RETOUR. - EN DANGER. - EXAUCEMENT. - UNE LETTRE DE TAMATOA. - VISITE DES DÉLÉGUÉS DE LA SOCIÉTÉ DES MISSIONS DE LONDRES. - NOUVELLE ÉPREUVE. - DÉPART ENVISAGÉ. - PRIÈRE ET GUÉRISON. - LA LÉGENDE DE RAROTONGA. - CROISIÈRE SUR « LA MATAMUA ». - LETTRE PASTORALE. AÏTUTAKI. - ROMATANE. - ATIU, MITIARO, MAUKE.
LA santé de Mrs. Williams - qui
laissait fort à désirer à
l'arrivée en Australie semblait tout
à fait rétablie. Son mari se portait
beaucoup mieux, et achevait aussi rapidement que
possible les préparatifs du retour à
Raïatéa. La goélette qu'il avait
achetée partirait après avoir
terminé son chargement. Dès le 23
avril 1922, la famille Williams quittait Sydney sur
un navire qui faisait escale en
Nouvelle-Zélande. Là, John Williams
descend à terre à plusieurs reprises.
Il s'aperçoit qu'il peut se faire comprendre
des indigènes et tient plusieurs
conversations avec eux. Certain jour, en
débarquant sur le rivage, il voit la
tête coupée de Henakee, l'adversaire
vaincu de Shungee. « La tête est en
parfait état de conservation... Henakee
reçut paraît-il quatre balles avant de
tomber. Schungee (le chef qui est allé en
Angleterre) et un autre surnommé Roi George
se précipitèrent alors sur le
blessé, lui coupèrent la tête,
et se mirent à boire avidement son sang. Et
comme si ce n'était pas suffisant, ces
monstres découpèrent le corps, firent
rôtir la chair et la mangèrent. Les
pirogues qui reviennent de la guerre sont
décorées de têtes à
l'arrière et à l'avant. Il y a
même des têtes à vendre ;
on les échange à des chrétiens
(1)
pour des
mousquets et des balles !... Ce pays est
peuplé ; les indigènes sont
groupés en villages. Oh ! que
n'envoie-t-on un plus grand nombre de missionnaires
ici ! ...
« Les Néo-Zélandais
aimeraient nous voir rester. Notre petit
garçon a près d'eux un grand
succès. Je ne veux pas négliger de
vous signaler que nous avons encore eu ici des
marques de la bonté de Dieu. Le capitaine
Henry craignant de ne pouvoir se ravitailler
suffisamment dans la Baie des Îles, où
des baleiniers venaient de passer, s'arrêta
devant le cap Nord. Aussitôt, le pont fut
envahi par les indigènes, et bien qu'ils
fussent assez gênants, nous
n'appréhendions aucun danger jusqu'au moment
que Mr. Henry et Mrs. Williams
désirèrent descendre dans le
carré (2). Un chef qui s'était
assis
près de l'escalier se dressa et leur barra
le passage. Ce que voyant, j'allai
immédiatement vers eux ; mais un
Tahitien m'avait devancé et jetait le
Néo-Zélandais hors du chemin.
Celui-ci se redressa blanc de rage et tira son
couteau 'pour tuer le Tahitien qui se sauvait
jusqu'à la batterie. Là il s'empara
d'un sabre et fit front à l'ennemi. Tous
deux gardaient leurs distances, mais le
Néo-Zélandais hurlait :
« Tue-moi !
Tue-moi ! » On réussit
à les séparer avant qu'il n'y
eût effusion de sang. Mais le pont restait,
couvert d'indigènes : « Ils avaient
envoyé leurs
pirogues à terre, dirent-ils, pour rapporter
des porcs et des pommes de terre. » Le
vent était tout à fait tombé.
C'était le calme plat. Quand les pirogues
réapparurent, elles étaient
uniquement chargées d'hommes : vingt
à trente par pirogue. Point de femmes ni
d'enfants ! Ce que voyant, le capitaine
commanda d'amener tous les mousquets sur le pont et
de charger les deux canons. Puis il ordonna
à tous les Néo-Zélandais de
quitter le navire (3). Enfin quand
les pirogues
furent
à portée de voix - à quelque
90 mètres - il fit savoir que si on
s'approchait davantage il ouvrirait le feu.
Aussitôt les pirogues
s'arrêtèrent, et un conseil de guerre
fut tenu qui dura longtemps. D'après ce
qu'ils firent ensuite, nous comprîmes qu'ils
complotaient de s'emparer du navire ; ils
restèrent à quelque distance. Certes,
nous étions armés, et s'ils
s'étaient approchés, il semble que
nous les aurions facilement repoussés.
Cependant nous étions dans une situation
critique et nous redoutions que la nuit
survînt avant que le vent fût
levé. Très inquiet, et alors que nous
craignions une attaque d'un moment à
l'autre, je descendis dans ma cabine et là
j'exposai toutes choses à « Celui
qui secourt en temps de danger ». Lorsque
je rentrai dans le carré, le capitaine Henry
y arrivait et à ma grande joie il
annonçait que la brise se levait. En moins
d'une demi-heure, nos craintes se transformaient en
un cantique de délivrance. Oh ! si
seulement nous avions plus de sainte confiance en
Dieu (4) !
... »
Après avoir touché à
Rurutu où John Williams encourage les
évangélistes qu'il y a
envoyés, les voyageurs arrivaient enfin
à Raïatéa le 6 juin 1822, huit
mois après l'avoir quitté. On les
reçut avec toutes les démonstrations
de la joie la plus vive. En leur absence, un
complot avait été ourdi contre
Tamatoa et son gouvernement, complot qui fut
découvert avant d'avoir pu être
exécuté. Dix de ceux qu'on avait
surpris les armes à la main furent
jugés et condamnés à
mort ; peine qui fut rapportée sur
l'intervention de Mr. Threlkeld et changée
en celle de l'emprisonnement à vie, avec
travail d'entretien des routes.
Lorsque la goélette achetée
arriva à Raïatéa avec Mr. Scott,
les indigènes - et surtout le roi - se
montrèrent extrêmement reconnaissants.
Tamatoa (5), à l'insu des
missionnaires,
rédigea et adressa une lettre aux directeurs
de la Mission à Londres, lettre dont nous
donnons la teneur ci-après :
Raïatéa, 9 juillet 1822.
« CHERS AMIS,
« Que la paix et la santé vous
soient, frères, par Jésus-Christ
notre véritable Seigneur.
« Mes frères, voici ma
parole. N'imaginez pas de votre argent qu'il est
perdu. Nous réunissons maintenant des
marchandises pour acheter l'argent employé,
et nous vous le renverrons. Ne supposez pas que la
dette ne sera pas payée. Elle le sera,
soyez-en certains. Ne dites pas :
« Les fonds que nous recevons ne sont pas
destinés à acheter des
bateaux. » Un bateau est utile : par
son moyen, nous recevrons ce qui
nous est nécessaire et nos corps seront
décemment vêtus. Mais voici un autre
emploi du bateau : quand nous ferons savoir
notre amour aux terres qui nous environnent et que
nous leur enverrons des missionnaires pris parmi
nous. Voici, deux d'entre nous sont
déjà partis à Rurutu et deux
autres à Aïtutaki. Ils enseignent la
Parole de Dieu en ces deux pays qui ne
connaissaient pas le nom de Jésus-Christ, et
ils montrent aux païens le chemin du salut.
Ils nous ont envoyé les dieux de
néant de Rurutu, qui sont maintenant en
notre possession ; et ils adorent
Jésus-Christ le vrai Dieu.
« Mon coeur est plein de
reconnaissance de ce que vous avez envoyé
des missionnaires en notre pays de
ténèbres et de ce que maintenant nous
connaissons le vrai Dieu. Nous donnons de nos
produits pour que la Parole de Dieu soit
répandue. Et voici encore l'un des bienfaits
du bateau. Quand nous voudrons revoir ceux d'entre
nous qui sont partis évangéliser, ou
si nous voulons leur, envoyer de nos produits, nous
en avons maintenant la possibilité. Les
lettres pourront aussi leur parvenir qui leur
diront la bonne parole que nous entendons ; et
par le moyen de ce bateau, ils seront tenus au
courant des bonnes coutumes et comment il faut
faire. Mon coeur se réjouit de ce que vous
nous avez prêté de l'argent, de sorte
que ce bateau a pu être acheté, ce
dont nos corps bénéficieront.
« Puissiez-vous avoir santé
et paix dans vos demeures en Angleterre par
Jésus-Christ.
Au mois d'octobre, MM. Tyerman et Bennet,
délégués de la
Société des Missions de Londres,
venus pour visiter les champs missionnaires en
Polynésie, admirèrent sans
réserve l'oeuvre accomplie par les
missionnaires de Raïatéa. Une lettre
qu'ils écrivirent aux directeurs à
Londres, après quelque temps de
séjour durant lequel ils visitèrent
les écoles, assistèrent aux cultes,
firent une tournée d'inspection dans
l'île, etc..., se termine ainsi :
« ... Les résultats obtenus
par l'oeuvre missionnaire ici, sont la preuve que
la bénédiction de Dieu repose sur le
travail de ses serviteurs ; ils prouvent aussi
que la prédication de l'Évangile est
le moyen le plus certain, le plus direct, le plus
efficace, non seulement pour la transformation
morale, mais encore pour la civilisation d'un
peuple. Si vos efforts, Messieurs, n'avaient comme
résultats que ce que nous voyons dans cette
île, nous estimerions qu'ils ont
été abondamment
récompensés. »
Le 13 novembre 1822, John Williams avertit
les directeurs de la Société des
Missions que la goélette
« l'Entreprise » a presque
complété son chargement ; les
indigènes préparent
déjà une seconde cargaison, nous
croyons que le produit des marchandises
expédiées en ces deux voyages suffira
pour achever de payer le navire.
« Tout prospère au
delà de tout ce que nous espérions.
Les indigènes ont déjà
débroussé, préparé,
planté, de cent vingt à cent
cinquante vastes plantations, et je me perfectionne
dans l'art de sécher le tabac et de bouillir
le sucre. Nos Raïatéens ont aussi
appris à bouillir l'eau de mer et ils ont
préparé trois à quatre tonnes
de sel. Vous jouiriez de les voir tous si
occupés. Même les femmes cultivent de
petits carrés de tabac
qu'elles échangent pour des cotonnades et
objets d'habillement. Nous désirons pouvoir
importer ces articles sans qu'il en coûte
rien à la Mission. »
Vers la fin de l'année,
l'épreuve vint à nouveau visiter le
foyer des Williams. « La maladie dont ils
souffrent est telle - écrivent les
envoyés de la Mission de Londres - que nous
craignons qu'ils ne soient obligés de partir
pour un pays plus froid. S'ils doivent en arriver
là, LA PERTE POUR LA MISSION SERA
TRÈS GRANDE
(6). »
Effectivement, Mr. et Mrs. Williams
étaient fort éprouvés dans
leurs santés et le jeune missionnaire -
alors que partout il voit des fruits de ses travaux
- songe à nouveau au départ. Non pas
tellement à cause de lui-même que pour
sa chère femme. Pour la seconde fois elle
venait de donner naissance à un
bébé mort-né ; quelques
jours après, une forte fièvre se
déclarait et pendant cinq semaines elle fut
entre la vie et la mort.
Les missionnaires, les
délégués de la Mission de
Londres, tous conseillent le départ pour un
climat moins débilitant, en tout cas un
changement immédiat de poste missionnaire.
En principe, le départ est résolu.
Mais John Williams désire voir
l'achèvement des plantations en cours, et de
semaine en semaine il recule le moment des
adieux.
« Nous avons tout ce qui peut
combler de joie un coeur missionnaire,
écrit-il, excepté la santé. Si
nous la possédions aussi, notre coupe
déborderait. Peut-être le Seigneur
a-t-il ailleurs une oeuvre encore plus grande
à faire. Nous voulons dire :
« Que ta volonté soit
faite. » Mais la seule pensée de
laisser un peuple qui nous est
si attaché et auquel nous sommes tellement
attachés nous-mêmes est une dure
épreuve. Je rentre maintenant de notre
« réunion pour
questions ». Et là, un brave homme
me dit : « Tu demandes que nous
priions pour que Dieu aplanisse ton chemin et que
tu discernes clairement sa volonté. Moi je
ne lui demande pas d'aplanir ton chemin, mais d'y
dresser des barrières de toutes parts. Ma
prière n'est-elle pas bonne
aussi ? » Oh ! que n'ai-je
santé et force, non pour les consacrer aux
choses vaines de ce monde, non pour amasser toutes
les richesses de l'Orient, mais pour les
dépenser au service des païens qui
périssent et me dépenser aussi pour
eux. » (7).
John Williams a maintenant le moyen de
locomotion rêvé, il pourrait atteindre
ces archipels païens auxquels il pense
constamment. Quelle douleur de renoncer à
l'oeuvre tant de fois caressée ! Mais
si sa vie ne lui est point précieuse,
l'état de sa femme l'oblige à Songer
à des adieux définitifs. Cependant
l'Eglise continuait de prier pour la famille
missionnaire affligée, et à nouveau
Dieu entendit et exauça. L'état de
Mrs. Williams s'améliora si rapidement qu'il
fut possible de songer à une sérieuse
prolongation de séjour à
Raïatéa. L'année 1822 touchait
à son terme. Que d'actions de grâce
montèrent vers Dieu ! Quel tribut de
reconnaissance ; reconnaissance, d'un peuple
tout entier, que la seule pensée du
départ des Williams avait plongé dans
le deuil.
La petite goélette achetée par
J. Williams et rachetée par Tamatoa avait
été nommée par lui :
« Te Matamua »
(8). En
revenant
de Sydney, où la cargaison du bateau avait
été vendue, « Té
Matamua » toucha à Aïtutaki,
et en rapporta d'excellentes nouvelles. Papeiha
envoyait à son missionnaire un rapport des
plus encourageants et ce message de l'un des
chefs : « Dis à Wiriamu que
s'il vient nous visiter nous brûlerons nos
idoles, nous détruirons nos maraës et
recevrons la Parole de Dieu. »
Ce fut assez. Williams mûrit le projet
longtemps caressé d'un voyage aux Îles
Hervey, pour y répandre l'Évangile
dans tout l'archipel. Il apprend qu'il y a à
Aïtutaki des indigènes de Rarotonga,
l'île que Cook a vainement cherchée.
Il essayera de la découvrir.
Un Raïatéen (9) avait dit à
John Williams
la légende de Rarotonga, et Williams se
sentait particulièrement attiré vers
cette île.
« Autrefois, dit le vieillard,
Rarotonga se trouvait tout près de
Raïatéa, mais les dieux
l'emportèrent au loin. Les gens de Rarotonga
avaient fait un immense tambour nommé
Tai-Moana, et ils voulurent l'offrir à Oro,
le dieu de la guerre à Raïatéa.
Ils l'envoyèrent donc avec des
messagers : des prêtres, par pirogue
à Raïatéa. Ceux de
Raïatéa furent remplis de joie et se
mirent à danser. Ensuite ils
entrèrent en colère contre les gens
de Rarotonga et ils les tuèrent. Alors les
dieux furieux, pour punir Raïatéa,
transportèrent l'île de Rarotonga et
toits ceux qui l'habitaient bien loin dans les
mers.
- Et où donc ? demanda John
Williams.
- Je ne sais pas bien, dit le vieillard en
fronçant les sourcils ; mais je crois
que c'est par là » et il
désignait le sud-ouest.
Le missionnaire raconta la légende
à ses collègues : MM. Bourne et
Threlkeld, et il fut décidé que MM. Bourne et
Williams iraient
d'abord à Aïtutaki pour prendre contact
avec les évangélistes qu'on y avait
laissés l'année
précédente.
Tamatoa et les chefs mirent
généreusement « Te
Matamua » à la disposition de
leurs missionnaires. Aïtutaki, et surtout
Rarotonga se trouvent situées bien plus au
sud que Raïatéa. Plus
rapprochées du pôle, ces îles
jouissent d'un climat tempéré, et les
Raïatéens caressaient l'espoir que ce
changement d'air suffirait pour le complet
rétablissement de Mr. et Mrs. Williams.
Le départ était fixé au
4 juillet. La veille, au cours d'un solennel
service d'adieux, six indigènes avaient
été consacrés pour l'oeuvre
missionnaire dans les îles qu'on
espérait visiter (10).
L'enthousiasme fut tel parmi les
indigènes qu'ils comblèrent de
présents ceux qui allaient partir, leur
donnant tout ce dont ils avaient besoin, non
seulement pour le voyage, mais pour leur
installation future
Quelle émotion le lendemain, quel
concours de peuple au moment du
départ ! La plage est couverte
d'indigènes venus pour dire un dernier adieu
aux partants : au premier rang les parents et
les amis des missionnaires choisis.
Le voyage dura cinq jours. John Williams en
profita pour rédiger une lettre pastorale
destinée aux missionnaires
raïatéens. Cette lettre nous
révèle sa pensée, et nous la
traduisons aussi fidèlement que possible, en
y laissant les polynésianismes
(11). Toutefois
nous avons fait quelques coupures.
En mer, à bord de la goélette
« Te Matamua », 6 juillet 1823.
Chers frères,
Soyez sauvés par Jésus-Christ, et
dans l'accomplissement de l'oeuvre pour laquelle
vous avez été choisis par l'Eglise de
Raïatéa. Cette oeuvre est nouvelle pour
vous ; il est donc bon que je vous donne
quelques conseils pour le moment de
l'arrivée au pays où Dieu vous
conduira. Au commencement, vous aurez
peut-être des difficultés par
vingtaines ! Mais ne vous laissez pas
abattre !
Souvenez-vous que ce que Jésus a dit
à ses premiers disciples, Il vous le dit
aussi : « Voici ! Je suis
toujours avec vous jusqu'à la fin du
monde. » Jamais Il ne vous oubliera ni ne
vous rejettera. Sa Parole aussi doit croître
nécessairement. Ceci ne peut être
empêché, Vous, vous-même, vous
connaissez la force de sa Parole qui a
renversé le royaume de Satan à
Raïatéa et dans les îles
voisines. Il peut arriver que la croissance se
fasse lentement dans le pays où vous
irez ; mais ne vous découragez pas.
S'il plaît à Dieu d'éprouver
votre foi et votre patience, c'est son affaire. Il
ne peut se tromper en tout ce qu'Il fait. Si vous
êtes éprouvés, souvenez-vous
des missionnaires dans vos îles. Que
d'années ils ont travaillé avant de
voir croître la semence.
Souvenez-vous de la mort de Jésus, et
songez que les indigènes habitant les
îles où vous allez sont
rachetés par son sang. Souvenez-vous aussi
de ce que la puissance de Jésus a
déjà fait à
Raïatéa, à Rurutu, et dans vos
propres coeurs, et ne cédez pas au
découragement.
Travaillez bien, priez beaucoup ; la
prière c'est « la puissance avec
Dieu ». Peut-être serez-vous les
témoins de toutes les coutumes corrompues et
dégradantes que vous avez rejetées.
Vos coeurs seront remplis de reconnaissance envers
Dieu de ce qu'Il a ouvert vos yeux...
Voici quelques conseils pour votre
conduite:
I. En ce qui vous concerne : Veillez
sur vos coeurs. Que votre foi ne devienne pas
languissante. Soyez fervents dans la prière
secrète, et ayez entre vous telle
conversation qui maintiendra la vie dans vos
coeurs. Même si les païens n'observent
pas immédiatement le dimanche, vous,
employez-le à rechercher auprès de
Dieu la force. Il faut une grande force pour le
travail excellent dans lequel vous vous engagez.
Vous n'aurez pas de missionnaire près de
vous pour vous vivifier et vous exhorter. Vous
n'aurez pas de frères à vos
côtés pour veiller sur vous et vous
encourager. Satan en prendra avantage et il vous
attaquera avec furie sachant que vous n'avez plus
de tuteur pour vous soutenir. Nous-mêmes nous
avons senti combien cela nous manquait. Que
ferez-vous ? Ceci : les rivières
étant taries, vous irez à la fontaine
des eaux vives : Jésus. Tenez-vous
constamment tout près de Lui, vous souvenant
de ce qu'Il dit : hors de moi vous ne pouvez
rien faire. Nous prierons Dieu sans cesse que vos
coeurs soient gardés par le Saint-Esprit,
que votre foi augmente, que vous soyez
persévérants, et que le succès
couronne vos travaux.
Il. Pour ce qui est de
l'extérieur : Vous êtes
maintenant comme la cité construite sur une
montagne. Les yeux sont fixés sur
vous ; ceux de l'Eglise à
Raïatéa, ceux de vos frères des
îles, ceux des missionnaires, ceux des
directeurs de la Société de Londres, et surtout
les
yeux du
Seigneur Jésus. Le ciel et l'enfer vous
regardent et les païens parmi lesquels vous
travaillerez. Ceux-ci vont vous surveiller avec
« des yeux de rats » pour
découvrir quelque recoin tortueux en votre
conduite. Conduisiez-vous avec circonspection.
Prenez garde de montrer le moindre désir de
leurs biens. Prenez garde à l'orgueil du
coeur ! Ne regardez pas les païens avec
dédain mais ayez de l'amour pour eux, vous
souvenant de Celui qui a fait de vous des hommes
nouveaux.
Veillez aux petites difficultés. S'il
s'en présente, ayez une explication
affectueuse et arrangez-la. Que les païens ne
soient pas les témoins de divisions entre
vous.
III. Prenez garde à l'envie et aux
mauvaises pensées : Nous recommandons
cela de façon toute particulière
à vous et à vos femmes. Voilà
les choses les pires... Et Satan désire
qu'elles existent... car il y trouve un grand
avantage. Ne dites jamais de mal l'un de l'autre...
Si sur quelque point vous n'êtes pas
d'accord, laissez la chose et priez Dieu qu'Il vous
dirige ; puis reparlez-en ensemble. Si vous
êtes encore d'opinion différente, que
l'un de vous cède, et quand nous vous
visiterons, nous arrangerons l'affaire. Longtemps
vous nous avez suivis, Mr. Threlkeld et moi,
Imitez-nous dans la mesure que nous avons suivi
Jésus.
I. Souvenez-vous que vous travaillez pour le
Seigneur Jésus-Christ. Ce n'est pas la force
de l'homme qui vous fera
prospérer. Le Saint-Esprit doit agir. Sans
Lui, le travail est vain...
II. Vous enseignerez les adultes et les
enfants. Vous prêcherez, baptiserez et
donnerez la Sainte Cène. C'est pour cela que
vous avez été mis à part.
Voici les principales doctrines que vous
enseignerez : la création de toutes
choses par Dieu l'homme bon avant la chute ;
les effets de la chute le grand amour de Dieu
fournissant Lui-même le sacrifice pour
nous ; la mort et la résurrection du
Seigneur Jésus-Christ, source unique de
pardon et de justification devant Dieu ; la
méchanceté et la faiblesse du coeur
humain ; la nécessité du
Saint-Esprit pour changer le coeur et le rendre
bon... Ces doctrines et plusieurs autres du
catéchisme, vous les enseignerez et vous les
prêcherez ; mais n'enseignez que ce que
vous comprenez bien ; n'essayez pas
d'expliquer ce qui est difficile ; que tous
vos discours ne soient pas dirigés contre
l'esprit mauvais
(12),
mais
exaltez le Seigneur Jésus-Christ et son
Évangile ; dites bien et
complètement son grand amour envers nous et
l'efficacité de son sang pour purifier
l'âme et la sauver. Voici le sujet de vos
discours : Jésus. Comme les
apôtres et les prophètes, ne craignez
pas d'annoncer Jésus. Il est notre Ami,
notre Chemin, notre Refuge, notre Nourriture, notre
Médiateur, notre Sauveur. Ne vous contentez
pas de prêcher le dimanche. À toutes
les grandes réunions des païens,
à toutes leurs fêtes, allez au milieu
d'eux et prêchez l'Évangile. Quand les
prophètes auront commencé leurs
déclamations et les prêtres leurs
harangues, dites la bonne Parole. Proposez-leur
quelque problème en présence de tous
et ils seront vite confondus.
Pensez constamment à l'oeuvre à
faire. À cette oeuvre, donnez vos mains, vos
bouches, vos corps, vos âmes, et Dieu
bénira vos travaux.
Ill. Concernant le Baptême : Si Dieu
fait selon nos désirs, vous aurez à
baptiser. Mais n'agissez pas avec trop de
hâte... Quand quelques personnes auront
rejeté leurs idoles, ayez une réunion
semblable à notre réunion du Vendredi
et expliquez-leur l'origine, l'objet du
baptême ; et ce que doit être la
conduite de celui qui est baptisé.
IV. À propos de la Cène du
Seigneur : Ne négligez pas de communier
et de commémorer ensemble la mort du
Seigneur. Si le moment vient que des croyants
veulent se joindre à vous, acceptez-les.
N'admettez personne parce qu'il est chef ou occupe
une haute situation. Ne regardez pas seulement
à l'extérieur. Que les personnes que
vous accepterez aient une bonne conduite sans rien
de tortueux, que leur repentance soit
sincère et qu'elles croient vraiment au
Seigneur Jésus-Christ. Seulement ceux pour
qui il en est ainsi peuvent être admis dans
l'Eglise.
Il est possible qu'on vous pose des
questions sur des sujets difficiles. L'un d'eux
sera peut-être celui-ci - quand un homme se
convertit et qu'il a deux femmes, que doit-il
faire ? - Qu'il en renvoie une si la femme est
d'accord ; sinon qu'il garde les deux. Mais il
vaut mieux qu'une des deux soit renvoyée.
Employez-vous à atteindre ce but, mais
uniquement par la persuasion. Mais si l'une des
deux femmes meurt, ce serait pécher pour le
converti que d'en prendre à nouveau une
seconde. La femme qui a deux maris
(13) doit
en
renvoyer un... Je vous écrirai plus en détail sur
ce sujet. Mais
aussitôt que vous le pourrez, introduisez la
cérémonie du mariage.
Ne vous hâtez pas de proposer des
lois. Vous pouvez dire aux chefs ce qui s'est
passé dans nos îles, laissez-les
désirer une même transformation et la
proposer. Toute chose est bonne en sa saison. On ne
nourrit pas les enfants avec de la nourriture
solide.
Veillez à ne pas donner un
caractère sacré aux choses
d'importance secondaire ; les indigènes
ne sont que trop portés à cela.
Travaillez à faire disparaître les
mauvaises habitudes, telles que se couper et
taillader le corps en saison de tristesse, aller
nu, se tatouer, manger le poisson cru, etc... Mais
occupez-vous d'abord des plus grands maux ;
vous songerez ensuite aux moindres.
Soyez diligents pour ce qui est des choses
de cette vie. Un missionnaire paresseux est tout
à la fois un être vilain et inutile.
Faites-vous de bonnes maisons, qu'elles contiennent
le nécessaire ; et que cela aussi soit
bien fait. Que votre maison soit en exemple au
peuple. Enseignez aux indigènes tout ce que
vous savez : à faire des maisons, une
charpente, du plâtre, des lits, des
sièges, à fabriquer de l'huile et de
la fécule d'arrow-root... Que vos femmes
enseignent aussi aux femmes indigènes
à coudre, à tresser des chapeaux, des
nattes, à faire de l'étoffe, de telle
sorte qu'elles puissent se couvrir
décemment.
Ne vous hâtez pas de commencer les
réunions du soir. Si vous en faites, qu'il
n'y en ait pas plus d'une ; par semaine, de
peur que cela ne devienne une occasion de faire le
mal. -
Parlez et enseignez dans le langage de
Raïatéa (14) pour
que
les
indigènes puissent se servir de nos livres.
C'est tout ce que j'avais à vous dire.
Veillez chacun sur son propre coeur. Nous ne
cesserons pas de prier pour vous, afin que tout
aille bien et que le succès couronne votre
travail. Écrivez-nous et dites-nous les
petites choses dont vous pouvez avoir besoin. Nous
ne vous négligerons pas. Nous ne pensons pas
avoir plus de six ou huit missionnaires à la
fois afin de pouvoir subvenir à leurs
besoins. Vous aurez des moyens de communication par
notre goélette, et s'il arrive que l'un de
vous veuille retourner à son foyer pour voie
ses amis et nous donner, de ses nouvelles, qu'il
vienne, qu'il n'hésite pas ; nous
serons heureux de le voir. Le bateau repassera
bientôt pour vous remettre des livres. Aimez
Jésus et l'Évangile d'un coeur
sincère. Sondez sa Parole, et priez-le de ne
pas vous laisser, de ne pas vous abandonner.
Puissiez-vous avoir santé et paix par
notre Seigneur Jésus-Christ.
John Williams.
Le cinquième jour on arrivait à
Aïtutaki. La goélette s'est à
peine immobilisée sur ses ancres que des
pirogues sillonnent la mer, entourent le bateau
missionnaire ; les indigènes saluent
les arrivants. Mais John Williams refuse de laisser
monter personne tant qu'il n'a pas vu l'un des
chefs ou l'un des missionnaires laissés dans
l'île, bien que les indigènes en
saluant les voyageurs assurent que la Parole de
Dieu a pris racine à Aïtutaki.
Enfin Tapati, le chef
(15), arriva,
et à sa grande joie John Williams entendit
confirmer les bonnes nouvelles : les
maraës étaient détruits, les
idoles brûlées, un
grand temple avait été construit pour
Jéhovah et on attendait que le missionnaire
vînt pour y prêcher la Parole.
Puis Papeiha et Vahatapa arrivèrent
à leur tour. Quelle joie pour eux de revoir
leur missionnaire, leur ami Après les
effusions du revoir, tous : le chef, les
missionnaires raïatéens, MM. Bourne et
Williams descendirent à terre.
« Toutes les espérances que
nous avons fondées sur le ministère
indigène sont dépassées,
écrit John Williams dans son journal. Nous
avons ici une démonstration de sa
capacité, de son efficacité. J'ai
félicité nos missionnaires pour
l'excellent exemple qu'ils avaient donné
à Aïtutaki. Leurs habitations sont bien
construites, divisées en cinq chambres... Et
maintenant les indigènes se mettent à
construire. Des maisons sont même
terminées et déjà
meublées. Les lits y sont entourés de
rideaux de percale blanche comme le sont ceux de
leurs missionnaires. Quels changements où
que nous portions nos regards ! Mon coeur se
réjouit... Il y a dix-huit mois seulement
que nos deux missionnaires s'établissaient
ici au milieu des sauvages !... Mais il faut
que Christ soit glorifié, que les
païens soient sauvés et l'empire de
Satan renversé... J'espère de grandes
choses, je prie pour de grandes choses, et je les
attends en réponse à ce
labeur... »
Après deux jours passés
à Aïtulaki, après avoir
prêché dans le beau temple
(16), tenu
des
réunions, et installé d'autres
évangélistes dans l'île, les
voyageurs reprirent le chemin du rivage pour
s'embarquer. John Williams avait dit qu'il pensait
aller à Rarotonga, et
plusieurs indigènes de cette île,
transportés malgré eux à
Aïtutaki, demandèrent à prendre
passage, ce qu'on leur accorda. Comme John Williams
approchât du rivage, son attention fut
attirée par des cris, des lamentations, et
il se trouva en présence de femmes qui
s'étaient fait des incisions à la
tête, à la figure, à la
poitrine, aux bras, aux jambes. Le sang coulait et
leur apparence était des plus
répugnantes. ' « Pourquoi ces
horribles cris, et pourquoi se blessent-elles si
cruellement, demandèrent les
missionnaires ? - C'est à cause du
départ de leurs amis. » Nous leur
expliquâmes que cette coutume est
incompatible avec la profession de christianisme.
Mais elle est tellement répandue qu'il n'y a
probablement pas une femme, dans l'île dont
les membres et le torse ne soient couverts de
cicatrices. Le vieux chef qui nous accompagnait se
comporta dignement. Il dit un cordial adieu
à tous ses amis en frictionnant
vigoureusement son nez avec le leur, et sans avoir
l'air d'entendre les cris hideux qu'on poussait de
tous côtés. Les indigènes nous
comblèrent, nous apportant des
présents de tout ce que produisait leur
île.
Papeiha s'était bravement offert
comme pionnier pour planter l'Évangile
à Rarotonga. Le petit navire leva l'ancre,
hissa ses voiles, gagna rapidement la passe et
l'Océan, et prit la direction du Sud
à la recherche de l'île dont Williams
avait tellement entendu parler, par le vieillard
raïatéen et par Auura.
Plusieurs jours on navigua vers le Sud et
Williams profita de cette traversée pour
entendre tout au long le récit des
expériences du fidèle
évangéliste qui, laissant un champ
d'activité donnant déjà des
fruits, s'était proposé pour annoncer
l'Évangile en un pays dont les
indigènes étaient
réputés pour leur grande
férocité et leurs cruautés.
« Quand nous fûmes seuls
à Aïtutaki, dit Papeiha, ils nous
prirent et nous conduisirent au maraë, et nous
consacrèrent aux dieux dont nous voulions
détruire le culte. Ils ne nous firent pas de
mal, nous vivions au milieu d'eux, et leur parlions
de Jéhovah ; mais la guerre
éclata entre deux tribus, et le parti
adverse vint et prit tout ce que nous avions :
habits et provisions. Trois fois la guerre
recommença ; mais nous savions que nous
étions entre les mains de Dieu et qu'Il
pouvait se servir même de la guerre pour
mettre fin à l'idolâtrie. La
dernière guerre terminée, nous
fîmes le tour de l'île en
annonçant Jésus. Un jour qu'une
grande foule nous écoutait, un prêtre
très très vieux survint pour
s'opposer à nous : « C'est
Te-erui qui créa le monde, criait-il ;
c'est lui qui fit Aïtutaki.
- Non ! Dieu seul a le pouvoir de
créer, lui répondîmes-nous...
Mais le vieillard continuait de crier :
« Te-erui est grand ! Il est le,
premier homme. » Alors je lui dis :
« Et qui est son père ? -
C'est Tetareva qui vint d'Avaïki, qui est
au-dessous. Tetareva monta de la place en-dessous
jusqu'à ce qu'il fut arrivé au
sommet.
- Alors, lui demandai-je, cette terre
existait avant que Tetareva vînt ?
- Très certainement.
- Alors Te-erui ne l'a pas
créée puisqu'elle existait
déjà quand son père est venu
d'en-dessous ? »
« Le pauvre vieillard, perplexe,
ne savait que répondre et il se ridait le
front pour trouver quelque chose. Alors, moi et
Vahapata nous commençâmes à
annoncer le Dieu qui est de tout temps :
l'Éternel. Les indigènes
écoutaient dans le plus grand silence ;
si le moindre bruit s'élevait, quelque voix
criait :
« Mamu »
(17), « Mamu »,
« Silence !
Écoutez ! » Et, quand je leur
parlai de l'amour de Dieu envoyant son fils dans le
monde pour sauver les hommes, ils
s'écrièrent : « C'est
ici la vérité ; notre religion
n'est que mensonge. »
« Alors, quelques indigènes
dirent qu'ils voulaient servir le même Dieu
que nous ; mais d'autres se levèrent et
firent les plus grandes menaces, parlant même
de tuer ceux qui abandonneraient le
paganisme : « Qui sont ces gens,
criaient les païens en nous désignant,
Vahapata et moi ? Deux épaves, deux
morceaux de bois jetés par la mer sur nos
rivages. Ils disent que leurs amis viendront les
voir sur une grande pirogue avec des ailes
blanches, mais ce n'est pas vrai. »
« Peu après, le peuple
courait vers le rivage. Le vaisseau que vous nous
aviez annoncé arrivait à
Aïtutaki. Le capitaine descendit à
terre et offrit aux chefs des
présents : des haches, des porcs, des
chèvres.
« Alors, le peuple dit :
« Voilà ceux que vous nommez des
épaves ! Ils ont cependant des amis qui
leur envoient un grand bateau de
Parétané (18), et ils envoient
des choses
extraordinaires que nous n'avons jamais
vues. »
« Alors le peuple demanda que nous
leur disions encore les paroles du vrai Dieu, et
dirent qu'ils voulaient rejeter les idoles.
Toutefois, un vieillard, le grand-père du
chef d'Aïtutaki, refusait absolument
d'abandonner le culte des idoles. Un jour qu'il
faisait une grande fête en l'honneur de ses
dieux, sa fille qu'il
chérissait tomba malade. Tous ses
prêtres vinrent alors pour supplier les dieux
de lui rendre la santé, priant trois fois le
jour : le matin, à midi, le soir et
tous les jours ainsi, mais la jeune fille
mourut.
« Alors, le vieillard
courroucé dit à son fils le lendemain
matin : « Va,
brûle-les ! » Son fils partit
et il mit le feu au maraë et aux idoles du
maraë de son père. Le dimanche suivant,
les indigènes vinrent nombreux,
chargés de faux dieux qu'ils jetèrent
à nos pieds... »
Nous ne pouvons donner en cette biographie tous
les détails des transformations qui
suivirent l'introduction du christianisme à
Aïtutaki. Le peuple s'est tourné vers
Dieu. Il faut l'instruire, l'occuper. La
construction d'un temple a été
décidée. Les
évangélistes aidés par les
indigènes ont préparé du bois
et entassé dessus du corail pour faire la
chaux. « Quand le peuple vit les flammes
monter au ciel, il se mit à danser de joie
en chantant et criant :
« Oh ! Ces gens qui viennent
d'un pays lointain, ils cuisent les pierres !
Venez cyclones, détruisez nos bananiers et
nos arbres à pain, nous ne souffrirons plus
de la faim ; les hommes du pays
éloigné nous montrent à cuire
les pierres ! » Le matin, lorsqu'ils
virent une jolie poudre blanche, leur
étonnement fut extrême ! Ils
blanchirent leurs chapeaux et leurs habits et se
mirent à se promener et à s'admirer
mutuellement. Vahapata et moi nous avions
déjà préparé une partie
du mur avec des branches entrelacées. Alors,
nous avons pris du sable humide que nous avons
mêlé avec « les pierres
rôties », puis nous ayons recouvert
les branches de notre préparation et ensuite
nous avons mis des nattes pour empêcher les
indigènes de toucher avant que le ciment
fût sec. Le lendemain, les chefs et toute
l'île vinrent de bonne heure pour nous voir
enlever les nattes. Quel étonnement
lorsqu'ils virent le mur blanc ! Ils vinrent
de près l'examiner, ils y frottèrent
leurs nez, ils le sentirent, quelques-uns
l'égratignèrent ; d'autres
prirent des pierres et les jetèrent dessus
pour en essayer la solidité...
« Merveilleux ! Merveilleux !
répétaient-ils ! Les pierres
mêmes de la mer et le sable du rivage
deviennent utiles entre les mains de ceux qui
adorent le vrai Dieu... »
Tandis qu'il écoutait son
fidèle Papeiha, les yeux de John Williams
sondaient l'horizon, essayant de découvrir
l'île que Cook avait inutilement
cherchée. Après huit jours de
traversée, il dut renoncer à trouver
Rarotonga, et on se dirigea vers Mangaia, où
le capitaine Cook avait passé quarante-cinq
ans auparavant. Après Cook, un baleinier
s'était approché de l'île.
Alors que les Mangaians trafiquaient avec les gens
du bateau, Tairoa frappa un blanc de sa lance et
le tua. Puis, sautant
dans sa
pirogue, il s'éloigna promptement. Lorsqu'il
fut à une distance qui lui semblait
raisonnable, Tairoa s'arrêta pour essayer de
voir ce qu'on faisait à bord du navire. Un
long bambou était pointé vers lui,
semblait-il, puis un éclair, un coup de
tonnerre, et Tairoa tombait mort au fond de sa
pirogue.
Aussi quand les indigènes virent
apparaître un grand bateau dans le genre de
celui de « Tuté »
(19), c'est-à-dire un bateau
sans balancier qui avançait sans rames et
tout seul, ils se souvinrent du « bambou
qui donnait la mort » et ils attendirent
avec des sentiments de frayeur et un désir
de vengeance, tout en hissant un drapeau blanc.
À bord du « Matamua » on
fait de même. Mais les indigènes
méfiants refusent de venir, malgré
toutes les invitations et toutes les offres de John
Williams. Alors, avec l'assentiment de son
missionnaire, Papeiha descendit et se fit conduire
dans l'embarcation du bord jusqu'aux récifs
(20). Une
fois
là, il plongea dans la mer où il
attendit que se formât une forte vague venant
du large : lorsqu'il la vit courir, il se jeta
sur son passage, avec elle traversa les
récifs et atteignit le rivage. Ce trait de
courage frappa les indigènes qui
restèrent muets. Papeiha dit alors que le
bateau missionnaire était un messager de
paix, et qu'il amenait des missionnaires pour
annoncer les paroles du vrai Dieu. On
l'écouta avec plaisir et on lui dit que les
missionnaires pouvaient venir, ils seraient bien
accueillis.
« Retourne à la grande pirogue et
ramène-les ! »
Papeiha gagna le récif à la
nage, puis monta dans l'embarcation qui le ramena
au navire.
Après quelques hésitations, et
Papeiha assurant qu'il n'y avait point de danger,
les deux évangélistes et leurs femmes
firent leurs préparatifs et leurs derniers
adieux, et ils descendirent dans le canot avec
Papeiha. Comme ils atteignaient le récif,
ils virent que les indigènes étaient
armés de frondes et de lances. Papeiha cria
qu'on mît de côté les armes, ou
bien les missionnaires n'iraient point
jusqu'à terre. Les indigènes
obéirent : le bateau fut alors
lancé dans la mer intérieure et les
apôtres polynésiens atterrirent.
À peine avaient-ils mis le pied sur
le rivage qu'ils étaient entourés,
saisis, pillés. Une scie fut brisée
en trois morceaux que les chefs suspendirent
à leurs oreilles comme ornements, une caisse
de chapeaux destinés à faire des
présents tomba à l'eau ; les
paquets contenant les pièces des lits furent
brisés : celui-là s'emparait
d'un morceau, un autre prenait une colonne, etc...
Les bambous contenant de l'huile furent ouverts et
les Mangaians se firent d'abondantes onctions. Les
deux porcs qu'on voulait offrir en présent
furent saisis sur l'ordre du chef. Jamais, on
n'avait rien vu de semblable ! Ce sont des
dieux, dit le chef, qui place sur eux les insignes
de sa dignité et fait conduire les porcs au
maraë. Un cri perçant éclate
dans tout ce bruit, celui de la femme d'un
évangéliste ; il est suivi d'un
autre cri. Les évangélistes veulent
aller au secours de leurs femmes, on leur fait un
croc-en-jambe, ils sont jetés à terre
et on les y maintient tandis que les femmes sont emmenées.
Papeiha veut
bondir sur les ravisseurs. On lui jette sur la
tête un tiputa, sorte de cape avec un trou et
on va l'étrangler. Mais, prompt comme
l'éclair, il passe ses deux mains dans
l'orifice pour protéger sa gorge. Aurait-il
réussi à échapper à ses
bourreaux ? C'est peu probable.
Tout à coup, une formidable
détonation retentit. Du navire, on suit ce
qui se passe à terre et on vient de tirer
« un coup de canon. Les sauvages sautent
en l'air de frayeur, comme s'ils avaient
été tous touchés, puis ils
s'enfuient vers la forêt. Seul, le chef est
resté. Et Papeiha indigné va vers
lui : « Comment oses-tu nous inviter
à descendre, lui demande-t-il, et tu permets
qu'on nous mette en pièces ! Est-ce
là la conduite d'un
chef ? »
Le chef baissa la tête et se mit
à pleurer, puis il dit :
« Ici, toutes les têtes ont la
même hauteur » (voulant dire par
là que son autorité était
inexistante).
Lorsque la goélette eut recueilli
ceux qui s'étaient donnés avec tant
de joie pour l'évangélisation de
Mangaia, John Williams fit diriger le navire vers
Atiu, où quelques semaines auparavant on
avait laissé deux missionnaires
envoyés par Bora bora. Il tardait à
John Williams de savoir comment ils étaient
traités. L'île apparut enfin :
une terre basse, dominée au centre par un
plateau assez élevé et couverte de
verdure jusqu'à la mer, où les
aïto géants (bois de fer, sorte de
conifères) laissent retomber les fines
aiguilles des branches basses. Pas de port. La
goélette doit croiser au large. La
côte de formation corallienne est
percée de profondes cavernes où la
mer s'engouffre avec fracas. Bientôt, on vit
des pirogues se détacher du rivage et venir
vers la goélette. Dans l'une d'elles on peut
discerner deux
hommes
amaigris, à peine vêtus, l'air
misérables. Les évangélistes
envoyés par Mr. Orsmond sont
méconnaissables. On leur a tout pris, on a
refusé de les nourrir et on a refusé
de les entendre.
Voici maintenant l'embarcation royale :
embarcation formée par deux pirogues
réunies par une haute plate-forme, où
est assis le roi. La pirogue royale est habilement
manoeuvrée par un double équipage et
avance avec une grande rapidité. Le roi est
grand, élancé, il a un maro
(21) autour
des
reins, sur le torse une chemise, - ces
vêtements ont très probablement
été volés aux missionnaires, -
ses longs cheveux d'un noir d'ébène
flottent au vent, et son corps se balance en
cadence avec le mouvement qu'impriment les
pagayeurs à l'embarcation.
À peine est-il à bord que le
chef d'Aïtutaki le prend par la main et le
conduit à l'écart pour l'avertir des
grands événements survenus a
Aïtutaki... « Nous avons
cessé d'offrir des hommes et des jeunes
filles en sacrifices sur les maraës, dit-il.
Ces sacrifices sont inutiles, puisque Dieu ne les
accepte pas pour pardonner et puisque Jésus
est mort à notre place... »
La figure du chef Atiu exprime un grand
étonnement à l'ouïe de ces
paroles. Le chef d'Aïtutaki parle encore et se
fait pressant : « Fais comme moi,
dit-il, accepte le vrai Dieu, brûle tes
idoles. Viens voir celles que nous n'avons pas
encore brûlées », et il le
conduisit vers l'endroit où étaient
entassés les dieux d'Aïtutaki comme le
seraient des charges de bois ordinaire.
C'était un samedi. Et l'on persuada à
Romatane de passer la nuit à bord. Le
dimanche matin, il se joignit aux autres pour le
service
divin. John Williams avait pris son texte au livre
des Psaumes et dans celui du prophète
Esaïe, et il commenta les passages concernant
les idoles (22). La pensée de
Romatane fut
vivement impressionnée par les descriptions
des écrivains sacrés, très
particulièrement par les mots :
« Il en fait aussi du feu pour cuire du
pain, il cri fait aussi un dieu et se prosterne
devant lui, il en fait une idole et il l'adore. Il
en brûle au feu une moitié et avec
cette moitié il prépare sa viande, il
la fait rôtir, il se rassasie... Puis du
reste de ce bois il fait un dieu, son idole ;
il l'adore et se prosterne, il le prie et
dit : délivre-moi car tu es mon
dieu... »
Aucunes paroles ne sauraient faire plus
d'impression sur la pensée d'un chef
polynésien que ces versets inimitables de la
Parole inspirée... Les indigènes ont
deux mots qui ne sont pas très
différents, mais qui s'appliquent à
des choses opposées : ce sont mo'a et
no'a. Mo'a désigne ce qui est sacré.
No'a, le contraire. Tout ce qui se rapporte aux
dieux, ce qui touche aux dieux, est le superlatif
de mo'a, et tout ce qui touche à la
nourriture, à la cuisson de la nourriture
est no'a. Et, avec une force irrésistible,
Romatane sentit la grande folie qu'il y avait
à faire avec la même pièce de
bois deux choses si opposées : un dieu
et la cuisson d'aliments et d'unir ainsi deux
choses extrêmes, le mo'a et le no'a qui ne
peuvent s'unir : le sacré et le vil.
D'abord, il sembla plongé
profondément dans ses pensées et
resta silencieux puis il reprit la conversation
avec le chef d'Aïtutaki, conversation qui se
prolongea fort avant dans la nuit. Au matin,
Romatane s'était donné au vrai Dieu.
Et il retournait à terre
avec la résolution de détruire ses
maraës, ses idoles, et d'élever un
temple à Jéhovah.
Apprenant qu'il y avait encore deux autres
îles dans les environs, îles dont
Romatane était aussi le chef, nous lui
demandâmes de bien vouloir nous y accompagner
et de s'employer à ménager un accueil
favorable aux évangélistes si
durement traités à Mangaia. Il
accepta aussitôt notre invitation. Nous
désirions aussi le garder le plus longtemps
possible auprès de nous pour continuer
l'oeuvre commencée en son coeur. Le voyage
à Mitiaro et à Mauke nous en
fournissait l'occasion.
La première preuve de la
sincérité de sa conversion fut
l'ordre qu'il donna à son peuple avant de le
quitter : « Je pars pour un temps,
je reviendrai : que personne ne se
déchire la figure avec des dents de requins
et ne se lacère la poitrine avec des
pierres. » Le peuple obéit, tout
en se demandant pourquoi le roi interdisait les
anciennes coutumes.
Mitiaro est une petite île, le point
le plus élevé au-dessus de
l'Océan, à vingt mètres
à peine. Les pirogues se
détachèrent du rivage pour accoster
« à la grande pirogue avec des
ailes blanches » [notre goélette].
Les indigènes qui se
présentèrent à bord furent
tout étonnés et effrayés d'y
voir leur grand chef : Romatane.
« Dites au chef de Mitiaro de venir me
voir », commanda-t-il !
Aussitôt, ou s'empressa de porter le message
du roi. En grande hâte, le chef de Mitiaro
donna des ordres pour qu'on construisît
rapidement une maison pour Romatane, et, tout
tremblant, il se présenta à bord,
devant le cruel despote qui, - quatre ans
auparavant, - avait commis toutes les
atrocités en ce pays. Des hommes et des femmes,
pieds et
poings
liés, avaient été jetés
vivants et hurlants d'horreur dans l'immense four
des cannibales ; on avait brisé la
tête des petits enfants sur les rochers, sous
les yeux de leurs mères. D'autres, par deux
et trois, furent embrochés ensemble par la
tête transpercée au niveau des
oreilles. Enfin pour lancer à la mer les
grandes pirogues de guerre par-dessus le banc de
corail, au lieu des troncs de bananiers, on avait
employé comme rouleaux des corps vivants
d'hommes et de femmes.
Le voilà bien le bonheur des peuples
sans Dieu !
On comprend l'effroi du chef de Mitiaro
lorsqu'il vint se présenter à
Romatane. Mais lorsque celui-ci dit :
« Tu vas détruire et brûler
les maraës, et tu abandonneras le culte des
faux dieux ; je veux te laisser un homme qui
t'enseignera le culte du vrai Dieu... »
Le chef se demanda si Romatane était dans
son bon sens ; ou bien si le monstre
préparait quelques nouvelles
tueries ?
« Eh quoi !
s'écrièrent le chef et ses
suivants :
- Détruire les maraës ? Les
dieux seront furieux et ils nous
étrangleront.
- Non ! répondit Romatane. Une
pièce de bois que nous avons couverte
d'ornements et nommée dieu, est incapable de
tuer.
- Faut-il aussi se défaire de
Taria-Nui ? [« Grandes
oreilles. » Le roi lui-même
était le prêtre de Taria-Nui].
- Oui ! répondit Romatane sans
une seconde d'hésitation ; cessez de
l'adorer ainsi que tous les autres mauvais esprits.
Je vais vous laisser quelqu'un qui vous enseignera.
Traitez-le bien ! Donnez-lui une maison, de la
nourriture, et écoutez ce qu'il vous dira.
Je ne me servirai pas de la maison que vous faites pour
moi. Faites-en une
maison
où vous prierez Jéhovah, le grand
Dieu. Tana (23) vous dira comment
faire.
- Tu as ordonné que nous
préparions une grande fête avec
danses. Reviens-tu pour cette
fête ?
- Je reviendrai, mais pas pour cela. Pour
savoir si vous traitez bien Tana. »
Et le chef étonné retourna
vers Mitiaro, pour exécuter les ordres qu'il
venait de recevoir.
La goélette leva l'ancre et, sur les
indications de Romatane, on mit le cap sur Mauke,
petite île où aucun navire n'avait
encore touché. Dès qu'on fut en face
de l'île, des pirogues remplies
d'indigènes se détachèrent de
Mauke, s'avançant vers le petit navire.
À leur grand étonnement, ils virent
leur roi appuyé au bastingage qui
surveillait leur arrivée. Une fois. à
bord, ils furent encore plus étonnés
de voir des blancs. MM. Williams et Bourne
étaient les premiers hommes blancs qu'ils
eussent jamais vus. Ils prirent leurs mains, les
sentirent, relevèrent le poignet de la
chemise pour découvrir le bras, et
s'émerveillèrent de sa blancheur.
« Ce sont de grands chefs » se
dirent-ils l'un à l'autre.
John Williams leur apporta quelques
hameçons, mais ils les regardèrent
avec un grand mépris, ignorant encore la
force du métal. Et montrant au missionnaire
des hameçons taillés dans des noix de
coco, et dans des nacres perlières, ils lui
dirent : « Vois ! Si les
poissons brisent parfois nos hameçons, de
quoi les tiens pourraient-ils
servir ? » On amena des
chèvres pour les faire descendre dans
l'embarcation, qui devait aussi mener à
terre l'évangéliste, sa femme et le roi. Jamais
les
indigènes n'avaient encore vu de
chèvres. Et ils s'écrièrent en
appelant leurs compagnons :
« Venez ! Venez voir ces oiseaux
avec de grandes dents sur la tête [les cornes
de l'animal]. »
Enfin le canot partit vers l'île. Le
roi la quitta un peu avant les brisants et se jeta
à la mer sur la crête de la
septième grande vague qui vint
déferler sur la rive. Dès que ses
pieds touchèrent le sol, il dit aux
indigènes et au chef qui s'empressaient
autour de lui :
« Je suis venu vous dire de
recevoir la Parole de Jéhovah, le vrai Dieu,
et vous recommander un missionnaire et sa
femme : ils vous instruiront. Détruisez
les maraës, brûlez les mauvais
esprits... Vous construirez une maison pour le
service du vrai Dieu. »
Le peuple restait muet. Quoi !
détruire ces dieux devant lesquels
même le roi avait toujours
tremblé ! Enfin, surmontant leur
étonnement et leur émotion, ils
répondirent qu'ils feraient selon que le roi
voulait. Puis ils ajoutèrent :
« Viendras-tu au Takarua
(24) ? »
- Toutes ces coutumes sont abolies,
répondit Romatane. Quand je viendrai, ce
sera pour me rendre compte de la manière
dont vous acceptez la Bonne Parole. »
Puis il dit adieu aux évangélistes et
à ses sujets étonnés et sauta
dans l'embarcation ; nos hommes
ramèrent aussitôt vers la
goélette qui mit le cap sur Atiu.
Durant le voyage de retour, la pensée
de John Williams allait constamment vers Rarotonga,
l'île restée invisible. Il en parla
à Romatane. La connaissait-il ?
« Oui, dit-il, c'est à une
distance d'un jour et une nuit
d'Atiu. »
Cette réponse nous fit le plus grand
plaisir, mais quand nous lui demandâmes la
situation de l'île, il nous indiqua deux
directions différentes, ce qui nous jeta
dans l'indécision. Toutefois, peu
après, nous étions au clair sur les
indications du chef. Les indigènes
n'entreprennent pas leurs voyages de n'importe quel
point de l'île. Celui-ci est unique.
D'après leurs destinations, ils partent de
certains endroits. Là, ils ont des points de
repère qui leur servent à prendre la
bonne direction, et ils s'embarquent de
façon à pouvoir se guider par les
étoiles quand ils perdent de vue les points
de repère terrestres. Nous
décidâmes d'adopter le plan
indigène et dirigeâmes notre
goélette jusqu'au point de départ.
Là, nous fîmes tourner lentement le
navire tandis que le roi regardait les poteaux
servant de signaux. Lorsque ceux-ci furent
exactement l'un devant l'autre, il cria :
« Voilà !
Voilà ! » Je regardai
aussitôt la boussole et vis que la direction
donnée était Sud-Ouest-Ouest
(25).
La goélette retourna alors vers le
village. Les missionnaires remirent au roi
plusieurs haches qu'il avait demandées
« pour abattre des arbres et faire les
colonnes du temple de Jéhovah ».
On lui donna encore plusieurs
présents de choses utiles. La grande pirogue
royale, avec sa plate-forme, revint alors se ranger
auprès de notre petit navire et Romatane
nous fit d'affectueux adieux. Ensuite, prenant
place sur son siège élevé, il
se mit à battre la cadence pour les
pagayeurs qui le ramenèrent dans l'île où il se hâta de mettre à exécution ce qu'il avait résolu.
La fougue, la décision que ce roi avait
mises au service des faux dieux et des cruelles
exigences du paganisme, il les mettait maintenant
au service du vrai Dieu. En comparant sa conduite
avec celle du chef de Mangaïa, homme sans
énergie pour le bien comme pour le mal, les
paroles
sacrées se présentent à la
mémoire : « Tu n'es ni froid
ni bouillant !... Ainsi parce que tu es
tiède et que tu n'es ni froid ni bouillant,
je te vomirai de ma bouche. »
Le roi cruel, le cannibale féroce
pour qui la vie humaine ne compte pas, le
païen tremblant devant ses idoles est devenu
en quelques heures le fougueux apôtre du Dieu
d'amour. Assurément, il ne sait que peu de
chose encore sur le Dieu vivant, mais ce qu'il sait
il l'applique sans délai. En une semaine,
dans les îles sur lesquelles il règne,
il ordonne l'abolition du paganisme, de ce
paganisme qui à travers les siècles,
avait maintenu les indigènes dans la
misère et toutes les terreurs
d'atrocités sans nom.
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