L'ANGLETERRE. - INVITATION A PARLER DE L'OEUVRE EN POLYNÉSIE. - UN SERMON DE JOHN WILLIAMS. - POPULARITÉ. - IMPRESSION DU NOUVEAU TESTAMENT EN DIALECTE DE RAROTONGA. - WILLIAMS RÉDIGE SES RÉCITS MISSIONNAIRES. - SUCCÈS. - AT HOME. - LE « CAMIDEN ». - PRÉPARATIFS DE DÉPART. - ADIEUX.
DANS l'une des dernières lettres
qu'il écrivait aux membres de sa famille
avant le retour en Angleterre, John Williams
s'exprimait ainsi :
« Comme il y a longtemps que nous
ne nous sommes vus ! Que de changements, que
de transformations depuis notre
départ ! Parents morts, frères
et soeurs mariés, une nouvelle
génération de jeunes dont
quelques-uns sont presque des hommes ; et
nous-mêmes nous avons dépassé
le méridien de la vie ! Bientôt
tout sera comme une histoire qui est dite,
bientôt l'endroit où nous sommes ne
nous connaîtra plus ; et bien qu'il nous
semble que nos vies aient tant d'importance, nous
disparaîtrons de la scène de ce monde
sans qu'on s'en aperçoive, et comme si nous
n'avions jamais
été ! »
Il y a de la mélancolie dans ces
lignes : la mélancolie qui envahit le
coeur de l'absent en songeant au fossé creusé par
les grandes distances et les nombreuses
années de séparation ; la
mélancolie de l'âme qui sent tout
l'éphémère des choses
d'ici-bas et qui a soif des réalités
célestes ; la mélancolie enfin
de celui qui se sent en ce monde étranger et
voyageur et aspire à ce qui est
définitif et éternel. Il y a aussi
beaucoup d'humilité dans la manière
dont s'exprime Williams. Quelle très humble
appréciation de sa vie. de ses travaux, de
son service. « Bientôt nous
disparaîtrons de la scène de ce monde
sans qu'on s'en aperçoive, et comme si nous
n'avions jamais
été ! »
Il n'en devait pas être ainsi.
À peine John Williams est-il de retour dans
la Mère-Patrie, à peine a-t-il pu
revoir tous les chers parents et amis et faire la
connaissance des beaux-frères ou
belles-soeurs, neveux et nièces dont la
famille s'est agrandie, que le secrétaire de
la Société des Missions de Londres
vient le chercher dans ce cercle tout intime pour
lui demander de parler au grand public de son
activité dans les Mers du Sud.
Ce ministère de la parole qu'on lui
demande, ce travail de conférencier,
Williams ne l'accepte qu'en tremblant. Il n'a pas
pu faire d'études approfondies dit-il ;
son discours est dépourvu
d'élégance, et depuis, dix-huit ans
il a oublié l'anglais ! Il craint de
choquer les oreilles et que le mot propre lui
manque. Certes, les expériences qu'il a
faites intéresseront les chrétiens,
mais trouvera-t-il pour les dire les termes qu'il
faut ? Tout cela le préoccupe, et ce
n'est pas sans appréhension qu'il entre dans
la voie ouverte devant lui.
Dans une lettre qu'il écrit à
sa soeur le 7 août 1834, trois semaines
après son arrivée, nous trouvons le
passage suivant qui nous montre dans quels sentiments
il se trouve, au
moment de commencer cette campagne de
conférences et de prédications qu'on
lui demande :
« ... J'ai maintenant tellement de
travail en perspective que j'en tremble. Je veux
faire bien tout ce que le Seigneur me
demande ; mais je crains de n'en être
pas capable. Tous ceux qui m'appellent semblent
tellement compter sur moi pour faire retentir la
note qui éveillera l'intérêt
missionnaire, que j'en suis écrasé.
C'est presque plus que je n'en puis porter.
Cependant jusqu'ici le Seigneur m'a aidé et
soutenu... »
C'est à Coventry que se tient la
première grande réunion
convoquée pour entendre J. Williams. La
seconde eut lieu à Birmingham où la
grande chapelle de Car's lane fut trop petite pour
la foule qui s'y pressait. Là, Williams
était connu par ses lettres aux pasteurs
James et East.
« Si je n'avais dû parler
qu'une fois en Angleterre, c'est dans cette ville
de Birmingham que j'aurais voulu le faire, dit-il
en cette occasion. C'est l'un des pasteurs de cette
ville qui a éveillé en mon mur des
impressions religieuses définitives. Oui,
ajouta-t-il, en se tournant vers le Rév. T.
East, après Dieu, c'est à vous que je
dois ce que je suis et tout ce que j'ai
été rendu capable de faire. Et c'est
le bien cher pasteur du sanctuaire où nous
sommes en ce moment assemblés qui, en me
remettant une Bible, le jour de ma
consécration, m'a solennellement
exhorté à prêcher sa glorieuse
Révélation aux païens. Monsieur,
dans la mesure que Dieu m'a départie, j'ai
prêché la doctrine du salut par la foi
en un Rédempteur crucifié. Une autre
raison qui m'aurait fait choisir Birmingham, c'est
la générosité avec laquelle de
bienveillants amis de cette
ville m'ont fait à plusieurs reprises des
envois d'outils, de quincaillerie, qui m'ont
aidé à m'ouvrir un chemin en terres
païennes. Pour ces dons, je veux dire à
nouveau toute ma gratitude... »
Après cet exorde, Williams dit
quelques mots du sujet du jour :
l'introduction des alcools en Polynésie, et
les effets déplorables sur un peuple
très faible devant la tentation. Puis
après avoir dit quelques mots de la
fréquence et des formes de l'infanticide
avant l'introduction du christianisme, il fit une
rapide esquisse de l'oeuvre missionnaire dans
l'archipel de Cook et aux Samoa. Lorsqu'il
s'arrêta, Mr. James le pria de raconter
comment il avait construit sa
goélette ? Williams donna alors des
détails intéressants sur ce
chef-d'oeuvre de patience et
d'habileté.
Le soir de ce même jour Mr. East lui
demanda de prêcher à sa place. Ce
faisant il ajouta : « Racontez donc
votre propre histoire. » Mais -
écrit Williams à un ami - il
m'était désagréable de parler
de moi
(1). »
Je me bornai donc à dire comment Dieu
m'avait amené à la connaissance de la
vérité par la prédication de
Mr. East ; puis, ayant pris mon texte dans 1
Corinthiens Il : 2 j'exposai les doctrines
prêchées par les missionnaires ;
secondement, je dis la condition des
indigènes quand la prédication de la
Bonne Nouvelle retentit en leurs lointains pays.
Condition manifestée par les
divinités adorées, le culte rendu aux
idoles, le ciel auquel ils croyaient et les moyens
employés pour parvenir au paradis des
Polynésiens ; enfin les
résultats du labeur missionnaire...
Williams prit soin d'émailler son
discours d'exemples, de faits,
qui s'adaptaient admirablement aux divers points
énoncés ci-dessus, de sorte que cette
prédication fut une vivante
démonstration que l'Évangile est la
puissance de Dieu pour relever, sauver et
sanctifier tous les hommes, sous tous les
cieux...
Avec son bon sens et son discernement
habituels, le missionnaire avait rapidement compris
ce qui intéresserait le public
chrétien. À un ami il écrivait
à cette époque : « Si
vous venez en Angleterre, ne vous donnez pas la
peine de préparer des sermons en trois
points ; les faits, voilà ce qui
intéresse... » Mais les
années d'activité en Polynésie
avaient accumulé tant de choses dans la
mémoire de Williams qu'il eut à
découvrir au début celles qui
intéressaient le plus. Et ce n'était
pas toujours celles qui l'intéressaient le
plus, personnellement. Il arriva que son choix ne
fut pas des plus heureux. Ainsi au début il
puisait volontiers dans la mythologie ou les
traditions polynésiennes pour illustrer
l'état de dégradation où se
trouvaient les païens avant l'introduction du
christianisme. Pour un auditoire composé des
éléments les plus divers, ce choix
n'était peut-être pas très
judicieux... Williams comprit ce qu'il fallait
dire, ce qui portait le plus ; et comme il
recevait avec beaucoup de reconnaissance toutes
suggestions, tous conseils amicaux, il devint en
très peu de temps un grand orateur.
Il ne faudrait pas croire que ses discours
se réduisaient à une accumulation de
faits juxtaposés. L'ordre était l'un
des traits de son caractère et de sa
pensée. Les faits cités venaient
illustrer une affirmation, prouver ce qui venait
d'être dit, inciter à l'action,
démontrer la puissance de l'Evangile...
Voici un spécimen du genre de sermons
qu'il prêchait. Texte : « Les
lieux ténébreux de la terre sont
pleins de repaires de violence. » Ps.
71 : 20. Après quelques notes
personnelles, le prédicateur annonce qu'il
se propose de démontrer : 1° que
de grands espaces étaient encore
plongés dans de profondes
ténèbres ; 2° que
cruautés et violences s'exerçaient
dans les ténèbres ; 3'
l'obligation où se trouvent les
chrétiens de travailler à dissiper
les ténèbres, en annonçant
l'Évangile.
« Imaginez tout un comté de
notre pays où ne brillerait jamais le
moindre rayon de soleil, où
régneraient les ténèbres sur
la terre, les fleuves, les montagnes, les
vallées ! Avec quelle émotion ne
songerions-nous pas aux malheureux habitants d'un
semblable pays ! Eh bien ! je
désire vous parler d'îles, de terres,
de contrées où règnent de
façon absolue les horreurs de profondes
ténèbres, ténèbres
spirituelles, où n'a jamais
pénétré un seul rayon du
Soleil de Justice.
J'ai été le témoin de
ces ténèbres, j'ai vu ces pays. Trois
choses semblent nécessaires au salut :
la connaissance de Dieu, de soi-même, de
Jésus-Christ comme Sauveur. Les païens
les ignorent absolument. Au lieu de cela, ils
croient aux choses les plus absurdes, les plus
honteuses, lesquelles émanent du père
du mensonge. Ils ne connaissent pas Dieu. Ce qui le
prouve c'est qu'ils ont changé l'image du
Dieu incorruptible en celle de l'homme corruptible
et de toutes sortes d'animaux et de reptiles. En
diverses îles où je suis allé,
les seules divinités des ancêtres et
les objets de l'adoration, c'étaient des
serpents, des lézards, des rats, des chiens,
des oiseaux, des requins, des anguilles. À
ces dieux ils attribuaient les actes les plus
impurs, les plus odieux. On croyait
généralement que les divinités
n'étaient heureuses que lorsque les autels
avaient du sang humain, ou que des corps d'hommes
étaient suspendus aux arbres sacrés
du maraë. O amis chrétiens ! que
vos privilèges sont grands ! Vos vies
sont comme illuminées par ce que les
Écritures vous révèlent de
Dieu, et vos derniers instants sont adoucis,
réjouis, par l'espérance de sa
gloire. Ces joies sont inconnues de ceux qui
habitent les lieux ténébreux de la
terre. Ils ignorent les oeuvres de Dieu et Dieu
lui-même. [L'orateur prouve son affirmation
en citant quelques-unes des traditions
polynésiennes.]
Deuxièmement : Les païens
ne se connaissent pas eux-mêmes. Les
indigènes des nombreux archipels du
Pacifique ignorent leur origine. Leurs idées
sur ce point sont trop absurdes pour que je les
expose ici ; l'une de leurs traditions
cependant affirme que Taaroa fit le premier homme
avec du sable ; mais les récits sont
confus et contradictoires, et aucun n'enseigne que
l'homme devint une âme vivante. Leur
idée du péché est fausse,
déviée. Les crimes auxquels nous
pouvons difficilement penser sans en être
souillés sont commis par eux avec une
effroyable indifférence. Ils se
réjouissent du mal, ils courent au mal et se
vautrent dans l'impureté ; et il arrive
que l'être le plus vicieux soit aussi celui
qu'ils honorent le plus.
Ils ignorent la responsabilité de
l'homme devant Dieu, et ne songent pas à un
jugement à venir. Sur certains points les
indigènes établissent une
différence entre l'âme et le corps et
ils se font certaines idées d'une vie
après la mort, mais la lumière qui
est en eux est ténèbres. »
(Suivent ici quelques exemples).
Troisièmement : Ils ne
connaissent pas le salut par Christ le
Médiateur. Les païens offrent des
sacrifices, il est vrai. Mais pourquoi ? Pour
avoir violé la loi divine ? - Non
pas ! Jamais il n'est demandé, ni fait
d'expiation pour le mensonge, le vol,
l'adultère, le meurtre. Ces choses
n'existent pas dans leurs catalogues des
crimes ! Mais si un aliment sacré avait
été mangé, si les maraës
étaient couverts de mauvaise herbe ou
menaçaient ruine, si quelque
« tabou » n'avait pas
été respecté, ou si quelque
rat sacrilège avait fait son nid dans les
vêtements qui enveloppent le dieu, alors les
tempêtes, orages, épidémies
étaient attribués à la
vengeance des dieux offensés. Et comment
l'expiation était-elle faite ? En
sacrifiant des porcs...
Dans la vie et la mort ils sont dans les
ténèbres. Ils se nourrissent de
cendres ; ils se sont égarés en
suivant les désirs de leur mauvais
coeur ; ils ne peuvent délivrer leur
dîne, ils ne se demandent pas s'il y a
quelque péché en leur main droite...
Chrétiens, le sort de ces gens n'est-il pas
extrêmement misérable et digne de
votre pitié, d'une immense
pitié ?
Par quelques observations
préliminaires, Williams dit que dans son
texte la Cruauté semble personnifiée,
être présentée sous forme de
quelque monstre puissant, qui règne en
despote et possède des habitations sur toute
la surface du globe, demeures d'où sont
bannies la miséricorde et la bonté.
Par quelques faits il va montrer combien cette
peinture est exacte, non pour agir sur la
sensibilité des auditeurs, mais pour
augmenter leur reconnaissance envers Dieu, leurs
compassions pour les païens, et amener chacun
à faire tout ce qu'il peut pour la
propagation de la Bonne Nouvelle.
La mère peut-elle oublier l'enfant
qu'elle allaite ? demande-t-il. - Alors il
répond par l'affirmative et parle de
l'infanticide, et après avoir donné
quelques détails effroyables il termine par
ce récit : Nous avons eu sous notre
toit pendant quinze ans une domestique dont la
profession, au temps du paganisme, était de
tuer les nouveau-nés. Elle me dit qu'elle
faisait généralement la chose en
brisant les doigts et les orteils : si cela ne
suffisait pas elle serrait le cou. La
dernière fois qu'elle commit ce crime,
plusieurs familles de l'île avaient
déjà embrassé le
christianisme, et elle eut beaucoup de mal à
tuer le bébé. Longtemps la fillette
se débattit dans ses bras comme si elle
était résolue à vivre
malgré tout. Et la malheureuse femme me dit
que souvent, et malgré les années,
elle voyait encore cette enfant se débattre,
se tordre sur ses genoux, et que cela hantait ses
jours et ses nuits.
Les sacrifices humains. Après avoir
parlé de la fréquence de ceux-ci,
Williams continua par ces paroles : En un
instant la femme, toute la famille étaient
plongées dans la douleur. Vous, femmes, qui
aimez vos maris, ne souffririez-vous pas le martyre
en les voyant arrachés au foyer et
assassinés ? Et vous, enfants, que
penseriez-vous si, devant vous, on saisissait vos
pères, et qu'on les tuât sous vos
yeux ? Et ne dites pas, chers auditeurs, que
ce n'est pas la même chose, que ces
indigènes sont gens de couleur !
« Dieu a fait d'un seul sang tout le
genre humain. »
Parfois, la population tout entière
de certains districts était vouée aux
sacrifices... Mais la prédication de
l'Évangile a sonné l'heure de la
délivrance. Quand j'arrivai à
Rarotonga et que j'eus la très grande joie
d'y introduire le christianisme, plus d'un millier
d'indigènes vivaient dans la montagne pour
échapper à la mort. Maintenant tous ces
indigènes et leur chef, un homme pieux,
vivent dans une superbe plaine, pas très
loin de la mer. Leur village aux jolies maisons
blanches s'étend sur plus d'un
kilomètre à droite et à gauche
du temple. J'ai fait la dédicace de cet
édifice peu avant mon retour en
Angleterre.
Maintenant, quelques mots de la guerre...
Après avoir donné plusieurs exemples,
Williams ajouta : « Je me trouvais
une fois dans une île alors que rentraient
les pirogues de guerre du foyer des
hostilités. Ces pirogues étaient
remplies de prisonniers destinés à
être tués et mangés. L'avant et
l'arrière des pirogues surplombent de
quelques pieds le centre, et à ces deux
extrémités les têtes des
tués étaient suspendues. En
débarquant, l'un des chefs prit une
tête, l'éleva pour la montrer aux
spectateurs, puis dit le nom du vaincu, racontant
la valeur de l'ennemi avec lequel il s'était
mesuré et qu'il avait tué. Il saisit
une seconde tête, puis une troisième,
puis en prenant la quatrième il dit :
« C'est ici la tête du grand
chef », et il ajouta le nom. À
peine avait-il exhibé la tète du
vaincu qu'une jeune fille prisonnière, la
fille de ce chef, poussait un cri d'horreur et
tombait évanouie. Mais je passe. N'en ai-je
pas dit assez pour montrer que les lieux
ténébreux de la terre sont pleins de
repaires de violence ? »
L'obligation pour les chrétiens de
travailler à la suppression de ces maux par
la propagation de l'Évangile fut alors
plaidée avec chaleur devant l'auditoire.
Williams exposa d'une part la condition des
païens, de l'autre la volonté de
Christ : « J'ai d'autres
brebis... », l'ordre donné
à l'Eglise, les oracles de Dieu qui lui sont
confiés... « Et si les
chrétiens ne se soucient pas
d'évangéliser, qui le fera ?
Pendant que nous délibérons, ils
meurent. Certes, les succès ont
déjà couronné le travail des
missionnaires. Mais des milliers de païens
attendent encore la Parole de
Vie ! »
Pour conclure, Williams cita encore quelques
faits de sa propre expérience, puis il
termina en disant : « Pourriez-vous
employer vos talents au service d'une meilleure
cause, ou vous consacrer vous-mêmes au
service d'un meilleur
Maître ? »
Cette esquisse montre que si le
succès accompagna la prédication de
Williams, ce ne fut pas affaire de chance ou
d'engouement chez un certain public superficiel et
frivole. Non ; mais ce qu'il disait, ses
affirmations, ses arguments, l'ordre du discours,
tout cela portait, allait droit au but, et
réveillait les consciences, faisait battre
les coeurs, de sorte qu'il était difficile
de résister à ses appels.
Bientôt, il est extrêmement populaire.
Il est à peine arrivé en Angleterre
que tous ceux qui s'intéressent à
l'oeuvre missionnaire demandent à leurs
amis, à leurs pasteurs :
« Avez-vous entendu John
Williams ? » Des invitations si
nombreuses sont alors envoyées, soit
à lui directement, soit aux membres
directeurs de la Société de Londres,
que Williams comprend bientôt qu'il lui
faudra renoncer au repos. Dès lors, il
plaide en tous lieux la cause des Missions, et
partout les foules accourent pour l'entendre.
Entre temps, il exposait aux membres du
Comité les besoins de l'oeuvre en
Polynésie. À sa demande, la
création d'une École de
Théologie à Rarotonga pour la
préparation des missionnaires
indigènes fut décidée. Les
indigènes devraient pourvoir aux frais
d'entretien. À Tahiti même, Williams
obtient la création d'une école
où les fils de chefs et autres
indigènes pourront recevoir une instruction
supérieure. Cette école deviendrait
la pépinière des instituteurs
nécessaires pour les postes missionnaires
existants,
et pour ceux que l'extension de l'oeuvre faisait
prévoir.
John Williams désirait aussi faire
imprimer plusieurs livres. Il présenta au
Comité de la Société biblique
britannique et étrangère la
traduction du Nouveau Testament en dialecte de
Rarotonga, ouvrage auquel il avait longuement
travaillé avec ses collègues MM.
Pitman et Buzacott. Il considérait ce
manuscrit comme un trésor. La
Société biblique nomma une commission
qui fut chargée d'examiner la question. Dans
une lettre à Mr. Nott, Williams raconte
l'entrevue qu'il eut avec quelques docteurs en
théologie. Cette lettre est datée du
24 janvier 1835.
« La Société
biblique a accepté d'imprimer le Nouveau
Testament en langue de Rarotonga. J'ai dû me
présenter devant le Comité
d'édition pour rencontrer le Docteur Ceci et
le Docteur Cela, qui m'ont fait passer un
sérieux examen pour s'assurer, autant que
possible, de la valeur du travail
présenté. J'ai dit que cette
traduction s'approchait beaucoup de la traduction
en tahitien, mais que chaque verset avait
été traduit en ayant sous les yeux le
texte grec. Ces messieurs parurent surpris qu'aucun
de nous connut le grec. Je leur répondis que
quelques-uns des missionnaires avaient reçu
une instruction classique, et que les autres, par
une étude persévérante,
avaient suffisamment acquis cette langue pour
pouvoir comprendre avec l'aide d'un bon lexique le
sens de l'original. J'ajoutai que, pour moi,
l'excellence d'une traduction ne provenait pas
uniquement d'une bonne connaissance de la langue
dans laquelle le texte original est écrit.
Encore fallait-il bien connaître la langue
dans laquelle le texte était traduit. Or,
nous la connaissions bien, et avec l'aide de
nombreux commentaires il n'avait pas
été très difficile de donner à chaque verset
- ou presque - le sens exact qu'il avait dans le
texte grec.
Ils me demandèrent alors quels
commentaires nous avions consultés ?
J'ai nommé Macnight, Doddridge, Poole,
Campbell, Haweiss, Guyse Owen et plusieurs autres.
Ils admirent que cela avait dû faciliter
notre travail. Ensuite ils s'enquirent de la
manière dont nous avions orthographié
la langue. Je leur dis les règles que nous
avions suivies. Ils me demandèrent de quelle
autorité nous nous étions
inspirés : Forster, Cooke, Humboldt,
Marsden, ou d'autres ? Je répondis que
nous n'avions suivi aucune de ces autorités,
comprenant le langage mieux que les personnes
citées, et que je n'avais jamais rien lui
sur le sujet, hors - dans ce qu'avaient
écrit les missionnaires - ce qui m'avait
paru posséder une réelle
valeur. »
La Commission se déclarant satisfaite
des explications et déclarations de John
Williams, la Société biblique accepta
d'imprimer le Nouveau Testament en langue de
Rarotonga. L'un des grands désirs du
missionnaire allait donc se réaliser.
C'était le couronnement d'un très
grand travail, et il en eut une joie très
vive. En mai 1835, il écrit :
« La surveillance des travaux
d'impression me donne beaucoup à faire. Dix
mille traités sur divers sujets sont
achevés. On imprime en ce moment
« Le Voyage des Israélites au
désert », « le Voyage du
Pèlerin de Bunyan », et d'autres
livres encore. D'autre part, je dois constamment
parler en public, je l'ai fait soixante-dix fois au
cours des deux derniers mois. J'ai confiance que
tout ceci portera du fruit, qu'il en
résultera un plus vif intérêt
pour l'oeuvre missionnaire dans les Mers du Sud, ce
qui rendra possible l'extension de nos travaux
jusqu'en Nouvelle Guinée. Veuillez excuser la
brièveté et les imperfections de
cette communication. C'est à peine s'il me
reste un seul jour libre au cours de cette
année. »
À la fête annuelle de la
Société des Missions de Londres,
Williams est prié de donner un rapide
exposé de ses travaux en Polynésie.
Mais tant d'orateurs avaient déjà
pris la parole et la séance durait depuis si
longtemps que le missionnaire se contenta de dire
le but de son activité en Angleterre et de
tracer un plan d'action pour
l'évangélisation des archipels du
Pacifique encore sans Dieu ;
évangélisation à laquelle il
désirait voir collaborer les missionnaires
des autres dénominations religieuses.
« Dissident convaincu, indépendant
conscient, pédobaptiste résolu,
écrit son biographe, Williams recherchait
par-dessus tout la gloire de Christ et le salut des
païens, et il ne permettait pas que des
divergences sur certains points le
séparassent d'autres chrétiens, ou
l'empêchassent de s'unir à eux dans la
commune recherche du salut des
âmes. »
Nous ne pouvons citer tout ce qu'il dit en
cette occasion, mais voici la finale :
« Je suis convaincu que ma proposition
est applicable. Nous, missionnaires, relevant de
diverses Sociétés, nous sommes des
cultivateurs ayant chacun des méthodes
différentes, mais tous nous semons la
même « semence
incorruptible ». Le but que poursuivent
les cultivateurs c'est la moisson. Toutes nos
Sociétés désirent gagner des
âmes à Christ, les lui amener pour
qu'Il les rachète et les sanctifie. Que
chaque Société assume donc la
tâche qu'elle peut mener à bien dans
les Mers du Sud, et bientôt la lumière
de l'Évangile aura
pénétré dans tous les
archipels de l'immense
Océan... »
Dans une lettre à Mr. Pritchard,
Williams écrit :
« Peut-être avez-vous
été déçu de ce que j'ai
dit lors de la Fête
annuelle. L'un des frères vous expliquera
pourquoi je n'ai pas dit davantage. À un
autre, j'envoie un compte rendu de la
réunion de Manchester. Le produit de la
collecte a dépassé 3.000 livres
sterling ! Je suis maintenant à
Sidmouth où j'ai tenu une réunion
hier soir... Dimanche j'ai prêché
trois fois, et une fois lundi. Maintenant je me
prépare à aller à un repas
public. À onze heures je dois être
à six milles d'ici pour parler aux membres
d'une réunion d'études bibliques, et
ce soir autre conférence missionnaire. Je me
sens presque à bout de souffle. Depuis que
je suis en Angleterre, je n'ai pas eu un seul
dimanche à moi... Il est probable que nous
retournerons en Polynésie dans un joli
navire de quelque cent cinquante tonneaux, navire
exclusivement destiné aux besoins
missionnaires.
Momentanément la question de
l'École supérieure et plusieurs
autres sont laissées de côté.
Les Directeurs en ont déjà
été saisis, mais je voyage tellement
depuis sept mois que je n'ai pu faire avancer ces
questions. Je dois être en Cornouailles la
semaine prochaine et y passer une huitaine de
jours. De là je pars pour l'Écosse
où la tournée missionnaire durera de
six à huit semaines. Puis, dans le
Hampshire. Mon temps est pris jusqu'à
Noël. Je me retirerai alors pour tout l'hiver,
c'est-à-dire jusque vers le 1er
février.
Impossible de refuser les invitations. Je
crains que notre absence se prolonge encore un an
ou dix-huit mois ; j'ai d'autres livres
à préparer, entre autres à
faire imprimer un récit de mes voyages
missionnaires.
Ayez l'assurance que tous les succès
et la grande bonté des amis qui nous
reçoivent n'ont rien changé à
mon affection pour les collègues, rien
enlevé à mon attachement pour la
Mission dans laquelle j'ai si longtemps travaillé.
Je
demande à Dieu qu'Il continue de me
multiplier son secours pour les travaux à
venir... » (1er septembre 1835).
De tous les voyages de Williams pour la
cause des Missions, aucun petit-être ne lui
coûta davantage que celui d'Écosse aux
mois d'octobre et novembre 1835, et aucun ne laissa
plus de résultats. C'est après son
passage en ce pays que fut fondée la
Société missionnaire
d'Écosse.
Le 9 novembre, Williams écrit de
Glasgow : « C'est le coeur
débordant de reconnaissance que je vous fais
savoir le grand intérêt
éveillé pour les Missions en tous
endroits où j'ai eu l'occasion de prendre la
parole. À Glasgow, en particulier, la foule
remplissait l'édifice ; en plus de la
forte somme recueillie à la sortie. 2.500
francs ont été apportés
à la table, et j'ai déjà
reçu ce matin près de 1.000 francs...
On me demande une autre réunion ce soir
à la chapelle de Mr. Ewin. Je crois que les
églises de Mr. Ewin et du Dr Wardlaw sont
prêtes chacune à prendre
entièrement à leur charge les frais
de préparation d'équipement, de
voyage et de traitement d'un missionnaire. En ce
cas, j'aimerais que notre Société se
charge des Nouvelles Hébrides et l'Eglise
d'Écosse de la Nouvelle
Calédonie...
14 novembre. - Je suis maintenant à
Kilmarnoch. La réunion de ce soir devait
avoir lieu dans une salle de conférence.
Mais l'affluence était telle hier soir qu'on
la trouve trop petite. En ce moment les tambours
parcourent la ville pour annoncer qu'elle aura lieu
ailleurs...
Me voici à Dumfries, et je pense
terminer ce voyage missionnaire en Écosse
à Annan le 2 décembre. Loin de
diminuer, l'intérêt est allé
augmentant lors de ma seconde visite à
Glasgow, de sorte que l'église du Dr Kidson n'a pu
recevoir
la
foule de ceux qui voulaient y
pénétrer. Beaucoup sont restés
dehors. Ces nombreux services en un même
endroit, huit ou neuf à Glasgow, risquent
d'épuiser le conférencier...
Jusqu'ici les matières ne m'ont pas
manqué et je n'ai pas eu à me
répéter, sauf une fois, et ce fut
à la requête de quelques personnes. Je
sens qu'il me reste encore beaucoup à dire,
et j'en suis reconnaissant. Je suis arrivé
à Glasgow avec les sentiments
qu'éprouvait l'apôtre Paul en se
rendant à Corinthe : « dans
un état de faiblesse, de crainte et de grand
tremblement », intimidé par la
renommée et le rang de ceux qui m'appelaient
et devant lesquels j'allais avoir à
prêcher. Mais Dieu m'a soutenu, et ceux que
je redoutais sont venus m'entendre soir
après soir... »
De tous côtés on
réclamait l'impression des travaux
missionnaires de Williams, de sorte qu'il avait
été amené à songer
à cette publication. Pour avoir le temps de
l'écrire il essaya vainement de se
dégager de toute nouvelle invitation,
aidé en cela par les membres du
Comité directeur qui comprenaient
l'utilité de ce travail et les motifs de
leur ouvrier. Cependant leurs efforts réunis
furent vains, tant les invitations des pasteurs et
des Comités auxiliaires étaient
urgentes, pressantes. Chaque fois que Williams
cède il se dit que c'est pour la
dernière fois ; mais il continue de
céder et même les invitations se
multiplient.
« Lorsqu'il paraît dans les
réunions publiques il est salué par
un tonnerre d'applaudissements et
d'acclamations ; mais ces marques
d'intérêt ne sont pas les plus
puissantes. Dans les édifices religieux
où le silence est de rigueur pour les
auditeurs, ceux-ci, subjugués par l'orateur,
et profondément émus, s'inclinaient
sous la puissance de son verbe comme les
épis sous le vent, se
laissant aller à l'intensité
d'émotions qu'ils ne pouvaient
réprimer. Certain jour, au Tabernacle de
Bristol, Williams disait en termes humbles et
mesurés, mais avec ferveur, les
transformations apportées par
l'Évangile et les trophées de la
Grâce dans les archipels où il avait
travaillé. Les faits racontés
étaient si extraordinaires, les changements
survenus si merveilleux, l'action de Dieu si
manifeste, que les auditeurs ne purent dominer leur
émotion et se laissèrent aller aux
sentiments qu'ils éprouvaient.
« Tout ce qu'il disait portait le
sceau du vrai, a écrit un grand orateur, le
professeur John Campbell. Immédiatement,
l'auditeur pensait : Voilà un
honnête homme... Et en l'entendant on
pleurait, puis quelque plaisante aventure amenait
le rire, et c'étaient des applaudissements
qu'on ne pouvait
réprimer... »
Où qu'il se rendît il faisait
la conquête de chrétiens restés
réfractaires à l'oeuvre missionnaire,
les dons affluaient, des églises
s'engageaient à des contributions annuelles
pour l'envoi et l'entretien de missionnaires. Les
auditeurs voulaient faire quelque chose pour son
oeuvre ou pour lui...
Un soir qu'il parlait dans les environs de
Londres, il avait commandé une voiture pour
rentrer aussitôt. La course était
longue, l'heure tardive. Enfin on arrive devant la
maison de Bedford Square où il habite, et,
descendant, Williams demande ce qu'il
doit ?
- Ce n'est rien, Monsieur. J'étais
à la réunion et je vous ai entendu.
C'est un honneur pour moi de vous avoir
ramené. »
Heureux de ce qu'il entendait, Williams
n'insista pas moins auprès du cocher pour
qu'il acceptât le prix de la course, mettant
l'argent dans les mains de celui-ci. Mais le cocher
refusa de rien prendre, sauta sur son siège, fit
claquer son fouet et partit en disant
« J'ai été bien payé
par ce que j'ai entendu. »
Voici quelques notes d'un discours
prononcé à Exeter Hall
(2),
L'immense
édifice avec ses nombreuses tribunes
était absolument rempli. Williams traite
l'un de ses thèmes
préférés : l'action de la
Providence préparant les voies et moyens
pour la propagation de l'Évangile.
Après avoir dit quelques mots de la
prédication chrétienne et de la
découverte des Îles du Pacifique avant
que l'Eglise d'Angleterre s'éveillât
et prît conscience de son devoir
missionnaire, Williams montre les effets de cette
Providence qui se servit du récit
d'entreprises scientifiques et commerciales
(3) pour
allumer
dans les coeurs le zèle missionnaire. Puis
il résume l'origine de la Mission à
Tahiti, et expose ses résultats : les
bienfaits apportés aux indigènes par
la prédication de l'Évangile
« Pour les dire, je ne saurais
mieux faire que de vous parler de l'une de nos
fêtes missionnaires, C'est par un radieux
matin sans nuage : le ciel s'embrase vers
l'Est et la foule vient au temple demander à
Dieu de bénir la fête qui va avoir
lieu. À midi, les multitudes arrivées
de toutes parts ne pouvant trouver place dans le
temple, on décide que le service aura lieu
dans un bois de cocotiers. L'assistance
était au moins aussi nombreuse que celle
à laquelle j'ai l'honneur de m'adresser
aujourd'hui. »
Imaginez, Messieurs, cette multitude dans
cette immense cathédrale de la nature
dessinée par la main du Tout-Puissant, les
stipes altiers en guise de colonnes, les immenses
palmes comme chapiteaux et formant voûte tout
à la fois. Le roi, sa famille, les chefs
s'étaient assis non loin du baquet
renversé qui servait de chaire
improvisée à Mr. Nott. Il y avait
à peu près une demi-heure que
celui-ci parlait quand le roi lui dit :
« Atira e Noti ! » (C'est
assez Mr. Nott. arrête-toi !). Mais Mr.
Nott n'avait pas achevé, et continuait de
parler. Alors le roi répéta son
ordre, ajoutant qu'il voulait parler, lui.
Cette fois Mr. Nott descendit du baquet, et
Pomaré se levant prononça un puissant
discours où il établissait un
parallèle entre l'état actuel de
Tahiti et ce qu'était le pays au temps du
paganisme. Sa conclusion fut celle-ci : Je
propose que nous formions une Société
missionnaire tahitienne pour la propagation de
l'Évangile. Que ceux qui sont d'accord
lèvent la main. En un instant une
forêt de bras bronzés se dressait vers
le ciel ; des bras qui, jusque-là, ne
s'étaient guère levés que pour
donner la mort... Aussitôt après la
réunion, les assistants commencèrent
à préparer leurs contributions en
nature : de l'huile extraite de l'amande du
coco. Celle-ci envoyée en Angleterre
rapporta, tous frais déduits, la somme de
1.400 livres sterling.
Après quelques mots sur
Pomaré, Williams remit à celui qui
présidait cette fête missionnaire un
exemplaire du Nouveau Testament en langue de
Rarotonga, exemplaire qui sortait de presse ;
et après avoir dit comment il avait
découvert cette terre, il ajouta :
« Les indigènes qui parlent
la langue dans laquelle ce livre est imprimé
étaient tous païens ; à mon
départ tous étaient chrétiens.
Je les ai trouvés avec leurs idoles et leurs
maraës. Ceux-ci sont en ruines, mais trois
temples s'élèvent maintenant à
Rarotonga, l'un d'eux qui contient 3.000 personnes
se remplit chaque dimanche.
Quand je découvris cette île, il n'y
avait pas de langage écrit ; maintenant
ils lisent dans leur propre langue les oeuvres
merveilleuses de Dieu, et dans l'une des
dernières lettres que j'ai reçues,
mon correspondant me dit que 1.034
élèves sont présents à
l'école le matin même qu'il
m'écrit... »
Pour terminer, Williams relève que
l'oeuvre missionnaire est loin d'être
achevée... Elle ne le sera que lorsque tous
les enfants des hommes joindront leurs voix
à celles des saints déjà dans
la Patrie, pour exalter l'oeuvre
rédemptrice...
Le physique de John Williams, sa voix, ses
gestes, soit expression, tout cadrait
harmonieusement avec soit caractère et le
sujet traité. Lorsqu'il était
immobile ou pouvait le juger terne, morne. Mais
à peine avait-il commencé de parler
que le ton, la voix, l'animation, l'action,
révélaient la flamme
inférieure. Aucune pose, aucune recherche
d'effets. Ce qui frappait dans sa prononciation,
c'était une certaine façon
d'articuler, de diviser les mots, certaines
cassures qui provenaient de sa longue habitude des
langues polynésiennes. Mais cette
particularité n'avait rien de
désagréable. La voix était
pleine, sonore et suffisante pour les plus grands
édifices. Une grande sobriété
de gestes, rien qui pût détourner
l'attention de l'auditeur de la chose dite. Point
de recherche oratoire, point d'efforts pour capter
l'attention. Le naturel, la simplicité
caractérisent l'orateur. Un censeur aurait
peut-être démontré que certains
gestes n'étaient point ce qu'il aurait
fallu, et que certaines intonations
n'étaient point conformes à l'art de
bien dire, mais les auditeurs étaient
à ce point captivés qu'ils ne
songeaient guère à critiquer.
C'est après une série de
conférences à Liverpool et dans la région, le 20
août 1836, que John Williams écrit ce
qui suit à l'un de ses
correspondants :
« Merci pour ce que vous me dites
à propos de mon discours à X. Je suis
heureux qu'il vous ait fait du bien. Mais si ce que
vous m'écrivez me fait plaisir. Cela m'a
aussi amené à m'humilier devant Dieu.
Où que j'aille il semble que la
bénédiction m'attende ; or j'ai
un sentiment si profond de mon indignité que
je ne puis entendre parler des fruits de mes
travaux sans sentir aussitôt
l'immensité de mes obligations envers Dieu.
Que le Seigneur m'aide à lui être
toujours plus fidèle... »
Puis, faisant allusion à l'une des
réunions missionnaires de Liverpool,
Williams ajoute : « Le chef cafre et
le chrétien hottentot ont
intéressé l'auditoire. Il
était près de 10 heures quand on me
donna la parole. Le public semblait impatient de se
retirer. Cependant après que j'eus dit
quelques mots, les gens s'assirent, et je fus suivi
avec intérêt jusque vers 11 heures. Il
y avait là plus de 2.000 personnes. La
réunion terminée, un gentleman quaker
est venu me remettre 1.000 livres sterling, un
autre 100, un autre 150, ceci en plus de beaucoup
d'autres dons...
« À la réunion du
matin, j'avais dit la nécessité d'une
école préparatoire pour la formation
de nos missionnaires indigènes. J'avais
nommé 100 livres sterling pour les
premières dépenses d'installation...
Aussitôt un ami quaker se leva et dit qu'il
espérait que cette petite somme serait
trouvée immédiatement. Et en trois
minutes j'ai reçu 123 livres sterling et la
promesse de 50 £ annuellement...
« Voyez, cher Ami, tout ce que
Dieu fait pour moi. Priez afin que je reste humble,
que je sois gardé du mal et fidèle
jusqu'à la mort... »
À Bristol, à Bath, Manchester,
Sheffield, et ailleurs, Williams donne des
conférences spéciales sur l'origine,
la géographie, l'histoire naturelle, les
traditions, les usages... des îles du
Pacifique. Il éveille l'intérêt
des hommes de science, et quelques-uns,
après l'avoir entendu, versent de fortes
sommes à la Société des
Missions.
Williams avait fait imprimer des
évangiles, des traités, et il en
avait fait faire une première
expédition à Rarotonga ; les
livres étaient accompagnés d'ardoises
et autres fournitures scolaires. À
réception, Mr. Pitman écrivit ce qui
suit :
« ... Impossible de vous dire la
joie causée par votre lettre et votre
envoi... Un millier de remerciements, cher
Frère, pour cette activité incessante
qui vous permet de satisfaire les besoins pressants
de ce peuple. Oh ! vous auriez
été transporté de joie si vous
aviez vu l'extase des indigènes en recevant
les Évangiles. Où qu'ils aillent, ils
emportent le précieux trésor... Et
vous nous annoncez 5.000 Nouveaux Testaments !
Cela semble presque trop beau. Je lis et je relis
votre lettre aux chrétiens, et ils en
montrent une grande joie. Nous recevrons les
caisses de livres annoncées à
Rarotonga avec plus de joie que des cassettes
remplies d'or et d'argent. N'auriez-vous fait que
cela en Angleterre que vous auriez rendu à
la cause du Rédempteur un service
incalculable...
« Et les traités !
Dès qu'un enfant en a un, il s'assied pour
le lire et tous ceux qui n'en ont pas l'entourent
pour l'entendre... Pa lit son Évangile jour
et nuit. Toupé devient aveugle, mais sa
femme et ses enfants lui font la lecture...
« Nous serions heureux de votre
retour ; mais nous sommes prêts à
nous passer de vous un ou deux ans encore, puisque
votre
séjour en Angleterre permet l'impression de
ces précieux livres... »
Et voici quelques lignes de Mr.
Buzacott : « Je ne puis vous
souhaiter de joie plus grande ici-bas que de
revenir à Rarotonga et de constater le prix
que les livres envoyés ont pour nos
indigènes. Ils les considèrent comme
d'inestimables trésors... »
Quelle joie pour les Williams quand, de
temps à autre, la famille était au
complet ! Quelle satisfaction, quel bonheur
pour tous, quand papa est à la maison !
Alors le soir, parents ou amis intimes
étaient invités, et souvent l'oeuvre
missionnaire était le sujet de la
conversation. Il arrivait qu'un détail, un
mot, une question, amenaient Williams à
chercher quelque objet dans les caisses
rapportées de Polynésie ; et la
table, le plancher se couvraient des objets les
plus étonnants : idoles, ornements,
ustensiles divers, armes curieusement
travaillées. Alors il revêtait le
tipouta indigène, se mettait une petite
natte sur les reins, plaçait sur sa
tête un extraordinaire couvre-chef
multicolore (coiffure des chefs aux jours des
grandes cérémonies païennes
faite de coquillages, de plumes et de fibres), une
lance d'une main, une massue qui tournoyait de
l'autre, il arpentait la petite chambre essayant de
se donner un air féroce. Mais loin de semer
l'effroi il mettait en joie les amis
rassemblés et finissait par rire avec eux.
Le plus souvent, au départ, les Williams
donnaient quelques-uns des objets qui avaient le
plus intéressé, après avoir
ouvert, en l'honneur des invités et pour que
tous en goûtassent, quelques pots de
confitures de bananes ou autres fruits.
Dans la journée, tous les instants
libres étaient employés à la
rédaction du livre qui devait paraître
sous ce titre : A
Narrative
of Missionary Enterprises. Cet ouvrage, un bel
in-octavo de 590 pages, fut publié en 1837.
Williams l'avait dédié au roi
d'Angleterre, après en avoir
sollicité l'autorisation. Il désire
que ce livre pénètre en des milieux
assez fermés : à la cour et chez
ceux qui détiennent une certaine situation,
aussi chez les hommes d'affaires, car il est
persuadé que ce Récit fera plus
encore que ses Conférences pour l'oeuvre
missionnaire. Aussi, veut-il en offrir des
exemplaires à la cour, aux membres de la
noblesse, du Parlement, etc... Son ami Mr. Arundel
demande l'autorisation des Directeurs de la
Société de Londres ; celle-ci
est accordée. De plus, le Comité
souscrit 100 exemplaires et en met 50 à la
disposition du missionnaire. C'est un bien plus
grand nombre que Williams envoya ; et chaque
livre était accompagné d'une lettre
personnelle (4).
« Cela ne se fait pas d'habitude,
écrivait Williams au Révérend
Arundel, mais il vaut la peine d'essayer. Je ne
puis faire de mal en envoyant ces livres et je puis
faire beaucoup de bien. Si je ne réussis
qu'auprès d'une seule personne j'en aurai de
la joie. Et si je ne devais même pas avoir ce
résultat je préférerais encore
avoir fait cet essai pour le Maître que nous
servons et qui me dira : « Cela va
bien, puisque la chose était dans ton
coeur... »
Les résultats
dépassèrent ce qu'espérait
Williams il reçut des lettres sympathiques,
des dons, des demandes d'entrevue. Il eut la joie
de pénétrer en bien des milieux
restés étrangers à l'oeuvre
missionnaire, et de les intéresser à
l'évangélisation des païens.
À sa femme, Williams offre un
exemplaire de son livre richement relié,
où il a écrit cette
dédicace :
MA BIEN CHÈRE MARY,
Plus de vingt ans se sont écoulés
depuis que nous sommes unis par le plus fort et le
plus cher des liens terrestres ; ensemble nous
avons voyagé autour du monde ; nous
avons enduré bien des épreuves et
souffert de bien des privations, en même
temps que nous avons eu l'honneur d'apporter la
plus grande des bénédictions à
des multitudes de nos semblables.
Je vous offre ce fidèle récit
de nos labeurs et de nos succès communs en
témoignage d'une affection toujours la
même. Et si vingt années nous sont
encore accordées, Dieu veuille qu'elles nous
donnent autant de sujets de reconnaissance et de
joie que les années écoulées.
John WILLIAMS.
1er juillet 1837.
Ce livre eut un immense succès : les
7.500 volumes de la première édition
furent vendus en dix-huit mois, Il y en eut alors
une seconde de 6.000 exemplaires suivie d'une
édition bon marché qui mettait le
livre à la portée de toutes les
bourses. Il était vendu deux shillings au
lieu de douze (2 fr. 50 au lieu de 15 fr.) et
24.000 exemplaires s'écoulèrent
rapidement. Ainsi 38.000 volumes furent vendus en
cinq ans.
L'un des plus hauts dignitaires de l'Eglise
d'Angleterre dit après avoir lu les
Récits missionnaires de Williams :
« C'est un livre unique. Depuis le livre
des Actes des Apôtres, rien n'a
été écrit qui puisse
être comparé à ce récit
des conquêtes de
l'Évangile. »
Le livre est lancé. Williams est
repris par son labeur de
conférencier ; mais en même temps
il songe au départ. Le 1er juillet 1837, il
écrivait à son ami Mr. Prout, celui
qui devint son biographe :
« Depuis les réunions du
mois de mai je voyage dans toutes les directions.
Mercredi dernier je rentrais de Manchester, jeudi
je repartais pour Dienmow où
j'espérais vous rencontrer... Les collectes
à Manchester ont produit plus que
l'année dernière...
« Le Dunottar Castle »
est arrivé il y a quelques jours avec un
courrier des Îles. Les nouvelles sont
excellentes... J'aimerais avoir un bateau. Un ami a
proposé que 30 personnes s'engagent à
verser 100 livres sterling chacune pour acheter un
navire missionnaire qu'on nommerait
« Essex » ... Nous pourrions
toucher au Cap, à Madagascar et Batavia, et
y laisser en cours de route les missionnaires pour
ces destinations. À Java nous pourrions
prendre des racines, des plantes comestibles ou
utiles, des arbres fruitiers, des vers à
soie, des abeilles, etc..., que nous
transporterions dans les Îles. Ce ne sont
là que projets, mon plan n'est pas encore
mûri.
« J'ai eu quarante et un ans
avant-hier. Je deviens vieux !
... »
Voici encore quelques extraits d'une lettre
montrant quel fuit le succès du Récit
missionnaire de Williams :
Londres, 6 décembre 1837.
MA CHÈRE...
... Je dois me borner et ne puis dire que peu de
chose sur chaque sujet. D'abord le
« Récit ». Le
quatrième mille est sorti de chez
l'imprimeur il y a 8 ou 10 jours et il est
déjà vendu. Les résultats de
cette publication sont immenses. Peu de
jours passent sans que j'aie une
lettre mentionnant cet ouvrage. Il y a deux jours
un étranger alla voir un pasteur de Clapham
pour lui demander s'il connaissait Mr.
Williams : « Oh ! très
bien, répondit le pasteur. - Je viens de
lire son livre qui m'a tellement
intéressé et étonné que
je veux faire quelque chose pour lui. - Nous sommes
justement occupés à préparer
une caisse d'objets utiles pour Mr. Williams et
nous serons heureux de votre
contribution. » À quoi le
visiteur, après avoir remis une jolie somme
pour ladite caisse, ajouta 500 fr. pour la Mission.
Un autre visiteur se présenta à la
Maison des Missions et dit qu'après avoir lu
mon livre il voulait me voir on m'entendre quelque
part. On lui indiqua où je devais
prêcher le jour suivant. Il vint et me remit
vingt guinées, 10 de sa part, 10 de la part
de sa femme...
... Les lettres reçues des Îles
sont très intéressantes. L'une
d'elles est de Paofai, secrétaire de la
Société des Missions à Tahiti.
Il m'envoie 479 dollars. « C'est notre
contribution, m'écrit-il, pour la
Société qui envoie les missionnaires,
afin que le nom de Jéhovah soit loué
du soleil levant au soleil couchant. Quand tu auras
reçu cet argent, écris-moi une petite
lettre que je sache qu'il est en
sûreté dans le creux de ta
main... »
L'ami qui avait lancé l'idée
d'une souscription pour l'achat d'un navire
missionnaire ne put la faire aboutir. Et ce fut la
Société des Missions de Londres
elle-même qui lança un appel aux amis
des Missions en vue de cet achat : 1.500
livres sterling furent rapidement trouvées
(37.500 fr.). Peu après, le Camden
était acheté pour un peu plus que
cette somme. Il en fallait le double pour les
réparations, l'aménagement, etc...
Le 19 février 1838, Williams
écrit de Londres à Mr. Prout :
« Mes visites à Liverpool,
Manchester, Birmingham ont été
excellentes et j'ai été
comblé. En cette dernière ville, un
étranger m'a remis 100 livres sterling,
ajoutant qu'il tenait encore 2 à 300 livres
sterling à ma disposition si j'en avais
besoin. C'est ici un exemple de ce qu'accomplit la
lecture de mon livre... Le Camden tout
aménagé coûtera 26.000 livres
(650.000 fr.) ; 24.000 sont trouvées.
J'aimerais que vous veniez et voyiez le
navire ; je vous rembourserais bien volontiers
les frais de voyage. Il faut que vous veniez... Le
capitaine Morgan veut bien commander le Camden.
J'en suis extrêmement
heureux... »
Les marques d'intérêt pour
Williams se multiplient. L'armateur J. Fletcher
prend à sa charge les réparations du
Camden (10.000 fr.). Sir Culling Smith envoie les
plus belles espèces de moutons et de
volailles de son domaine pour le pare et le
poulailler du navire. Un pilote demande qu'on lui
confie le Camden qu'il veut conduire gratuitement
jusqu'à Gravesend (les droits de pilotage
variaient entre cinq et six cents francs) ; un
chrétien qui gagnait sa vie en fournissant
l'eau filtrée nécessaire aux longs
voyages refuse le paiement des vingt tonnes d'eau
dont il a approvisionné le navire :
« Laissez-moi le plaisir d'offrir un
verre d'eau pour le Seigneur », dit-il
à Williams. De toutes parts les lettres, les
poésies, les dons les plus divers affluent.
Les cadeaux destinés à rendre la
traversée confortable, les présents
de vivres, rien n'est oublié. Si les
missionnaires ont à souffrir de bien des
privations dans leur champ de travail, du moins les
donateurs veulent qu'ils ne manquent de rien
pendant le voyage.
C'est à cette époque que le
fils aîné des Williams épousa
Miss Nichols, de Linton. Le jeune homme partait
comme missionnaire d'une autre
Société que celle de Londres. Son
mariage réjouit ses parents
(5).
La santé de Mrs. Williams qui avait
laissé à désirer
jusque-là, d'autant qu'elle avait beaucoup
souffert d'un traitement suivi, cette santé
s'améliora subitement. Jusque-là le
courage lui avait manqué pour envisager la
possibilité d'un nouveau séjour dans
les Îles, et Williams reculait toujours la
décision à prendre d'un départ
sans elle. Avec la santé, le courage revint,
et les sentiments de Mrs. Williams
changèrent ; elle envisagea la
possibilité de s'en aller à nouveau
dans ces pays tropicaux où elle avait tant
souffert ! Elle s'étonnait
elle-même de ce revirement de pensées,
et y voyait une indication que Dieu lui demandait
de repartir. Williams le comprit aussi de cette
manière. Il bénit Dieu et reprit
courage.
Le 4 avril 1838, un service d'adieu eut lieu
au Tabernacle (Moorfields). C'est là que
Williams s'était donné à Dieu
pour l'oeuvre parmi les païens. Longtemps
avant l'ouverture des portes la foule entourait
l'édifice, qui, le moment venu, fut
positivement envahi. Le président du
Comité de la Société des
Missions de Londres commença le service et
indiqua le si beau cantique de Kelly :
« Qui sont ces gens... ».
Après plusieurs discours et la remise
de cadeaux, Williams se leva pour prononcer un
message d'adieu, dont voici quelques
extraits :
« Je n'ignore pas les dangers
auxquels nous serons exposés. Les
indigènes de quelques-unes des îles
que nous nous proposons de visiter sont extrêmement
sauvages. Mais
nous savons aussi que Dieu nous a gardés
jusqu'ici. Son bras n'est pas raccourci pour ne
pouvoir délivrer... Pleins de courage, nous
allons de l'avant... Et si dans les desseins de sa
Providence, Dieu permettait que nous tombions en ce
combat, même ainsi, il y a encore pour le
coeur de douces consolations... »
Après avoir fait allusion à un
acteur célèbre qui se relirait de la
scène parce que, disait-il, « il
faut un temps d'interruption entre le
théâtre et la mort »,
Williams continua ainsi : « Pour le
missionnaire point d'interruption nécessaire
entre ses travaux et la mort, et si Dieu nous
appelait à souffrir pour sa cause, nous
avons la confiance qu'Il nous donnera la
grâce de nous incliner devant sa
volonté, dans l'assurance qu'Il appellera
d'autres ouvriers pour achever l'oeuvre qu'Il nous
a permis de commencer...
« En toute humilité
chrétienne et quelles que soient nos
faiblesses - celles-ci sont comme liées aux
projets et aux entreprises des hommes - je crois
pouvoir dire que nous n'avons qu'un but, un
désir : annoncer la Bonne Nouvelle du
saint à ceux qui meurent faute de
connaissance.
Mes chers Amis, je ressens
intensément ce que vous ressentez aussi en
cet instant. Certes, nous savons apprécier
les charmes d'une société
civilisée, nous sommes très sensibles
aux affections familiales et nous sentons la
douleur d'une séparation qui déchire
nos coeurs. Nous pensons à toutes ces
choses, comme aussi aux tempêtes possibles et
aux difficultés de l'oeuvre à faire
près d'indigènes qui ont la
réputation d'être féroces. Mais
dans l'autre plateau de la balance je vois le but
poursuivi, c'est là que j'arrête mes
regards ; et je crois pouvoir dire en face des difficultés
et des
dangers : « Je ne fais pour
moi-même aucun cas de ma vie, comme si elle
m'était précieuse, pourvu que
j'accomplisse ma course avec joie et le
ministère que j'ai reçu du Seigneur
Jésus, d'annoncer la Bonne Nouvelle de la
grâce de Dieu. »
Le dimanche soir 8 avril, Mr. Williams et
plusieurs des missionnaires qui allaient partir
communièrent avec les frères de
« Barbican Chapel ». Le
lendemain, il y eut une réunion du
Comité de la Société des
Missions de Londres où les missionnaires
furent à nouveau très solennellement
remis à Dieu.
Williams aimait particulièrement ces
moments de prière et de consécration.
Il en sentait le besoin, et il estimait par-dessus
toute autre chose l'intercession des
fidèles.
Et en ces heures de séparation, de
déchirement, combien il a besoin
d'être soutenu ! Il est tendrement uni
à ses soeurs. De plus, cette fois, les
parents laissent leur second fils, Samuel, et le
désespoir du petit garçon refuse
toutes consolations.
Les membres du Comité, pour honorer
leur ouvrier et comme gage de leur
appréciation personnelle de ses travaux,
avaient loué un vapeur : « le
Cité de Canterbury », pour
conduire les Williams et tous les missionnaires en
partance, jusqu'au « Camden ».
Quatre cents invitations avaient été
distribuées aux familles et aux amis. Des
aménagements spéciaux avaient
été faits pour le confort des
passagers. Une partie du
« City » avait
été réservée pour les
Williams.
Le 11 avril 1838, longtemps avant l'heure
fixée, la foule avait envahi les quais et le
London Bridge pour assister au départ.
Heures douloureuses, heures des adieux, des
séparations. À la maison,
entourés, de leurs
parents et de leurs amis intimes, Mr. et Mrs.
Williams essayent de dominer leur émotion,
et il faut au missionnaire un courage peu ordinaire
pour lire le Psaume XLVI et remettre à Dieu
par la prière ceux qui restent et ceux qui
partent, pendant que tout autour de lui les larmes
coulent et que des sanglots mal
réprimés se font entendre.
À peine Williams a-t-il donné
libre cours par les larmes et la prière
à l'émotion qui l'étreint
qu'il se ressaisit. Son esprit reprend son
élasticité, et quand il arrive
à l'endroit où tant d'amis
l'attendent pour lui donner un dernier gage
d'affection, il a retrouvé sa bonne humeur
et sa cordialité habituelles. Lorsqu'il pose
le pied sur le « City », les
applaudissements éclatent sur le vapeur et
sur la rive ; manifestation d'attachement qui
réchauffe les coeurs endoloris. Parmi ceux
qui l'entourent maintenant se trouvent de grands
personnages, de hauts dignitaires qu'il a conquis
à la cause des Missions. Rarement, autant de
sympathie et d'amour chrétiens, autant
d'intérêt intense se
concentrèrent sur un homme. Quand le vapeur
commença de s'éloigner, des amis
suggérèrent à Williams de
prendre congé de la foule venue pour
assister à son départ. Montant sur la
passerelle, il salua. Immédiatement, bras,
mouchoirs, chapeaux furent agités en
même temps que retentissaient des
acclamations ; mais un bien plus grand nombre
de spectateurs donnaient libre cours à leur
émotion et pleuraient. À bord du
« City » il en allait de
même.
Tandis que le vapeur descend la Tamise, les
Williams reçoivent leurs amis dans la partie
du bateau mise à leur disposition, C'est un
long défilé de personnes qui tiennent
à serrer une dernière fois la main des
missionnaires, à leur
dire quelques mots d'adieu. Le désespoir de
Samuel Williams rend ces instants plus douloureux
encore.
Le Camden est maintenant en vue. Quelques
minutes encore, et le « City »
l'ayant rejoint vient se ranger à son
côté pour le transbordement des
passagers.
Alors commence un dernier service d'adieu
suivi en même temps sur les deux navires. Un
cantique composé pour la circonstance est lu
par le révérend Arundel, puis
chanté ; la prière est
prononcée par le révérend
Jackson, doyen des membres du Comité de la
S. M. L., et le révérend Fletcher
indique le psaume : « Tous ceux qui
habitent sous les cieux... »
Aussitôt le service terminé, la
manoeuvre commença à bord du Camden.
Soutenues par une brise favorable, les voiles
s'enflèrent, et le navire commença le
long voyage. L'espace de quelques milles, le
« City » accompagna le voilier,
puis faisant demi-tour, il reprit le chemin de
Londres.
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