LE RETOUR DE RURUTU. - TRIOMPHE DU CHRISTIANISME. - A'A. - GRAND SERVICE D'ACTIONS DE GRÂCE. - LA JOIE DE JOHN WILLIAMS. - RAÏATÉA, ÉGLISE APOSTOLIQUE. - AH ! SI J'AVAIS UN NAVIRE ! - L'ÉGLISE DE RAÏATÉA EST FONDÉE. - MALADIE. - JOHN WILLIAMS ANNONCE SON DÉPART. - ARGUMENTS DE TAMATOA. - « MON COEUR TE CONVOITE. » - PRIÈRES. - EXAUCEMENT - ÉPREUVE. - DEUX LETTRES. - CONVERSION DE MR. WILLIAMS PÈRE. - VEILLE DE DÉPART. - CONSÉCRATION DE PAPEIHA ET VAHATAPA. - À SYDNEY. - ACHAT D'UNE GOÉLETTE. - CARGAISON D'OBJETS UTILES. - RETOUR.
QUELQUES MOIS se sont
écoulés. Souvent on parle des
Raïatéens partis pour accompagner les
missionnaires à Rurutu. Que sont-ils
devenus ? Quand reviendront-ils ?
Reviendront-ils ? Quel accueil ont-ils
reçu là-bas en cette terre
étrangère ? Souvent du haut des
collines on examine l'horizon, on regarde
longtemps, espérant toujours
découvrir en mer l'embarcation attendue.
Enfin certain jour, on signale quelque chose.
Est-ce bien le bateau de Raïatéa ?
Il faut attendre pour être tout à fait
sûr.
Avec quel intérêt on suit le
petit point noir ! On l'aperçoit sur la
crête des vagues, il disparaît, on le
voit à nouveau. Le point mouvant grossit, se rapproche.
Quelle
émotion ! Les voyageurs viennent de si
loin ! Comment se portent-ils ? Car, on
en a la certitude maintenant, le bateau qui se
rapproche et se dirige vers la passe devant le
village est bien celui de Raïatéa. Les
indigènes se rendirent sur la plage pour
accueillir les voyageurs. Ceux-ci sont encore loin
qu'on les salue, qu'on leur demande des
renseignements sur leur arrivée et leur
séjour à Rurutu.
Comme réponse, ils dressent
quelques-unes des idoles qu'ils rapportent. Puis
dès qu'ils peuvent se faire entendre ils
ajoutent : « Le peuple de Rurutu a
brûlé ses idoles et nous en apportons
quelques-unes à Raïatéa comme
trophées. L'épidémie a
cessé. On construit un temple à
Rurutu, la balustrade de l'escalier qui monte
à la chaire se compose des lances de guerre
aujourd'hui inutiles. Les missionnaires
raïatéens sont traités avec
égards et bonté... »
Que de nouvelles ! Et quelles
nouvelles ! Pour les entendre, toute
l'île est convoquée au chef-lieu, et
une grande assemblée se réunit dans
le temple. C'était le soir : on avait
allumé les lampadaires. À cette
époque, les grandes réunions du soir
n'étaient possibles qu'à
Raïatéa. Seul, le temple de cette
île avait l'éclairage
nécessaire.
Les idoles rapportées de Rurutu
étaient là en un monceau. Parmi
elles : A'a, le dieu national, le père
de l'île - assurait la tradition que se
transmettaient les indigènes lorsque, assis
sur le rivage, ils attendaient l'apparition de la
nouvelle lune au-dessus de l'Océan. -
Étrange idole, dont le corps était
couvert d'une multitude de petits dieux. Une porte
s'ouvrait dans le dos ; à
l'intérieur du torse qui, était
creux, il y avait encore vingt-quatre petits
dieux.
John Williams est radieux. Cette victoire de l'Évangile
si rapide, si
complète, lui semble un raid triomphal. En
quelques mois, à la voix des missionnaires
de Raïatéa proclamant
l'Évangile, Rurutu a rejeté ses
idoles, a aboli le paganisme, et accepté la
religion chrétienne. Or, les instruments
dont Dieu s'est servi étaient
eux-mêmes - peu d'années auparavant -
de cruels guerriers, de sauvages
idolâtres ! Quelle transformation !
Quels fruits ! Et aussi quelles
possibilités pour demain !
Tuahiné (1), l'un des
diacres, se lève
et dit : « Ainsi périront
tous les dieux faits de mains d'hommes. Les voici
liés de cordes. Oui, leurs noms mêmes
sont changés ! Autrefois on les nommait
des dieux ! Et maintenant on les
appelle : les esprits mauvais. Contemplez leur
gloire : des plumes d'oiseaux rapidement
détruites. Mais notre Dieu est le même
à jamais »
« Le roi Tamatou se leva aussi
pour exhorter l'assemblée et il fit une bien
belle comparaison entre l'Océan et
l'Évangile. Je ne crois pas qu'on en puisse
trouver de plus belle, écrit John
Williams :
« Continuons amis, à donner
pour Dieu les produits de notre terre :
l'huile de coco, la fécule d'arrow-root,
afin que les aveugles puissent voir et les sourds
entendre. Ne nous lassons pas de faire le bien.
Voyez les mers : leur fond est rugueux ;
cependant leur surface est plane. Nos pays
étaient comme le fond des mers : ce
n'était qu'aspérités,
difficultés, pratiques abominables ;
mais la bonne Parole de Dieu a tout aplani. Amis,
d'autres pays sont encore raboteux, remplis
d'iniquités. Ne soyons donc point paresseux,
ne nous relâchons pas jusqu'à ce que
la Parole de Dieu les atteigne,
les recouvre, comme les eaux recouvrent le grand
abîme. Et par-dessus tout, veillons à
ce que nos coeurs soient purifiés par le
sang de Jésus. Alors Dieu sera notre Ami et
Jésus notre Frère... »
Un autre orateur se lève il parle
avec chaleur et animation.
« Voyez nos lampadaires !
Jamais Oro ne nous a rien donné de
semblable ! Voyez nos femmes, leurs
vêtements, leurs chapeaux. Comparez avec les
indigènes de Rurutu qui sont venus
ici ; remarquez la différence en notre
faveur. Comment cela s'est-il fait ? Est-ce
à cause de notre habileté ? Ou
bien parce que nous sommes de braves gens ?
Non ! C'est à Jésus, au Nom de
Jésus, que nous sommes redevables de tout
cela. Faisons donc ce qui dépend de nous
pour que son Nom soit prêché en
d'autres pays, pour que d'autres aussi entrent dans
nos privilèges. »
Et Uaeva (2) ajouta :
« Les
anges se réjouiraient si Dieu les envoyait
ici-bas, pour annoncer l'Évangile de
Christ. »
Le zèle missionnaire brûle au
fond des coeurs de ces païens d'hier. Ceux qui
se sont vraiment consacrés à Dieu
désirent ardemment s'employer aux
progrès de l'Évangile. Ils veulent
donner et ils se donnent. Dès l'origine,
l'Eglise de Raïatéa est une
Église apostolique, une Église
missionnaire. Le zèle brûlant pour
Dieu, le besoin de conquêtes pour Christ qui
sont au coeur de Williams se sont
communiqués à ceux qu'il a
instruits.
Qu'il se promène le soir le long du
rivage, pendant l'une de ces nuits tropicales
lumineuses, qu'il se penche sur l'une des cartes du
Pacifique dressées par le
grand navigateur Cook, une pensée dominante
remplit le coeur de John Williams :
posséder un navire, moyen de communication
nécessaire avec les autres archipels.
Où les explorateurs ont dressé les
pavillons de leurs nations respectives, son
ambition à lui, c'est de dresser la
Croix.
Williams ne sait pas garder pour lui ce
qu'il pense ; il ne peut rester inactif quand
il croit possible de réaliser ce qui lui
paraît nécessaire ; et il
écrit aux membres directeurs du
Comité de Londres :
« ... Pour visiter souvent les
îles qui nous environnent, il suffirait d'une
goélette jaugeant de vingt à
vingt-cinq tonneaux. Si vous vouliez en mettre une
à notre disposition, elle serait
extrêmement utile ; et je ne crois pas
que cela serait très coûteux. Elle
appartiendrait à la Société et
serait à la disposition de tous les
missionnaires. Mais la goélette aurait son
point d'attache, et les missionnaires de
l'île où elle serait habituellement,
s'occuperaient de l'entretien. Raïatéa
conviendrait fort bien. Ne supposez pas que je dise
cela parce que je suis l'un des missionnaires de
cette île. Non ! Mais la position de
Raïatéa est centrale ; et nos
frères de Tahiti et d'ailleurs pourraient
avoir la goélette facilement ! Je me
suis instruit des choses de la navigation et je
pourrais les enseigner aux
indigènes... »
Enfin ! Le missionnaire a lancé
son appel ! Quelle réponse va-t-il
recevoir ? ... Et quand cette réponse
l'atteindra-t-elle ? Pas de courrier
régulier ! Des navires qui doublent le
cap Horn ou le cap de Bonne Espérance.
Longues escales dans les ports
visités ! John Williams patientera. Il
saura attendre en se donnant plus que jamais aux
indigènes de Raïatéa, de Bora
bora et de Tahaa, et surtout à l'Eglise de
professants qui vient d'être fondée.
« Notre Église s'est
constituée sur une base
indépendante », écrit-il
dans l'une de ses lettres : elle n'est pas
nationale ni régionale ; ce n'est pas
un assemblage d'éléments disparates,
c'est une fraternité spirituelle dont les
membres sont vraiment chrétiens ; elle
ignore les différences secondaires et
réunit ceux qui ont une même foi et
sont unis par, les liens de la
charité ; ceux qui recherchent la
communion fraternelle et se reçoivent l'un
l'autre comme Christ les a aussi reçus pour
la gloire de Dieu. Les buts que se propose
l'Eglise, ce sont l'édification mutuelle, le
maintien du culte chrétien, la profession
publique de la foi en Christ, la
fidélité au Seigneur, la
célébration de la Sainte Cène,
la propagation de l'Évangile. Dans l'Eglise,
deux charges : celle de pasteur pour la partie
spirituelle, et celle de diacre : l'un et
l'autre élus par les membres de
l'Église. L'Eglise est indépendante
de toute autorité civile ou
ecclésiastique ; elle ne se rattache ni
aux hommes, ni aux communautés, ni aux
sectes hostiles, ni aux sociétés
soeurs. Ni schismatiques, ni sectaires, les
Églises devront ouvrir largement leurs
portes ; chacune pratiquant l'amour fraternel,
la communion chrétienne, collaborera
fraternellement pour l'accomplissement de toute
bonne oeuvre parmi les disciples du commun
Maître.
Tels furent les principes placés
à la base de l'Eglise de Raïatéa
par John Williams. Église bien petite
à ses débuts : elle ne comprend
qu'une trentaine de membres et parmi eux : le
roi et la reine. Écrivant à ce sujet,
les deux délégués de la
Mission de Londres (3) notent entre
autres
ceci :
« Le roi et la reine n'ont pas été admis
à cause de leur dignité mais à
cause de leur piété. Ici le rang
n'influence pas les choses de la religion. Un plus
grand nombre d'indigènes seront probablement
admis dans l'Eglise avant
longtemps. »
Raïatéa avait sa
Société auxiliaire des Missions. John
Williams croit bon que l'Eglise se constitue aussi
en Société ecclésiastique dont
chaque membre fournira une cotisation en nature
pour l'avancement du règne de Dieu. Il
réunit les diacres, expose son plan qui est
adopté et « Te Taieté
Etaretia i Raïatéa »
(4) est
fondée. La contribution de chaque membre est
fixée à trois mesures d'arrow-root.
[La mesure est de six livres et plus]. La
première souscription faite produisit 1.050
mesures de fécule. Il n'y avait pas encore
d'argent dans l'île.
Alors qu'il s'adonnait de tout coeur
à fortifier la foi des chrétiens,
à constituer l'Eglise, à
préparer les futurs missionnaires des
archipels qu'il voulait évangéliser,
John Williams tomba gravement malade. Si gravement
qu'il fut quelque temps question d'un retour
définitif en Angleterre. Mr. Threlkeld
essaya inutilement plusieurs traitements ;
voyant l'inutilité de ses efforts, il
conseilla à son ami un retour
immédiat en Angleterre.
Après avoir prié et
réfléchi, John Williams crut devoir
se soumettre au verdict du docteur, bien qu'il lui
en coûtât beaucoup de laisser le champ
de ses travaux. Quelques mois auparavant, ce
départ pour l'Angleterre aurait
été le très bienvenu.
Aujourd'hui que Williams a eu la vision d'un champ
d'activité plus vaste, qu'il voit la
possibilité d'atteindre les archipels encore
plongés dans le paganisme, c'est avec
douleur qu'il accepte la pensée du
départ.
Dès que sa résolution est
prise, il convoque l'Eglise pour la lui
communiquer.
Ce fut une explosion de douleur. Les pleurs,
les sanglots se font entendre, et John Williams est
si ému qu'il peut à peine trouver le
courage nécessaire pour parler... Enfin il
exhorte les chrétiens à prier.
« La prière du juste a une grande
efficace. » Qu'ils demandent à
Dieu la guérison de leur missionnaire.
« Après cette exhortation, je
m'assis, écrit John Williams. Ce fut alors
un long silence de plusieurs minutes. Enfin, un
diacre se leva pour inviter aussi le peuple
à supplier Dieu qu'Il daignât me
guérir pour que je pusse rester au milieu
d'eux.
« Les jours qui suivirent, les
indigènes vinrent nombreux à la
maison missionnaire. Les uns pleuraient et
m'assuraient qu'ils ne pouvaient plus manger, ni
boire, ni dormir. Et nous savons que plusieurs
disaient l'exacte vérité. Le cher
vieux roi Tamatoa, qui est à mes
côtés en ce moment, écrivant
une lettre aux Directeurs de la
Société à Londres - lettre
qu'il leur envoie ainsi qu'une ceinture
(5) qui
a
causé la mort de bien des pauvres gens -
Tamatoa me fait de fréquentes visites, me
suppliant de ne pas partir, de ne pas les laisser,
me demandant si je n'ai pas compassion d'eux.
« Certain jour, il arriva en toute
hâte et avec la pensée évidente
qu'il avait un argument irrésistible
à faire valoir : « Wiriamu,
me dit-il, tu es vraiment un homme
étrange ! Jésus, Lui, ne s'est
pas mis en peine de son corps. Il n'a même
pas reculé devant la mort. Et maintenant,
toi, parce que ton corps est malade, tu songes
à nous quitter ? »
« J'expliquai au roi que son
argument ne portait pas. Le missionnaire a besoin
de sa force, de sa santé, de son corps pour
annoncer ce Salut pour lequel Jésus, Lui,
donna sa vie... »
Alors le cher ami me répondit
« Tu as raison, je me trompe. Mais mon
coeur te convoite. Et alors je songe à ceci,
à cela, et à tout ce qui pourrait
t'empêcher de partir... »
Les nombreuses marques d'attachement
reçues alors - nous ne pouvons citer toutes
celles que relate le révérend Prout -
rendent toujours plus puissants les liens qui
fixent Williams aux rives de Raïatéa.
Avec ardeur, lui aussi prie Dieu de le
guérir et d'empêcher ainsi la
séparation redoutée. Jour et nuit, en
particulier, en public, au temple, dans les
maisons, des supplications s'élèvent
vers Dieu en faveur du jeune missionnaire. Et le
Seigneur entendit. Une fois de plus, la
prière de la foi guérit le malade. De
façon rapide, inespérée, sans
remède (6), la maladie se mit à
décroître.
Alors John Williams prit la
résolution de rester. Avec la santé
physique, le zèle missionnaire revenait.
Quand sa décision fut connue, ce fut une
explosion de joie et de reconnaissance, en
même temps que les actions de grâce
montaient nombreuses vers, Dieu. Les
indigènes en se rencontrant se
félicitaient mutuellement de ce qu'ils
gardaient leur missionnaire, celui qui avait
été pour eux plus qu'un
père.
Hélas ! Pour John Williams,
cette période de joie fut de courte
durée. À peine venait-il de recouvrer
la santé que des nouvelles d'Angleterre
arrivaient à Raïatéa, et qu'il
apprenait la mort de sa mère bien-aimée. Le coup
fut
terrible. Certes, Williams avait remis sa
mère au Seigneur. Il n'osait espérer
la revoir. Cependant quand la chose se
précisa, quand ses craintes se
vérifièrent, il en fut comme
écrasé. Elle était morte
presque subitement le 23 décembre
1819 ! C'est dix-huit mois après qu'il
apprenait la douloureuse nouvelle ! Quel
éloignement, quel silence, nous dirions
presque quel tombeau, pour les missionnaires des
Îles du Pacifique ! Aujourd'hui, il est
difficile de mesurer leur isolement, et les
sacrifices consentis par ceux qui se donnaient
alors aux Missions, en Polynésie.
Dix-huit mois après qu'elle n'est
plus, John Williams écrit aux siens une
lettre déchirante. Sous sa force de
caractère, sous son énergie, il y a
un coeur très tendre, un tempérament
délicat à l'extrême, et il
souffre au double de ce départ
là-bas, au loin, si loin de lui, et il y a
tant de mois ! Voici quelques extraits de sa
lettre, extraits que nous abrégeons ici et
là.
« Raïatéa, 29 juin 1821.
« MON CHER PÈRE, CHERS FRÈRES ET SOEURS,
« C'est dans l'angoisse et la douleur
que je vous accuse réception de la terrible
nouvelle de la mort de mon excellente et
bien-aimée Mère. Oh ! si
seulement j'avais été près de
son lit au dernier moment pour recevoir sa
dernière bénédiction. Mon
coeur est rempli de douleur, mes yeux de larmes.
Notre pauvre chère, chère Maman n'est
plus ! Et vous, là-bas, sans elle, j'ai
l'impression que vous êtes comme un vaisseau
sans pilote au sein de la tempête... Elle
n'est plus, ... Et cependant elle parle encore par
l'exemple qu'elle
laisse ;
ce langage-là ne peut s'effacer. O
mère chérie, que le Seigneur aide tes
enfants dans les larmes, à marcher sur tes
traces...
« Il me semble t'entendre nous
dire : « Je suis heureuse,
heureuse ; je suis avec Jésus. Cessez
de pleurer, mes enfants.... aimez le Seigneur,
vivez pour Lui. Puis, nous nous retrouverons dans
la meilleure Patrie où une joie
éternelle sera notre
partage. »
« - Ah ! Mère
chérie, nous ne voulons pas pleurer comme
ceux qui sont sans espérance, mais nous
pleurons cependant. Rachel pleura, Jésus
pleura, que ne puis-je pleurer, ma
bien-aimée Mère, et le jour et la
nuit.
« J'imagine les derniers moments,
je vous vois autour du lit... jusqu'à ce
qu'elle s'endorme en Jésus. Je vois mon
père rentrer, tout inquiet, sans que
personne ose lui dire la douloureuse nouvelle... Je
vous vois pendant la veillée funèbre.
Ah ! si seulement j'avais été
à vos côtés ! ...
« Mes chères soeurs
écrivent qu'elles auraient aimé que
je fusse là pour leur enseigner la
soumission et la résignation ...
« Le Seigneur l'a fait », ...
Il dirige toutes choses ... Cette certitude
n'empêche pas que nous nous affligions, bien
qu'elle nous console en nous aidant à
regarder en avant et à l'instant du revoir
définitif. Si notre bien-aimée
Mère, n'avait pas appartenu à Christ,
quelle amertume dans nos larmes. Mais il n'en est
pas ainsi, et elle a échangé les
misères, les tristesses de la terre, pour
les joies du Ciel. La rappellerions-nous ?
Nous ne l'osons pas.
« Le portrait de ma chère
Mère est un trésor inestimable. Le
grand est suspendu dans notre chambre à
coucher. Mais, maintenant qu'elle n'est plus de ce
monde, il m'est presque impossible de le regarder sans
me laisser aller aux
larmes. J'essaye de me dominer. Mais je crains
d'avoir à l'enlever. Chère, bien
chère Mère !
« Je pense que l'amour de
chère Maman pour la Maison de Dieu vit dans
vos coeurs... La pluie, le froid, le vent, rien ne
l'empêchait jamais d'aller occuper sa place
au Tabernacle ... Jusqu'à cette nuit de
brouillard, cette nuit fatale ... Plus jamais, sa
voix ne vous rappellera l'heure du service divin,
et ne vous sollicitera... Laissez-moi vous demander
que l'exemple qu'elle laisse soit plus puissant que
sa voix.
« Chère Maman vit... Nous
la reverrons. Cette pensée du revoir me
remplit. Lorsque l'heure solennelle aura
sonné, quelle immense joie pour nous si nous
sommes en Christ. Mais quelle douleur si, vous ou
moi, nous manquons au céleste rendez-vous,
si vous ou moi nous étions trouvé
parmi les ennemis de Jésus.
« Chers frères et soeurs,
avant de terminer, permettez-moi deux
requêtes : 1° continuez de vivre en
bonne harmonie. Autrefois, quand quelque querelle
s'élevait, un mot de chère Maman
aplanissait toutes choses. Aujourd'hui, en souvenir
d'elle, ne permettez pas que rien vous divise.
2° Entourez cher Papa d'affection. Il doit
beaucoup souffrir... Je vais lui écrire en
particulier...
« Votre bien affectionné,
« J. WILLIAMS. »
À son père, son père non converti, le, jeune missionnaire écrit le même jour les ligues suivantes :
« BIEN CHER PÈRE DANS L'AFFLICTION,
« ... C'est bien en vain, cher
Père, que j'essaierais de vous consoler,
tandis que mon coeur saigne encore sous la
douleur... Tout au plus, puis-je mêler mes
larmes aux vôtres. C'est par votre lettre,
cher Père, que j'ai appris d'abord la
douloureuse nouvelle. Je venais de lire deux
lettres de ma chère Mère et
j'étais absolument sans appréhension,
quand j'ai ouvert la vôtre. Mais, dès
les premières lignes, j'ai compris l'immense
épreuve qui nous frappait.« J'ai
lu : « Votre mère n'est
plus ! » Puis j'ai cessé de
lire. Nous avions près de nous tous les
cadeaux envoyés et dont nous nous
réjouissions tant. Notre petit John venait
de recevoir ses jouets, nous lui avions dit qui les
envoyait et nous nous étions
étonnés de ne pas trouver le paquet
de la chère Grand'maman. Et maintenant,
l'explication ! Quel choc douloureux, si
inattendu, si brutal ! Et, cependant, nous ne
pleurons pas comme ceux qui sont sans
espérance ! Que, Dieu en soit
béni ! Car nous savons qu'ils sont
« heureux ceux qui meurent dans le
Seigneur ».
« Je sympathise
profondément avec vous, mon cher
Père, et j'aimerais essayer de diriger vos
regards vers Celui qui peut infiniment plus que
vous ne pouvez penser, pour vous soutenir en cette
grande épreuve. Toutes choses
dépendent de Dieu... Il emploie bien des
moyens pour sauver les pécheurs. Il est
riche en bonté, et vous ressentez
probablement la grandeur de la miséricorde
qui vous a si longtemps épargné. Le
Seigneur ne désire pas votre perdition. Que
de fois Il a voulu vous amener à Lui par
diverses épreuves et par de grandes
bénédictions ! Que de fois, Il vous a invité
et
convaincu ! ... Il a prolongé vos
jours... Il vous a donné une femme
chrétienne et une épouse excellente,
afin que, par son exemple, elle vous
conduisît jusqu'à Lui. O mon
père, ne méprisez pas les richesses
de sa bonté et de sa longue patience,
puisque dans les desseins de Dieu cette
bonté doit vous conduire à la
repentance. Je vous supplie du fond du coeur :
à cause de Ses promesses, à cause des
compassions de Christ, à cause de la vertu
expiatrice et purificatrice de son précieux
Sang, de rechercher avec ardeur ce pardon que Dieu
donne avec joie à la louange de sa
grâce même aux plus grands des
pécheurs.
« Et maintenant, cher père,
permettez-moi quelques requêtes... D'abord,
portez les fruits qui conviennent à la
repentance : sentiments, profession de foi,
qu'est cela si la conduite n'est pas changée
et en conformité avec ce que demande
l'Évangile de Christ ? Personne ne
croirait à votre
sincérité ! Secondement,
permettez à l'affection d'un fils, qu'il
vous supplie de ne pas remettre les pieds à
la taverne. En cet endroit, l'étincelle
sacrée de l'Amour ne deviendra jamais une
flamme. La taverne a toujours été
votre ennemie. Elle est une source de
misères. Elle vous a amené et
maintenu au bord de l'abîme de la perdition
jusqu'à un âge avancé ; si
vous ne la fuyez pas, elle détruira toutes
vos bonnes impressions et les dissipera comme la
nuée du matin. Si vraiment, vous
désirez le salut, le premier pas, c'est de
prendre la résolution virile, avec la force
que Jésus donne, de ne plus jamais mettre le
pied à la taverne. L'ennemi de votre
âme vous suggérera mille raisons de
continuer à faire ce qui lui est avantageux.
Vos anciens compagnons diront avec
dédain : « Où est
Williams ? » Un autre répondra :
« Il est devenu
religieux ! » Laissez-les se
moquer : qu'importe leur ironie !
L'essentiel, c'est qu'ils ne puissent pas perdre
votre âme et vous détourner de votre
Sauveur.
« Troisièmement :
permettez-moi de vous recommander de chercher
d'autres compagnons. Je ne veux pas vous conseiller
de traiter les anciens avec dédain, mais
qu'ils ne soient plus vos intimes, vos amis ;
recherchez plutôt la compagnie de ceux qui
ont de la piété.
« Quatrièmement :
saisissez toutes les occasions d'entendre la Parole
de Dieu, assistez au service divin, aux
réunions religieuses, etc... Ainsi, votre
temps sera occupé de façon
intéressante et profitable ; bien plus,
cela vous aidera à vous séparer de
vos anciens compagnons, de leur manière de
vivre, et fixera votre pensée sur des sujets
véritablement intéressants, ce qui
vous procurera les vraies jouissances. Je n'ai pas
besoin de vous demander de faire de la Bible votre
compagnon habituel et de lire aussi les livres
religieux... Par-dessus tout, je vous recommanderai
le trésor spirituel du
chrétien : le Trône de la
Grâce. Que le Saint-Esprit vous aide, qu'Il
vous enseigne à prier, qu'Il
intercède en vous.
« Bien cher Père, je vous
écris avec l'ardent désir d'aider
à l'oeuvre de la Grâce que Dieu, je
l'espère, a commencée en vous dans
son immense amour. Si vous croyez à la
valeur de votre âme, si vous craignez une
éternelle séparation d'avec ma
chère Mère et d'avec son Sauveur,
prenez en considération cette lettre et que
le Dieu des miséricordes nous accorde
à tous deux une place à sa droite,
selon les richesses de sa
Grâce... »
« Quelques lecteurs
blâmeront peut-être la publication de
ces lettres, écrit le révérend
Prout. Plusieurs m'accuseront sans doute d'avoir
manqué de discrétion... Mais l'une et
l'autre lettres, mieux que d'autres,
révèlent l'ardent amour filial qui
brûlait au coeur du fils pour ses père
et mère, et c'est ici l'un des traits de la
personnalité si puissante de John Williams.
À ce titre, elles ont leur place en ce
livre... Quoi qu'on pense de ces
épîtres, et de la manière dont
le jeune missionnaire exprime sa douleur, tous, je
pense, seront prêts à dire :
« Ah ! si tous les enfants avaient
une mère semblable à celle de John
Williams ! Et si toutes les mères
avaient un pareil fils ! » Quant
à la lettre que Williams écrivit
à son père, elle fut le moyen dont
Dieu se servit pour la conversion de celui-ci. Si
nous la publions, c'est avec la conviction que nous
aurions eu la pleine approbation du destinataire,
et parce qu'elle est aussi
caractéristique.
Toutefois, pour empêcher que soit
blâmée la conduite du fils donnant des
conseils à son père et essayant de le
conduire vers Dieu, ajoutons que Mr. Williams, au
moment de la mort de sa femme, ne s'était
pas encore converti. Malgré toutes ses
belles qualités, il n'avait pas encore
« la seule chose
nécessaire ». Renseigné par
ses soeurs, sachant la blessure faite par
l'épreuve, John Williams se décide
à plaider auprès de son père.
Avec respect, mais aussi avec amour et
fidélité, il tente un effort
suprême pour briser les chaînes dont
son père s'est laissé lier. Tentative
couronnée de succès. La lettre du
fils pénétra dans le coeur du
père qui, à ce moment, passa de la
mort à la vie. Il vécut encore
quelques années. En 1827, Mr. Nott, en
partance pour Tahiti et Raïatéa, alla
voir la famille Williams. Le père
était alors trop malade
pour tenir une conversation, mais quand le
vénérable missionnaire lui
demanda : « Quel message dois-je
porter à votre fils ? » Il
répondit : « Dites-lui,
oh ! dites-lui, que son père est
sauvé par son moyen ! »
(7).
Durant cette même année, John
Williams recueille des fruits abondants de ses
labeurs. « Notre congrégation va
en augmentant, écrit-il. Maintenant, le
nombre des adultes baptisés atteint deux
cent soixante-huit ; celui des enfants :
deux cent deux. Chaque fois que nous administrons
le sacrement du baptême, il y a parmi les
indigènes un renouveau
d'intérêt et une sorte de
réveil spirituel. »
Mais, à cette période, les
sujets de joie et de tristesse se succèdent
avec rapidité dans la vie de Williams. Alors
qu'il se réjouit des progrès
spirituels constatés de toutes parts, la
maladie dont il semblait guéri fait sa
réapparition. À nouveau, la question
du retour en Angleterre se pose pour lui. Alors
qu'il est encore indécis, un vaisseau qui va
à Sydney fait escale à
Raïatéa, et le capitaine lui offre le
passage ainsi qu'à Mrs. Williams et à
l'enfant.
L'offre est acceptée. John Williams
espère qu'il pourra trouver à Sydney
les soins que nécessite sa santé. Au
cours de cette traversée, il espère
pouvoir conduire lui-même des
évangélistes jusqu'à
Aïtutaki, une île dont Auura lui a
parlé. Enfin, il veut travailler à
Sydney à doter les Îles-sous-le-Vent
de communications régulières avec la
colonie, ce qui donnerait un débouché
assuré aux produits indigènes. Il
pense qu'il trouvera là-bas le correspondant indispensable,
l'agent qui
s'occupera de la vente à réception
des produits. Enfin, il veut acheter un
bateau.
« Nous sommes pleinement
convaincus, écrit-il aux directeurs de la
Société des Missions à
Londres, que si nos indigènes pouvaient
vendre leurs récoltes, ils seraient dignes
d'occuper le premier rang pour leur industrie et
leur travail... Depuis le roi jusqu'aux enfants,
tous travaillent. Nous nous, en réjouissons
et voulons faire notre possible pour rendre durable
cette habitude du labeur quotidien, si
récemment acquise... »
Le missionnaire réunit alors les
Raïatéens pour leur faire ses
recommandations, pour leur dire adieu et demander
qui s'offrirait pour porter le flambeau de
l'Évangile à Aïtutaki, où
le navire devait passer. Si la communication de son
prochain départ fut reçue avec
tristesse, celle qui avait trait à
l'évangélisation d'Aïtutaki
provoqua une explosion de joie. Le choix tomba sur
deux hommes : Papeiha et Vahapata, qui furent
heureux et fiers d'être choisis pour annoncer
Jésus en cette île lointaine,
peuplée d'indigènes de la même
race qu'eux.
La famille Williams et les deux missionnaires
s'embarquèrent donc vers la mi-octobre, et
le navire, après avoir gagné le
large, prit sa course vers l'Ouest. Le même
jour, il disparaissait avec les dernières
lueurs du couchant. Le 26 octobre, après
avoir couvert quelque cinq cents milles, le
vaisseau arrivait devant Aïtutaki
(8).
Île
couverte de verdure, entourée d'un
récif tout parsemé de petites
îles plantées de cocotiers, dont les palmes
lui
font comme un collier d'émeraude.
On avait à peine jeté l'ancre,
que, de l'île, d'innombrables canots se
dirigèrent vers le vaisseau. Pirogues
montées par une foule d'indigènes
peints, tatoués de la tête aux pieds,
qui criaient, dansaient, hurlaient, agitaient les
bras à qui mieux mieux. Quand le bruit des
voix et celui des plongeons eut enfin cessé,
John Williams essaya de se faire entendre et, il
demanda que le Chef voulût bien venir
à bord du navire.
Les indigènes furent très
étonnés d'entendre l'étranger
parler leur propre langue. Quand le chef Tamatoa
fut venu, John Williams lui dit les conquêtes
de l'Évangile à Tahiti, à
Eiméo, à Raïatéa, Tahaa,
Bora bora et Rurutu, comment les anciens dieux
polynésiens avaient été
brûlés, et comment les
indigènes adoraient maintenant
Jéhovah, le Dieu invisible qui a fait toutes
les îles de ce monde.
« Et où est le grand
Tangaroa, demanda Tamatoa ?
- Ils l'ont brûlé, dit John
Williams
- Et où est Oro, de
Raïatéa, demanda-t-il encore ?
- Lui aussi s'est en allé en
fumée, répondit le missionnaire. Et
j'ai amené deux hommes de
Raïatéa avec moi pour vous enseigner,
à toi et à ton peuple, la Parole du
vrai Dieu, et à servir le vrai
Dieu. » En même temps, il
présenta les deux missionnaires
bronzés au chef d'Aïtutaki.
« Viendront-ils avec moi, demanda
Tamatoa ?
- Certainement, c'est pour cela qu'ils sont
venus, dit John Williams. »
Ces nouvelles remplirent de joie Tamatoa
qui, saisissant Papeiha et Vahatapa,
commença de se frotter le
nez avec eux. Il le fit longuement pour manifester
le degré de sa joie.
« Je désire que tu les
traites avec bonté et que tu les
protèges, continua Williams. »
Tamatoa promit qu'il le ferait.
Pendant que s'accomplissait cette
transaction entre le missionnaire et le chef de
l'île, de nombreux indigènes
entouraient le petit John qui avait alors quatre
ans. Ils sont très étonnés de
voir sa figure blanche et ses cheveux blonds
pâle. C'était le premier enfant blanc
qu'ils eussent jamais vu, et tous ces
indigènes peints, tatoués, ou
plâtrés d'une argile blanche,
désiraient frotter leur nez à celui
de l'enfant.
« Il n'est pas bon, dirent-ils
à Williams, qu'un si joli petit enfant soit
exposé aux dangers de la grande mer.
Donne-le nous, nous en prendrons grand
soin. »
Les parents du petit garçon
n'étaient pas rassurés. Ils
craignaient que les indigènes ne fussent des
cannibales : « Nous prendrons grand
soin de lui, insistait Tamatoa, nous le ferons roi
de toute l'île. » Bientôt, ce
ne fut plus qu'une clameur :
« Donne-nous le
garçon ! » Quelques
indigènes se mirent à chuchoter
désignant l'enfant, puis le bastingage, et
Mrs. Williams, effrayée, convaincue qu'ils
complotaient d'enlever son fils, prit celui-ci et
s'enfuit dans la cabine.
Pendant ce temps, - et pour faire diversion,
- John questionnait Tamatoa sur les îles
environnantes. C'étaient là,
d'ailleurs, des détails qu'il
désirait connaître depuis longtemps.
Il apprit ainsi qu'il y avait de nombreuses
îles, quelques-unes très
peuplées, surtout Rarotonga, l'île
située le plus au sud de l'archipel de
Cook.
Papeiha et Vahapata descendirent alors dans
la pirogue du chef Tamatoa, on y fit aussi porter
leurs bagages et ils partirent
pour l'île. Le navire reprit alors sa course
vers l'Ouest et, après avoir parcouru deux
mille milles, jetait l'ancre devant Sydney.
Le changement d'air, les soins
médicaux, les relations renouées avec
bien des amis chrétiens, tout ceci fit le
plus grand bien aux voyageurs. Mrs. Williams, assez
gravement souffrante elle aussi, se remit
promptement, tandis que l'état de son mari
s'améliorait sérieusement.
John Williams se met alors en quête
d'un navire à acheter. Sa mère lui a
laissé un petit héritage. Il est
décidé à consacrer la somme
dont il dispose pour l'acquisition projetée.
Le Rév. Marsden, - correspondant et agent de
la Société des Missions de Londres, -
essaye de dissuader le jeune missionnaire, sans y
réussir.
Il faut admettre qu'il y a là chez
John Williams une résolution assez
hardie ! La transaction qu'il se propose de
faire ne semble pas en rapport avec la vocation
missionnaire. De plus, semblable achat, - s'il
achève ce qu'il a résolu, - va faire
de lui un objet, de suspicion, de calomnie ;
Williams va peut-être s'aliéner des
amis, et dans quels embarras ne risque-t-il pas de
tomber ?
Mais il a trop d'énergie et
d'indépendance pour s'arrêter à
compter les difficultés et les ennuis qui
pourront surgir de sa décision, quand sa
conscience et sa pensée lui conseillent
d'agir. À la base de sa conduite, nous ne
trouvons pas cette prudence timide qui va
jusqu'à paralyser l'action et n'est souvent
qu'une égoïste prudence.
« Pas d'histoires ! Pas
d'ennuis ! La paix par-dessus tout, disent
bien des gens. » Même celle du
cimetière, hélas !
Si John Williams a délaissé
les chemins battus, si sur ce
point encore il est allé trop loin, sa
conduite peut quand même être
proposée en exemple, un exemple que bien peu
seront tentés de suivre...
Quand Mr. Marsden comprit que la
décision de son jeune ami était
irrévocable, comme il était
déjà convaincu de l'excellence du but
et de la générosité de
Williams, il offrit de partager par moitié
la responsabilité de la transaction.
Un petit navire tout neuf, une
goélette de quatre-vingts à
quatre-vingt-dix tonnes, fut acheté. On la
nomma : « l'Entreprise » (9).
Et ce ne fut pas la seule charge
assumée par John Williams pendant son
séjour à Sydney. Les
expériences qu'il a faites dans les
îles lui ont prouvé que le tabac et la
canne à sucre pourraient être
cultivés sur une grande échelle et de
façon avantageuse. Il lui est impossible de
s'appliquer comme il le faudrait à ces
questions de culture et il s'assure les services
d'un Mr. Scott qui le remplacera auprès des
indigènes, leur enseignera les meilleures
méthodes de culture, la façon de
planter, etc... Il signe avec Mr. Scott un
engagement de trois ans, promettant à
celui-ci un salaire annuel de cent cinquante livres
sterling. Il s'occupe aussi de choses d'importance
très minime, semble-t-il : articles de
ménage, de cuisine, vêtements,
etc...
Le 30 janvier 1822, il écrit aux
directeurs de la Mission à Londres les
lignes suivantes : « Peut-être
avez-vous été surpris d'apprendre le
développement de l'oeuvre, tant au point de
vue temporel que spirituel. Je prie que vous nous
accordiez l'aide et l'assistance
nécessaires. J'emporte avec moi, dans les îles,
des vêtements
de femmes, des souliers, des bas, des bouilloires,
théières, tasses et soucoupes, du
thé que les indigènes aiment
beaucoup, ce qui les stimulera à planter la
canne à sucre pour sucrer leur breuvage.
Quand ils auront du thé, ils
désireront des tasses et quand ils auront
celles-ci, ils auront besoin de tables et il leur
faudra des chaises pour s'asseoir autour. Nous
espérons, qu'ainsi, les coutumes
européennes s'établiront promptement
dans les îles... »
Sir Thomas Brisbane, alors gouverneur de la
Nouvelle Galles du Sud, comprend le jeune
missionnaire et seconde ses efforts, ce qui fait
honneur à sa sagesse et à sa
bonté. Il l'invite chez lui, promet son
concours, et, au moment du départ, il offre
plusieurs vaches, des veaux et des moutons, pour
les chefs et les missionnaires des
Îles-sous-le-Vent. À ce superbe
présent, il ajoute deux enseignes et deux
cloches pour les temples.
Au milieu de ces poursuites, de ces
transactions, de ces marchés pour
l'amélioration du sort matériel des
indigènes que devenaient la
piété et le zèle missionnaire
de John Williams, penseront peut-être
quelques-uns ? Ils restent intacts. Et
même lorsqu'il s'occupe de ces choses toute
matérielles, semble-t-il, son but reste
toujours identique - glorifier Dieu par la
prédication de l'Évangile et le
développement général des
îles ouvertes au christianisme.
« Je suis sur le point de quitter
Sydney, écrit John Williams au Comité
directeur de Londres. À ma requête, le
capitaine Henry veut bien faire escale aux
îles Chatham (10) qui se trouvent
je crois par
le
42° Sud. Les gens de cet
archipel sont d'humeur paisible, ils parlent le
tahitien, on m'assure que les îles
énumérées ci-après sont
très peuplées : ce sont Rurutu,
Tubuaï, Raivavae et Opara (s'agit-il de
Rimatara ?) Peut-être pourrons-nous
aussi toucher à Pitcairn et aux Marquises.
Partout, j'aimerais persuader un chef de
s'embarquer avec nous ; une fois à
Tahiti et d'accord avec les autres missionnaires,
nous renverrions avec chacun d'eux des
évangélistes en leurs îles
respectives. Je fais imprimer en ce moment des
alphabets et des catéchismes pour en laisser
dans tous les endroits où nous
toucherons. »
Ces quelques lignes trahissent la
pensée de Williams. Son coeur embrasse tous
ces archipels encore plongés dans la nuit du
paganisme. Partout il veut semer - ne serait-ce
qu'en passant - et il prévoit. l'extension
de l'oeuvre par les indigènes
eux-mêmes. Déjà deux
missionnaires raïatéens travaillent
à Rurutu, deux autres à
Aïtutaki.
Williams a une force d'expansion
extraordinaire. S'il n'a jamais arboré la
devise : « Faire Christ
Roi », il travaille pratiquement de toute
sa force, de tout son coeur, de, toute sa
pensée à atteindre ce but. Sa charge
de missionnaire n'est pas quelque chose
d'extérieur à lui-même. Il n'y
a pas d'un côté le missionnaire, de
l'autre son activité. Non, non ! Il
s'est donné corps et âme pour le
service du Christ parmi les païens : tout
ce qu'il est, tout ce qu'il possède, il le
donne sans compter. Qu'importent
l'incompréhension, les blâmes, les
remontrances, bien plus : les
médisances, les jalousies, les accusations,
les mauvais soupçons, pourvu qu'il atteigne
le but qu'il s'est proposé.
« Heureux serez-vous lorsqu'on
dira faussement de vous toute sorte de mal à
cause de moi
(Matt.
V : 11).
Rien n'a manqué à sa couronne
de gloire : aucune des tristesses d'ici-bas.
Mais vaillamment et comme un fidèle
disciple, il ne se met en peine de rien et poursuit
sa course, regardant à Jésus.
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