Cette malheureuse âme avait à
peine fini de parler qu'elle fut de nouveau
tourmentée par une furie infernale qui
l'engagea à cesser de se plaindre, car
c'était en vain. « D'ailleurs,
dit-elle, sais-tu que tu as mérité
tout cela ? Combien de fois t'en a-t-on
parlé avant, mais n'as-tu pas voulu y
croire ? Tu te moquais de ceux qui te
parlaient d'un enfer. Que dis-je ? tu
étais si présomptueux et
défiais la justice du Tout-Puissant en lui
demandant de t'anéantir. Combien de fois
as-tu provoqué Dieu à te
damner ? Et tu te plains qu'il ait
été répondu à tes
désirs ? N'est-il pas insensé
qu'après avoir si souvent appelé la
damnation, il te soit si pénible d'y
être assujetti ?
Le salut t'était offert
personnellement, et tu l'as refusé ; et
quelle est ton audace de te plaindre d'être
damné ? J'aurais davantage de raisons
de me plaindre que toi, car un long temps de
repentance t'a été
accordé ; moi, je fus livré
à l'enfer dès que j'eus
péché. Le salut t'a été
offert, ainsi que le pardon et l'oubli ; moi,
aucune miséricorde ne m'a été
offerte, mais dès que j'eus
péché, je fus condamné au
châtiment éternel. Si le salut m'avait
été offert, je ne l'aurais pas
méprisé comme tu l'as fait. Et il
aurait été meilleur pour toi que
cette offre ne t'ait jamais été
faite ; car alors, la damnation aurait
été plus facile pour toi. Qui
penses-tu qui pourrait avoir pitié de toi,
qui t'es damné malgré le ciel
lui-même ? »
Ceci fit crier le malheureux.
« Oh ! ne continue pas à me
tourmenter ainsi, je sais que j'ai causé
moi-même ma perte. Oh ! que je puisse
l'oublier ! La pensée que j'en ai est
ici ma plus grande plaie. J'aurais voulu être
damné, et c'est pourquoi je suis justement
ainsi ».
Alors, se tournant vers le démon
qui le torturait il dit : « Mais
c'est à cause de tes tentations,
démon maudit ! C'est toi qui me tentais
à commettre tous les péchés
dont je me suis rendu coupable, et tu me le
reproches maintenant ? Tu dis que jamais un
Sauveur ne t'a été offert, mais
rappelle-toi que tu n'as jamais eu de tentateur non
plus, tandis que j'en ai eu continuellement un, et
c'était toi ! »
À ceci, le démon
répondit avec mépris :
« J'avoue que c'était ma mission
de t'attirer ici, et souvent, tes
prédicateurs te l'ont dit. Ils t'ont dit
assez clairement que nous cherchions ta ruine et
rôdions continuellement tels des lions
rugissants, cherchant qui ils pourraient
dévorer, et j'ai souvent été
effrayé en voyant que vous pouviez les
croire, comme plusieurs l'ont fait, à notre
grand désappointement. Mais tu as voulu
faire en sorte que nous t'ayons, et puisque tu as
fait notre travail, Il est raisonnable que nous te
payions ton salaire ». Et alors, le
démon le tourmenta de nouveau ce qui le fit
rugir si horriblement que je ne pus rester plus
longtemps à l'écouter et nous nous en
allâmes.
« Combien est funeste, dis-je
à mon guide, l'état de ces âmes
damnées. Elles sont les esclaves du diable
pendant qu'elles sont sur la terre et Il avoue
qu'il les tourmente pour cela quand elles viennent
en enfer. »
« La malice des démons
dirigée contre toute la race d'Adam est
extrêmement grande, dit mon guide. Et parce
que beaucoup d'âmes sont ignorantes de leurs
ruses, Ils réussissent à les engager
dans la perdition éternelle ; Et
comment ils les traitent ici pour avoir
prêté attention à leurs
tentations, tu l'as déjà vu et tu le
verras encore davantage
bientôt ».
Passant un peu plus loin, nous
vîmes une multitude d'âmes
damnées rassemblées, grinçant
des dents dans une extrême rage et une
extrême douleur, tandis que des démons
les tourmentaient assistés d'une Furie
infernale qui versait continuellement sur eux du
feu liquide et du soufre ; ces damnés
pendant ce temps maudissaient Dieu, et ceux qui
étaient au-dessus d'eux blasphémaient
d'une manière effroyable. Je ne pu
m'empêcher de demander à un
démon qui les tourmentait qui étaient
ceux qu'il traitait si cruellement.
Il me dit : « Ce sont
ceux qui le méritent bien. Ce sont ces
misérables maudits qui voulaient enseigner
aux autres le droit chemin pour arriver au ciel,
tandis qu'eux-mêmes chérissaient
tellement l'enfer qu'ils sont venus ici. Ce sont
ces âmes qui ont été les grands
agents de l'enfer sur la terre, et c'est pourquoi
elles méritent une particulière
attention en enfer. Nous employons tous nos soins
à donner à chacun d'eux sa plus
grande part de tourments : qu'ils soient
assurés d'en avoir une pleine mesure !
car ils ont non seulement à répondre
pour leurs propres péchés, mais aussi
pour les âmes qu'ils ont
égarées à la fois par leur
doctrine et par leurs exemples ».
Je dis : « Parce qu'ils
ont été de ni bons pourvoyeurs de
l'enfer, comme tu dis, il me semble que la
reconnaissance devrait vous obliger à les
traiter avec un peu plus de
bonté ».
À mes paroles, ce démon
impudent répondit d'une manière
dédaigneuse. « Ceux qui
espèrent de la gratitude de la part des
démons ont tort ; la reconnaissance est
une vertu et nous haïssons toute vertu et nous
professons contre elles une inimitié sans
bornes. D'autre part, nous haïssons toute
l'humanité et si c'était en notre
pouvoir, aucun homme ne serait heureux. Il est vrai
que nous ne leur parlons pas ainsi sur la terre,
car c'est notre travail de les flatter et de les
abuser ; mais quand nous les avons ici
où ils sont suffisamment attachés
(car DE L'ENFER, IL N'Y A PAS DE RACHAT) nous les
convainquons bientôt de la folie qu'ils ont
eue de nous croire ».
De l'explication donnée par ce
démon ainsi que d'autres, je ne pus que
considérer la grâce indicible et
infinie par laquelle les pauvres pécheurs
sont amenés au ciel, et
réfléchir au nombre de pièges
et d'appâts déposés par
l'Ennemi des âmes pour les attraper le long
du chemin ; c'est pourquoi le Fils béni
de Dieu a réalisé une oeuvre de si
grande valeur en sauvant Son peuple de ses
péchés, en le délivrant de la
colère à venir. Mais c'est une folie
inconcevable et de la démence pour l'homme
de refuser les offres de Sa grâce et de se
joindre au Destructeur.
Continuant un peu plus loin, j'entendis
un maudit se lamenter sur un ton accablant au sujet
des hommes qui l'avaient entraîné en
ce lieu :
« J'ai su, dit-il, par ceux de
qui je dépendais et qui pensais-je,
pouvaient me renseigner. exactement, que si je
disais seulement : Seigneur, aie pitié
de moi quand j'allais mourir, c'était
suffisant pour me sauver. Mais, oh ! combien
je me suis trouvé trompé
misérablement, à mon chagrin
éternel ! Hélas ! j'ai
crié : miséricorde à mon
lit de mort et ai trouvé que c'était
trop tard. Ce maudit démon qui m'avait dit
alors que je serais suffisamment sauvé, m'a
dit ensuite que ce serait trop tard et que l'enfer
devait être mon
partage ! »
« Tu vois que je t'ai bien dit
la vérité, finalement, dit le diable
et alors, tu ne voudrais pas me croire. Une
très jolie affaire, penses-tu Tu as
passé tes jours dans la poursuite du
péché, tu t'es vautré dans la
boue et tu voudrais aller au ciel après ta
mort ! Qui donc, à moins d'être
fou, penserait qu'il pourrait jamais en être
ainsi ? Non ! celui qui,
sérieusement, entend aller au ciel
après sa mort doit marcher, tandis qu'il
vit, dans les chemins de la sainteté et de
la vertu. Tu dis que certains de tes compagnons de
débauche t'ont enseigné qu'en disant
à ta dernière heure : Seigneur,
aie pitié de moi, c'était suffisant
pour ton salut. Très belle excuse ! Tu
aurais pu savoir, si tu t'étais seulement
donné le loisir de lire la Bible, que :
Sans la sanctification, nul ne verra le Seigneur.
C'est pourquoi voici ce dont il s'agit : tu as
voulu vivre dans tes péchés aussi
longtemps que tu as pu, tu ne les as pas
quittés à la fin parce que tu ne les
aimais plus, mais parce que tu ne pouvais pas les
pratiquer plus longtemps. Et tu sais que c'est
vrai. Et pourrais-tu avoir l'impudence de penser
aller au ciel avec l'amour du péché
dans ton coeur ? Non, non. Il n'en est pas
question. TU as été assez souvent
averti pour faire attention à ne pas
être déçu, car Dieu ne veut pas
qu'on se moque de Lui, mais ce que tu as
semé, tu dois aussi le récolter.
Aussi, tu n'as pas raison de te plaindre d'autre
chose que de ta propre folie, si tu vois que
maintenant, il est trop tard ».
« Ce discours du démon
est poignant pour le pauvre malheureux
tourmenté », dis-je à mon
guide et se rapporte au cas de beaucoup
d'âmes qui sont actuellement sur la terre
aussi bien, qu'à celles qui sont en enfer.
Mais oh ! combien elles doivent juger
autrement dans le triste état où
elles sont, que lorsqu'elles étaient sur la
terre ! »
« La raison en est,
répondit mon ange gardien, qu'elles n'ont
pas voulu tenir compte de ce que serait l'effet du
péché, ni quel mal il
représente, pendant qu'elles étaient
sur terre. C'est cette étourderie qui cause
la perte de milliers de personnes qui ne prennent
pas garde à ce qu'elles font, ni où
elles vont jusqu'à ce qu'il soit trop tard
pour apporter un remède à la
situation.
Nous n'étions pas allés beaucoup
loin que déjà, nous en entendions un
autre qui se tourmentait et accroissait sa propre
misère en pensant au bonheur des âmes
rachetées.
Notre attention fut
détournée de prêter l'oreille
plus longtemps aux douloureuses réflexions
personnelles de cette pauvre créature perdue
en voyant un grand nombre de démons frappant
sans arrêt une troupe nombreuse d'âmes
misérables avec des fouets à noeuds
d'acier brûlant ; tandis qu'ils
rugissaient avec des cris si perçants et si
lamentables, je pensais qu'un peu de pitié
pourrait être mêlée à la
cruauté elle-même, ce qui me fit dire
à un des bourreaux :
« Oh ! arrête ta main, et
n'agis pas aussi cruellement envers ceux qui sont
vos camarades, et que, peut-être, vous avez
vous-mêmes entraînés dans toute
cette misère ! »
« Non, répondit le
tourmenteur, très poliment ; bien que
nous soyons suffisamment mauvais, aucun
démon, cependant, ne l'est autant qu'eux, ni
ne s'est rendu coupable d'autant de crimes que
ceux-ci. Car nous savons tous qu'il y a un Dieu,
bien que nous le haïssions. Mais ceux-ci n'ont
jamais voulu reconnaître (tant qu'ils ne sont
pas venus ici) qu'il y avait un tel
Être ».
« Alors, dis-je, ce sont des
athées. Une misérable sorte d'hommes,
vraiment et qui aurait aimé me perdre, si la
Grâce éternelle ne l'avait
évité ».
J'avais à peine fini de parler
que l'un des malheureux torturés cria d'un
accent plein de tristesse :
« Assurément, je connais cette
voix ce doit être
Epenetus ».
Je fus étonné d'entendre
prononcer mon nom par quelqu'un de la troupe
infernale ; c'est pourquoi, désireux de
savoir qui c'était, je
répondis : « Oui, je suis
Epenetus ; mais qui es-tu, dans ce triste
état de perdition, pour que tu me
connaisses ? »
L'inconnu damné
répondit :
« Je t'ai bien connu sur la
terre, et je t'avais presque persuadé de
partager mon opinion. Je suis l'auteur du livre
célèbre dont le titre est si bien
connu : Léviathan ».
« Quoi ! le grand Hobbs
dis-je. Es-tu ici ? Ta voix est si
changée que je ne l'ai pas
reconnue ».
« Hélas !
répondit-il, je suis cet homme malheureux,
en vérité. Mais je suis si loin
d'être grand que je suis l'un des plus
misérables en ces territoires couverts de
suie. Rien d'étonnant que ma voix soit
changée, car maintenant, je suis
changé dans mes principes, mais trop tard
pour que ce changement m'apporte un bien. Car
maintenant, je sais qu'il y a un Dieu. Mais,
oh ! je souhaiterais qu'il n'existât
pas, car je suis sûr qu'il n'aura pas
pitié de moi, et il n'y a pas de raison pour
qu'il en éprouve. Je confesse que je fus son
ennemi sur la terre, et maintenant, Il est le mien
en enfer. C'est cette malheureuse confiance que
j'ai eue dans ma sagesse propre qui m'a conduit
Ici ».
« Ta situation est
misérable et, cependant, il est
nécessaire et juste que tu souffres. Car,
combien tu as été habile à
persuader les autres et ainsi à les inclure
dans la même damnation ! Personne ne
peut le savoir plus que moi, qui ai presque
été pris au piège, risquant
d'être perdu à
jamais ».
« C'est cela, dit-il, qui me
perce le coeur, quand je pense à tous ceux
qui se sont perdus à cause de moi. J'ai eu
peur, d'abord, quand j'ai entendu ta voix, que tu
sois frappé du même châtiment.
Non pas que je puisse désirer le bonheur de
quelqu'un, car c'est ma plaie de penser que
certains sont heureux tandis que je suis, moi,
misérable ; mais parce que chaque
âme conduite ici, séduite qu'elle a
été par mes écrits pendant
qu'elle était sur terre, redouble mes
souffrances en enfer ».
« Mais, dis-moi, car je suis
bien aise d'être renseigné, et tu peux
le faire : croyais-tu vraiment, quand tu
étais sur la terre, qu'il n'y avait pas de
Dieu ? As-tu pu imaginer que le monde
s'était fait lui-même ? et que
les créatures s'étaient produites
elles-mêmes ? N'as-tu pas entendu
quelques chuchotements dans ton âme te dire
qu'un autre t'avait fait, et non pas
toi-même ? Et n'as-tu jamais eu aucun
doute sur cette question ? J'ai souvent
entendu dire que, bien que beaucoup professent
qu'il n'y a pas de Dieu, pas un ne le pense ;
et il serait étrange que, parce qu'il n'y en
a pas un, qu'ils puissent porter en eux un
témoin pour ce Dieu qu'ils nient. Tu peux
dire si c'est oui ou non, et tu n'as plus de
raison, maintenant, pour celer tes
sentiments ».
« Je ne le désire pas
non plus, Epenetus, répondit-il, bien que
mes remords soient renouvelés quand je pense
à ces choses. Au début, j'ai cru
qu'il y avait un Dieu, mais plus tard, tombant dans
le péché et dans la mauvaise conduite
qui m'exposaient à sa colère, j'eus
quelque espoir secret que Dieu n'existait pas. Car
Il est impossible de concevoir qu'il y ait un Dieu
sans penser en même temps qu'il est juste et
droit, et, en conséquence, qu'Il est
obligé de punir ceux qui transgressent Sa
loi.
Ceci étant, j'avais conscience
d'être moi-même exposé à
Sa justice, ce qui me le fit haïr, et me fit
désirer qu'il n'existât pas. Mais
continuant de me conduire mal, et trouvant que la
justice ne m'atteignait point, je commençai
d'espérer qu'il n'y ait vraiment pas de
Dieu ; cet espoir me conduisit à forger
dans ma conscience des idées conformes
à ce que je souhaitais. Et ainsi, ayant
organisé dans ma propre pensée un
nouveau système de l'origine du monde
excluant dès lors l'existence d'une
Divinité, je me trouvai si fier de ces
notions nouvelles qu'elles
s'accréditèrent dans mon esprit qui
s'efforça alors de les imposer à
l'esprit des autres. Mais avant d'atteindre
à un tel degré, je dois avouer que je
trouvai plusieurs objections dans ma propre
conscience à ce que je faisais et, de temps
en temps, j'étais troublé par des
pensées étranges et
inquiétantes, comme si je trouvais en fin de
compte, que tout n'était pas bien,
pensée dont je m'efforçais de me
débarrasser dans la mesure de mes moyens. Et
maintenant, je trouve que ces pensées
d'objection qui peuvent m'avoir été
utiles alors, sont ici ce qui me tourmente le plus.
Et je dois avouer que l'amour du
péché endurcit mon coeur contre mon
Créateur et me le fit nier tout d'abord, et
ensuite, nier son existence.
Le péché auquel
j'étais si intimement attaché dans
mon coeur a été la cause maudite de
tout ce malheur, le serpent qui a piqué mon
âme à mort. Car, maintenant, et en
dépit de ma vaine philosophie, je
découvre qu'il y a un Dieu. Je trouve aussi
à présent qu'on ne doit pas se moquer
de Dieu, bien que, dans le monde, j'aie eu
l'habitude de me moquer journellement du ciel et de
ridiculiser les choses sacrées, moyen que
j'employais pour répandre autour de moi mes
idées maudites, moyen toujours
couronné de succès. Car ceux à
qui j'ai réussi à inspirer le
mépris des choses sacrées ont
toujours considéré que j'étais
dans le droit chemin de sorte qu'ils sont devenus
mes disciples. Mais maintenant, en pensant à
cela, j'éprouve de plus grands tourments que
ceux que m'infligent les fouets d'acier
brûlant.
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