Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE XI

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JOIE DES INDIGÈNES DU DISTRICT D'ANA. - MÉCONTENTEMENT DES SAMOANS. - MENACES DE GUERRE. - HEUREUSE INTERVENTION DU FILS DE JOHN WILLIAMS. - TRAVAUX DIVERS. - SÉANCE DE PROJECTIONS. - LE « Camden » REPART VERS L'EST. - LE NOUVEAU TESTAMENT A RAROTONGA. - TAHITI. - LES ÎLES-SOUS-LE-VENT. - AÏTOUTAKI. - TOUCHANTS ADIEUX DES ÉVANGÉLISTES RAROTONGANS. - RETOUR AUX SAMOA. - FÊTE MISSIONNAIRE A MANONO. - L'ACTIVITÉ A FASÉTOOTAI. - VISITEURS. - VÊTEMENT. - ENSEIGNEMENT. - LES COUTEAUX VOLES ET LA TEMPÊTE. - CONVERSION.



IMMÉDIATEMENT, tous les indigènes se mirent à la disposition de John Williams pour les matériaux de construction nécessaires et les constructions elles-mêmes. C'est une armée d'anciens guerriers qui va s'employer aux travaux de la paix : les hommes abattent les arbres choisis, d'autres les ébranchent, d'autres creusent les trous pour les piliers qui supporteront ces demeures. la grande majorité des indigènes servent connue porteurs : deux cents hommes sont affectés au transport d'un seul arbre. Ils se relayent fréquemment : la charge est lourde, la distance est grande et les chemins inexistants. Tandis que les porteurs, lourdement chargés, n'avancent que lentement, un homme choisi pour son agilité et son habileté à composer un chant, accompagne l'équipe des travailleurs. Parfois il la précède, ou bien il tourne, autour, ou encore il bondit sur l'arbre et y évolue de long en large en dansant et chantant au milieu des têtes et des épaules. Il commence un solo :

« Ce bois est pour la maison de notre missionnaire Wiriamou.
La bonne Parole c'est lui qui l'a portée en notre pays,
Il vient demeurer à Fasétootaï. »


La dernière ligne est à peine dite que les porteurs la reprennent en choeur. Deux cents voix redisent la même joyeuse nouvelle. Toutes les équipes ont leur barde, leur animateur ; et de nouvelles stances sont composées avec les progrès du travail, stances qui célèbrent les exploits des Samoans. Rapidement, un temple et une vaste maison d'habitation sont élevés sous la direction du missionnaire.

La décision de Williams avait jeté les chefs samoans dans la consternation. - Quoi ! un homme comme lui, un grand chef, s'installer chez des vaincus ! On vint le trouver, ou lui dit que sa décision était malheureuse, et qu'elle était indigne de lui mais il refusa de se laisser émouvoir.

Il n'était pas sans s'attendre aux démarches faites, sachant quel mépris était attaché dans la pensée indigène au nom de vaincu. Si quelques-uns des vainqueurs passaient à Ana, ils prenaient ce qui leur plaisait ou exigeaient quelque corvée. Des enfants ordonnaient à des chefs âgés de monter aux cocotiers pour leur cueillir des noix, et leurs ordres étaient obéis. Le christianisme avait fort adouci le sort des indigènes d'Ana, mais les païens victorieux usaient et abusaient de leurs droits, et c'était aussi l'une des raisons qui avaient amené Williams à céder devant l'insistance des jeunes chefs, et à s'installer à Fasétootaï.
Un jour que le missionnaire était parti pour quelque district éloigné, un cri retentit dans le village:
« Les pirogues de guerre ! les pirogues de guerre!»

Effectivement, du haut de la montagne, on pouvait voir la flotte des embarcations chargées de guerriers qui se dirigeait manifestement vers Fasétootaï. Elle se rapproche et l'on peut distinguer le chef avec sa haute coiffure décorée de plumes et de coquillages. À moins d'un prompt secours, c'est le carnage et la destruction du village à brève échéance. Que se passait-il donc ?

Hélas ! l'envie, la jalousie, la haine, président à cette expédition. Et quoi ! Tous les chefs n'ont pu obtenir de missionnaire ou d'évangéliste pour leurs districts, et ces vaincus ont le leur ! Et lequel ? Le plus grand de toits ! C'est bien simple. On va les supprimer ; et on montrera ainsi à Wiriamou le cas que font les Samoans des gens de ce district qui a ses préférences. Quel misérable choix pour un si grand homme !

La conque de guerre résonne lugubrement, et les vaincus savent qu'ils n'ont plus qu'à mourir, à moins de quelque intervention providentielle. Or Wiriamou n'est pas là !

Quelqu'un cependant se hâte de descendre vers le rivage et il y arrive alors que le débarquement à commencé. Il se présente au chef puis il plaide avec lui, il défend la cause des condamnés. Longtemps ses efforts paraissent inutiles. Il est difficile d'arrêter une bande armée sur le point de piller et de tuer. Enfin le fils Williams a gain de cause, et le chef lui dit :
« Jeune homme, fils de Wiriamou, si ce n'était toi, tu serais déjà mort pour t'opposer à moi... Cependant puisque le fils de Wiriamou a intercédé pour ce peuple, je lui fais grâce. »

Peu après, une autre bande de Samoans, vint selon la coutume, faire une réquisition de vivres dans le district des vaincus. Ceux-ci considérant que le fait d'avoir parmi eux Wiriamou devait les délivrer de toute sujétion, refusèrent. Les envoyés furieux décidèrent de se servir eux-mêmes et de ne laisser que des ruines derrière eux. À nouveau le fils du missionnaire, Mr. John Williams accourt, et plaide en faveur des gens de Fasétootaï. Il le fait avec tant de chaleur qu'il réussit. Les indigènes lui disent qu'ils aiment tellement le nom porté par lui qu'ils ne peuvent pas décidément rejeter sa requête. Alors, lui-même les accompagne jusqu'à leurs pirogues, où ils s'embarquent.

John Williams ne pensait pas rester bien longtemps aux Samoa. Mais il y attendait un navire qui apportait du fret de Sydney pour les missionnaires désignés pour Rarotonga, Tahiti, etc... Le temps, d'attente était d'ailleurs très rempli par les visites, les examens dans les écoles, la prédication, des leçons, des travaux manuels et des soirées de conversation qui eurent d'heureux résultats. Mais aucune méthode d'enseignement n'avait autant de succès que la lanterne à projections qu'un ami avait offerte à Williams, lui donnant en même temps des séries de vues pour les séances les plus diverses : histoire de la Bible, histoire naturelle, histoire d'Angleterre, etc. À la demande du missionnaire une série avait été préparée pour illustrer le Martyrologe de Fox, livre que Williams se proposait de traduire.

Dans une lettre à son fils Samuel, il dit le succès des projections et les préférences des Samoans... « Ce qu'ils aiment le mieux ce sont les vues de la Bible : la naissance du Christ, Siméon prenant le bébé dans ses bras, et la fuite en Égypte les intéressent vivement. Mais lorsqu'ils virent la scène du crucifiement ils ne purent se dominer et éclatèrent en sanglots... »

Le navire attendu « l'Elisabeth » n'arrivait toujours pas. Le départ fut alors fixé au 17 janvier, et le 4 février, le « Camden » jetait l'ancre devant Rarotonga.

« ... Nous attendions Mr. Williams depuis si longtemps que nous commencions à désespérer, écrit Mr. Buzacott. Enfin un brick fut signalé et aussitôt les indigènes dirent : c'est Wiriamou ! Je me hâtai d'aller à sa rencontre. Je vous laisse à penser mon émotion en le revoyant ! Et quelle joie de saluer ces nouveaux missionnaires, de savoir que plusieurs restent à Rarotonga, d'apprendre que le joli voilier a une cargaison de Bibles !... Quand nous avons gagné la rive, elle fourmillait d'indigènes et nous eûmes du mal à nous ouvrir un chemin : tous se pressaient pour saluer Wiriamou. Lorsque Makéa. et Mr. Williams se virent, ils s'embrassèrent avec effusion et le missionnaire dit : « Que Dieu est bon, Makéa, de nous avoir gardés tous deux jusqu'ici, et d'avoir permis que nous nous rencontrions de nouveau... » Il est extrêmement heureux de se retrouver à Rarotonga... »

De son côté Williams écrit : « Je pourrais remplir des pages et des pages de faits intéressants ; les indigènes nous témoignent une grande affection. Ils m'ont grondé de n'avoir pas amené Mrs. Williams et John. Leur bonheur d'avoir le Nouveau Testament vous aurait réjoui si vous aviez pu en être le témoin. La joie de celui qui a obtenu le précieux volume est touchante. Il le dresse à bout de bras, quelques-uns le caressent, d'autres l'embrassent, d'autres partent comme des flèches et ne s'arrêtent qu'une fois dans leurs demeures. Certains pleurent parce qu'on leur refuse un exemplaire : - « Tu ne sais pas lire, a dit Mr. Buzacott, que ferais-tu d'un livre ? » - Mais mon fils ou ma fille le peuvent, répond le demandeur, et je puis entendre et comprendre. Ceux qui peuvent payer leur Nouveau Testament 3 shillings sont servis les premiers ; ensuite, le livre est échangé pour des bananes séchées ou des noix de coco ; mon cher fils a promis d'acheter ces produits et de leur trouver des acquéreurs. Enfin le livre est cédé à crédit. S'il arrive qu'un Nouveau Testament soit refusé, le plaidoyer de l'indigène est touchant : « Donne-moi la bonne Parole de Dieu, peut-être qu'en la lisant mon coeur deviendra meilleur. » Les mauvais écoliers, ceux qui ne savent pas encore lire et écrire, disent : « Pensions-nous jamais voir chose semblable à Rarotonga ! Et maintenant nous ne mangerons ni ne boirons que tu ne nous donnes la bonne Parole de Dieu...

Makéa mit sa maison à la disposition de Mr. Williams et des frères. Certains appartements portent le nom du missionnaire. C'est une fort belle demeure, un palais pour les Mers du Sud : il a deux étages avec dix chambres à coucher et un vaste vestibule, le tout confortablement meublé de sofas, de chaises, de lits, faits par les indigènes. « Pendant que j'ai vécu ici, écrit l'un des missionnaires, j'ai été entouré d'attentions. Si je laissais dans la chambre quelque objet, il était aussitôt lavé et repassé. Nous trouvions toujours de l'eau, du savon, des serviettes, nos hôtes pensaient à tout. Quels extraordinaires progrès en ce merveilleux pays !

Une conférence missionnaire qui décide de la création d'un Institut Biblique avec enseignement des arts manuels, des réunions, des séances de lanterne magique, tout cela remplit les jours et les soirées. Bientôt la date du départ pour Tahiti fut arrêtée, et le bagage des partants fut envoyé à bord du « Camden ». Mais la même nuit il y eut une violente tempête, et au matin le « Camden » avait disparu. Son absence dura longtemps ; et Williams était sérieusement inquiet quand, le 5 mars, le voilier reparut enfin !

Le voyage se poursuivit aussitôt sur Tahiti, où tous les amis reprochèrent au missionnaire d'avoir laissé Mrs. Williams et ses enfants aux Samoa. De Papéété, Williams écrit à sa soeur et mentionne le fait du jour : la venue des prêtres catholiques, l'attitude de la reine Pomaré qui refusa de les laisser s'installer à Tahiti, l'arrivée d'une frégate française, les menaces de guerre...

À Moocéa, aux Îles-sous-le-Vent, Williams est reçu avec toutes les manifestations de la plus vive affection. Cependant il ne prolonge nulle part son séjour craignant que la durée de son absence inquiète Mrs. Williams. À Raïatéa il est réjoui par les progrès qu'il constate, et par le changement survenu chez les jeunes chefs Tefaatou, Tamatoa, Tapoa, Tahitoë, qui, maintenant, marchent sur les traces du défunt roi : Tamatoa. De Borabora, on se dirige sur Manouké, puis vers Atiou où la guerre est sur le point d'éclater par la faute d'un Anglais, un matelot déserteur qui a capté les faveurs d'un chef et veut supprimer les lois ce que n'acceptent pas les autres chefs.

La pirogue qui ramène Williams au « Camden » est renversée par les vagues : c'est la seconde fois au même endroit. Le bateau du « Camden » recueillit les naufragés. Les vents contraires empêchent les missionnaires de toucher à Mangaïa. De retour à Rarotonga Williams a la joie de voir que l'Institut biblique est fondé, et qu'il s'y trouve déjà onze jeunes hommes. Le soir il y eut un service d'adieu pour quatre Rarotongans qui partaient comme évangélistes aux îles Samoa. Cérémonie touchante durant laquelle ces païens de la veille furent mis à part pour le service du Seigneur. « Avertis qu'ils pourraient avoir à mourir en pays païens, l'un d'eux me répondit : « Content ! C'est la cause de Dieu. Il petit protéger. S'il ne le fait pas, je mourrai pour la meilleure des causes. » un autre dit : « Missionnaire, vois ces cicatrices ! Des marques de blessures reçues à la guerre. J'étais désigné pour le sacrifice ! J'ai pu échapper à ceux qui me poursuivaient en me cachant dans les montagnes ! Aujourd'hui c'est avec joie que je donne ma vie à Celui qui m'a sauvé. »



« LE CAMDEN»

De Rarotonga, les missionnaires se rendirent à Aïtoutaki où ils arrivèrent le dimanche, alors que se terminait le culte du matin. Tous veulent serrer la main des voyageurs. « Ce n'est pas une petite affaire que de donner un millier de poignées de mains. Les fidèles demandant un second service, celui-ci eut lieu. Puis nous fûmes invités à prendre un repas chez l'évangéliste. » Quel plaisir de s'asseoir devant une table couverte d'une nappe avec des assiettes, des fourchettes, des gobelets, des couteaux. Comme menu, du poisson froid, du maïoré, et une sorte de pouding fait de fruits et de l'amande de coco râpée. Gravement, l'évangéliste nous dit : « Si vous m'aviez prévenu, je me serais préparé en conséquence ; mais c'est dimanche et je ne puis que vous offrir ce que nous avons. » Après le dîner, nouveau cuite : 25 candidats furent admis dans l'Eglise et prirent part au service de communion qui suivit immédiatement.

Le moment est maintenant venu de retourner aux Samoa. Dans toutes les îles qu'il vient de visiter - bien trop rapidement à son gré, mais il pense revenir avant longtemps, - Williams a parlé des malheureux païens qui sont encore sans Dieu ; de pays où les mères tuent leurs enfants, où la terreur règne et où des guerres sans merci détruisent des tribus entières. Le devoir est d'aller de l'avant et de porter chez eux la lumière de l'Évangile. Il dit alors le projet qu'il caresse depuis longtemps pour l'archipel des Nouvelles-Hébrides.

Quand le « Camden » arrive à Manoua, des indigènes se présentent et apprennent aux missionnaires que la paix règne maintenant dans l'île : un évangéliste indigène envoyé par un autre évangéliste indigène est venu ici et y travaille avec succès.

« L'extérieur humble et modeste de ces évangélistes samoans nous a frappés, écrit Mr. Pitman. Le christianisme a une telle puissance de transformation qu'il y a une grande différence entre eux et les indigènes de Manoua. Un évangéliste marié, de Rarotonga, fut laissé à Manoua. Son prédécesseur l'aidera à apprendre la langue et à s'installer. Le soir, Mr. Williams prêchait sur ce texte : « Aujourd'hui le salut est entré dans ta maison » (Luc XIX : 9).

« Départ pour Toutouila. Il y a une épidémie dans l'île. Tous les Murray sont malades. Mr. Williams prêcha quand même le soir de notre arrivée ; et le lendemain un indigène vint nous avertir que trois personnes voulaient abandonner le paganisme. Nous nous rendîmes aussitôt chez ces gens et trouvâmes un vieillard malade, sa femme et son jeune fils. Le service de Satan est un service bien douloureux. Ce vieillard qui avait une fille chrétienne et qui, cependant, s'était jusque-là opposé de toutes ses forces au christianisme, se donna à Jésus à la dernière heure (1)... »

Le 2 mai, de bonne heure, le « Camden » arrivait enfin il Oupolou. En hâte, Mr. Williams gagna Fasétootaï. L'absence avait duré bien plus longtemps qu'il ne l'avait prévu : près de quatre mois au lieu de deux, et il craignait que Mrs. Williams ne fût très inquiète. MM. Pritchard et Cunningham qui l'accompagnaient depuis Rarotonga l'y rejoignirent un peu plus tard.

La semaine suivante, Mr., Mrs. Williams et leurs hôtes se rendirent à Manono où devait avoir lieu la fête missionnaire annuelle de l'archipel. C'est au Malaï, emplacement où les indigènes tenaient toutes leurs assemblées politiques, que la fête se déroula. La journée commença par les chants et les rondes minées des enfants des écoles, sous la direction de Mr. Buchanan, l'instituteur que Williams avait amené du Cap. Puis Mr. Hardie prononça la prière, et Mr. Heath annonça le programme de la journée. Mr. Williams prit alors la parole et raconta sa visite dans les divers archipels, signalant les progrès de l'Évangile. Matétaou se leva ensuite établissant un parallèle entre ce qu'étaient autrefois les Samoans du temps du paganisme et ce qu'ils étaient devenus. Puis Maliétoa se leva et raconta la première visite de John Williams... Certes, il était décidé à toujours faire tout ce que Wiriamou demanderait... Plusieurs autres missionnaires prirent encore la parole.

Le lendemain, un jeudi, les missionnaires et des membres des églises se réunirent dans l'église de Mr. Heath pour un service de communion, à l'issue duquel deux adultes et deux enfants furent baptisés. Quelle douce émotion remplit le coeur de Williams en voyant Matétaou remplir l'office d'ancien dans le temple, et aider à la distribution de la Sainte Cène, lui le grand guerrier, le guerrier redoutable, célèbre autrefois pour son adresse à manier la lance et la massue.

Les fêtes terminées, Mr. et Mrs. Williams retournèrent à Fasétootaï. Deux voyages missionnaires furent entrepris - l'un dans l'île même d'Oupolou, l'autre à Savaii. Partout Williams est reçu avec joie. Tous les chefs, païens ou chrétiens, lui donnent le nom de Tama (père). De nombreux visiteurs vont à Fasétootaï quand il s'y trouve, et demandent à voir les choses extraordinaires qu'il a rapportées d'Angleterre. Souvent des centaines d'indigènes allaient ainsi chez le missionnaire en une seule journée. Et quand les chambres mises à leur disposition étaient remplies, les derniers venus s'installaient dehors en attendant de pouvoir entrer.

Williams ne manque pas de mettre à profit cette disposition des Samoans. Bien des indigènes qui considéraient qu'un peu d'ocre et d'huile constituaient un vêtement suffisant s'habillèrent décemment, pour la première fois, le jour qu'ils allèrent voir le missionnaire. Celui-ci n'exigeait certes pas un habit de cérémonie, mais un peu de décence. De plus, ces nombreux visiteurs constituaient un auditoire, et le missionnaire y vit aussitôt une occasion de les instruire, de leur présenter la vérité chrétienne ; et plusieurs retournèrent chez eux enrichis de quelque manière. Williams se sert de préférence de la conversation, d'une conversation qui devient vite générale, pour inculquer quelque nouvelle notion à ses visiteurs.

Ce n'est pas toujours chez lui que le missionnaire les reçoit ; c'est bien plus souvent à l'endroit de ses occupations : le temple en construction, l'école, le collège. C'est ainsi que tout en travaillant manuellement, il instruisait de quelque manière et enseignait l'Évangile à la foule qui ne cessait de l'entourer.

Tous cependant n'étaient pas disposés à l'écouter. Certains voulaient seulement le voir, pas l'entendre. Car des païens affirmaient qu'après l'avoir entendu on ne pouvait faire autrement que d'abandonner le paganisme. On évitait donc parfois la maison d'école et le temple et ou redoutait tout contact avec celui qu'on désirait voir. Il arrivait cependant que ce qu'on voyait suffisait pour amener le visiteur il rejeter les superstitions païennes.

Un jour, quelques indigènes faisaient à distance le tour de la maison d'habitation, lorsqu'ils aperçurent, à l'intérieur, un jeune garçon qui frottait des couteaux. Ces laines brillantes exercèrent sur eux une vraie fascination. Ils s'approchèrent et décidèrent d'en prendre quelques-unes. Attirant l'attention du garçon dans une direction opposée, ils s'emparèrent de quatre couteaux et décampèrent. Regagnant cri hâte le bord de la mer et leurs pirogues, ils reprirent le chemin de Savaii. Un vent violent les surprit en route qui menaçait de faire chavirer leur esquif, et leur conscience les reprit avec force. Ils jugèrent que c'était là un châtiment parce qu'ils avaient volé le missionnaire, et tenant conseil, les délinquants décidèrent de jeter à la mer la cause du mal. À regret ils se séparèrent des couteaux volés ; puis, dès l'arrivée à Savaii ils allèrent trouver l'évangéliste, confessèrent leur faute et demandèrent à devenir « fils de la Parole ».

Les visiteurs s'intéressaient aux travaux manuels de Williams, et son habileté à tourner le bois, à forger le fer les jetait dans l'étonnement. Quelques-uns des indigènes s'installèrent près du missionnaire parmi eux un chef - et ils devinrent bientôt très habiles dans les arts manuels. La plupart de ceux qui montaient à Fasétootaï et y restaient quelque temps ne repartaient pas sans avoir acquis quelque connaissance.

Bientôt une Église chrétienne fut fondée et Williams eut la joie de prendre la Cène, avec les Samoans convertis de son petit troupeau, à l'endroit même où dix ans auparavant se livraient de cruels combats.

À cette époque, Williams travaille autant que jamais. Chaque matin, au lever du soleil, il s'occupe de l'école d'adultes ; après le déjeuner, il a la classe des enfants. L'après-midi, quand reviennent les adultes, le missionnaire est occupé à quelque travail manuel auquel il les initie. Quand les ombres du soir s'étendent et qu'il renvoie ses écoliers, Williams rentre à la maison et y trouve une foule de visiteurs venus pour lui poser quelque question. En plus de tout cela, il y avait le lundi une classe pour catéchumènes, le mardi une réunion des évangélistes de la région, le mercredi prédication, le jeudi nouvelle réunion avec les évangélistes pour l'approfondissement de leur foi. Ils faisaient alors connaître au missionnaire le texte sur lequel ils se proposaient de prêcher le dimanche suivant, et la manière dont ils pensaient le traiter. Williams corrige s'il y a lieu, donne quelque aperçu de la vérité, enrichit et développe la pensée de ses auditeurs. Le vendredi, il y a une réunion d'édification et de prière à laquelle tous prennent une part active, ce sont des moments bénis et très solennels. Le samedi est employé par les Samoans convertis à nettoyer leurs demeures et leurs vêtements, et à préparer leurs repas du lendemain. Il n'y a donc pas de classe, pas de cours manuels, pas de réunions de conversation. Règle générale, tout est préparé le samedi pour que le dimanche soit vraiment un jour du repos, le jour du Seigneur. De son côté, le missionnaire a besoin de ces heures de recueillement et de préparation pour les services du lendemain.

En somme, l'emploi du temps de Williams est toujours le même. Il est encore à Fasétootaï ce qu'il était quelque vingt ans auparavant à Raïatéa. Travailleur infatigable, il n'a rien retranché de ses labeurs. De plus, il s'est enrichi de toutes les expériences qu'il a faites, au cours de ses travaux missionnaires. Et Dieu ne cesse de bénir abondamment le labeur de son serviteur, accordant à ses semailles le maximum de rendement : « un grain en rapporte cent » à sa gloire.


(1) Extrait d'une lettre de M. Pritchard.
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