QUINZE JOURS AUX ÎLES SAMOA. - UNE FEMME ÉVANGÉLISTE. - RÉCONCILIATION DE MALIÉTOA ET DE MATÉTAOU. - TRISTESSE DES ADIEUX. - EN DANGER SUR MER. - J. WILLIAMS RETROUVE POUNA V., LA VEUVE DE L'ÉVANGÉLISTE DE ROUROUTOU, ET SES ENFANTS. RETOUR
POUR quiconque ne connaît pas le
Pacifique, les immenses distances séparant
les archipels les une des autres, et à
l'époque, le manque total de communication
il est difficile de comprendre ce que fut
l'héroïsme des missionnaires
bronzés laissés par Williams aux
Samoa. Parfois un navire passait au large, parfois
une embarcation accostait pour un ravitaillement en
bois ou en eau, mais des mois et des mois pouvaient
s'écouler sans aucune communication avec le
reste du monde. De fait, Williams ignorait l'oeuvre
accomplie aux Samoa par ceux qu'il y avait
laissés dix-huit mois auparavant !
Quelle solitude pour ces chrétiens
indigènes séparés de leur
petite patrie, de leurs familles, de tout secours
religieux, et chez un peuple païen, eux des
païens si peu de temps auparavant !
Seuls, ils avaient traversé les heures de
maladie, d'affliction ! Seuls ils avaient
pleuré et lutté alors que les
guerriers vainqueurs - mais
ivres de haine - assouvissaient leur vengeance sur
des prisonniers, même sur des vieillards, des
malades, des femmes et des enfants ! Seuls ils
avaient tremblé et prié alors que les
rumeurs de guerre sans cesse renaissantes faisaient
craindre que celle-ci n'éclatât
à Malava ! Que de veilles, que d'heures
douloureuses ! Et que dire de la longue
attente de ces évangélistes
espérant de jour en jour la venue de John
Williams une fois révolue l'année de
son absence ! Il avait dit :
« Avant un an je
reviendrai ! » Or dix-huit mois
s'étaient écoulés ! Et
les païens se moquaient : Qui
était ce Williams ? un aventurier,
disaient-ils. Et eux les esclaves de
Jésus-Christ qu'on avait déjà
accusés d'être la cause de
l'épidémie, ils étaient
maintenant traités d'imposteurs et de
menteurs !
Mais les missionnaires étaient enfin
venus ! Que de choses à leur dire ou
à leur demander ! Que de conseils ou
voulait recevoir d'eux ! Il y avait aussi des
décisions à prendre pour lesquelles
on voulait l'avis de Williams. Ainsi, plusieurs
chefs demandaient des évangélistes
pour leurs villages. Fallait-il continuer de
refuser ces invitations et se contenter de voyages,
d'évangélisation ici et là,
pour revenir à la base ?
John Williams le leur conseilla. Mieux
valait rester ensemble. Mais comme la navigation
aux Samoa est dangereuse, ils feraient bien de se
construire une bonne embarcation. « Les
évangélistes s'étaient
initiés à ce genre de travail, et
comme Te-ava avait apporté un soufflet de
forge il leur serait facile de préparer les
pièces de métal dont ils auraient
besoin. Je leur promis le fer et une scie. En
quelques semaines ils pourraient achever ce
travail. »
Une autre question pendante était celle
du temple à élever : fallait-il
adopter le genre de construction des Samoa
où les cases ont une forme presque ronde,
plutôt que le genre des cases tahitiennes qui
sont de forme ovale ? J'optai pour la forme
particulière aux Samoa comme plus pratique,
et parce que les indigènes pourraient
construire eux-mêmes. Autrement tout le
travail retomberait sur les
évangélistes ; mais je
conseillai à ceux-ci de plâtrer les
murs, de fixer portes et fenêtres, de
recouvrir le sol de très bonnes
nattes ; bref, de montrer par là aux
indigènes qu'il faut pour le lieu de culte
ce qu'il y a de meilleur.
Les évangélistes me
demandèrent aussi quels conseils ils
devaient donner aux chefs qui s'étaient
convertis au sujet des divertissements et des
coutumes populaires ? Les chefs devaient-ils
intervenir ou non ? - Je leur répondis
que, pour moi, le devoir des chrétiens
détenant quelque autorité
c'était d'interdire toute pratique, tous
amusements obscènes et de nature
dégradante. Quant aux passe-temps favoris
des Samoans : combats, petite guerre,
exercices de boxe, concours d'adresse à la
lance, au harpon, chasse aux pigeons et autres
amusements qui n'offensent pas la morale, je
pensais qu'il n'y avait pas lieu d'intervenir.
D'eux-mêmes les chrétiens vraiment
convertis laisseraient tomber ce qui leur
paraîtrait incompatible avec le service de
Dieu... »
Les semaines passées à Savaii
furent un temps de labeur intense pour les
missionnaires. Accompagné de quelques-uns
des évangélistes, John Williams
parcourt l'île en tous sens ; il va
jusqu'au fond de profondes vallées par des
sentiers qui suivent le cours des ruisseaux. Il
admire la
beauté de certains sites et leur
végétation luxuriante ; mais son
coeur déborde surtout de joie et d'adoration
quand il constate les progrès immenses de
l'Évangile. Partout on reçoit le
missionnaire avec joie ; même les chefs
qui n'ont pas encore embrassé le lotou sont
heureux de sa visite, et lui font un
présent.
À Amoa, village dirigé par
deux jeunes chefs (1), tous deux
chrétiens, un
temple est déjà élevé
qui peut contenir quatre cents personnes.
Après le service, un présent de
vivres fut apporté, et les jeunes chefs
dirent qu'ils seraient déjà
allés voir Wiriamou à Sapapalii,
s'ils n'avaient pas appris sa venue.
Un grand nombre de questions furent alors
posées au missionnaire, questions de toutes
natures sur les sujets les plus divers. À
toutes il répondait de son mieux. C'est
ainsi qu'il était occupé lorsque son
attention fut attirée par l'arrivée
d'une longue file de femmes marchant l'une
derrière l'autre, toutes portant quelque
chose. Elles étaient
précédées par quatre hommes,
chacun d'eux portait sur ses épaules un porc
cuit. Chaque femme déposait son
présent et passait ; bientôt une
pile de légumes divers : noix de coco,
maïorés, ignames, nous déroba la
vue de ce qui se passait, bien que nous ne fussions
pas de petite taille, Makéa et moi.
J'enlevai quelques-uns des paquets de vivres
apportés pour voir les arrivantes et
j'aperçus une cheffesse et sa fille assises
à côté des deux chefs. La
mère demandait à l'un d'eux
d'être son porte-parole.
« Dans son village, seules les
femmes étaient passées au
christianisme, disait maintenant l'orateur ;
aussi n'osaient-elles pas espérer ma visite.
Mais apprenant que je venais à Amoa, elles
avaient voulu présenter leurs hommages
à celui qui avait apporté la Parole de
Jéhovah. Elles s'excusaient de ne pas offrir
de présent plus important ; mais aucun
des hommes, leurs maris, n'étaient devenus
« fils de la Parole ».
Toutefois elles espéraient que j'accepterais
cette marque de gratitude envers celui qui avait
apporté la connaissance du
Salut. »
Avant de répondre je demandai aux
évangélistes s'ils connaissaient
cette femme et ses compagnes ? Ils
m'assurèrent qu'ils la connaissaient bien.
Elle demeurait à deux lieues d'Amoa, et
était venue passer un mois près des
évangélistes pour se faire
instruire ; puis elle était
retournée dans son village pour
évangéliser son peuple. Quand son
stock de connaissances avait été
épuisé elle était revenue
étudier à nouveau, puis était
retournée chez elle. C'est elle qui
célèbre le service du dimanche pour
les femmes qu'elle a amenées à
Christ...
Extrêmement intéressé je
dis à cette chrétienne ma grande joie
de tout ce que j'apprenais. Puis j'exhortai imites
ces soeurs en Christ à user de
circonspection dans leur conduite, à
être sans reproche, d'avoir une conversation
chaste, afin de gagner leurs maris par une vie
exemplaire et toute à la gloire de Dieu.
À mon tour j'offris un présent aussi
beau qu'il était en mon pouvoir de le
faire... L'apparence de ces femmes était
bizarre. Celles qui avaient un certain rang
portaient une petite natte rouge autour des reins,
natte qui n'atteignait pas les genoux, tout le haut
du corps était abondamment enduit d'une
huile parfumée avec diverses plantes ou
fleurs, et il était teint en rouge. Au cou
et aux bras des perles bleues. Les filles de chefs
portaient la natte blanche autour des reins. Les
femmes d'un rang inférieur n'avaient qu'une
ceinture de feuilles fraîches, et des
colliers de fleurs au cou et dans apporté la
Parole de
Jéhovah. Elles s'excusaient de ne pas offrir
de présent plus important ; mais aucun
des hommes, leurs maris, n'étaient devenus
« fils de la Parole ».
Toutefois elles espéraient que j'accepterais
cette marque de gratitude envers celui qui avait
apporté la connaissance du
Salut. »
Avant de répondre je demandai aux
évangélistes s'ils connaissaient
cette femme et ses compagnes ? Ils
m'assurèrent qu'ils la connaissaient bien.
Elle demeurait à deux lieues d'Amoa, et
était venue passer un mois près des
évangélistes pour se faire
instruire ; puis elle était
retournée dans son village pour
évangéliser son peuple. Quand son
stock de connaissances avait été
épuisé elle était revenue
étudier à nouveau, puis était
retournée chez elle. C'est elle qui
célèbre le service du dimanche pour
les femmes qu'elle a amenées à
Christ...
Extrêmement intéressé je
dis à cette chrétienne ma grande joie
de tout ce que j'apprenais. Puis j'exhortai imites
ces soeurs en Christ à user de
circonspection dans leur conduite, à
être sans reproche, d'avoir une conversation
chaste, afin de gagner leurs maris par une vie
exemplaire et toute à la gloire de Dieu.
À mon tour j'offris un présent aussi
beau qu'il était en mon pouvoir de le
faire... L'apparence de ces femmes était
bizarre. Celles qui avaient un certain rang
portaient une petite natte rouge autour des reins,
natte qui n'atteignait pas les genoux, tout le haut
du corps était abondamment enduit d'une
huile parfumée avec diverses plantes ou
fleurs, et il était teint en rouge. Au cou
et aux bras des perles bleues. Les filles de chefs
portaient la natte blanche autour des reins. Les
femmes d'un rang inférieur n'avaient qu'une
ceinture de feuilles fraîches, et des
colliers de fleurs au cou et dans les cheveux au
lieu de
perles,
ou bien, une ou deux perles bleues seulement. Je
fus frappé du maintien modeste de ces
indigènes.
... J'allais aussi voir Tangaloa. Il est
grand : âge moyen, apparence calme. Il
porte une chemise blanche et a une natte
très finement tressée autour des
reins en guise de pantalon. Il me donna une
poignée de mains, au lieu de frictionner
énergiquement son nez au mien. Les
évangélistes me dirent que sa
conversion au christianisme était
basée sur une conviction personnelle
profonde, et qu'il avait maintenu courageusement sa
profession de foi malgré les menaces des
autres chefs du district. Ces explications
m'étaient données en l'absence du
chef qui était sorti après m'avoir
salué. Peu après il rentrait, suivi
d'une centaine d'hommes et de femmes : les
premiers apportaient des pores et des
légumes, les autres des pièces de
tissus.
Puis s'asseyant, il dit :
« Je suis extrêmement honoré
par la visite d'un si grand chef, un chef de la
religion. Je suis maintenant un adorateur de
Jéhovah. Mon coeur, mes pensées sont
tout entiers à la Bonne Parole ; mon
ardent désir c'est qu'elle s'étende
rapidement en ce pays et qu'il n'y demeure pas un
Faka-Devolo (fils du diable). » Puis il
me présenta les vivres apportés me
priant de les accepter.
Je le remerciai et lui dis combien il
m'était doux de lui entendre exprimer ses
sentiments chrétiens. Quant aux vivres je
n'en prendrais qu'une partie ; j'acceptai
aussi trois ou quatre pièces de tissu pour
les porter aux amis d'Angleterre. Mais je le priai
de bien vouloir garder le reste. Malgré mon
insistance, il refusa absolument de rien garder. Je
fis donc porter les vivres sur le
« Messager », et j'offris
quelques rouleaux d'étoffe à
Makéa.
Notre visite n'était pas
achevée qu'une délégation d'un
autre village : des indigènes et leur
chef, survinrent pour me demander un missionnaire.
Presque en même temps qu'eux, deux autres
messagers arrivaient avec une demande identique et,
de plus, réclamaient ma visite. Certes
j'étais rempli de joie en constatant que des
portes s'ouvraient de tous côtés
à l'Évangile. Mais si l'esprit est
prompt, la chair est faible ; j'étais
à bout de forces, et il m'était
impossible d'accepter toutes ces invitations.
D'ailleurs un service était annoncé
à Malava. Je refusai donc de suivre les
messagers... Le temple est fort bien construit et
peut contenir cinq cents personnes... Il
était bien près de dix heures quand,
le culte terminé, nous prîmes le
chemin du retour. J'étais presque insensible
à la fatigue, tant la joie remplissait mon
coeur !
Tandis que nous cheminions, les
évangélistes m'entretinrent à
nouveau des relations difficiles existant entre
Maliétoa et Matétaou, le chef de
Manono. Quelques éléments de discorde
avaient surgi entre eux depuis quelques mois
déjà ; une guerre était
à craindre et les évangélistes
désiraient que j'essaye d'amener les deux
partis à une sérieuse
réconciliation. J'avais envoyé le
« Messager de Paix » à
Matétaou, le priant de venir rencontrer
Maliétoa à Sapapalii, supposant qu'il
accepterait plus facilement de venir sur un navire
anglais mis à sa disposition. Or, le bateau
était revenu sans lui, et Maliétoa
s'était mis en grande colère.
Comme je me préparais à
transporter Te-ava et sa femme à Manono je
dis alors au roi que je serais heureux qu'il
m'accompagnât ainsi que son frère
Tuïano et quelques-uns des
évangélistes. Tout d'abord il refusa
énergiquement mon invitation :
« Je n'irai pas. Tu lui as envoyé
ton navire. Mais il est trop orgueilleux, trop insolent
pour venir
jusqu'à nous. Pourquoi irais-je vers
lui ? »
- Et s'il ne se comporte pas en
chrétien, cela doit-il t'influencer, toi un
« fils de la Parole », dois-tu
l'imiter ? C'est un privilège et cela
plaît à Dieu qu'on fasse le premier
pas pour maintenir la paix. »
À ceci Maliétoa me
répondit aussitôt :
« Eh bien j'irai à Manono avec toi
demain. »
J'étais très heureux d'avoir
réussi auprès de Maliétoa,
espérant beaucoup de l'entrevue prochaine,
et je me préparais à m'étendre
sur ma natte, me sentant très las, quand
survint un jeune chef, proche parent et conseiller
de Maliétoa. Celui-ci n'entreprenait rien
sans consulter Riromaïava tant il estimait son
intelligence et sa maturité de
pensée.
En entrant, le jeune chef me salua en
anglais et me dit : « Comment
allez-vous, Monsieur ? » Je lui
répondis aussi en anglais et à mon
tour je m'enquis de son état.
- Oh ! moi, très bien, dit-il.
Moi, très heureux de vous voir. Moi, ne vous
ai pas vu avant. Moi, faisais la guerre dans la
montagne. Beaucoup de guerre ; trop de guerre.
Moi entendre dire que chef blanc apportait la Bonne
Parole de Jéhovah. Moi désirais
beaucoup vous voir. Mon coeur dit : Comment
allez-vous ? Mon coeur désirait te
voir. Moi chrétien... Moi veux
connaître et aimer la Parole de
Dieu. »
Comme il voulait apprendre la Parole de
Dieu, je lui demandai s'il savait lire ? -
« J'ai souvent essayé, me
répondit-il ; mais mon coeur est trop
insensé et je n'ai pas
réussi. »
Je l'encourageai à
persévérer lui disant que la lecture
avait de tels avantages qu'aucun labeur pour
apprendre à lire ne devait être
considéré comme trop grand. La conversation se
prolongea encore quelque temps. Il me promit qu'il
se mettrait à nouveau à apprendre,
puis me questionna sur l'Angleterre, les usages,
les principes du christianisme et plusieurs autres
sujets. En l'entendant, je fus convaincu qu'il
méritait la réputation dont il
jouissait. S'apercevant de ma grande fatigue, il se
leva, m'invitant à prendre chez lui le repas
du matin, ce que j'acceptai. En se retirant il me
demanda avec beaucoup d'insistance de m'installer
aux Samoa et d'y amener Mrs. Williams et mes fils,
car, dit-il, son grand désir était de
devenir polo (très sage), et il n'avait
jamais encore rencontré quelqu'un qui
pût lui communiquer toute la sagesse
enviable.
Le lendemain, au cours du repas, il me donna
d'horribles détails sur les cruautés
perpétrées pendant la dernière
guerre, puis il ajouta avec un air
douloureux : « Oh ! mes
compatriotes les gens de Samoa sont très
stupides et plus méchants que tu ne peux
penser ! Ce sont des fous : ils tuent les
hommes et ils combattent les arbres. Les
maïoré et les cocotiers ne
déclarent pas la guerre cependant !
Ah ! les gens de Samoa sont remplis de
méchanceté. » Ensuite il me
demanda si les miens n'avaient pas pleuré
à mon départ et ne souffraient pas de
mon absence, je lui répondis que si. Mais
autant que moi Mrs. Williams désirait que
les païens parvinssent à la
connaissance de Jésus-Christ et du salut.
C'est pourquoi elle acceptait la séparation.
Les larmes aux yeux, il me répondit :
« Ah ! nous très tristes pour
tes parents ! Combien ils ont dû verser
de larmes, durant toutes les lunes
écoulées, depuis que tu les as
quittés ! » Après un
échange de présents, et la promesse
de le voir aussi souvent que je le pourrais, je
pris congé de lui. Entre
temps il m'avait dit que son patrimoine
était à Oupoloti, que c'était
un splendide domaine ; mais vaincu à la
guerre, il avait dû chercher un refuge
près de son parent : Maliétoa.
Il espérait cependant rentrer en possession
de ses biens, et avoir alors un missionnaire qui
l'instruirait
(2).
Ce même jour, nous nous embarquions
à destination de Manono et d'Oupolou :
Maliétoa, Touaïno, Riromaïava,
plusieurs autres chefs, leurs femmes, deux
évangélistes nous accompagnaient. Au
moment du départ les indigènes nous
montrèrent un grand attachement, faisant la
haie sur le passage et embrassant ma main droite,
me suppliant de revenir bientôt... Un vent
défavorable nous empêcha d'atteindre
Manono avant le lendemain, et ce fut pour moi
l'occasion de découvrir que Maliétoa
observait encore certaines coutumes païennes.
Ainsi, bien qu'il plut beaucoup pendant la nuit, il
refusa de quitter le pont. « C'est parce
que sa présence rend un endroit
sacré », dirent ses amis. J'appris
aussi qu'aucune femme ne devait toucher la
nourriture qu'on lui présentait ou qui lui
avait été apportée. Comme je
m'étonnais de ces pratiques, les
indigènes me répondirent qu'il n'y
avait pas là superstition, mais simple
marque de déférence vis-à-vis
du roi ou des principaux chefs...
Arrivé à Manono, je me
hâtai de descendre et je réussis
à convaincre Matétaou de
m'accompagner a bord du
« Messager ». Après
l'avoir introduit auprès de Maliétoa,
je dis combien j'avais désiré ce
tête-à-tête afin qu'ils se
réconciliassent. Je souhaitais qu'il y
eût entre eux des liens
d'amitié véritable. Tous deux
occupaient une situation importante ; tous
deux avaient des évangélistes
auprès d'eux. Si une querelle quelconque
éclatait entre eux, la chose serait
désastreuse pour la cause du Christianisme
aux Samoa. Je les laissai alors pour ne revenir
qu'une heure après.
Quand je les retrouvai, ils me dirent :
« Maintenant, nous deux, nous n'avons
plus qu'un seul coeur. À l'avenir, nous ne
serons qu'un pour empêcher la guerre et
propager le « lotou ». Quelle
joie pour moi d'assister à la
réconciliation de ces deux puissant ;
chefs !... Je remis alors solennellement
l'évangéliste Te-ava et sa femme sous
la protection de Matétaou. Celui-ci ordonna
le transport de leur petit bagage dans sa propre
pirogue. Puis après nous être
agenouillés sur le pont et les avoir
recommandés à Dieu ils descendirent
à leur tour dans la pirogue du chef qui les
conduisit à terre...
Après avoir ramené
Maliétoa et les gens de sa suite a
Sapapalii, je partis visiter d'autres districts de
Savaii et d'Oupolou. Je désirais aussi
trouver un bon mouillage où jeter l'ancre,
pour ravitailler le navire en bois, en eau potable
etc., en vue du voyage de retour. Il nous fallut de
cinq à six jours... Où que nous
allions, les indigènes demandaient avec
insistance à être instruits... Quant
aux invitations à aller ici ou là,
elles étaient si nombreuses qu'il m'aurait
fallu six mois, pour répondre à
toutes. Partout on me disait :
« Notre temple est élevé,
nous désirons un
évangéliste. »
Enfin, en suivant les indications des
indigènes, j'arrivai jusqu'à Apia
où je découvris trois baies
abritées et suffisamment profondes pour
faire de bons ports, malgré les affirmations
contraires de La Pérouse, Kotzebue et autres
navigateurs, qui assurent n'avoir point trouvé de
bon mouillage dans tout l'archipel
(3).
Après avoir examiné l'endroit
choisi, je fis signe de l'embarcation que le
« Messager » pouvait entrer
sans crainte. À peine le bateau avait-il
jeté l'ancre que des indigènes en
grand nombre grimpèrent sur le pont, et
parmi eux Riromaïava, le conseiller de
Maliétoa.
Celui-ci avait donné à son
orateur ou Tufflaa-fale l'ordre de m'accompagner.
Avec des gestes impressionnants, Riromaïava se
mit à annoncer qui j'étais, et ce que
je désirais. Puis il ajouta que
Maliétoa m'avant donné son nom, le
respect qui était dû au roi
m'était aussi dû : il
était interdit de me rien dérober, et
il fallait m'apporter un présent de vivres,
etc... Immédiatement ceux-ci furent
apportés...
Je visitai de nombreux villages et fis des
présents aux chefs ; une fois le
ravitaillement du « Messager »
effectué, je songeai au départ.
Passant près de Manono, je voulus revoir
Te-ava, et à ma grande joie, je trouvai avec
lui trois autres évangélistes.
J'appris que deux nouveaux temples avaient
été ouverts à Oupolou et que
presque tous les indigènes de Manono
venaient se faire instruire par Te-ava.
Je demandai aux évangélistes
de faire des tournées missionnaires en
certains districts de l'île d'Oupolou et
à Apia, le village de Punipuniolou. Puis, je
pris congé d'eux, achevant ainsi ma seconde
visite aux Îles Samoa.
Mardi 6 novembre. - Ce matin de bonne heure
nous vîmes Nioua tapou tapou, l'une des
îles Keppel. C'est là que doit se
trouver l'évangéliste Pouna de Rouroutou. Une
pirogue
passant
à une certaine distance, nous
demandâmes des nouvelles de nos amis et
apprîmes que Pouna était mort, mais sa
veuve et ses enfants étaient encore dans
l'île. J'envoyai donc un mot à
celle-ci pour annoncer mon arrivée, et
demander s'il était possible de
débarquer. Au reçu d'une
réponse favorable, j'allai à terre.
Elle vint à nous avec ses deux enfants, et
lorsqu'elle nous aperçut pleura longuement.
Lorsqu'elle se fut un peu calmée, elle me
raconta son histoire depuis le départ de
Rouroutou.
Pouna, sa famille, dix indigènes et
deux Américains s'étaient
embarqués à destination de
Raïatéa sur un côtre qu'ils
avaient construit. Mais ils se perdirent en mer et
après six semaines de navigation
aperçurent une grande île basse
nommée par les habitants : Maniiki. Les
indigènes de cette île semblant
hospitaliers, l'un des Américains et deux
Rouroutouans descendirent à terre. Ils
devaient hisser un drapeau blanc si tout allait
bien. Quinze jours durant ceux qui étaient
restés en mer attendirent inutilement le
signal convenu. Ils essayèrent de se
renseigner et tout ce qu'ils purent apprendre c'est
que le roi avait dédié leurs amis
à ses dieux. Avaient-ils été
faits « tabou » ou offerts en
sacrifice, Pouna n'arriva pas à le
savoir.
Ils continuèrent leur route
jusqu'à une autre île du même
groupe, Rakaana. Ils y virent des maisons, des
pirogues, mais pas d'habitants. Là ils
descendirent, Dans les maisons se trouvaient les
corps étendus de personnes mortes, corps
très bien conservés. Les longues
chevelures noires semblaient appartenir à
des personnes vivantes. Cet archipel comprendrait
cinq îles. Il doit être à deux
jours d'embarcation d'Aïtoutaki.
À nouveau Pouna et ses compagnons
reprirent la mer, et après avoir erré
près de deux mois en diverses directions, ils
atteignirent
enfin Niouatapoutapou, à quelque 1.900
milles de Rouroutou. Là, les
indigènes voulurent s'emparer de ce qu'ils
possédaient mais le roi Maatou s'y opposa,
prenant les voyageurs sous sa protection. Ils
restèrent quatre mois en cet endroit, y
célébrant leurs cultes le dimanche.
Un indigène d'un certain rang se joignit
à eux, promettant de faire élever un
temple s'ils voulaient rester. Mais Pouna se
sentant malade et ayant entendu dire qu'il y avait
des chrétiens à Tongatabou, île
distante de quelque 300 milles, s'embarqua de
nouveau espérant gagner cette terre. Une
tempête jeta les voyageurs à
Niouafoou. Là, il confia sa femme et ses
enfants au chef et occupa ses derniers moments
à lui annoncer Christ.
Le lendemain de la mort de Pouna, les
indigènes mirent en pièces le petit
côtre et en firent du feu pour s'emparer du
fer ; des matelots fugitifs qui avaient
abandonné leur navire et habitaient
l'île brisèrent aussi le coffre de
Pouna pour en prendre le contenu. Mais une querelle
éclata au moment du partage ; ils en
vinrent aux mains et l'un d'eux fut tué.
Quant au chef, très impressionné par
la mort paisible de Potina, il décida de se
faire instruire dans la religion chrétienne.
Furieux, les indigènes du pays firent une
conspiration contre lui et le
tuèrent...
Malgré les dures épreuves des
derniers jours de sa vie, et une longue maladie,
Pouna était resté fidèle
à son Sauveur jusqu'à la fin. Bien
plus, sa mort avait été le moyen de
la première conversion dans l'île. Et
à Niouatapoutapou, où sa veuve
était retournée, je trouvai une
congrégation de deux cent cinquante
personnes : à peu près la
moitié de la population de l'île. Le
catéchiste Samuel, décemment
vêtu, vint se présenter à moi.
Avec lui je fis une promenade à
l'intérieur du pays. Mon attention fut
attirée par un bruit de baguettes et de
voix. En nous approchant nous vîmes une
quarantaine d'individus placés sur deux
rangs et se faisant face. Les uns avaient le corps
complètement recouvert de charbon et
d'huile ; d'autres s'étaient
contentés de se dessiner un cercle autour de
chaque oeil, sur chacune des joues et sur le
front ; sur leurs corps quantité de
raies et de dessins divers. D'autres
s'étaient fait des raies blanches et noires
ce qui leur donnait l'apparence de zèbres.
Ainsi décorés ils faisaient des bonds
prodigieux, ou s'asseyaient, ou rampaient tout en
frappant en cadence des baguettes qu'ils avaient
à la main. Parfois ils frappaient contre
celles de leur vis-à-vis en passant leurs
baguettes au-dessus de leurs têtes, parfois
en les passant sous leurs jambes. En même
temps, ils s'accompagnaient d'un chant guttural.
Cela dura un quart d'heure. Épuisés,
la transpiration coulant le long du corps, ils
s'assirent. Je ne pus me procurer les paroles de
leur chant, mais mon compagnon m'expliqua que
c'était un appel aux dieux pour qu'ils
ramenassent le roi Maatou parti en mer il y avait
trois mois déjà, et qu'on n'avait
jamais revu.
Après avoir visité les chefs
et échangé avec eux des
présents, nous reprîmes la mer,
accompagnés par la veuve de Pouna et ses
deux enfants. Quelques jours après, vers
minuit, je fus réveillé par le
second : il me demandait de venir sans
tarder : le bateau se remplissait d'eau et
menaçait de sombrer ! Je courus sur le
pont et découvris à ma grande
consternation près d'un mètre
quarante d'eau dans la cale. Il fallait ou pomper
ou sombrer : tous à bord se mirent
à l'oeuvre. Au bout d'une heure j'eus la
joie de constater que l'eau
baissait, au matin, le navire était tout
à fait débarrassé. Cependant
comme l'infiltration continuait, il fallait
continuer à pomper. Inquiet, ne pouvant
découvrir la voie d'eau, je fis
préparer bateaux et vivres, divisant
l'équipage en deux équipes et
assignant à chacune son embarcation en cas
d'abandon du navire.
Pour mettre le comble à nos craintes
un vent contraire et très violent se mit
à souffler. Après plusieurs jours,
durant lesquels il fallut pomper sans discontinuer,
nous pûmes atteindre les Îles Vavaou.
et naviguant entre de nombreux îlots nous
eûmes la joie de trouver un bon mouillage,
alors que le soleil allait disparaître. C'est
là que j'appris que Finaou était
devenu chrétien ! En
vérité, rien n'est impossible
à Dieu !
Le lendemain les indigènes
plongèrent sous le navire, ils
nagèrent tout autour, vérifiant la
quille et essayant de trouver une fente, quoi que
ce soit qui expliquât l'infiltration. Leurs
recherches restant inutiles nous reprîmes la
mer, nous dirigeant sur Tonga où nous
arrivâmes seulement cinq jours après
à cause des vents contraires. J'eus la joie
d'y rencontrer le capitaine Henry, et le capitaine
d'un baleinier, Mr. Deanes.
Eux et leurs équipages
m'aidèrent à coucher le navire sur la
rive, et après une longue recherche nous
découvrîmes la cause du mal : un
trou de la quille où l'on avait
négligé d'enfoncer une
cheville ! Ce trou s'était rempli de
boue et de pierres lors du cyclone à
Rarotonga. C'est ce qui avait permis au
« Messager » de naviguer
normalement six mois durant. Une pierre
s'était heureusement coincée
très profondément dans l'orifice et
en remplissait la majeure partie : de l'avis des
capitaines et du
charpentier
qui nous aidèrent à réparer le
« Messager de Paix », cette
pierre aveuglant partiellement la voie d'eau nous
avait sauvés d'un naufrage.
« Dès que nous fûmes
à terre, le roi Tupoou envoya un messager
pour inviter Makéa à demeurer chez
lui pendant notre séjour dans l'île.
Il le reçut à la mode de Tonga, et
avec tous les honneurs dus au grand chef de
Rarotonga.
Makéa, dès son arrivée,
fut invité à s'asseoir à
côté du roi, qui était
assisté de ses deux orateurs ou
« mataboole ». En face de nous,
dehors, les sous-chefs formaient un demi-cercle,
Puis on apporta devant le roi un porc cuit, des
racines de kava et une corbeille d'ignames. Une
fois ces vivres disposés, l'un des orateurs
cria d'une voix forte : « Merci pour
le kava, merci pour le grand cochon, merci pour les
ignames, merci pour le travail ! »
Ces remerciements furent
répétés à plusieurs
reprises... Étaient-ils dit au nom de
Makéa, ou bien pour lui rappeler le devoir
de la reconnaissance ? Je ne pus le
découvrir... »
L'orateur se tut, et les vivres furent
présentés à Makéa. Puis
le peuple fut invité à
préparer le kava. La chose se fit selon
l'usage : par mastication ; et la liqueur
exprimée de la sorte fut crachée dans
un bol de bois.
Cela fait, l'orateur prononça d'une
voix forte « son grand nom »,
et s'invita lui-même à goûter de
ce délicieux breuvage : ce qu'il fit.
Puis il lança d'une voix de stentor le nom
de son roi. Celui-ci frappa des mains en signe
d'assentiment et d'approbation, et fit honneur au
breuvage qu'on lui présentait. Ensuite le
kava fut préparé pour Makéa,
et placé devant lui. Vint le tour de John
Williams qui ne désirait
pas goûter de cette préparation. Il
rendit donc le bol au
« mataboole » qui s'empressa de
s'adjuger cette seconde dose.
« La cérémonie
terminée, écrit John Williams, ayant
vu avec quelle facilité les gens de Tonga
broyaient cette racine avec leurs puissantes
mâchoires, je voulus en faire l'essai ;
et coupant un petit morceau je commençai
à le mastiquer. Toutefois je ne prolongeai
pas l'expérience : c'était
tellement amer et provoquait une telle abondance de
salive que je m'empressai de le rejeter. Les
indigènes se mirent à rire et
dirent : « Ces papalangis sont
très habiles en quantité de choses,
mais pas à mastiquer le
kava... »
Le roi est fidèle à sa
profession de foi... Il s'est maintenant
marié. Sa femme est très
appréciée par les
missionnaires : elle visite les écoles
et copie des pages des livres de la Parole de Dieu
qui n'ont pas encore été
imprimés, elle visite les malades et prend
soin de sa jeune famille. Or cette femme
était païenne il y a quelques
années...
Tupoou lui aussi se conduit en
chrétien. Récemment, un chef
païen nommé Ata qui, d'après la
loi, doit pourvoir à la maison du roi, a
négligé de s'en souvenir. Cela porte
atteinte non seulement aux propriétés
du roi, mais aussi à sa dignité. Or
Tupooti a refusé de châtier le
coupable, préférant supporter qu'on
lui fasse tort plutôt que de se faire
justice.
Jeudi 29 novembre. Aujourd'hui je suis
allé à Maofagna pour voir Fakafenna
qui est chef de district et grand prêtre de
l'île... Il m'a offert de partager son repas
et le kava qu'on venait de préparer. Je lui
ai demandé si je pouvais demander à
Dieu de bénir les aliments que nous allions
prendre. Il me répondit que oui, que
c'était très bien. Puis il s'enquit
de moi auprès de
l'indigène de Rarotonga qui m'accompagnait.
Celui-ci en vrai Polynésien se mit à
chanter mes louanges :
« J'étais un grand
faifékaou, j'avais porté le lotou en
un grand nombre d'îles ; j'étais
un personnage important, etc...
Mon hôte me félicita sur ma
grandeur puis il ajouta : « Tu dois
être très riche !
Hélas ! il n'en va pas de même
pour nous ! Les chefs Tonga sont tous
« magiva », très
pauvres. Et que faisait-on dans ces îles
où j'avais été ? - Je lui
répondis qu'on y faisait des nattes, de
l'étoffe, des filets. »
- Oh ! dit-il, c'est exactement cela
que je désire un filet ! N'en aurais-tu
pas un à me donner ?
- Si, je disposais d'un filet, et je le lui
donnerais.
- J'irai le chercher.
- Non ! Je te l'enverrai. »
Et malgré son insistance, je maintins que
j'enverrai mon cadeau. Si le chef venait à
bord, je prévoyais qu'il me demanderait
plusieurs autres choses.
Je mis alors la conversation sur le grand
sujet : « Ne voulait-il pas
abandonner le culte des idoles et servir le vrai
Dieu ? D'abord il me répondit de
façon évasive, puis il admit que la
nouvelle religion était très bonne et
que peut-être avec le temps il se ferait
chrétien. Seulement il ne fallait pas forcer
les sentiments : « Quand le
désir croîtra dans mon coeur, je
suivrai l'exemple des autres, et renoncerai aux
dieux de Tonga. »
En rentrant au village, je suis allé
déjeuner avec Mr. et Mrs. Woon
(4), et
ensuite
nous nous sommes rendus à l'imprimerie. La
presse est vraiment une merveilleuse
machine... »
Le « Messager de Paix »
est prêt à reprendre la mer. John
Williams qui a admiré l'oeuvre accomplie par
les missionnaires et a joui d'une véritable
communion fraternelle avec eux écrit ces
lignes : « Bien que nous
appartenions à différentes
dénominations. cependant nous prêchons
le même Jésus, nous nous dirigeons
vers le même ciel ; et si le chemin du
salut est montré aux pauvres païens,
qu'importe l'étiquette confessionnelle de
celui qui l'annonce ? Christ est
annoncé, l'âme est sauvée, Dieu
est glorifié. Que sa
bénédiction repose sur les
dévoués ouvriers de
Tongatabou... »
Le 5 décembre, John Williams quittait
l'archipel des Amis faisant voile sur Rarotonga
où il arrivait en janvier après une
absence de près de quatre mois.
« Les résultats de ces deux
voyages aux Samoa dépassent tout ce qu'on en
pourrait dire, écrit Ebenezer Prout.
Williams, dans sa lettre à son ami Ellis,
ramène son activité à aussi
peu de chose que le permet la
vérité :
« Bien que nos travaux aient
été couronnés de très
grands succès il est bien entendu que ceci
va à peine au delà d'une renonciation
au paganisme chez les indigènes, et d'un
désir d'être instruits des
vérités du Christianisme. Mais une
grande porte est ouverte, le sol a
été labouré et un peuple
préparé pour Dieu... »
Williams a le sentiment si vif de tout ce qu'il
reste à faire que, trouvant Mrs. Williams en
très bonne santé lors de son retour
à Rarotonga, il songe à prolonger son
séjour en Polynésie et esquisse
déjà en pensée de nouveaux
voyages missionnaires
« Actuellement, j'hésite
à prendre aucune décision
définitive au sujet de notre départ.
Quel immense champ d'action s'ouvre vers l'Ouest
où des îles si nombreuses émergent du
Pacifique et où se trouvent des centaines de
milliers d'âmes qui n'ont jamais encore
entendu l'Évangile du salut !
J'aimerais entreprendre un voyage d'exploration
dans tous ces archipels extrêmement
peuplés, mais cela dépasse des moyens
très limités. Je n'ai que trop fait
déjà peut-être, sous ma propre
responsabilité. Si je retourne en Angleterre
j'essayerai d'exposer un plan d'action devant les
Directeurs... Nous avons entendu dire que les
ressources faisaient défaut à notre
Société et que son budget
était diminué... Nous souhaitons
qu'il n'en soit rien, car l'oeuvre du Seigneur
n'est pas achevée. Le champ est vaste, il
s'y trouve encore des chardons, des épines,
et les plantes vénéneuses des
superstitions païennes. Il faut qu'il soit
labouré, nettoyé, ensemencé,
transformé en un jardin de l'Éternel.
Et qui le fera ? Si les chrétiens
anglais s'en désintéressent, qui donc
entrera dans le champ pour continuer l'oeuvre,
quand le zèle le courage et les forces de
ceux qui s'y trouvent seront
épuisés ! .... »
Pour l'amour de l'Évangile, Williams
est toujours prêt à se dépenser
et à dépenser. Pour lui, non
seulement l'oeuvre du Seigneur dépasse
toutes les autres, mais elle les absorbe toutes,
écrit son biographe. « Si sa
consécration avait été moins
entière il aurait passé
inaperçu, sans qu'on le discernât dans
cette multitude de chrétiens dont les vertus
négatives et la médiocrité
religieuse n'offrent rien qui les signale, rien qui
attire vers eux. Mais son ardeur missionnaire le
plaçait à un niveau où il ne
pouvait rester caché, et faisait de lui une
lumière sur une montagne, une colonne dans
la Maison de Dieu... Le zèle missionnaire
remplissait son coeur et animait tout ce qu'il
faisait. C'est ce zèle qui multipliait son
activité et le faisait
abonder dans l'oeuvre du Seigneur. C'est ce
zèle qui le préservait de
découragement, de frayeur, de déclin,
et qui le garda fidèle... C'est par la
grâce de Dieu que John Williams fut ce qu'il
fut. Avec tous ceux qui aiment le Seigneur il se
sépara du monde. Non seulement cela, mais
sur plus d'un point, il différa de
l'Eglise... D'autres avaient reçu
« la grâce », mais il
avait reçu « plus de
grâce » ... Nous trouvons
l'explication de ces divergences dans sa
piété ; piété bien
spéciale et de qualité
supérieure, cause immédiate et source
de son action missionnaire au cours d'une
carrière couronnée de
succès... C'est dans la communion avec Dieu
qu'il puisait la direction à imprimer
à sa vie ; c'est auprès de Dieu
qu'il puisait cette puissance qu'une pensée
mal assurée ou moins consacrée
n'aurait pas su utiliser... »
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