourd'hui que la lumière est faite, soit par les instructions de Jésus, soit par les événements historiques qui ont suivi. Ce qui est certain, c'est que la mentalité juive s'opposait aux enseignements de Jésus. La parabole si simple du semeur n'est pas même comprise des disciples ; elle cachait des idées qui révolu. tonnaient la pensée juive sur l'oeuvre du Messie et les conditions du salut. On s'attendait à une apparition éclatante, c'est un humble semeur qui se présente ; à des prodiges venant du ciel, c'est un travail obscur de germination qui se fait d'après les lois naturelles ; à un salut mérité de tous les enfants d'Abraham, et voici quatre terrains différents dont un seul est bon !

Que ces images devaient paraître énigmatiques d'abord ! Comme on voit bien l'intention du Maître de provoquer la réflexion, même au prix d'un triage parmi les auditeurs !

Recevons instruction : aujourd'hui, on exige que la prédication, la méditation religieuse soit aisée à suivre, que les difficultés soient écartées, que tout soit clarté et jouissance. La méthode de Jésus était bien différente ; virile, stimulante, elle réclamait la réflexion, l'effort personnel qui change le mot en réalité et la doctrine en conviction.

Pourquoi ne reprendrions-nous pas la méthode du Maître, aux leçons de l'école du dimanche ? Pourquoi après avoir raconté telle parabole ou telle anecdote religieuse, n'essayerions-nous pas de voir si les enfants peuvent eux-mêmes trouver l'explication ? Il n'est que trop fréquent et trop facile d'avoir des élèves passifs ; ce qui est trop rare et ce qui importe, c'est de les rendre actifs : éveillés, chercheurs, réfléchis. Peut-être quelque question adroitement posée, quelque indication discrètement donnée, amènerait-elle nos enfants à conquérir la vérité plutôt qu'à la subir.
De plus, si les faits racontés sont dûment reconnus, puisés dans l'expérience et l'histoire, nous aurons fourni à nos enfants des pièces à conviction et nous aurons procédé selon cette parole de Jésus si conforme aux exigences scientifiques de tous les temps : « Venez et voyez ! »

Après l'intelligence, c'est le sentiment que l'image prend à partie, chacun le sait bien. Non seulement, le récit intéressant offre à l'intelligence un problème à résoudre, un document à utiliser, mais encore il apporte au coeur comme une tranche de vie, palpitante, colorée, émouvante. Et là où le facteur intellectuel a échoué, le facteur émotionnel pourra réussir. On parle d'idée-force, on pourrait à plus juste titre parler de sentiment force.

Qui ne connaît l'influence de l'imagination sur la vie et comment, dans certains cas pathologiques, le sujet est à la merci de l'image qui le poursuit ? Lors du choléra à Paris, un homme dut coucher dans un lit où, disait-on, un cholérique était mort. Le lendemain, l'homme avait trépassé ; et cependant le lit était parfaitement propre et n'avait jamais été occupé par un cholérique !

Voyez encore d'où vient la puissance des romans et des cinématographes : toujours de l'image ! Le monde sait comment il faut entraîner les gens, et Jésus disait déjà que les enfants de ce siècle sont plus avisés que les enfants de lumière. Nous, quel usage faisons-nous de ce puissant moyen d'émouvoir les coeurs - l'image ? Nous avons les vignettes de l'école du dimanche, qui ont leur utilité, mais dont l'effet ne peut être considérable. Nous avons des projections lumineuses dont l'usage au point de vue religieux est passablement limité. Mais ce qui est plus facile à découvrir, à utiliser, ce qui laisse dans l'âme une trace parfois, ineffaçable, c'est encore le récit imagé, la parabole religieuse, biblique ou moderne.

Évidemment il ne s'agit pas de chercher à « taper sur les nerfs » ! Il ne faut pas faire aux enfants des descriptions fantastiques du ciel et de l'enfer. Imitons plutôt la sobriété de Jésus ; inspirons-nous de son esprit de respect pour les âmes ; puis, ayons confiance en l'action salutaire de la parabole.
Quoi de plus émouvant que l'histoire de l'enfant prodigue ? En voici une preuve qui, du même coup, montre comment l'image. biblique peut se renouveler merveilleusement :
Une bande d'artistes ambulants aux figures noircies, aux costumes étranges, parcourait, sous le nom de chanteurs éthiopiens, les rues d'une petite ville. À l'un d'eux, grand et beau jeune homme qui faisait la quête, un négociant donna un franc, plus un livre qu'il tira de sa vitrine. « Voici mon don, dit-il, à la condition que vous lisiez une page de ce petit livre devant le public. » - « C'est bien facile, dit en riant le chanteur. Attention ! La séance va commencer ! » Il prit le livre et lut à la page indiquée par le négociant :
- Jésus dit : Un homme avait deux fils ; le plus jeune dit à son père Mon père, donne-moi la part de bien qui me doit revenir. Et le père leur partagea son bien.

La voix du chanteur, d'abord déclamatoire, était devenue sérieuse. Il continua :
- Et peu de jours après, le plus jeune fils, ayant tout ramassé, s'en alla dans un pays éloigné où il dissipa ses biens en vivant dans la débauche.
- C'est comme toi, Jacques, lui souffla un de ses camarades. C'est juste ce que tu m'as raconté de toi et de ton père.

Le lecteur reprit Et après qu'il eut tout dépensé, une grande famine survint dans ce pays et il commença à se trouver dans le besoin.
- Te voilà encore, reprit la même voix, continue !
- Alors, poursuivit le lecteur, il alla se mettre au service d'un des habitants du pays qui l'envoya dans les champs garder ses pourceaux. Il eût bien voulu se rassasier des carouges que les pourceaux mangeaient ; mais personne ne lui en donnait.
- Voilà comme nous sommes tous, interrompt le même personnage ; nous sommes des mendiants, alors que nous pourrions être des heureux.

Un plus loin.
- Alors, étant rentré en lui-même, il dit : « Combien de mercenaires chez mon père ont du pain en abondance et moi, je meurs de faim ! Je me lèverai, j'irai vers mon père et je lui dirai : Mon père, j'ai péché....

Ici, les larmes étouffèrent la voix. Tous les assistants étaient impressionnés. Pour lui, il pensait à son père, à sa mère qu'il avait quittés, à l'affection qui l'attendait encore dans sa famille. Ce fut une heure décisive. Le négociant reçut sa confession, les parents furent avisés, et le fils prodigue put rentrer à la maison paternelle (1).

Telle est la puissance d'un simple récit, que le coeur, resté sourd à tout appel et à tout raisonnement, se brisera sous le coup de l'émotion. On a dit que la froideur, l'égoïsme de bien des hommes, la cruauté même, a pour cause bien souvent le manque d'attention, surtout l'épaisseur de l'imagination. Pour notre compte, nous avons l'impression que la profondeur de sentiment, la grande pitié qu'on observe chez la femme, vient en bonne partie de son admirable faculté d'imagination, de son étonnante intuition. L'enfant aussi se distingue par ce côté; tirons-en donc profit dans l'enseignement religieux.

L'image agit encore sur la volonté. La psychologie démontre que l'imagination d'un mouvement produit la tendance à exécuter ce même mouvement. On explique ainsi les tables tournantes, ou le vertige d'un ascensionniste qui suit du regard la chute d'une pierre.

Imaginer un acte vertueux ou un acte coupable, c'est se représenter tous les mouvements nécessaires à l'accomplissement de cet acte, c'est se disposer à l'exécuter, c'est l'avoir fait au-dedans de soi. Voilà pourquoi il est dangereux de se familiariser avec l'idée d'un péché. La tentation n'est pas autre chose.
« Que faut-il ordinairement pour être amené à mal faire? Tout simplement avoir l'imprudence d'y penser trop souvent ou trop longtemps. Même des assassins ont déclaré que l'idée du meurtre ne leur était venue qu'à force de voir juger, condamner, exécuter des assassins, ou de lire de tels récits (2). »

D'autre part, la tendance au bien naîtra de l'image belle et bonne. Faisons donc imaginer le bien, occupons l'esprit d'excellentes visions et le bien s'accomplira. Tel récit pourra déterminer un changement de vie étonnant, une résolution décisive et salutaire.

Selon W. James, les prédicateurs méthodistes racontent facilement l'anecdote suivante : « Un homme tomba de nuit dans un précipice. En tombant, il parvint à s'accrocher à une branche et y resta suspendu, plein d'angoisse, durant plusieurs heures. À la fin, ses mains épuisées tâchèrent prise et, disant un adieu suprême à la vie, il se laissa choir. Quinze centimètres plus bas, ses pieds rencontraient le sol. S'il avait renoncé plus tôt à son pénible effort, il n'aurait pas eu toute cette angoisse (3). »

À combien d'âmes perplexes et malheureuses ce récit n'a-t-il pas apporté le mot salutaire : Laissez-vous tomber dans les bras du Père céleste et vous aurez la paix.
Il faudrait encore ouvrir tout un chapitre sur l'influence, de la parabole sur la conscience. Ce serait trop long.

Prenons seulement le cas de David, lorsque Nathan, pour le convaincre de crime et d'adultère, vient lui raconter l'histoire du riche qui enlève au pauvre son unique brebis. Ne voyons-nous pas que c'était là le seul moyen d'obtenir du roi un jugement équitable ? Attaqué directement, il se serait probablement révolté et endurci.

Par l'emploi de l'image, notre cas personnel est laissé de côté, la conscience est dégagée des intérêts égoïstes, l'orgueil n'empêche pas de prononcer le jugement et, quand l'application vient à se faire, la conscience ne peut plus se déjuger. Il est nombre de récits, d'illustrations qui peuvent produire cet effet sur la conscience. Rappelons seulement la légende du berger Gygès dans Platon et le conte de William Wilson dans Edgar Poë.

En définitive, l'image parabolique aide à l'homme à se découvrir lui-même, à se sentir, à se ressaisir. Une fois les traits fondamentaux de l'âme remis au jour, une fois les énergies du coeur et de la volonté mises en branle, l'homme reconnaît en lui l'empreinte du divin, et cette découverte l'ouvre aux impressions religieuses. On pourrait ranger les paraboles dans ces choses terrestres dont parle Jésus (Jean 3 : 12), auxquelles il faut d'abord croire avant de croire aux choses célestes.

Pour allumer la lampe électrique de certains appareils à projections, on chauffe d'abord avec la flamme d'une humble lampe à esprit de vin ; c'est seulement après que le courant électrique peut passer et la lumière d'abord rouge sombre devenir d'un blanc éblouissant.
Ainsi l'humble historiette sait d'abord réchauffer l'âme, l'éclairer jusqu'à un certain degré ; alors peut venir le grand courant de l'Esprit divin qui subjugue l'âme et l'emplit des rayons de la vie éternelle.
C'est pourquoi, illustrons l'enseignement religieux et si quelqu'un trouve ce procédé enfantin et trop peu digne, répondons encore par ces quelques remarques sommaires :

1° La science moderne réclame des faits ; les anecdotes et paraboles sont des tranches de vie, des documents qui répondent aux exigences de la pensée religieuse.
2° Ce procédé apparaîtra bien vite, à qui l'emploie, comme plus fructueux que les simples explications et raisonnements. Il est, comme nous l'avons vu, calqué sur les besoins de la vie religieuse.

3° Jésus n'en a pas usé autrement. En toute simplicité, il cherchait l'image : À qui comparerons-nous le royaume des cieux et par quelle parabole le représenterons-nous ? À qui comparerai-je cette génération ? » (Luc 4 : 30 et Matthieu 11 : 16.)

En illustrant nos enseignements, nous suivons la grande tradition de Jésus et des plus puissants serviteurs de Dieu.
Mais comment terminer cette modeste étude sur l'image, sans évoquer par-dessus tout l'image auguste, infiniment belle, indiciblement aimée de notre Sauveur ? Notre ambition n'est-elle pas de la faire apparaître et briller dans l'âme de nos enfants ? À nous de contempler Jésus toujours mieux, de percevoir sa voix toujours plus distinctement, afin d'en mieux retracer la beauté à nos chers élèves, - ce qui sera leur sauvegarde pour la vie.

Bodeslas, roi de Pologne, portait toujours sur lui un médaillon qui renfermait le portrait de son père. Dans les circonstances difficiles, il lui suffisait de jeter un, regard sur l'image vénérée, en disant : « Bodeslas, ton père te regarde ! » pour retrouver le courage ou la sagesse qui allait lui manquer.

Qu'ainsi nos enfants apprennent à contempler la gloire du Seigneur pour être transformés en la même image ! (2 Cor. 3 : 18.)

G. PERRET-GENTIL.


1 Feuilles d'évangélisation Favre, n° 213. 

2 Joly, Imagination p. 169.

3 W. James, L'Expérience religieuse, p. 94. 
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