Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE SEPTIÈME

xxxxxxxxx

-------

LE RETOUR DE RURUTU. - TRIOMPHE DU CHRISTIANISME. - A'A. - GRAND SERVICE D'ACTIONS DE GRÂCE. - LA JOIE DE JOHN WILLIAMS. - RAÏATÉA, ÉGLISE APOSTOLIQUE. - AH ! SI J'AVAIS UN NAVIRE ! - L'ÉGLISE DE RAÏATÉA EST FONDÉE. - MALADIE. - JOHN WILLIAMS ANNONCE SON DÉPART. - ARGUMENTS DE TAMATOA. - « MON COEUR TE CONVOITE. » - PRIÈRES. - EXAUCEMENT - ÉPREUVE. - DEUX LETTRES. - CONVERSION DE MR. WILLIAMS PÈRE. - VEILLE DE DÉPART. - CONSÉCRATION DE PAPEIHA ET VAHATAPA. - À SYDNEY. - ACHAT D'UNE GOÉLETTE. - CARGAISON D'OBJETS UTILES. - RETOUR.



 QUELQUES MOIS se sont écoulés. Souvent on parle des Raïatéens partis pour accompagner les missionnaires à Rurutu. Que sont-ils devenus ? Quand reviendront-ils ? Reviendront-ils ? Quel accueil ont-ils reçu là-bas en cette terre étrangère ? Souvent du haut des collines on examine l'horizon, on regarde longtemps, espérant toujours découvrir en mer l'embarcation attendue. Enfin certain jour, on signale quelque chose. Est-ce bien le bateau de Raïatéa ? Il faut attendre pour être tout à fait sûr.

Avec quel intérêt on suit le petit point noir ! On l'aperçoit sur la crête des vagues, il disparaît, on le voit à nouveau. Le point mouvant grossit, se rapproche. Quelle émotion ! Les voyageurs viennent de si loin ! Comment se portent-ils ? Car, on en a la certitude maintenant, le bateau qui se rapproche et se dirige vers la passe devant le village est bien celui de Raïatéa. Les indigènes se rendirent sur la plage pour accueillir les voyageurs. Ceux-ci sont encore loin qu'on les salue, qu'on leur demande des renseignements sur leur arrivée et leur séjour à Rurutu.

Comme réponse, ils dressent quelques-unes des idoles qu'ils rapportent. Puis dès qu'ils peuvent se faire entendre ils ajoutent : « Le peuple de Rurutu a brûlé ses idoles et nous en apportons quelques-unes à Raïatéa comme trophées. L'épidémie a cessé. On construit un temple à Rurutu, la balustrade de l'escalier qui monte à la chaire se compose des lances de guerre aujourd'hui inutiles. Les missionnaires raïatéens sont traités avec égards et bonté... »

Que de nouvelles ! Et quelles nouvelles ! Pour les entendre, toute l'île est convoquée au chef-lieu, et une grande assemblée se réunit dans le temple. C'était le soir : on avait allumé les lampadaires. À cette époque, les grandes réunions du soir n'étaient possibles qu'à Raïatéa. Seul, le temple de cette île avait l'éclairage nécessaire.

Les idoles rapportées de Rurutu étaient là en un monceau. Parmi elles : A'a, le dieu national, le père de l'île - assurait la tradition que se transmettaient les indigènes lorsque, assis sur le rivage, ils attendaient l'apparition de la nouvelle lune au-dessus de l'Océan. - Étrange idole, dont le corps était couvert d'une multitude de petits dieux. Une porte s'ouvrait dans le dos ; à l'intérieur du torse qui, était creux, il y avait encore vingt-quatre petits dieux.

John Williams est radieux. Cette victoire de l'Évangile si rapide, si complète, lui semble un raid triomphal. En quelques mois, à la voix des missionnaires de Raïatéa proclamant l'Évangile, Rurutu a rejeté ses idoles, a aboli le paganisme, et accepté la religion chrétienne. Or, les instruments dont Dieu s'est servi étaient eux-mêmes - peu d'années auparavant - de cruels guerriers, de sauvages idolâtres ! Quelle transformation ! Quels fruits ! Et aussi quelles possibilités pour demain !

Tuahiné (1), l'un des diacres, se lève et dit : « Ainsi périront tous les dieux faits de mains d'hommes. Les voici liés de cordes. Oui, leurs noms mêmes sont changés ! Autrefois on les nommait des dieux ! Et maintenant on les appelle : les esprits mauvais. Contemplez leur gloire : des plumes d'oiseaux rapidement détruites. Mais notre Dieu est le même à jamais »

« Le roi Tamatou se leva aussi pour exhorter l'assemblée et il fit une bien belle comparaison entre l'Océan et l'Évangile. Je ne crois pas qu'on en puisse trouver de plus belle, écrit John Williams :

« Continuons amis, à donner pour Dieu les produits de notre terre : l'huile de coco, la fécule d'arrow-root, afin que les aveugles puissent voir et les sourds entendre. Ne nous lassons pas de faire le bien. Voyez les mers : leur fond est rugueux ; cependant leur surface est plane. Nos pays étaient comme le fond des mers : ce n'était qu'aspérités, difficultés, pratiques abominables ; mais la bonne Parole de Dieu a tout aplani. Amis, d'autres pays sont encore raboteux, remplis d'iniquités. Ne soyons donc point paresseux, ne nous relâchons pas jusqu'à ce que la Parole de Dieu les atteigne, les recouvre, comme les eaux recouvrent le grand abîme. Et par-dessus tout, veillons à ce que nos coeurs soient purifiés par le sang de Jésus. Alors Dieu sera notre Ami et Jésus notre Frère... »

Un autre orateur se lève il parle avec chaleur et animation.
« Voyez nos lampadaires ! Jamais Oro ne nous a rien donné de semblable ! Voyez nos femmes, leurs vêtements, leurs chapeaux. Comparez avec les indigènes de Rurutu qui sont venus ici ; remarquez la différence en notre faveur. Comment cela s'est-il fait ? Est-ce à cause de notre habileté ? Ou bien parce que nous sommes de braves gens ? Non ! C'est à Jésus, au Nom de Jésus, que nous sommes redevables de tout cela. Faisons donc ce qui dépend de nous pour que son Nom soit prêché en d'autres pays, pour que d'autres aussi entrent dans nos privilèges. »
Et Uaeva (2) ajouta : « Les anges se réjouiraient si Dieu les envoyait ici-bas, pour annoncer l'Évangile de Christ. »

Le zèle missionnaire brûle au fond des coeurs de ces païens d'hier. Ceux qui se sont vraiment consacrés à Dieu désirent ardemment s'employer aux progrès de l'Évangile. Ils veulent donner et ils se donnent. Dès l'origine, l'Eglise de Raïatéa est une Église apostolique, une Église missionnaire. Le zèle brûlant pour Dieu, le besoin de conquêtes pour Christ qui sont au coeur de Williams se sont communiqués à ceux qu'il a instruits.

Qu'il se promène le soir le long du rivage, pendant l'une de ces nuits tropicales lumineuses, qu'il se penche sur l'une des cartes du Pacifique dressées par le grand navigateur Cook, une pensée dominante remplit le coeur de John Williams : posséder un navire, moyen de communication nécessaire avec les autres archipels. Où les explorateurs ont dressé les pavillons de leurs nations respectives, son ambition à lui, c'est de dresser la Croix.

Williams ne sait pas garder pour lui ce qu'il pense ; il ne peut rester inactif quand il croit possible de réaliser ce qui lui paraît nécessaire ; et il écrit aux membres directeurs du Comité de Londres :
« ... Pour visiter souvent les îles qui nous environnent, il suffirait d'une goélette jaugeant de vingt à vingt-cinq tonneaux. Si vous vouliez en mettre une à notre disposition, elle serait extrêmement utile ; et je ne crois pas que cela serait très coûteux. Elle appartiendrait à la Société et serait à la disposition de tous les missionnaires. Mais la goélette aurait son point d'attache, et les missionnaires de l'île où elle serait habituellement, s'occuperaient de l'entretien. Raïatéa conviendrait fort bien. Ne supposez pas que je dise cela parce que je suis l'un des missionnaires de cette île. Non ! Mais la position de Raïatéa est centrale ; et nos frères de Tahiti et d'ailleurs pourraient avoir la goélette facilement ! Je me suis instruit des choses de la navigation et je pourrais les enseigner aux indigènes... »

Enfin ! Le missionnaire a lancé son appel ! Quelle réponse va-t-il recevoir ? ... Et quand cette réponse l'atteindra-t-elle ? Pas de courrier régulier ! Des navires qui doublent le cap Horn ou le cap de Bonne Espérance. Longues escales dans les ports visités ! John Williams patientera. Il saura attendre en se donnant plus que jamais aux indigènes de Raïatéa, de Bora bora et de Tahaa, et surtout à l'Eglise de professants qui vient d'être fondée.



FOUR TAHITIEN

« Notre Église s'est constituée sur une base indépendante », écrit-il dans l'une de ses lettres : elle n'est pas nationale ni régionale ; ce n'est pas un assemblage d'éléments disparates, c'est une fraternité spirituelle dont les membres sont vraiment chrétiens ; elle ignore les différences secondaires et réunit ceux qui ont une même foi et sont unis par, les liens de la charité ; ceux qui recherchent la communion fraternelle et se reçoivent l'un l'autre comme Christ les a aussi reçus pour la gloire de Dieu. Les buts que se propose l'Eglise, ce sont l'édification mutuelle, le maintien du culte chrétien, la profession publique de la foi en Christ, la fidélité au Seigneur, la célébration de la Sainte Cène, la propagation de l'Évangile. Dans l'Eglise, deux charges : celle de pasteur pour la partie spirituelle, et celle de diacre : l'un et l'autre élus par les membres de l'Église. L'Eglise est indépendante de toute autorité civile ou ecclésiastique ; elle ne se rattache ni aux hommes, ni aux communautés, ni aux sectes hostiles, ni aux sociétés soeurs. Ni schismatiques, ni sectaires, les Églises devront ouvrir largement leurs portes ; chacune pratiquant l'amour fraternel, la communion chrétienne, collaborera fraternellement pour l'accomplissement de toute bonne oeuvre parmi les disciples du commun Maître.

Tels furent les principes placés à la base de l'Eglise de Raïatéa par John Williams. Église bien petite à ses débuts : elle ne comprend qu'une trentaine de membres et parmi eux : le roi et la reine. Écrivant à ce sujet, les deux délégués de la Mission de Londres (3) notent entre autres ceci : « Le roi et la reine n'ont pas été admis à cause de leur dignité mais à cause de leur piété. Ici le rang n'influence pas les choses de la religion. Un plus grand nombre d'indigènes seront probablement admis dans l'Eglise avant longtemps. »

Raïatéa avait sa Société auxiliaire des Missions. John Williams croit bon que l'Eglise se constitue aussi en Société ecclésiastique dont chaque membre fournira une cotisation en nature pour l'avancement du règne de Dieu. Il réunit les diacres, expose son plan qui est adopté et « Te Taieté Etaretia i Raïatéa » (4) est fondée. La contribution de chaque membre est fixée à trois mesures d'arrow-root. [La mesure est de six livres et plus]. La première souscription faite produisit 1.050 mesures de fécule. Il n'y avait pas encore d'argent dans l'île.

Alors qu'il s'adonnait de tout coeur à fortifier la foi des chrétiens, à constituer l'Eglise, à préparer les futurs missionnaires des archipels qu'il voulait évangéliser, John Williams tomba gravement malade. Si gravement qu'il fut quelque temps question d'un retour définitif en Angleterre. Mr. Threlkeld essaya inutilement plusieurs traitements ; voyant l'inutilité de ses efforts, il conseilla à son ami un retour immédiat en Angleterre.

Après avoir prié et réfléchi, John Williams crut devoir se soumettre au verdict du docteur, bien qu'il lui en coûtât beaucoup de laisser le champ de ses travaux. Quelques mois auparavant, ce départ pour l'Angleterre aurait été le très bienvenu. Aujourd'hui que Williams a eu la vision d'un champ d'activité plus vaste, qu'il voit la possibilité d'atteindre les archipels encore plongés dans le paganisme, c'est avec douleur qu'il accepte la pensée du départ.
Dès que sa résolution est prise, il convoque l'Eglise pour la lui communiquer.

Ce fut une explosion de douleur. Les pleurs, les sanglots se font entendre, et John Williams est si ému qu'il peut à peine trouver le courage nécessaire pour parler... Enfin il exhorte les chrétiens à prier. « La prière du juste a une grande efficace. » Qu'ils demandent à Dieu la guérison de leur missionnaire. « Après cette exhortation, je m'assis, écrit John Williams. Ce fut alors un long silence de plusieurs minutes. Enfin, un diacre se leva pour inviter aussi le peuple à supplier Dieu qu'Il daignât me guérir pour que je pusse rester au milieu d'eux.

« Les jours qui suivirent, les indigènes vinrent nombreux à la maison missionnaire. Les uns pleuraient et m'assuraient qu'ils ne pouvaient plus manger, ni boire, ni dormir. Et nous savons que plusieurs disaient l'exacte vérité. Le cher vieux roi Tamatoa, qui est à mes côtés en ce moment, écrivant une lettre aux Directeurs de la Société à Londres - lettre qu'il leur envoie ainsi qu'une ceinture (5) qui a causé la mort de bien des pauvres gens - Tamatoa me fait de fréquentes visites, me suppliant de ne pas partir, de ne pas les laisser, me demandant si je n'ai pas compassion d'eux.

« Certain jour, il arriva en toute hâte et avec la pensée évidente qu'il avait un argument irrésistible à faire valoir : « Wiriamu, me dit-il, tu es vraiment un homme étrange ! Jésus, Lui, ne s'est pas mis en peine de son corps. Il n'a même pas reculé devant la mort. Et maintenant, toi, parce que ton corps est malade, tu songes à nous quitter ? »

« J'expliquai au roi que son argument ne portait pas. Le missionnaire a besoin de sa force, de sa santé, de son corps pour annoncer ce Salut pour lequel Jésus, Lui, donna sa vie... »
Alors le cher ami me répondit « Tu as raison, je me trompe. Mais mon coeur te convoite. Et alors je songe à ceci, à cela, et à tout ce qui pourrait t'empêcher de partir... »

Les nombreuses marques d'attachement reçues alors - nous ne pouvons citer toutes celles que relate le révérend Prout - rendent toujours plus puissants les liens qui fixent Williams aux rives de Raïatéa. Avec ardeur, lui aussi prie Dieu de le guérir et d'empêcher ainsi la séparation redoutée. Jour et nuit, en particulier, en public, au temple, dans les maisons, des supplications s'élèvent vers Dieu en faveur du jeune missionnaire. Et le Seigneur entendit. Une fois de plus, la prière de la foi guérit le malade. De façon rapide, inespérée, sans remède (6), la maladie se mit à décroître.
Alors John Williams prit la résolution de rester. Avec la santé physique, le zèle missionnaire revenait. Quand sa décision fut connue, ce fut une explosion de joie et de reconnaissance, en même temps que les actions de grâce montaient nombreuses vers, Dieu. Les indigènes en se rencontrant se félicitaient mutuellement de ce qu'ils gardaient leur missionnaire, celui qui avait été pour eux plus qu'un père.

Hélas ! Pour John Williams, cette période de joie fut de courte durée. À peine venait-il de recouvrer la santé que des nouvelles d'Angleterre arrivaient à Raïatéa, et qu'il apprenait la mort de sa mère bien-aimée. Le coup fut terrible. Certes, Williams avait remis sa mère au Seigneur. Il n'osait espérer la revoir. Cependant quand la chose se précisa, quand ses craintes se vérifièrent, il en fut comme écrasé. Elle était morte presque subitement le 23 décembre 1819 ! C'est dix-huit mois après qu'il apprenait la douloureuse nouvelle ! Quel éloignement, quel silence, nous dirions presque quel tombeau, pour les missionnaires des Îles du Pacifique ! Aujourd'hui, il est difficile de mesurer leur isolement, et les sacrifices consentis par ceux qui se donnaient alors aux Missions, en Polynésie.

Dix-huit mois après qu'elle n'est plus, John Williams écrit aux siens une lettre déchirante. Sous sa force de caractère, sous son énergie, il y a un coeur très tendre, un tempérament délicat à l'extrême, et il souffre au double de ce départ là-bas, au loin, si loin de lui, et il y a tant de mois ! Voici quelques extraits de sa lettre, extraits que nous abrégeons ici et là.

« Raïatéa, 29 juin 1821.

« MON CHER PÈRE, CHERS FRÈRES ET SOEURS,

« C'est dans l'angoisse et la douleur que je vous accuse réception de la terrible nouvelle de la mort de mon excellente et bien-aimée Mère. Oh ! si seulement j'avais été près de son lit au dernier moment pour recevoir sa dernière bénédiction. Mon coeur est rempli de douleur, mes yeux de larmes. Notre pauvre chère, chère Maman n'est plus ! Et vous, là-bas, sans elle, j'ai l'impression que vous êtes comme un vaisseau sans pilote au sein de la tempête... Elle n'est plus, ... Et cependant elle parle encore par l'exemple qu'elle laisse ; ce langage-là ne peut s'effacer. O mère chérie, que le Seigneur aide tes enfants dans les larmes, à marcher sur tes traces...

« Il me semble t'entendre nous dire : « Je suis heureuse, heureuse ; je suis avec Jésus. Cessez de pleurer, mes enfants.... aimez le Seigneur, vivez pour Lui. Puis, nous nous retrouverons dans la meilleure Patrie où une joie éternelle sera notre partage. »

« - Ah ! Mère chérie, nous ne voulons pas pleurer comme ceux qui sont sans espérance, mais nous pleurons cependant. Rachel pleura, Jésus pleura, que ne puis-je pleurer, ma bien-aimée Mère, et le jour et la nuit.

« J'imagine les derniers moments, je vous vois autour du lit... jusqu'à ce qu'elle s'endorme en Jésus. Je vois mon père rentrer, tout inquiet, sans que personne ose lui dire la douloureuse nouvelle... Je vous vois pendant la veillée funèbre. Ah ! si seulement j'avais été à vos côtés ! ...

« Mes chères soeurs écrivent qu'elles auraient aimé que je fusse là pour leur enseigner la soumission et la résignation ... « Le Seigneur l'a fait », ... Il dirige toutes choses ... Cette certitude n'empêche pas que nous nous affligions, bien qu'elle nous console en nous aidant à regarder en avant et à l'instant du revoir définitif. Si notre bien-aimée Mère, n'avait pas appartenu à Christ, quelle amertume dans nos larmes. Mais il n'en est pas ainsi, et elle a échangé les misères, les tristesses de la terre, pour les joies du Ciel. La rappellerions-nous ? Nous ne l'osons pas.

« Le portrait de ma chère Mère est un trésor inestimable. Le grand est suspendu dans notre chambre à coucher. Mais, maintenant qu'elle n'est plus de ce monde, il m'est presque impossible de le regarder sans me laisser aller aux larmes. J'essaye de me dominer. Mais je crains d'avoir à l'enlever. Chère, bien chère Mère !

« Je pense que l'amour de chère Maman pour la Maison de Dieu vit dans vos coeurs... La pluie, le froid, le vent, rien ne l'empêchait jamais d'aller occuper sa place au Tabernacle ... Jusqu'à cette nuit de brouillard, cette nuit fatale ... Plus jamais, sa voix ne vous rappellera l'heure du service divin, et ne vous sollicitera... Laissez-moi vous demander que l'exemple qu'elle laisse soit plus puissant que sa voix.

« Chère Maman vit... Nous la reverrons. Cette pensée du revoir me remplit. Lorsque l'heure solennelle aura sonné, quelle immense joie pour nous si nous sommes en Christ. Mais quelle douleur si, vous ou moi, nous manquons au céleste rendez-vous, si vous ou moi nous étions trouvé parmi les ennemis de Jésus.

« Chers frères et soeurs, avant de terminer, permettez-moi deux requêtes : 1° continuez de vivre en bonne harmonie. Autrefois, quand quelque querelle s'élevait, un mot de chère Maman aplanissait toutes choses. Aujourd'hui, en souvenir d'elle, ne permettez pas que rien vous divise. 2° Entourez cher Papa d'affection. Il doit beaucoup souffrir... Je vais lui écrire en particulier...

« Votre bien affectionné,

« J. WILLIAMS. »

À son père, son père non converti, le, jeune missionnaire écrit le même jour les ligues suivantes :


« BIEN CHER PÈRE DANS L'AFFLICTION,

« ... C'est bien en vain, cher Père, que j'essaierais de vous consoler, tandis que mon coeur saigne encore sous la douleur... Tout au plus, puis-je mêler mes larmes aux vôtres. C'est par votre lettre, cher Père, que j'ai appris d'abord la douloureuse nouvelle. Je venais de lire deux lettres de ma chère Mère et j'étais absolument sans appréhension, quand j'ai ouvert la vôtre. Mais, dès les premières lignes, j'ai compris l'immense épreuve qui nous frappait.« J'ai lu : « Votre mère n'est plus ! » Puis j'ai cessé de lire. Nous avions près de nous tous les cadeaux envoyés et dont nous nous réjouissions tant. Notre petit John venait de recevoir ses jouets, nous lui avions dit qui les envoyait et nous nous étions étonnés de ne pas trouver le paquet de la chère Grand'maman. Et maintenant, l'explication ! Quel choc douloureux, si inattendu, si brutal ! Et, cependant, nous ne pleurons pas comme ceux qui sont sans espérance ! Que, Dieu en soit béni ! Car nous savons qu'ils sont « heureux ceux qui meurent dans le Seigneur ».

« Je sympathise profondément avec vous, mon cher Père, et j'aimerais essayer de diriger vos regards vers Celui qui peut infiniment plus que vous ne pouvez penser, pour vous soutenir en cette grande épreuve. Toutes choses dépendent de Dieu... Il emploie bien des moyens pour sauver les pécheurs. Il est riche en bonté, et vous ressentez probablement la grandeur de la miséricorde qui vous a si longtemps épargné. Le Seigneur ne désire pas votre perdition. Que de fois Il a voulu vous amener à Lui par diverses épreuves et par de grandes bénédictions ! Que de fois, Il vous a invité et convaincu ! ... Il a prolongé vos jours... Il vous a donné une femme chrétienne et une épouse excellente, afin que, par son exemple, elle vous conduisît jusqu'à Lui. O mon père, ne méprisez pas les richesses de sa bonté et de sa longue patience, puisque dans les desseins de Dieu cette bonté doit vous conduire à la repentance. Je vous supplie du fond du coeur : à cause de Ses promesses, à cause des compassions de Christ, à cause de la vertu expiatrice et purificatrice de son précieux Sang, de rechercher avec ardeur ce pardon que Dieu donne avec joie à la louange de sa grâce même aux plus grands des pécheurs.

« Et maintenant, cher père, permettez-moi quelques requêtes... D'abord, portez les fruits qui conviennent à la repentance : sentiments, profession de foi, qu'est cela si la conduite n'est pas changée et en conformité avec ce que demande l'Évangile de Christ ? Personne ne croirait à votre sincérité ! Secondement, permettez à l'affection d'un fils, qu'il vous supplie de ne pas remettre les pieds à la taverne. En cet endroit, l'étincelle sacrée de l'Amour ne deviendra jamais une flamme. La taverne a toujours été votre ennemie. Elle est une source de misères. Elle vous a amené et maintenu au bord de l'abîme de la perdition jusqu'à un âge avancé ; si vous ne la fuyez pas, elle détruira toutes vos bonnes impressions et les dissipera comme la nuée du matin. Si vraiment, vous désirez le salut, le premier pas, c'est de prendre la résolution virile, avec la force que Jésus donne, de ne plus jamais mettre le pied à la taverne. L'ennemi de votre âme vous suggérera mille raisons de continuer à faire ce qui lui est avantageux. Vos anciens compagnons diront avec dédain : « Où est Williams ? » Un autre répondra : « Il est devenu religieux ! » Laissez-les se moquer : qu'importe leur ironie ! L'essentiel, c'est qu'ils ne puissent pas perdre votre âme et vous détourner de votre Sauveur.

« Troisièmement : permettez-moi de vous recommander de chercher d'autres compagnons. Je ne veux pas vous conseiller de traiter les anciens avec dédain, mais qu'ils ne soient plus vos intimes, vos amis ; recherchez plutôt la compagnie de ceux qui ont de la piété.

« Quatrièmement : saisissez toutes les occasions d'entendre la Parole de Dieu, assistez au service divin, aux réunions religieuses, etc... Ainsi, votre temps sera occupé de façon intéressante et profitable ; bien plus, cela vous aidera à vous séparer de vos anciens compagnons, de leur manière de vivre, et fixera votre pensée sur des sujets véritablement intéressants, ce qui vous procurera les vraies jouissances. Je n'ai pas besoin de vous demander de faire de la Bible votre compagnon habituel et de lire aussi les livres religieux... Par-dessus tout, je vous recommanderai le trésor spirituel du chrétien : le Trône de la Grâce. Que le Saint-Esprit vous aide, qu'Il vous enseigne à prier, qu'Il intercède en vous.

« Bien cher Père, je vous écris avec l'ardent désir d'aider à l'oeuvre de la Grâce que Dieu, je l'espère, a commencée en vous dans son immense amour. Si vous croyez à la valeur de votre âme, si vous craignez une éternelle séparation d'avec ma chère Mère et d'avec son Sauveur, prenez en considération cette lettre et que le Dieu des miséricordes nous accorde à tous deux une place à sa droite, selon les richesses de sa Grâce... »

« Quelques lecteurs blâmeront peut-être la publication de ces lettres, écrit le révérend Prout. Plusieurs m'accuseront sans doute d'avoir manqué de discrétion... Mais l'une et l'autre lettres, mieux que d'autres, révèlent l'ardent amour filial qui brûlait au coeur du fils pour ses père et mère, et c'est ici l'un des traits de la personnalité si puissante de John Williams. À ce titre, elles ont leur place en ce livre... Quoi qu'on pense de ces épîtres, et de la manière dont le jeune missionnaire exprime sa douleur, tous, je pense, seront prêts à dire : « Ah ! si tous les enfants avaient une mère semblable à celle de John Williams ! Et si toutes les mères avaient un pareil fils ! » Quant à la lettre que Williams écrivit à son père, elle fut le moyen dont Dieu se servit pour la conversion de celui-ci. Si nous la publions, c'est avec la conviction que nous aurions eu la pleine approbation du destinataire, et parce qu'elle est aussi caractéristique.

Toutefois, pour empêcher que soit blâmée la conduite du fils donnant des conseils à son père et essayant de le conduire vers Dieu, ajoutons que Mr. Williams, au moment de la mort de sa femme, ne s'était pas encore converti. Malgré toutes ses belles qualités, il n'avait pas encore « la seule chose nécessaire ». Renseigné par ses soeurs, sachant la blessure faite par l'épreuve, John Williams se décide à plaider auprès de son père. Avec respect, mais aussi avec amour et fidélité, il tente un effort suprême pour briser les chaînes dont son père s'est laissé lier. Tentative couronnée de succès. La lettre du fils pénétra dans le coeur du père qui, à ce moment, passa de la mort à la vie. Il vécut encore quelques années. En 1827, Mr. Nott, en partance pour Tahiti et Raïatéa, alla voir la famille Williams. Le père était alors trop malade pour tenir une conversation, mais quand le vénérable missionnaire lui demanda : « Quel message dois-je porter à votre fils ? » Il répondit : « Dites-lui, oh ! dites-lui, que son père est sauvé par son moyen ! » (7).

Durant cette même année, John Williams recueille des fruits abondants de ses labeurs. « Notre congrégation va en augmentant, écrit-il. Maintenant, le nombre des adultes baptisés atteint deux cent soixante-huit ; celui des enfants : deux cent deux. Chaque fois que nous administrons le sacrement du baptême, il y a parmi les indigènes un renouveau d'intérêt et une sorte de réveil spirituel. »

Mais, à cette période, les sujets de joie et de tristesse se succèdent avec rapidité dans la vie de Williams. Alors qu'il se réjouit des progrès spirituels constatés de toutes parts, la maladie dont il semblait guéri fait sa réapparition. À nouveau, la question du retour en Angleterre se pose pour lui. Alors qu'il est encore indécis, un vaisseau qui va à Sydney fait escale à Raïatéa, et le capitaine lui offre le passage ainsi qu'à Mrs. Williams et à l'enfant.

L'offre est acceptée. John Williams espère qu'il pourra trouver à Sydney les soins que nécessite sa santé. Au cours de cette traversée, il espère pouvoir conduire lui-même des évangélistes jusqu'à Aïtutaki, une île dont Auura lui a parlé. Enfin, il veut travailler à Sydney à doter les Îles-sous-le-Vent de communications régulières avec la colonie, ce qui donnerait un débouché assuré aux produits indigènes. Il pense qu'il trouvera là-bas le correspondant indispensable, l'agent qui s'occupera de la vente à réception des produits. Enfin, il veut acheter un bateau.

« Nous sommes pleinement convaincus, écrit-il aux directeurs de la Société des Missions à Londres, que si nos indigènes pouvaient vendre leurs récoltes, ils seraient dignes d'occuper le premier rang pour leur industrie et leur travail... Depuis le roi jusqu'aux enfants, tous travaillent. Nous nous, en réjouissons et voulons faire notre possible pour rendre durable cette habitude du labeur quotidien, si récemment acquise... »

Le missionnaire réunit alors les Raïatéens pour leur faire ses recommandations, pour leur dire adieu et demander qui s'offrirait pour porter le flambeau de l'Évangile à Aïtutaki, où le navire devait passer. Si la communication de son prochain départ fut reçue avec tristesse, celle qui avait trait à l'évangélisation d'Aïtutaki provoqua une explosion de joie. Le choix tomba sur deux hommes : Papeiha et Vahapata, qui furent heureux et fiers d'être choisis pour annoncer Jésus en cette île lointaine, peuplée d'indigènes de la même race qu'eux.



BORABORA : LE TEMPLE

La famille Williams et les deux missionnaires s'embarquèrent donc vers la mi-octobre, et le navire, après avoir gagné le large, prit sa course vers l'Ouest. Le même jour, il disparaissait avec les dernières lueurs du couchant. Le 26 octobre, après avoir couvert quelque cinq cents milles, le vaisseau arrivait devant Aïtutaki (8). Île couverte de verdure, entourée d'un récif tout parsemé de petites îles plantées de cocotiers, dont les palmes lui font comme un collier d'émeraude.

On avait à peine jeté l'ancre, que, de l'île, d'innombrables canots se dirigèrent vers le vaisseau. Pirogues montées par une foule d'indigènes peints, tatoués de la tête aux pieds, qui criaient, dansaient, hurlaient, agitaient les bras à qui mieux mieux. Quand le bruit des voix et celui des plongeons eut enfin cessé, John Williams essaya de se faire entendre et, il demanda que le Chef voulût bien venir à bord du navire.

Les indigènes furent très étonnés d'entendre l'étranger parler leur propre langue. Quand le chef Tamatoa fut venu, John Williams lui dit les conquêtes de l'Évangile à Tahiti, à Eiméo, à Raïatéa, Tahaa, Bora bora et Rurutu, comment les anciens dieux polynésiens avaient été brûlés, et comment les indigènes adoraient maintenant Jéhovah, le Dieu invisible qui a fait toutes les îles de ce monde.
« Et où est le grand Tangaroa, demanda Tamatoa ?
- Ils l'ont brûlé, dit John Williams
- Et où est Oro, de Raïatéa, demanda-t-il encore ?
- Lui aussi s'est en allé en fumée, répondit le missionnaire. Et j'ai amené deux hommes de Raïatéa avec moi pour vous enseigner, à toi et à ton peuple, la Parole du vrai Dieu, et à servir le vrai Dieu. » En même temps, il présenta les deux missionnaires bronzés au chef d'Aïtutaki.

« Viendront-ils avec moi, demanda Tamatoa ?
- Certainement, c'est pour cela qu'ils sont venus, dit John Williams. »

Ces nouvelles remplirent de joie Tamatoa qui, saisissant Papeiha et Vahatapa, commença de se frotter le nez avec eux. Il le fit longuement pour manifester le degré de sa joie.
« Je désire que tu les traites avec bonté et que tu les protèges, continua Williams. » Tamatoa promit qu'il le ferait.

Pendant que s'accomplissait cette transaction entre le missionnaire et le chef de l'île, de nombreux indigènes entouraient le petit John qui avait alors quatre ans. Ils sont très étonnés de voir sa figure blanche et ses cheveux blonds pâle. C'était le premier enfant blanc qu'ils eussent jamais vu, et tous ces indigènes peints, tatoués, ou plâtrés d'une argile blanche, désiraient frotter leur nez à celui de l'enfant.
« Il n'est pas bon, dirent-ils à Williams, qu'un si joli petit enfant soit exposé aux dangers de la grande mer. Donne-le nous, nous en prendrons grand soin. »

Les parents du petit garçon n'étaient pas rassurés. Ils craignaient que les indigènes ne fussent des cannibales : « Nous prendrons grand soin de lui, insistait Tamatoa, nous le ferons roi de toute l'île. » Bientôt, ce ne fut plus qu'une clameur : « Donne-nous le garçon ! » Quelques indigènes se mirent à chuchoter désignant l'enfant, puis le bastingage, et Mrs. Williams, effrayée, convaincue qu'ils complotaient d'enlever son fils, prit celui-ci et s'enfuit dans la cabine.

Pendant ce temps, - et pour faire diversion, - John questionnait Tamatoa sur les îles environnantes. C'étaient là, d'ailleurs, des détails qu'il désirait connaître depuis longtemps. Il apprit ainsi qu'il y avait de nombreuses îles, quelques-unes très peuplées, surtout Rarotonga, l'île située le plus au sud de l'archipel de Cook.

Papeiha et Vahapata descendirent alors dans la pirogue du chef Tamatoa, on y fit aussi porter leurs bagages et ils partirent pour l'île. Le navire reprit alors sa course vers l'Ouest et, après avoir parcouru deux mille milles, jetait l'ancre devant Sydney.

Le changement d'air, les soins médicaux, les relations renouées avec bien des amis chrétiens, tout ceci fit le plus grand bien aux voyageurs. Mrs. Williams, assez gravement souffrante elle aussi, se remit promptement, tandis que l'état de son mari s'améliorait sérieusement.

John Williams se met alors en quête d'un navire à acheter. Sa mère lui a laissé un petit héritage. Il est décidé à consacrer la somme dont il dispose pour l'acquisition projetée. Le Rév. Marsden, - correspondant et agent de la Société des Missions de Londres, - essaye de dissuader le jeune missionnaire, sans y réussir.

Il faut admettre qu'il y a là chez John Williams une résolution assez hardie ! La transaction qu'il se propose de faire ne semble pas en rapport avec la vocation missionnaire. De plus, semblable achat, - s'il achève ce qu'il a résolu, - va faire de lui un objet, de suspicion, de calomnie ; Williams va peut-être s'aliéner des amis, et dans quels embarras ne risque-t-il pas de tomber ?

Mais il a trop d'énergie et d'indépendance pour s'arrêter à compter les difficultés et les ennuis qui pourront surgir de sa décision, quand sa conscience et sa pensée lui conseillent d'agir. À la base de sa conduite, nous ne trouvons pas cette prudence timide qui va jusqu'à paralyser l'action et n'est souvent qu'une égoïste prudence. « Pas d'histoires ! Pas d'ennuis ! La paix par-dessus tout, disent bien des gens. » Même celle du cimetière, hélas !

Si John Williams a délaissé les chemins battus, si sur ce point encore il est allé trop loin, sa conduite peut quand même être proposée en exemple, un exemple que bien peu seront tentés de suivre...
Quand Mr. Marsden comprit que la décision de son jeune ami était irrévocable, comme il était déjà convaincu de l'excellence du but et de la générosité de Williams, il offrit de partager par moitié la responsabilité de la transaction.
Un petit navire tout neuf, une goélette de quatre-vingts à quatre-vingt-dix tonnes, fut acheté. On la nomma : « l'Entreprise » (9).
Et ce ne fut pas la seule charge assumée par John Williams pendant son séjour à Sydney. Les expériences qu'il a faites dans les îles lui ont prouvé que le tabac et la canne à sucre pourraient être cultivés sur une grande échelle et de façon avantageuse. Il lui est impossible de s'appliquer comme il le faudrait à ces questions de culture et il s'assure les services d'un Mr. Scott qui le remplacera auprès des indigènes, leur enseignera les meilleures méthodes de culture, la façon de planter, etc... Il signe avec Mr. Scott un engagement de trois ans, promettant à celui-ci un salaire annuel de cent cinquante livres sterling. Il s'occupe aussi de choses d'importance très minime, semble-t-il : articles de ménage, de cuisine, vêtements, etc...

Le 30 janvier 1822, il écrit aux directeurs de la Mission à Londres les lignes suivantes : « Peut-être avez-vous été surpris d'apprendre le développement de l'oeuvre, tant au point de vue temporel que spirituel. Je prie que vous nous accordiez l'aide et l'assistance nécessaires. J'emporte avec moi, dans les îles, des vêtements de femmes, des souliers, des bas, des bouilloires, théières, tasses et soucoupes, du thé que les indigènes aiment beaucoup, ce qui les stimulera à planter la canne à sucre pour sucrer leur breuvage. Quand ils auront du thé, ils désireront des tasses et quand ils auront celles-ci, ils auront besoin de tables et il leur faudra des chaises pour s'asseoir autour. Nous espérons, qu'ainsi, les coutumes européennes s'établiront promptement dans les îles... »

Sir Thomas Brisbane, alors gouverneur de la Nouvelle Galles du Sud, comprend le jeune missionnaire et seconde ses efforts, ce qui fait honneur à sa sagesse et à sa bonté. Il l'invite chez lui, promet son concours, et, au moment du départ, il offre plusieurs vaches, des veaux et des moutons, pour les chefs et les missionnaires des Îles-sous-le-Vent. À ce superbe présent, il ajoute deux enseignes et deux cloches pour les temples.

Au milieu de ces poursuites, de ces transactions, de ces marchés pour l'amélioration du sort matériel des indigènes que devenaient la piété et le zèle missionnaire de John Williams, penseront peut-être quelques-uns ? Ils restent intacts. Et même lorsqu'il s'occupe de ces choses toute matérielles, semble-t-il, son but reste toujours identique - glorifier Dieu par la prédication de l'Évangile et le développement général des îles ouvertes au christianisme.

« Je suis sur le point de quitter Sydney, écrit John Williams au Comité directeur de Londres. À ma requête, le capitaine Henry veut bien faire escale aux îles Chatham (10) qui se trouvent je crois par le 42° Sud. Les gens de cet archipel sont d'humeur paisible, ils parlent le tahitien, on m'assure que les îles énumérées ci-après sont très peuplées : ce sont Rurutu, Tubuaï, Raivavae et Opara (s'agit-il de Rimatara ?) Peut-être pourrons-nous aussi toucher à Pitcairn et aux Marquises. Partout, j'aimerais persuader un chef de s'embarquer avec nous ; une fois à Tahiti et d'accord avec les autres missionnaires, nous renverrions avec chacun d'eux des évangélistes en leurs îles respectives. Je fais imprimer en ce moment des alphabets et des catéchismes pour en laisser dans tous les endroits où nous toucherons. »

Ces quelques lignes trahissent la pensée de Williams. Son coeur embrasse tous ces archipels encore plongés dans la nuit du paganisme. Partout il veut semer - ne serait-ce qu'en passant - et il prévoit. l'extension de l'oeuvre par les indigènes eux-mêmes. Déjà deux missionnaires raïatéens travaillent à Rurutu, deux autres à Aïtutaki.

Williams a une force d'expansion extraordinaire. S'il n'a jamais arboré la devise : « Faire Christ Roi », il travaille pratiquement de toute sa force, de tout son coeur, de, toute sa pensée à atteindre ce but. Sa charge de missionnaire n'est pas quelque chose d'extérieur à lui-même. Il n'y a pas d'un côté le missionnaire, de l'autre son activité. Non, non ! Il s'est donné corps et âme pour le service du Christ parmi les païens : tout ce qu'il est, tout ce qu'il possède, il le donne sans compter. Qu'importent l'incompréhension, les blâmes, les remontrances, bien plus : les médisances, les jalousies, les accusations, les mauvais soupçons, pourvu qu'il atteigne le but qu'il s'est proposé.

« Heureux serez-vous lorsqu'on dira faussement de vous toute sorte de mal à cause de moi (Matt. V : 11).

Rien n'a manqué à sa couronne de gloire : aucune des tristesses d'ici-bas. Mais vaillamment et comme un fidèle disciple, il ne se met en peine de rien et poursuit sa course, regardant à Jésus.



SOLEIL LEVANT



(1) Prononcer : Touahiné. 

(2) Prononcer : Ouaéva.

(3) MM. Tyerman et Bennet.

(4) Société de l'Eglise de Raïatéa.

(5) MARO URA : La ceinture rouge. Ceinture qui ne pouvait être portée que par de très grands rois et en de grandes occasions.

(6) Tout avait été déjà essayé en vain.

(7) « Tell him, oh tell him that the father is saved through the son's instrumentality. »

(8) De découverte en 1789 par le capitaine Bliglit, à bord de la « Bounty », quelques jours avant la révolte de son équipage.

(9) The Eudeavour. 

(10) Aujourd'hui : les Îles Australes. Celle qui est située le plus au Sud est Rapa. Est-ce cette île qui est ici désignée comme Opara ?
Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant