JOIES ET TRISTESSES - NAISSANCE D'UN BÉBÉ. - UN RÉVEIL A RAROTONGA. - NOUVEAU VOYAGE. - SÉPARÉ DU RESTE DU MONDE. - RETOUR DU NAVIRE. - À MANGAÏA : ARRIVÉE OPPORTUNE. - À RAÏATÉA. - SERVICE D'ADIEUX. - DÉPART POUR L'ANGLETERRE. - ARRIVÉE LE 12 JUIN 1834.
À peine de retour à Rarotonga,
John Williams se remet au travail. Travailler est
pour lui le délassement par excellence et le
meilleur des repos. Il reprend la révision
du Nouveau Testament en dialecte de Rarotonga.
C'est à cela que les missionnaires
s'occupaient lorsque l'île fut à
nouveau dévastée par un terrible
cyclone : les maisons reconstruites fuirent
détruites et les arbres furent
brisés. Il fallut se remettre au travail
manuel, laisser la plume pour les outils du
charpentier, élever à nouveau
temples, écoles, presbytères.
Au milieu de cette épreuve, les
Williams furent visités par une grande
joie : le bébé qu'ils
attendaient naquit. Le petit être se portait
bien et vécut. La tombe avait repris
dès la naissance ou quelques jours
après plusieurs de leurs enfants, aussi la
joie que ressentirent les parents fut immense.
Depuis qu'elle habitait Rarotonga, Mrs. Williams se
portait beaucoup
mieux ; de
plus elle avait eu les soins du Dr Stevens,
médecin du « Oldham »,
que John Williams avait ramené avec lui de
Savaii.
C'est à cette époque que les
chrétiens des différents villages de
Rarotonga se groupèrent en
fraternités. L'Esprit de Dieu agit de
façon manifeste parmi eux, et ils
décidèrent d'aller visiter les
indigènes de leurs villages respectifs qui
ne croyaient pas encore en Dieu. Ce fut l'occasion
d'un Réveil qui réjouit le coeur des
missionnaires. La Parole de Dieu se
répandait et plusieurs païens furent
gagnés à Christ. Par
l'activité même de leurs membres, ces
églises sorties du paganisme
s'accroissaient. Ne pourrait-on les proposer en
exemple à tant d'églises d'Europe
où un pasteur travaille, solitaire, au sein
d'un troupeau demi-somnolent ?
John Williams aurait aimé prolonger
son séjour et continuer ses travaux
missionnaires. Cependant, à cause de Mrs.
Williams, il comprenait qu'il ne serait pas prudent
de remettre encore une fois le retour en
Angleterre. Le départ fut donc
décidé, et le « Messager de
Paix » envoyé à Tahiti pour
être vendu si l'on en trouvait un prix
suffisant. En ce cas, les missionnaires
étaient priés de louer une
goélette, et d'envoyer chercher les Williams
en avril. La date fixée passa sans qu'aucune
voile fût signalée, et Williams
songeait déjà à la
possibilité d'avoir à construire un
autre bateau lorsqu'il apprit qu'un
Américain, alors à Rarotonga,
était prêt à lui vendre le
navire qu'il avait commencé et n'avait pu
achever. Williams le termina rapidement, puis
après de très pénibles adieux
- car les voyageurs s'étaient fort
attachés à Rarotonga, à ses
habitants, et aux familles Pitman et Buzacott - les
Williams s'embarquèrent à destination
de Tahiti.
Ceux qu'ils laissent sont aussi
plongés dans la tristesse. « Voici
vingt et un mois qu'ils étaient avec nous,
écrit M. Buzacott dans son journal. Ce fut
un vrai privilège ! » La
veille de leur départ des centaines
d'enfants, garçons et filles,
allèrent déposer leurs ardoises
(1) devant
John
Williams ; sur ces ardoises ils avaient
écrit une lettre où ils disaient leur
amour pour le missionnaire et sa famille. Voici
l'une de ces lettres :
« Serviteur de Dieu,
« Nous sommes dans la peine à
cause de toi, nos coeurs sont douloureux tant nous
souffrons parce que tu t'en vas dans ton pays
éloigné et nous craignons de ne
jamais te revoir.
« Laisse-nous John
(2) pendant
ton
absence ; alors nous espérerons te
revoir ; mais si tu emmènes John nous
n'aurons plus la force d'espérer. Mais
pourquoi pars-tu ? Tu n'es ni vieux ni
usé. Reste jusqu'à ce que tu ne puisses plus
travailler pour Dieu ; alors tu partiras en
ton pays... »
Lorsque les Williams arrivèrent
à Tahiti ils trouvèrent leurs
collègues très affectés et
attristés : de grandes quantités
d'alcool avaient été importées
dans l'île, et nombre d'indigènes
avaient succombé à la tentation. Une
Conférence fut convoquée où
l'on décida la fondation de
Sociétés de Tempérance, ce qui
semblait devoir aider les chrétiens
indigènes à tenir ferme. Les
missionnaires de retour dans leurs villages
respectifs s'occupèrent de la
création de ces Sociétés.
L'excellent chef de Papara : Tati, entra
aussitôt dans les projets de Mr. Davies et en
peu de temps la Société de
Tempérance du district atteignait trois cent
soixante membres. Les places vides au temple furent
occupées à nouveau, les écoles
régulièrement suivies, et
l'intérêt pour les choses religieuses
reprit le dessus. Les gens de Papara en eurent tant
de joie qu'ils décidèrent de
convoquer une grande réunion. Celle-ci eut
lieu : il y fut décidé qu'on
refuserai ! d'échanger quoi que ce soit
avec bateau ou navire qui débarquerait des
alcools à terre.
À Mooréa, Williams fit la
connaissance de Mr. Armitage que le Comité
de Londres avait envoyé en Polynésie
pour qu'il y enseignât l'art du tissage. Mais
Tahiti et Mooréa étaient souvent
visitées par les navires, et les
indigènes pouvaient facilement se procurer
les indiennes dont ils avaient besoin... Rarotonga,
au contraire, était isolée, et
Williams offrit a cet artisan de l'y transporter.
Celui-ci accepta.
Williams conduisit alors sa femme et ses
enfants à Houahiné, chez les
Barff ; et puis reprenant la mer, il partit
avec Mr. Armitage. Il voulait que son voyage
fût aussi utile que possible, et proposa de visiter
Atiou au passage,
ce qui
fut fait. La joie des indigènes fut
très grande. Malheureusement durant la nuit
le vent se leva, un vent violent qui obligea le
petit navire à fuir, car Atiou n'a pas de
port. Quand, au matin, Williams se rendit au bord
de la mer, il eut beau scruter l'horizon, il ne vit
rien : le bateau avait disparu. Ce qui le
consterna d'autant plus qu'aucun de ceux qui
étaient restés à bord
n'était capable de diriger le
navire !
Jour après jour, Williams montait sur
la colline qui dominait le rivage et scrutait
l'horizon, espérant découvrir une
voile ! Vaine attente ! Rien ne
paraissait en mer. Fallait-il construire une
embarcation et essayer de gagner Rarotonga ?
Après avoir envisagé cette question,
MM. Williams et Armitage décidèrent
d'attendre en travaillant parmi les
indigènes. Dieu qui connaissait leur
situation saurait bien les en tirer a son
heure.
C'est pendant ce séjour forcé
que Williams, au cours d'une promenade, apprit
l'existence de cavernes dans l'île. Il
entreprit de visiter l'une d'elles, la plus
grande :
« Takétaké ».
« Munis d'une quantité de roseaux
en guise de flambeaux, nous nous trouvâmes
devant plusieurs ouvertures majestueuses,
après avoir descendu six à sept
mètres dans une anfractuosité de
rocher. Nous pénétrâmes par
l'un de ces portiques et y fîmes un
kilomètre et demi à peu près.
D'autres couloirs s'ouvraient sur celui que nous
suivions : le sol, de formation coraline comme
la voûte, donnait l'impression d'une eau
légèrement ridée par le vent.
La voûte, faite d'un stratuni de corail blanc
de dix à quinze pieds d'épaisseur,
laissait filtrer des gouttelettes d'eau. Cette
voûte reposait sur des colonnes nombreuses et
massives ; des
stalactites
en descendaient, quelques-unes rejoignaient presque
le sol, d'où s'élevaient ici et
là quelques stalagmites : celles-ci peu
élevées et peu nombreuses. Les
concrétions affectaient les formes les plus
diverses : nos flambeaux les faisaient surgir
de la nuit pour quelques secondes. L'impression
produite était très puissante :
non pas tellement à cause de tel ou tel
objet ou groupe d'objets, mais surtout a cause de
la grandeur, de la profondeur, de
l'enchevêtrement de tout ce travail
souterrain. »
C'est également pendant ce
séjour que Williams prit part à une
pêche aux flambeaux. Les indigènes
désiraient prendre des poissons volants, et
ou ne peut capturer ceux-ci qu'une fois la nuit
tombée. Le soir venu, presque toute
l'île se transporta sur le rivage avec des
nattes pour y passer la nuit, pendant que les
hommes seraient en mer. Les
évangélistes demandèrent la
bénédiction de Dieu pour ceux qui
partaient. Les grandes pirogues doubles furent
alors descendues du rocher sur une sorte de large
échelle jusqu'à la mer : quelque
dix mètres au-dessous. Les pagayeurs
prêts, un flambeau fut allumé. Le chef
se mit à l'avant de la pirogue armé
d'un filet fixé au bout d'une perche et tenu
ouvert par une branche flexible. Il se mit à
frapper des pieds sur la caisse de la pirogue qui
était vide et résonnait comme un
tambour. Ce bruit, joint à celui des pagaies
frappant l'eau, effraye les poissons qui dorment
près du rivage, et les fait partir vers
l'Océan. La torche, en même temps
qu'elle montre au pêcheur sa proie,
éblouit celle-ci. La vue des
indigènes est perçante, et la
promptitude de leurs mouvements est
étonnante... Lorsque nous revînmes le
soir, ils nous donnèrent tout le produit de
leur pèche... »
Mr. Armitage, après avoir fait choix
d'un certain bois, s'était mis à
confectionner un métier. De mon
côté je m'occupais de la construction
d'une nouvelle école. Un soir que
j'étais ainsi occupé, un petit
garçon vint me dire qu'il avait vu, à
la tombée du jour, un point sur
l'Océan. Je dormis peu cette nuit-là.
Longtemps avant l'aube j'étais sur la
colline, et quand le soleil se leva
j'aperçus notre goélette. Avec quelle
joie ! il est facile de le comprendre. C'est
surtout à nos familles que nous
pensions ; une absence anormale les eût
jetées dans une grande angoisse. [Mr.
Armitage, pendant l'essai d'un an qu'il allait
tenter à Rarotonga, avait laissé sa
femme et ses dix enfants à
Mooréa.]
Quand je me rendis à bord du navire,
tout ce que je pus obtenir comme renseignement fut
ceci : la tempête avait chassé la
goélette pendant la nuit, et au matin ils ne
virent plus la terre. Après avoir
été poussés de ci de là
pendant plusieurs jours, un fort vent les avait
ramenés. À bord, l'un des veaux que
j'emportais pour mes frères de Rarotonga
mourut, ce fut la seule perte à
déplorer.
Sans tarder nous reprîmes la mer,
après avoir dit adieu aux gens d'Atiou qui
se lamentaient de notre
départ. »
Le 14 octobre les voyageurs arrivaient
à Rarotonga ! Quelle joie provoqua dans
l'île ce retour inespéré !
Les missionnaires, les chefs, le peuple, tous
entourent Williams et Mr. Armitage. Tous promettent
d'aimer celui-ci et de faciliter l'oeuvre qu'il se
propose d'accomplir. Presque aussitôt, John
Williams s'embarque à nouveau. Étant
si près, il veut visiter encore une fois les
églises d'Aïtoutaki et de Mangaïa
avant de rentrer en Angleterre. Pa, Tinomana, et
plusieurs
indigènes qui retournent en leurs pays,
s'embarquent avec lui. Les vents sont contraires,
le bateau très chargé n'avance que
difficilement. les provisions s'épuisent. Il
faut changer la direction et faire voile sur
Mangaïa, distante seulement de quelque
quatre-vingts milles. Le jour suivant nous
arrivions enfin ! À notre grand
étonnement, aucune pirogue ne se
détache du rivage ! Les
évangélistes se trompaient-ils de
jour, et prenaient-ils ce lundi pour un
dimanche ? Enfin une pirogue arriva portant un
seul indigène. Que se passait-il ?
J'appris qu'il n'y avait pas erreur, mais que
c'était jour de jeûne et de
prière à Mangaïa, où les
païens étaient sur le point de faire la
guerre aux chrétiens ; celle-ci devait
commencer dès le lendemain.
Lorsque les évangélistes
arrivèrent à leur tour, j'appris que
dans leur zèle, les indigènes
chrétiens avaient décidé de
faire le tour de l'île, s'engageant à
ramener chacun un converti. L'ayant appris et
imaginant que la chose ne pouvait se faire qu'en
recourant à la force, les païens
s'étaient armés... En apprenant ces
choses, je compris la raison des vents contraires
qui nous avaient obligés à venir
à Mangaïa d'abord, et je décidai
d'aller voir les chefs païens sans retard.
Accompagné par les trois chefs de Rarotonga,
nous descendîmes dans une pirogue,
traversâmes le récif sur la
crête d'une vague et débarquâmes
en un endroit inhabité de l'île.
Longtemps nous suivîmes la plage sous les
rayons brûlants d'un soleil de midi ;
puis gravissant une falaise de quelque quarante
mètres de hauteur, nous continuâmes
à marcher sur un plateau rocailleux et enfin
nous descendîmes dans une splendide
vallée aux pentes abruptes. Nous la
traversâmes, fîmes une nouvelle
ascension pour redescendre
à nouveau. Là, dans une autre
vallée, nous trouvâmes le premier chef
païen. Avant eu vent de notre arrivée,
il s'était préparé à
nous recevoir cérémonieusement.
C'était un jeune homme de belle
apparence, au teint clair et de grande taille comme
presque tous les chefs. Je lui présentai les
chefs de Rarotonga, puis je le priai de ne point
s'unir à ceux qui voulaient faire la guerre
aux chrétiens le lendemain. Il y consentit.
Alors j'essayai de lui parler de son âme, de
la joie qu'il aurait quand il aurait accepté
Christ. À tout ceci il me
répondait : « Réka
ké é té
taéaké ! »
[Excellent ! Je suis très content, mon
frère !]
Les chefs de Rarotonga dirent alors les
heureux changements survenus en leur pays :
oppression, terreur, guerre, esclavage :
choses du passé ! Maintenant ils
jouissaient d'une paix, d'une
sécurité, d'un bonheur jamais connus
au temps du paganisme. Achevant son discours, l'un
de mes amis s'avança et saisissant le chef
païen lui dit avec feu :
« Lève-toi, mon frère,
déchire de dessus tes épaules le
manteau de Satan, deviens un homme de
Dieu ! » Je crois que si j'ai jamais
ressenti le frisson spécial qui parcourt
l'être tout entier à l'ouïe de ce
qu'on nomme « le sublime », ce
fut à ce moment-là. La dignité
de l'action sans aucune affectation, la noblesse du
sentiment, la manière énergique et
persuasive tout à la fois de l'orateur,
produisirent en moi des sentiments que je ne puis
décrire.
Cependant sur le chef lui-même il ne
semblait pas que les paroles dites eussent eu
beaucoup de prise. Dans sa réponse,
après nous avoir remerciés de notre
visite et de l'honneur qui lui était fait,
il ajouta : « Voyez mes
frères les chefs ; nous sommes
liés ensemble par
serment ; aucun de nous ne peut agir qu'avec
le consentement de tous les
autres... »
Nous désirions voir le principal chef
ce même jour ; et traversant trois
autres vallées nous arrivâmes enfin
épuisés et haletants chez Maunganoui.
Averti de notre venue, ce chef avait mis ses atours
païens, et, se plaçant derrière
sa maison, il me fit signe dès
l'arrivée de m'avancer vers lui, moi seul.
Je le fis. « Ami, me demanda-t-il, as-tu
des pioches ? - Je lui dis que oui. - M'en
as-tu apportées ? » Et comme
je lui répondais que non, il me demanda si
les chrétiens m'en avaient
empêché ? Je dis alors que
j'étais venu pour une affaire bien plus
importante qu'une question d'outils. Je le priai de
bien vouloir m'entendre sans retard. Nous nous
assîmes à la tailleur sur une grande
natte où l'on nous apporta des
rafraîchissements sous forme de noix de coco,
ce qui nous sembla délicieux. Après
avoir exprimé ma tristesse du fait que le
chef restait attaché au paganisme je dis le
but de ma visite : empêcher que la
guerre n'éclatât.
Matinganoui me répondit qu'il
était très heureux de ma
visite ; vraiment celle-ci était des
plus opportunes. Quant aux affaires auxquelles je
faisais allusion, voici ce qui en était. On
l'avait averti que les chrétiens allaient
venir le prendre par surprise et faire de lui un
chrétien par force. Il refusait cette
éventualité. C'est pourquoi il se
préparait à la guerre. Mais puisque
je lui disais de ne pas combattre, il ne le ferait
pas.
J'essayai alors de le convaincre de se
laisser au moins instruire des
vérités de l'Évangile.
À quoi il me répondit être
prêt, si je voulais le faire roi ; car,
ajouta-t-il, « c'est à mon
père qu'appartenait autrefois l'autorité
suprême... ». Je lui dis n'avoir
pas qualité pour m'occuper de ce genre
d'affaires ; et s'il ne voulait se faire
instruire qu'à cette condition il lui
faudrait vivre et mourir en païen. Mes
compagnons lui parlèrent à leur tour
avec amour et fidélité, sans
l'influencer, cri apparence du moins.
Un repas qui nous parut succulent fut alors
servi sur des feuilles fraîches en guise de
nappe : un porc, des ignames, du taro et une
demi-noix de coco remplie d'eau de mer devant
chaque convive. [À Mangaïa cette eau
remplace la moutarde, le sel et la sauce.]
Le repas terminé je tins une
réunion expliquant un passage des
Écritures à mon auditoire païen,
et je terminai par la prière. Je fus suivi
avec la plus grande attention. Puis jusqu'à
minuit nous répondîmes aux questions
posées, insistant auprès des
indigènes pour qu'ils reçussent la
vérité. La femme du chef est
très sympathique : elle nous dit que
depuis longtemps elle désirait abandonner le
paganisme et se joindre aux chrétiens :
elle avait honte de sa tenue, honte de son
ignorance alors que d'autres femmes savaient lire
et chanter, honte de l'ignorance de ses enfants
surtout, en pensant à tout ce qu'apprenaient
les enfants des chrétiens. Aussi
demandait-elle à son mari de laisser aller
les enfants auprès des
évangélistes s'il se refusait
à la laisser partir
elle-même !
Absolument épuisés et tombant
de sommeil, nous étendîmes enfin nos
nattes sur un sol recouvert d'herbe sèche,
et j'y aurais joui d'un excellent repos si le chef
n'avait pas mis sa natte si près de la
mienne qu'à plusieurs reprises au cours de
la nuit je m'étais réveillé
avant la figure et la tète couvertes des
longs cheveux de mon voisin ; ce qui
n'était pas seulement gênant, mais
comportait certains dangers. Au petit jour nous
étions
debout, et prenions congé du chef et de ses
sens après un court service :
méditation et prière. Nous avions la
satisfaction d'avoir cru pêché une
guerre et d'avoir annoncé l'Évangile
mais notre prédication n'eut pas d'autres
résultats apparents. Ailleurs, nous
eûmes plus de succès : au village
suivant un vieillard, un chef, et son frère,
sachant que nous venions les voir, avaient
préparé un repas : mais surtout
ils avaient décidé de nous
accompagner chez les évangélistes et
de se faire chrétiens.
Je venais à peine de m'asseoir
confortablement lorsque le vieux chef, posant sa
tête sur mon genou, dit
« Commence ! »
- Commence quoi ? lui demandai-je.
- Coupe mes cheveux !
(3) »
Je lui dis n'avoir point de ciseaux sur moi
et n'être pas très adroit ; mais
au village nous trouverions tout ce qu'il fallait
pour cette opération. Le repas
terminé, nous partîmes
ensemble... »
John Williams visite successivement les
autres chefs. L'un d'eux, dont l'autorité
s'étend sur un vaste district, lui
présente sept autres chefs. À tous,
Williams explique l'objet de sa visite.
Après s'être consultés,
ils dirent au missionnaire qu'ils aimeraient que
tous les païens se fissent ensemble
chrétiens. Si cela ne pouvait se faire ils
déliaient en tout cas de tout serment ceux
qui voulaient passer au christianisme.
« Nous, chefs présents, nous
autorisons nos gens à se faire
chrétiens s'ils le
désirent. » Quelques personnes se
levèrent aussitôt disant vouloir
quitter le paganisme...
Le soir, fatigué, soutenu à
droite et à gauche par deux indigènes
qui l'aident dans des sentiers à pic,
argileux et glissants, détrempés par
la pluie et où il fait plusieurs chutes,
John Williams, ses compagnons, une dizaine de
familles encore païennes, arrivaient au
village missionnaire où les attendait une
réunion de quelque seize cents personnes,
dont plusieurs ignoraient encore
l'Évangile.
« J'ôtai toute la boue que
je pus enlever de mes vêtements, je mis mes
chaussettes à l'envers, je lavai mes
chaussures et me hâtai vers le temple
où j'exhortai l'assemblée et
prêchai Christ...
« Le vent était maintenant
favorable et comme d'ailleurs il n'y avait pas de
bon mouillage pour notre petit navire il
m'était impossible de passer le dimanche
Dans l'île comme les chefs l'auraient voulu.
À chacun d'eux j'envoyai une hache, une
paire de ciseaux et quelques mètres de
rubans pour leurs femmes et leurs filles, leur
faisant savoir en même temps que
j'étais obligé de partir. Mais leur
réunion plénière pouvait avoir
lieu avec les évangélistes qui
travaillaient depuis de longues années au
milieu d'eux... »
Cette réunion eut lieu, la ligue des
païens fut dissoute d'un commun accord et
chacun fut laissé libre de chercher
l'instruction chrétienne s'il le jugeait
bon. Presque tous les habitants usèrent de
cette liberté.
Ainsi, après dix ans de patients
travaux, l'île de Mangaïa - presque en
sa totalité - passait au
christianisme... »
À son retour des Îles Cook,
Williams se mit à préparer
sérieusement son départ pour
l'Angleterre. Mais ce sont des préparatifs
où son coeur n'était pas. À plusieurs reprises, il
se
demande si Dieu ne l'appelle pas à demeurer
encore quelque temps ? Il veut revoir
Raïatéa, la terre de ses premiers
travaux missionnaires, et il s'y rend. Que de
souvenirs l'y assaillent ! Sa maison est en
ruines, le jardin où il a joué avec
ses enfants disparaît sous les mauvaises
herbes, la barrière est tombée. Il y
a aussi des ruines dans l'Eglise :
chrétiens à la foi chancelante qui
n'ont pas tenu ferme devant la tentation ou dans
l'épreuve, d'autres ont laissé
s'éteindre en leurs coeurs le premier amour
et sont devenus des tièdes. Même pour
tous ceux-là John Williams est toujours John
Williams et ils saluent en lui un père. Les
années de déclin n'ont pas fait
oublier l'instruction reçue sur les bancs de
l'école, les fêtes, les concours
organisés entre écoliers, le temps du
catéchisme, l'heure de la réception
dans l'Eglise. À toutes leurs joies,
à toutes leurs tristesses, à tous
leurs travaux, le nom de John Williams n'est-il pas
associé ? La maison, la plantation, le
petit côtre, les arbres fruitiers introduits
dans l'île, tout cela c'est lui ! Et
même pour ceux qui se sont
égarés, il reste quand même un
père !
Peu après son arrivée à
Raïatéa, il est convoqué
à une grande réunion à la
maison commune. À son extrême
étonnement, l'orateur du roi s'adressant
à lui explique qu'après
délibération, le roi et les chefs le
prient de renoncer à son voyage en
Angleterre. Plusieurs discours suivirent. Enfin, un
chef, s'adressant directement au missionnaire, lui
dit avec gravité : "Mrs. Williams, j'ai
lu aujourd'hui ce que saint Paul dit aux
Philippiens : « Je suis
pressé des deux côtés, mon
désir étant de partir de ce monde et
d'être avec Christ, mais il est plus
nécessaire pour vous que je demeure dans ce
corps »
(I :
23-24).
« Nous savons que tu
désires revoir tes parents et ton pays.
C'est très raisonnable ! Mais ne
penses-tu pas que si l'apôtre Paul
était prêt à renoncer au ciel
pour faire du bien ici-bas aux chrétiens,
à combien plus forte raison dois-tu renoncer
au plaisir de voir l'Angleterre et ta famille pour
nous faire du bien à
nous ? »
Ce touchant appel va au coeur de Williams.
Il promet de consulter sa femme au sujet d'une
prolongation et si celle-ci est impossible il
demandera à ses collègues de
désigner un missionnaire pour
Raïatéa.
Aussitôt un autre orateur se
lève et dit : « Aurions-nous
dix mille maîtres en Christ, nous n'avons pas
plusieurs pères, et c'est toi qui, en
Jésus-Christ, nous a enfantés
à l'Évangile. »
Toutes ces marques d'attachement, cette
insistance pour qu'il prolonge son séjour,
l'affection des églises, son amour pour
elles, tout ceci émeut profondément
John Williams. À ce point, qu'il examine
à nouveau sa décision de
départ : est-elle bien selon
Dieu ? En partant, demeure-t-il dans la
volonté de Dieu ? Si aucune occasion de
départ pour l'Angleterre ne se
présente dans un court laps de temps qu'il
détermine, il y verra une indication
à rester.
Le délai fixé par Williams
n'était pas révolu que le
« Sir Andrew Hammond », un
baleinier, touchait à Tahiti. Certes ce
genre de bateau était loin d'être
aménagé pour des passagers !
Mais un navire allant directement de Tahiti en
Angleterre, c'était quelque chose de si
rare, que John Williams s'empressa d'aller voir le
Capitaine et d'arrêter le passage à
son bord pour lui et sa famille. D'ailleurs
l'état de santé de Mrs. Williams
laissait fort à désirer depuis
qu'elle avait quitté Rarotonga, et il
était manifeste que, pour elle en tout cas,
mi prompt départ s'imposait.
Le dimanche, Williams prêcha devant un
immense auditoire. Se sentant fatigué, il
demanda à l'un des frères de faire la
prière avant le service de communion qui
suivait le culte. Cette prière le frappa par
la beauté des expressions et par la
piété qu'elle manifestait, et, le
service terminé, il l'écrivit. John
Williams la publie dans son livre : A
Narrative of Missionary Enterprises, p. 520,
où il est donné des exemples de
l'éloquence des Tahitiens :
« O Dieu... nous te
bénissons pour ta bonté à
notre endroit et maintenant que nous entourons
cette table de communion, sois avec nous. Pendant
que nos yeux voient le pain brisé, que les
yeux du coeur voient le Seigneur brisé sur
la croix, pour nous ; et tandis qu'on versera
le vin, puissions-nous entendre en nos coeurs la
voix du Seigneur Jésus dire :
« Cette coupe est la nouvelle alliance en
mon sang, répandu pour la rémission
des péchés. Qu'aucun de nous ne mange
ni ne boive sa condamnation. Garde-nous Seigneur de
prendre des clous pour t'attacher à nouveau
à la croix. Tu as été mis
à mort une fois pour nous, que cela
suffise ! Ne prenons pas l'épée
du péché pour percer à nouveau
ton côté, te crucifiant derechef et
t'exposant à l'ignominie ! Qu'en
partageant ce festin sacré nos coeurs soient
réchauffés, que notre amour pour toi
grandisse, que notre foi
s'accroisse... »
Puis, après quelques requêtes
pour l'Eglise, pour nous qui nous embarquions le
lendemain matin il ajouta :
« O Dieu ! parle de tes
serviteurs aux vents, afin qu'ils ne soufflent pas
en tempête ; ordonne à
l'Océan qu'il ne les engloutisse pas,
conduis-les sûrement dans leur lointain pays,
donne-leur un joyeux revoir avec leurs
parents ; puis ramène-les parmi nous.
Mais devions-nous ne jamais nous retrouver
autour de la table sainte ici-bas, puissions-nous
tous ensemble Là-Haut, entourer un jour ton
trône glorieux... »
Le lendemain, accompagnée
jusqu'à bord par les collègues, la
famille Williams s'embarquait. Aussitôt, le
navire sortait du port et prenait sa course vers le
Sud-Est, Le Cap Horn - dont le seul nom est un
sujet d'effroi pour les marins, à cause des
épais brouillards, du froid terrible, des
tempêtes violentes, et des montagnes de glace
qui flottent en ces parages - fut doublé, et
le « Sir Andrew Hammond » prit
la direction Nord-Est.
Le voyage faisait le plus grand bien
à Mrs. Williams. Quant à John
Williams, il profitait des loisirs de cette longue
traversée pour réviser à
nouveau le Nouveau Testament en dialecte de
Rarotonga et préparer d'autres travaux pour
les archipels polynésiens, travaux qu'il
espérait faire imprimer pendant son
séjour en Angleterre.
Le 12 juin 1834, après une absence de
près de dix-huit ans, les Williams
revoyaient enfin les blanches falaises des
côtes anglaises. Leurs coeurs sont
émus, mais ils sont aussi remplis de
reconnaissance pour Celui qui les a gardés
jusqu'à ce jour, et qui permet maintenant ce
retour au pays natal.
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