Lorsque le capitaine Cook revint en Angleterre après avoir fait le
tour du monde et qu'il débarqua à Plymouth, ce fut une longue ovation
dans tout le pays.
Ses récits de voyage furent lus par tous. Que de jeunes garçons
rêvèrent alors de faire comme lui : de se lever certain jour de
grand matin, avant le soleil, de mettre dans un mouchoir quelques
objets indispensables et de quitter doucement la maison pour gagner un
port et la mer. Et les hommes d'âge, les pieds sur les chenets, le
suivaient aussi d'aventure en aventure avec un intérêt jamais lassé.
Certain jour, le révérend Dr Haweiss lisant les Récits du
célèbre navigateur, se sentit tout particulièrement intéressé par les
indigènes des pays visités, plus que par ces pays eux-mêmes. Il invita
sept de ses amis ; ensemble ils devisèrent sur la possibilité
d'envoyer dans les Mers du Sud un autre bateau, non pour découvrir des
îles, mais pour y transporter des hommes prêts à
faire connaître aux païens Dieu le Père, le Roi des rois.
La Société des Missions était fondée. Ces hommes cherchèrent
des amis, des administrateurs, qui réunirent les fonds et achetèrent
un bateau : « Le Duff ». Missionnaires et
artisans-missionnaires s'embarquèrent sur le petit bâtiment, qui leva
l'ancre le 10 août 1796. Un peu auparavant, un service d'adieu très
solennel avait eu lieu à la chapelle de Sion le 28 juillet 1796 ;
il avait été suivi par un service de sainte Cène.
Le 4 mars 1797, Le Duff jetait enfin l'ancre devant Tahiti. Par
centaines, les Tahitiens se présentèrent. Les uns montaient sur le
pont et dansaient. D'autres offraient des porcs, du poisson, des
bananes. Mais c'était un Dimanche ; personne ne voulait rien
acheter, ce qui étonna les indigènes. Ils le furent plus encore quand
le moment du service venu, les passagers et l'équipage
s'agenouillèrent devant un dieu invisible. Le chant des cantiques fit
sur les Tahitiens la plus agréable impression.
Bientôt la pirogue du chef Haamanemane accostait et Haamanemane
allant droit au chef du bateau (capitaine Wilson) lui dit :
« Taio ! » Lorsque le capitaine comprit le sens du mot,
il dit à son tour : « Taio. » Ainsi le capitaine et le
prêtre des faux dieux, car Haamanemane était chef et prêtre, venaient
de sceller une alliance.
Le jour suivant, le roi et la reine donnèrent une terre aux
voyageurs qui adoraient le Dieu qu'on ne pouvait voir.
Tels furent les débuts de l'oeuvre missionnaire à Tahiti.
Ce discours était adressé aux rois aux jours d'inauguration, et avec
quelques variantes, on l'adressait au chef tyrannique et sanguinaire
qu'on déposait.
Un sous-chef de Tautu parla de son roi Tautu opri (1).
La légende de Natoofa (2)
assure que durant le règne de Tautu opiri, les racines des maïoré
étaient rabotées, nivelées, elles ne barraient plus les chemins (3),
on les polissait même avec une peau de requin ; alors on
s'asseyait sur le grand siège Reuea (4), la
flûte de bambous aux tons suaves, Taneua (5) se
faisait entendre ; le grand âge mettait des rides sur les fronts,
et les gens très vieux s'appuyaient sur des bâtons en marchant.
Lorsque ce roi mourut, le peuple se lamenta, car il l'avait recouvert
du manteau de la paix. Durant son règne, on n'avait pas coupé des
têtes d'hommes avec les couteaux de bambous, mais les têtes de porcs
et on avait mangé la nourriture de la paix. Les fronts des belles
femmes étaient rougis avec les baies du mati, et leurs superbes
cheveux noirs étaient oints d'une huile douce et parfumée (6).
Voici, le règne de ce roi fut long. - Veillons à ce que le règne de
Jésus, le règne bien meilleur encore du meilleur
de tous les rois, ne soit pas un règne de peu de durée au milieu de
nous.
Tautu opiri eut un fils : Tehauroa (long règne). Alors
Tahaa-la-Grande et Raïatéa jouirent d'une grande paix. Les racines des
maïoré étaient nivelées et les chemins polis avec la peau de
requin ; on s'asseyait sur le grand siège Reuea et on jouait de
la flûte Taneua, les hommes étaient devenus vieux, et le roi mourut
regretté de son peuple sur qui il avait étendu le manteau de la paix,
etc... Le règne paisible de Te hauroa fut très long. Le règne de
Jésus, celui qui aura certainement la durée, pourrait-il être court
parmi nous ?
Te hauroa eut un fils qu'on nomma Te peti peti (le Magnifique)
et il y eut alors une agréable paix entre Tahaa-la-Grande et Raïatéa.
Les racines des arbres étaient nivelées, etc... Le paisible règne du
Magnifique fut long, et celui de Jésus, le seul Magnifique, serait-il
court parmi nous ? Non ! Jamais ! Ne permettons pas
qu'il prenne fin ; il excelle tous les autres en beauté.
Te petipeti eut un fils qu'il nomma : Coeur léger ;
alors les coeurs étaient joyeux et légers pendant que la paix régnait
entre Tahaa-la-Grande et Raïatéa. Les racines des arbres... etc... On
se lamenta sur le roi qui avait étendu le manteau de la paix sur son
peuple. Le règne de Jésus dont l'Évangile donne la vraie joie du coeur
ne durerait-il pas au milieu de nous ? Veillons à ce que rien ne
l'entrave.
À la fin, deux frères jumeaux naquirent : Tautu et Taumata
(Lèvres hargneuses et Regard menaçant). La jalousie commença ;
une guerre désespérée s'ensuivit. Les chemins unis devinrent raboteux,
on ne s'asseyait plus sur le siège élevé Reuea ; la conque de
guerre retentissait au lieu de la flûte Taneua ; les hommes étaient
tués et ne connaissaient plus les rides du grand âge, les femmes ne
s'embellissaient plus avec les baies de mati et les têtes des hommes
étaient tranchées au lieu de celles des porcs. Ainsi fut détruit le
règne paisible de Tautu ; ainsi le long bonheur du règne de Te
hauroa eut un terme, et le règne délicieux de Magnifique fut terni.
Ainsi les Coeurs joyeux devinrent tristes, et le peuple fut
malheureux ; car le sang était répandu, la misère régnait, et le
monde invisible était peuplé des hommes de la terre. - Emparons-nous
fermement des biens dont nous jouissons présentement de peur que le
règne paisible de Jésus ne prenne fin au milieu de nous, et que ne
reviennent les jours de ténèbres, de meurtres et de sang.
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