Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Enfants suisses et enfants belges.

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Vous n'avez pas oublié les terribles journées du mois d'août 1914, où nous avons appris avec stupeur qu'une guerre affreuse était déchaînée et qu'elle commençait par l'envahissement d'un petit pays paisible qui voulait, comme le nôtre, rester neutre et ne point prendre part aux conflits éclatant entre d'autres nations. Vous avez entendu alors vos parents exprimer leur indignation envers l'envahisseur, traître à sa parole, et leur sympathie pour le peuple héroïque qui, avec sa faible armée, a retenu le flot ennemi, donnant à la France le temps de se préparer à la résistance. Je n'ai pas besoin de vous rappeler tout cela ; ces souvenirs sont présents à toutes vos mémoires, et vos coeurs d'enfants sont encore émus des malheurs de la vaillante Belgique ! Vous rappelez-vous aussi qu'un comité s'est fondé, dans notre ville, pour venir en aide aux Belges chassés de leur patrie ? Au premier abord, ce comité a cru qu'il y aurait beaucoup d'enfants orphelins, car nous ne savions pas que le service militaire n'est pas organisé en Belgique comme chez nous : en Suisse, tous les hommes de 20 à 48 ans doivent marcher pour garder leurs frontières, tous sont soldats ; comme vous l'avez souvent chanté : « Dans nos cantons, chaque enfant naît soldat ! » et, si nous avions été à la place des Belges, tous nos hommes, ayant leur place dans l'armée, auraient marché pour défendre leurs foyers. Mais là-bas, il n'en est pas de même : un fils seulement par famille est astreint au service militaire et aucun homme marié n'est appelé à la guerre. Il y en a qui sont partis quand même comme volontaires ; mais la majorité, n'ayant jamais fait de service militaire, n'a pas même eu l'idée de s'enrôler, de sorte que la guerre n'a pas fait beaucoup d'orphelins en Belgique. Cependant nous avons vu arriver, dans un de nos convois, une jeune femme en deuil avec deux petits enfants et tristement nous avons appris que son mari avait été tué à la guerre. Mais, chez nous, on attendait des enfants abandonnés ; beaucoup d'entre vous, n'est-ce pas, s'étaient réjouis à la pensée d'accueillir un petit frère ou une petite soeur belge, avec lequel vous vouliez partager le bien-être de vos heureuses demeures et vous avez été un peu désappointés, lorsque vous avez appris que les enfants belges arrivaient en compagnie de leurs parents et qu'ils restaient avec eux !

L'appel, lancé par le comité de Lausanne. a trouvé un écho dans beaucoup de coeurs suisses. Nous avons reçu des piles et des piles de lettres pleines d'enthousiasme, de tous les points de notre cher pays ; mais je ne vous raconterai pas les choses touchantes écrites par les Valaisans, ou par les Bâlois, etc., ce serait beaucoup trop long et je ne viens vous entretenir que des enfants. Il n'y a pas besoin de vous redire ce que vous avez fait ; vous-mêmes vous vous rappelez vos petits sous, affectueusement mis de côté, les jouets dont vous vous êtes séparés ; les vêtements fabriqués par les doigts agiles de nos fillettes, vous avez fait votre part et vos chers parents ont fait la leur aussi largement ; ce sont des choses que vous savez et qui sont pour vous d'heureux souvenirs. Ce que vous désirez entendre, n'est-ce pas, c'est ce que vous ne connaissez pas encore : les efforts d'autres enfants suisses. Un jour, j'ai reçu un paquet contenant une paire de jolies chaussettes de laine ; dans le paquet, il y avait une lettre qui disait : « Mon petit garçon, âgé de sept ans et demi, a gagné un peu d'argent, en gardant les vaches, et il l'emploie à acheter lui-même ces bas pour un pauvre réfugié belge ! » Cher petit bovairon de sept ans, qui gagnait, sans doute, pour la première fois, quelques sous, et qui a consacré son modeste trésor à une oeuvre d'amour ! Je pense que le Sauveur, qui a remarqué la pite de la veuve, dit aussi, de cet enfant : « Il a donné plus que tous les autres ! » Et, figurez-vous que je n'ai jamais pu remercier ce cher enfant ni lui dire avec quelle douce émotion j'avais reçu son envoi, car sa bonne mère, modeste et judicieuse, ne m'avait point donné d'adresse. - Un autre jour, la poste m'a apporté un mandat de 5 Fr., de la part d'un espérien de Saint-Gall, pour les petits frères belges. Un autre mandat de 5 fr. m'est parvenu avec cette suscription : « C'est avec grande joie que je vous envoie cette petite somme que j'ai économisée, en travaillant, pour les chers amis belges. Un petit ami, Jean Borloz. » Ceci était écrit d'une belle écriture ; mais la signature, en gros caractères, disait que Jean Borloz ne devait pas fréquenter l'école depuis bien longtemps ; il habite Fribourg, ce cher petit Jean Borloz ! - Une autre maman encore m'a écrit, depuis Sainte-Croix, pour m'envoyer une paire de bas mignons, tricotés par sa fillette pour un bébé belge. Une autre fillette, de Zurich si je ne fais erreur, a fait le sacrifice d'une magnifique poupée en faveur d'une des pauvres petites, dont tous les jouets sont restés là-bas, dans le pays dévasté.

C'est une petite fille encore qui a glissé dans la main d'un enfant arrivant avec un convoi de réfugiés, la jolie lettre que voici :

Chers frères et soeurs belges,

Je profite de votre passage pour vous témoigner ma plus grande sympathie. J'espère qu'en Suisse vous serez heureux,comme chez vous en Belgique ; car, comme vous le savez, toutes nos portes vous sont ouvertes pour vous recevoir avec joie en Jésus qui nous a dit : « Ce que vous faites à un de mes petits, vous le faites à moi-même. »
En terminant, je souhaite que cette guerre prenne bientôt fin pour que vous puissiez rentrer dans votre patrie, en espérant le bonheur.

Une amie, des Belges.

MARIE.


De petits amis que j'ai à Neuchâtel, ont réuni leurs bourses enfantines pour m'envoyer une jolie somme, en faveur des enfants belges. D'autres frères et soeurs d'une famille lausannoise ont réussi, au moyen d'une soirée littéraire et musicale, à gagner une centaine de francs, destinés à procurer du soulagement aux malheureux que nous recevions.

Ils sont nombreux, très nombreux, j'en bénis Dieu, les enfants de notre pays qui ont compati aux souffrances des victimes de la guerre et qui ont su faire pour eux de réels sacrifices. Je ne les connais pas tous, ces braves garçons, ces gentilles fillettes ; il y en a beaucoup dont le travail et le dévouement ne m'ont point été révélés et dont je ne puis, par conséquent, rien vous dire. Mais à côté de ceux que je viens de vous nommer et qui ont agi individuellement ou en famille, il y a ceux qui se sont groupés pour faire le bien. À Noël, en particulier, ils ont donné des preuves touchantes de leur sympathie. Figurez-vous que j'ai vu arriver de Davos, dans les montagnes des Grisons, un grand paquet contenant une collection de ravissants livres d'images fabriqués par les élèves d'une école enfantine pour réjouir les yeux des tout petits exilés. Plusieurs écoles du dimanche se sont intéressées aux enfants belges ; dans l'une on a tricoté une belle et chaude couverture, dans une autre on a peint des calendriers charmants qui ont égayé les logis de plusieurs tristes fugitifs. Dans une autre, encore, on a renoncé aux cadeaux de Noël en faveur de, ceux qui n'ont plus de foyer. Je vous dirai dans un moment comment j'ai employé la petite somme qui m'a été généreusement envoyée par cette dernière école ; j'ai écrit à ces chers enfants, leur racontant la joie qu'ils avaient procurée et figurez-vous que lorsqu'on leur a lu à haute voix mes remerciements, qui n'étaient pourtant pas comme ceux des nègres, suivis d'un : « Encore ! » ils ont décidé de faire une nouvelle collecte et de renouveler leur offrande. N'était-ce pas trop joli ? Le plus touchant peut-être de tous les messages que j'ai reçus m'est arrivé du canton d'Argovie et je vais vous le lire :


« Nous, les enfants de la plus petite paroisse protestante de notre canton, nous avons la joie de pouvoir vous envoyer un modeste don pour les enfants des réfugiés belges. À la fête de Noël de notre paroisse, nous avons volontiers renoncé à nos propres cadeaux et nous avons déposé, au pied du sapin des dons destinés aux enfants belges, dons que nous avons en partie gagnés nous-mêmes, en partie confectionnés de nos mains. Nous sommes cent enfants et nous avons apporté 35 francs et trente-cinq petits paquets. Donner ainsi nous a rendus plus heureux que si nous avions reçu quelque chose. Car, bien que nous soyons presque tous pauvres, et quelques-uns même très pauvres, nous savons que les enfants belges seront cette année encore plus pauvres que nous. c'est pourquoi nous leur offrons des dons de tout notre coeur. Nous avons fait parvenir l'argent aux enfants belges réfugiés en Hollande. mais les vêtements sont destinés à ceux qui sont hospitalisés dans notre pays et nous nous permettons de vous les adresser.
» Nous vous prions de bien vouloir dire aux destinataires, s'il est possible, de quelle source provient notre envoi ; non pas pour qu'il nous en revienne quelque gloire, mais parce que nous espérons que nos présents leur feront plus de plaisir quand ils sauront que ce ne sont pas les dons de la richesse, mais ceux de l'amour..


Cette lettre, si pleine de coeur, accompagnait un envoi de vêtements de toutes sortes, de crayons et de plumes, les cadeaux de Noël des pauvres enfants de Mönthal aux petits Belges. Nos collégiens de Lausanne ne sont pas restés en arrière dans cet élan généreux, une collecte faite parmi eux a rapporté la belle somme de 90 francs, qui m'a été remise pour être employée en faveur d'enfants belges. Et je vous assure que ces 90 francs ont été les bienvenus et qu'ils ont rendu de précieux services, procurant à l'un des livres d'école ardemment désirés, à d'autres des souliers, à d'autres enfin des vêtements d'été. À l'École nouvelle de Chailly on a aussi pensé à nos petits réfugiés ; les élèves ont renoncé à leurs prix de concours afin d'en verser le montant à la caisse des enfants belges. Mais ce sont les écoles primaires qui ont été notre plus grand appui. Une direction intelligente a provoqué un mouvement dans toutes les écoles primaires de Neuchâtel, Genève et Vaud ; des crousilles ont été placées dans toutes les classes, vous vous en souvenez, n'est-ce pas, et les petits centimes s'y sont si bien donné rendez-vous qu'ils ont produit un résultat magnifique. Ce que vous ne savez peut-être pas, c'est que ce don splendide des enfants de nos écoles primaires a constitué un fonds mis à part pour les enfants belges et que c'est ce fonds qui pourvoit à l'éducation et à l'entretien de la plupart de nos petits réfugiés à Lausanne.
(à suivre.)

Mme EUGENE BRIDEL. 


1 Ces pages reproduisent une causerie faite, l'automne dernier, dans deux des écoles du dimanche de Lausanne. Elles se bornent à relater les expériences personnelles de l'auteur et n'ont aucunement la valeur d'un rapport officiel. 
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