INSTALLATION. - UNE MAISON A L'EUROPÉENNE. - CONTAGION DE L'EXEMPLE. - L'ÉCOLE. - UN DEUIL. - EMPLOI DU TEMPS. - AU SERVICE DU ROI. - LE CHRISTIANISME, RELIGION D'ÉTAT. - PROFONDES TRANSFORMATIONS OPÉRÉES PAR L'ÉVANGILE. - UN TEMPLE. - CRÉATION D'UNE SOCIÉTÉ AUXILIAIRE DES MISSIONS. - DISCOURS. - LE DON DU ROI ET DE LA REINE.
LE lendemain, de bon matin, MM. Threlkeld
et Williams allèrent sur le rivage devisant
sur l'oeuvre à faire, le poste missionnaire
à fonder, etc... Une femme indigène
vint vers eux. C'était la reine ; la
femme de Tamatoa. Lui désignant un terrain
tout proche, John Williams lui demanda :
« Pourrions-nous avoir cet endroit pour y
construire ?
- Regarde devant toi, répondit la
reine en souriant ; regarde derrière
toi. Regarde de ce côté-ci et de ce
côté-là. Regarde tout autour de
toi, tout est à toi ; et à
l'endroit que tu diras, là tu
construiras. »
Les missionnaires choisirent donc un terrain
dominant un peu le rivage et d'où l'on
pouvait voir l'une des passes donnant accès
à la mer intérieure ; puis ils
se mirent à l'ouvrage. À
Eiméo, durant les jours qui avaient suivi
son arrivée, John s'était
occupé de la construction
d'un bateau ; à Raïatéa, il
va se mettre à la construction d'une maison.
Les maisons indigènes consistaient en
un grand toit fait des feuilles tressées du
cocotier ou des feuilles enfilées du
pandanus. Ce toit tombait très bas et
reposait sur des piliers. Pas de parois. Sur le
sol, une sorte d'herbe séchée
nommée « arétou »
qu'on renouvelait de temps à autre. Comme
contour, cela ressemble aux meules de nos champs.
Williams désire se construire une
véritable maison. Dans sa pensée, la
sienne doit servir de modèle aux
indigènes. Il est convaincu qu'un logement
convenable aura d'heureuses répercussions
sur les moeurs du peuple, et il se met à
construire dans l'espoir qu'on l'imitera.
Il va sans dire que les indigènes
ignoraient totalement ce qu'étaient une
porte, une fenêtre ou même un
mur ! Williams devait être à la
fois architecte, charpentier, maçon,
menuisier. Il fallait aussi songer à
l'érection d'un temple. Enfin, si
absorbantes qu'elles fussent, ces questions
matérielles devaient rester secondaires et
ne venir qu'après l'enseignement et la
prédication.
Pour la prédication, le missionnaire
parle, l'indigène l'écoute assis, pas
de difficultés ! Mais
l'enseignement ! Comment amener ces gens
insouciants, indolents, à vouloir
s'instruire ! Et comment les atteindre,
dispersés qu'ils sont dans toute
l'île ? Et comment les amener à
aimer le travail ? Pour John Williams qui a la
passion du travail, l'indolence ambiante est une
souffrance. Il sait bien que l'oeuvre le
dépasse, mais il compte sur la puissance de
transformation de l'Évangile.
La guerre, la pêche, le service des
idoles, les horribles cérémonies
païennes, à cela se réduisent
les occupations des
Raïatéens. En temps de paix, ils aiment
à se poursuivre, soit sur terre, soit
à la nage, ou bien ils iront en face d'une
passe vers l'Océan et se laisseront porter
vers la rive par les grandes vagues du large. Ils
réciteront leurs traditions ; et le
soir venu c'est la danse et l'orgie : le rapt,
le viol, souvent le meurtre.
La richesse du sol, les productions
naturelles donnent le nécessaire pour
l'entretien de la vie. Comme leurs ancêtres,
ils cueillent et mangent des fruits - bananiers,
orangers, goyaviers, ananas, manguiers,
citronniers, papayers, etc., poussent sans culture,
ainsi que bien des racines comestibles :
taros, ignames, arrow-root. Ils mangent le poisson
cru, après l'avoir fait macérer dans
le jus de citron ; d'ailleurs, ajoute John
Williams, « ils préféreront
souffrir de la faim plutôt que de
s'astreindre à faire du feu pour cuire des
aliments. » (1)
Les missionnaires ont heureusement l'appui
du Roi et des chefs ; ils sont leurs
invités, leurs hôtes, ce sont eux qui
sont allés les chercher à
Huahiné, qui s'occupent de leur installation
dans l'île. Et cela c'est beaucoup, certes,
bien que ce ne soit pas tout. Le roi veut que le
peuple vienne écouter les missionnaires et
apprenne d'eux à servir le Dieu des blancs.
Son peuple obéit, et chaque dimanche il
remplit plusieurs fois la grande case où
Christ est annoncé. Ces papaa disaient
d'ailleurs des choses bien curieuses. Ils
assuraient que le Dieu des blancs n'exigeait pas de
sacrifices humains comme
« Oro », le grand dieu polynésien. Il
défendait le vol, le mensonge, le meurtre,
la paresse ; leurs dieux à eux
permettaient tout cela et même ils avaient un
dieu pour les voleurs : Hiro un autre pour le
meurtre : Te-rongo, d'autres pour la
guerre : Oro, Tarianui. Et le Dieu des blancs
commandait aussi de travailler. Quelle
étrange religion ! Si douce d'un
côté, si terrible de l'autre par ses
exigences de sainteté dans la conduite, dans
la vie !
En attendant plus et mieux, les
missionnaires sont heureux des grands auditoires du
Dimanche : « Les gens sont
décemment et proprement vêtus,
écrit Williams. Le premier service
terminé, ils prennent le repas
préparé la veille ; ensuite ils
reviennent au temple pour le second service. Je
vous assure qu'ils écoutent avec une grande
attention.
« Je viens d'avoir une
intéressante conversation avec le roi et la
reine et deux indigènes venus pour voir le
portrait de ma mère. Ils ont d'abord
demandé si vous ne pleuriez pas tous quand
nous sommes partis et si vous n'aviez pas
essayé de nous retenir ? J'ai
répondu que vous auriez
préféré nous garder, mais que
vous nous aviez laissé partir par amour pour
Dieu et pour eux. » Et qui t'a
envoyé, me dirent-ils ?
- La pensée est venue en mon
coeur ; et je crois que c'est Dieu qui l'y a
mise.
- Et retourneras-tu voir ta
famille ?
- Je le désire ardemment. Si
l'Angleterre n'était pas plus loin que
Tahiti, je pourrais espérer aller les voir
et revenir ici. Mais vu la distance, il
était probable que si j'allais en
Angleterre, je ne reviendrais jamais vers
eux. »
Après quelques réflexions sur
leur apparence agréable, leur conversation,
J. Williams continue : « Quant
à leurs coutumes, elles sont abominables [trop
abominables, ajoute
Prout,
pour que nous puissions les indiquer ici]. Leur
oisiveté semble
invétérée. Leur parlons-nous
de la nécessité du travail ? Ils
se mettent à rire. Et nombreux sont ceux qui
ne veulent plus nous approcher parce que,
disent-ils, nous les fatiguons de nos constantes
exhortations à travailler. Tous les
habitants se rattachent plus ou moins au
Christianisme. Celui-ci est maintenant devenu
religion nationale, et est adopté comme
telle par le peuple. Mais hélas, il n'a pas
pénétré le coeur.
« Au lieu d'être
groupés par villages, ils habitent par
familles sur leurs terres, et sont ainsi
dispersés un peu partout. Que de temps perdu
pour les atteindre : les chemins de
vallée sont à peine tracés,
les cols souvent difficiles d'accès. Si l'on
veut voyager par mer, l'ile est profondément
découpée par de vastes baies et des
caps qu'il faut contourner. Comment appeler les
indigènes à se grouper autour de
nous ? »
Après mûres réflexions,
les missionnaires décidèrent de
convoquer une grande réunion de tous les
habitants. Ils leur expliqueraient que pour les
instruire selon le désir du roi, il
était nécessaire qu'ils habitassent
près des missionnaires. La réunion
eut lieu, et à la grande joie de MM.
Williams et Threlkeld, la proposition fut
adoptée, la création d'un village
décidée, et l'endroit choisi pour
l'érection des cases.
John Williams avait appris la langue maorie
avec une étonnante rapidité ;
non en pâlissant sur un vocabulaire ou une
grammaire, mais en se mêlant aux
indigènes, en les questionnant, en les
écoutant, de sorte qu'il avait acquis
rapidement et tout à la fois les mots et la
manière de les assembler, les tournures de
langage et la prononciation. Sa mémoire
était excellente ; il notait les
nuances, les images, les sons, les figures de
langage. Les
missionnaires venus avant lui furent
extrêmement surpris des résultats de
cette méthode. Williams avait acquis en
quelques mois la langue qu'ils avaient mis
plusieurs années à apprendre.
Dès son arrivée à
Raïatéa, le jeune missionnaire
prêche trois fois par semaine, et il est tout
heureux de constater que les indigènes le
comprennent. Dans une lettre à sa
mère, il écrit à ce
sujet : « Tu pries, chère
maman, pour que ton fils puisse annoncer aux
païens les richesses insondables de Christ.
Dieu a entendu, chère maman, et Il a
exaucé... J'ai fait de grands progrès
en maori et j'en donne toute la gloire à
Celui qui dispense la sagesse et a
créé la bouche. ... J'espère
être pour toi une couronne de joie... Je
pleure en songeant qu'il ne m'est guère
permis de caresser l'espoir de te revoir ici-bas,
mère chérie ; mais par la
grâce de Dieu, j'ai là vive
espérance de te rencontrer auprès du
Seigneur, où la mort ne détruira
plus, ne fera plus couler de larmes, ne remplira
plus l'âme d'amertume. Va de l'avant,
chère maman, bon courage ; sans doute
tu m'as donné, mais c'est à Celui qui
s'est donné Lui-même pour
toi... »
Peu après il écrit encore en
réponse à une lettre dans laquelle
Mrs. Williams rappelle les douleurs de la
séparation : « Ces heures
déchirantes reviennent souvent aussi
à ma pensée... Mais les paroles de
chère tante Tomes sont aussi dans mon
coeur : « Souviens-toi mon cher
garçon quelque souffrance que tu puisses
avoir à endurer, que ce n'est pas pour toi,
mais pour Jésus, lequel a fait pour toi et a
souffert pour toi, infiniment plus que tu ne feras
jamais, ou que tu ne souffriras jamais. »
Dans les heures de solitude et quand mon âme
est abattue au dedans de moi,
cette pensée a été pour moi
une puissante consolation et a changé ma
tristesse en joie. Ne vous lamentez donc pas, chers
parents, parce que je suis si loin. Les mondains ne
sont-ils pas très honorés quand l'un
des leurs est au service d'un homme illustre, et ne
devriez-vous pas vous réjouir de ce que je
suis au service du Roi des rois ? Parce que je
parle ainsi, n'allez pas imaginer que je ne vous
aime plus. Non, non ! Il n'en est pas ainsi.
Il me faut souvent faire un effort pour me dominer
quand je pense à vous, et n'était-ce
la joie de servir le Seigneur et de lui gagner des
âmes, j'aurais vite fait de partir vous
retrouver. Ni l'or d'Ophir, ni toutes les richesses
de l'Orient ne suffiraient à me garder
éloigné de vous. Mais j'ai cette
consolation d'être dans le chemin du devoir,
de faire un service utile, de constater que tous,
depuis le roi jusqu'au dernier indigène, nie
sont attachés. N'est-ce pas pour cette
oeuvre que j'ai quitté ma patrie et mes
bien-aimés ; et n'ai-je pas tous les
encouragements qu'un missionnaire peut
ambitionner ? »
Les indigènes aidaient leurs
missionnaires pour la construction des maisons en
fournissant les matériaux nécessaires
et en aidant à les placer sous la direction
de Williams. Mais leur concours laissait beaucoup
à désirer ; comment auraient-ils
pu aider de façon très effective
à la fabrication de choses qu'ils n'avaient
jamais faites, bien plus : jamais vues !
Il est difficile de peindre leur étonnement
et leur admiration pour la demeure qui
s'élevait et pour son architecte, à
mesure qu'avançait le travail. La maison
avait vingt mètres de long sur dix de large
et était divisée en sept chambres,
trois sur le devant, quatre de l'autre
côté. Les chambres ouvraient sur des
vérandas par des fenêtres à la
française avec leurs jalousies. Ces vérandas
étaient
couvertes. Le gros de la construction était
en bois, mais il entrait dans les murs une sorte de
clayonnage et le tout était recouvert de
chaux mêlée de sable. John Williams
teignit celle-ci en orange et en gris pour faire la
décoration intérieure des
chambres.
La maison achevée, Williams se mit
à faire des meubles : des chaises, des
tables, des sofas, des lits, dont il rabote les
planches, tourne les piliers et les pieds ;
les planchers sont recouverts de nattes. Enfin la
première demeure missionnaire
raïatéenne était construite et
meublée avec tout le confort des maisons
européennes. Sur le devant, Williams a
dessiné un jardin avec pelouses,
plates-bandes plantées de fleurs [celles des
îles et les plantes exotiques introduites par
les missionnaires] avec des allées
soigneusement recouvertes de gravier.
Derrière la maison, une basse-cour
fermée que le jeune missionnaire peuple de
dindons, de poules et de canards de plusieurs
espèces. À côté, un
potager avec les légumes qu'on peut faire
pousser là-bas choux, concombres, haricots,
oignons, etc... Un peu plus tard, les missionnaires
introduisirent dans l'île des chèvres
et des vaches.
L'intérêt des indigènes
allait croissant. Qu'il était donc habile
leur missionnaire ! Il n'y avait point de
choses, semblait-il, que ses mains ne pussent
réussir ! Pourquoi donc ne
pourraient-ils eux aussi se faire une maison ?
Ils avaient le bois, un modèle de
construction, ils avaient des bras et le temps
voulu. Ce désir de se bâtir une maison
fut la première chose qui aida les
Raïatéens à vaincre leur
extrême indolence. Chaque jour maintenant, et
tout le long du jour, les visiteurs arrivaient pour
demander un renseignement, pour voir une
pièce de menuiserie, pour que leur missionnaire
leur
dît comment s'y prendre, ou qu'il
résolût leurs difficultés.
On aurait tort de s'imaginer qu'à
cette époque l'oeuvre spirituelle proprement
dite fût abandonnée. Jamais
peut-être John Williams ne s'y était
consacré plus complètement. Voici
d'ailleurs l'emploi du temps que nous relevons dans
l'une de ses lettres, et quelques extraits de sa
correspondance avec sa famille ou le Comité
directeur à Londres.
Aux siens il écrit « ...
Que je vous donne mon emploi du temps : les
Lundis (sauf le premier Lundi du mois), Mardis et
Jeudis, je travaille à la construction de
notre maison. Les indigènes font le toit et
le clayonnage, mais il me reste les portes, les
planchers, les murs, les parois séparant les
chambres, etc... Mercredi, Vendredi et Samedi sont
consacrés à l'étude et
à me préparer pour la
prédication. De plus, je fais chaque jour
l'école, de sorte que mon temps est
extrêmement rempli... »
Voici un autre extrait donnant de plus
amples détails :
« Les gens viennent
régulièrement au temple. Certains
sont très attentifs et paraissent
désireux de croire. » Je ne puis
vous parler de conversions frappantes ou
d'éveil des consciences ; mais je crois
que Dieu agit dans quelques murs. Les
indigènes viennent aussi à
l'école. Ils ont le culte de famille ;
et plusieurs font leur culte particulier matin et
soir. Mais chez la plupart d'entre eux, une chose
semble encore faire défaut : ils ne se
sentent pas pécheurs et ne comprennent pas
leur besoin d'un Sauveur. Envers nous, ils sont
bons, aimables, et acceptent tout ce que nous leur
proposons. Les chefs, le peuple nous consultent sur
toutes choses ou à peu près ; et s'ils ont des
difficultés
entre eux, ils nous demandent de décider.
Nous le faisons avec autant de douceur et de tact
que possible. Il y a de fréquentes disputes
entre les maris et les femmes, et comme mes
collègues ne veulent pas s'en occuper, on
vient à moi. Jusqu'ici, j'ai
été un assez heureux
médiateur.
v« Nous pensons établir ici
une Société de Missions comme celles
qui existent à Tahiti et à
Huahiné. Mais la création du village
est récente : il n'y avait que deux ou
trois vieilles huttes quand nous sommes
arrivés. Tous les indigènes ont
dû construire de nouvelles habitations et
faire tout autour des plantations pour avoir les
vivres qui leur sont nécessaires. Jusqu'ici,
nous n'avons pu leur demander aucune contribution,
mais nous ne négligerons pas de le faire
aussitôt que possible.
« Nous voulons aussi élever
un nouveau temple avec plancher et murailles
recouvertes de chaux, etc... Quand ceci sera
achevé ainsi que les constructions en cours,
le village s'étendra le long de la plage sur
une distance de deux à trois
kilomètres...
« En plus de la case où
nous faisons nos services, nous avons
inauguré un autre lieu de culte et nous nous
proposons d'ouvrir une seconde salle à
Tahaa, où il y a aussi une oeuvre à
faire. (Talma se trouve encerclée dans la
même ceinture de récifs que
Raïatéa. Nous espérons pouvoir
nous y rendre toutes les semaines).
« Voici comment se passent nos
Dimanches : le matin à six heures,
réunion de prières : deux
indigènes prient, et le missionnaire fait
une méditation ; à neuf heures,
la cloche sonne pour le service. L'auditoire est de
cinq à sept cents indigènes, tous
convenablement vêtus, la plupart très
attentifs. Mais il est parfois de
mille à quinze cents auditeurs. À
onze heures, nous nous réunissons entre
collègues chez l'un ou l'autre, à
tour de rôle, pour un service en anglais.
À une heure, catéchisme ;
à quatre heures, nouveau service en
tahitien. Ensuite nous nous réunissons entre
collègues, nous et nos familles, pour
prendre le thé. Et la soirée se passe
en chantant des cantiques, en priant, ou en faisant
quelque lecture pour notre édification
mutuelle. Chaque premier Dimanche, nous
célébrons ensemble la Sainte
Cène. Alors il m'arrive souvent de penser
avec regret aux services de Communion du
Tabernacle, alors que j'avais ma chère
Mère à mes côtés. Non
certes que nous ne fassions pas ici comme en
Angleterre l'expérience de la
Présence du Seigneur ! Il est
fidèle celui qui a dit : « Je
suis toujours avec vous, jusqu'à la fin du
monde. » Et sa présence est
suffisante pour aider à continuer la route
avec joie.
« L'école de semaine se
tient tous les matins et elle est bien suivie. Le
Lundi soir, nous nous mettons à la
disposition de ceux qui veulent nous poser quelque
question, ou nous demander quelque explication.
Quelques-unes de ces questions sont subtiles...
« Comment puis-je obtenir la vraie foi
dont vous parlez ? - Pourquoi les
méchantes pensées m'assaillent-elles
quand je vais à la montagne pour
prier ? - Si Satan était un homme, je
le frapperais jusqu'à ce que mort s'ensuive.
Que dites-vous de cette pensée, est-elle
bonne ou mauvaise ? »
« Le Mercredi, service en
tahitien ; le Jeudi soir, nous prenons le
thé ensemble chez l'un ou l'autre des
ménages missionnaires, à tour de
rôle ; puis nous étudions un
sujet pour notre édification mutuelle. Tout
mon temps libre est consacré à
enseigner aux indigènes quelque travail
manuel.
« Mon travail fait mes
délices... Mon seul désir est
d'être un instrument pour gagner des
âmes... Je parle le tahitien couramment et
prêcherais volontiers cinq sermons en
tahitien pour quiconque en prêcherait un pour
moi en anglais quand c'est mon tour.
« La chambre où nous nous
tenons dans la journée (sitting-room),
mesure près de sept mètres sur cinq.
Presque chaque soir elle se remplit
d'indigènes qui désirent quelque
explication ou conseil, ou qui demandent quelque
information. On nous pose souvent des questions sur
la prière. C'est aujourd'hui Samedi ;
la soirée de ce jour est censée nous
appartenir. Cependant une douzaine de personnes
sont venues quand même. L'une d'elles voulait
nous demander s'il était convenable, quand
elle se retirait dans la brousse pour prier, de
s'exprimer ainsi : « O
Jéhovah ! mets ta Parole dans mon
coeur, toute ta Parole, et recouvre-là pour
que je ne l'oublie point. »
À la fin de 1818, Mr. et Mrs. Orsmond
vinrent à Raïatéa, pour
être auprès de Mr. Threlkeld au moment
de la naissance du bébé
espéré. Mrs. Orsmond avait souvent
dit qu'elle ne survivrait pas à la
douloureuse épreuve de la maternité,
parlant de la proximité de son départ
avec l'a plus grande sérénité.
Malgré cela, sa mort soudaine nous surprit
péniblement. « Notre frère
est soutenu, écrit Mr. Williams, par la
pensée que son appauvrissement fait
l'enrichissement de la chère
disparue. » Ce départ, si loin de
la mère-patrie, affecta très
particulièrement la petite colonie
missionnaire de Raïatéa.
Lorsque Mr. Williams avait quitté
l'Angleterre, le Comité lui avait
donné des instructions écrites
où nous trouvons ces sages
recommandations : « Il faudra
quelque temps pour que vous sachiez assez bien la
langue pour annoncer
l'Évangile - ce qui doit être votre
principal objet. - Mais vous pouvez vous employer
dès l'arrivée à enseigner
l'agriculture et tous autres travaux manuels des
peuples civilisés. Le grand mal des
indigènes, c'est l'oisiveté.
Amenez-les à s'occuper utilement de quelque
manière que ce soit : peut-être
en cultivant le sol, ou en exploitant quelque
richesse naturelle dont ils pourraient tirer
profit. Alors ils seront en mesure de faire quelque
chose pour propager l'Évangile en d'autres
îles encore dans les ténèbres
du paganisme. Nous regrettons que jusqu'ici presque
rien n'ait été fait en ce
sens... »
Nous avons déjà vu à
quel point John Williams s'était
inspiré des instructions reçues, et
avec quel heureux résultat. Les mois qui
suivent son arrivée dans le champ
missionnaire à Mooréa et à
Huahiné sont remplis d'une activité
débordante. Et que dire de la
première année à
Raïatéa ! Tout le peuple de
l'île venant se grouper auprès de la
maison des missionnaires, abandonnant ses habitudes
d'oisiveté et s'instruisant dans la
connaissance de Dieu ; tous les
indigènes venant à l'école
apprendre à lire pour pouvoir lire la Bible.
Les lettres de John Williams sont plus
éloquentes que de nombreux commentaires et
nous donnons encore ci-après plusieurs
extraits de sa correspondance. Dans une
communication aux amis du Tabernacle, il
dit :
« C'est un grand avantage que de
pouvoir mettre la main à tout, et il est
à souhaiter que tout missionnaire partant
pour une contrée non encore civilisée
ait non seulement l'esprit missionnaire, mais
encore qu'il puisse s'occuper de travaux
manuels.
« Nous avons enseigné aux
indigènes à construire des maisons,
à scier le bois, à faire une
charpente, nous leur avons
enseigné à travailler le fer,
à construire un bateau et bien d'autres
choses encore. Frère Threlkeld fait faire en
ce moment une grande embarcation dont les ouvriers
sont uniquement des indigènes. Ayant
personnellement besoin, d'un bateau plus grand que
celui que j'ai achevé à Eiméo,
pour visiter Tahaa, j'ai construit une embarcation
de près de six mètres de long [seize
pieds]. L'autre qui est très large et lourd
demande un équipage d'au moins cinq hommes.
Avec celui-ci, deux indigènes me suffisent,
et si besoin était, je me contenterais d'un
seul. Il est d'une forme élégante, et
c'est à peine si j'ai employé
quelques clous, me servant presque exclusivement de
iéié. J'ai attaché toutes les
traverses et les planches avec cette cordelette
extrêmement forte que tressent les
indigènes et dont ils se servent pour leurs
pirogues. Mes Raïatéens sont
enchantés de ce procédé, et
une fois leurs maisons achevées, ils ont
résolu de se faire des bateaux dans le genre
du mien (2). Ils
s'imaginaient qu'ils ne pouvaient rien faire de ce
genre sans avoir des clous. Maintenant qu'ils se
rendent compte du contraire, ils disent :
« Mea maitai atura. »
C'est-à-dire :
« Parfait ! » ou
« Excellent ! » puisque
tout homme qui le veut et n'est pas paresseux
pourra se faire aussi un bateau.
« À notre manière,
nous avons formé une petite
Société pour l'Encouragement des Arts
et des Sciences. Frère Threlkeld a offert le
premier prix. Frère Orsmond et moi nous
avons promis cinquante clous chacun à celui
qui commencera le premier à faire un bateau.
Un chef âgé est parti pour couper le
bois nécessaire à
faire la quille d'une embarcation qu'il va :
construire dans notre enclos... Nous allons lui
donner cent cinquante clous pour fixer
l'extrémité des planches et pour
employer partout où la corde, lette ne
suffit pas (3)
pour fixer de façon assez
serrée.
« Tout en nous occupant
très activement des intérêts
éternels du peuple parmi lequel nous
travaillons, nous n'oublions pas ce qui est
temporel, nous souvenant du commandement :
« Ne soyez point paresseux à vous
employer pour autrui, soyez fervents d'esprit,
servez le Seigneur. »
Aux membres du Comité à
Londres, il écrit à la date du 5
septembre 1919, presque un an après
l'arrivée à
Raïatéa :
« Lorsque nous sommes venus ici,
il ne s'y trouvait que deux cases indigènes
et il était difficile de marcher sur le
rivage tant il y avait de brousse. Le désert
s'est transformé ; il est devenu un
endroit fort agréable, propre,
débroussé. Une longue rangée
de maisons s'étendent au bord de la mer sur
près de trois kilomètres, un millier
d'indigènes y habitent. Nous souhaitons
ardemment que dans le désert moral les
choses subissent d'aussi profondes transformations.
Le roi qui habite tout près de nous semble
être une personnalité de premier
ordre. Il suit très
régulièrement l'école et les
cultes, et sera probablement l'un des premiers que
nous baptiserons à Raïatéa. Nous
sommes heureux de pouvoir dire qu'il gouverne avec
sagesse et s'occupe activement de supprimer les
crimes. »
Ici, quelques détails sur la demeure
du roi élevée à côté de la
maison missionnaire et sur les cases
indigènes ; puis John Williams
ajoute :
« Nous ne cessons d'exhorter les
Raïatéens à abandonner la
coutume pernicieuse de s'entasser plusieurs
familles ensemble sous le même toit, dans la
même chambre. Plusieurs se sont
laissés convaincre, et avant six mois une
vingtaine de maisons seront achevées,
maisons avec plusieurs chambres à coucher et
une salle à manger. Sur ce point, notre
station - bien que la dernière en date - va
devenir la première. Personnellement, nous
attachons une grande importance à ce
changement d'habitude.
« Dans l'île de Tahaa, nous
avons ouvert un lieu de culte à Tiva ;
on en construit un autre à Patio, que nous
espérons bientôt inaugurer. À
Patio, nous aurons un auditoire de cinq à
six cents personnes. Nous pensons placer dans ces
villages deux de nos élèves
raïatéens : deux hommes
intelligents et sérieux qui s'occuperont des
écoles. Naturellement, nous ferons souvent
des visites d'inspection. C'est une nouvelle
sphère d'activité qui s'ouvre devant
nous ; ce dont nous sommes
reconnaissants.
« Depuis notre arrivée, il
y a eu des rumeurs de guerre. Des gens mal
disposés seraient heureux de la voir
éclater. Mais les chefs ne la
désirent pas ; heureusement ! Bien
mieux : le roi, les prêtres, le peuple
font profession de vouloir s'enrôler sous la
bannière du Prince de la Paix. Oh ! si
nous pouvions seulement ajouter qu'Il règne
vraiment dans tous les coeurs !
« Dès maintenant, nous
sommes encouragés et ne doutons pas que si
la foi, la patience, la persévérance
nous sont départies, notre ministère
ici sera utile. Nous faisons notre possible pour
enseigner les arts manuels aux
indigènes, et nous consacrons à ces
travaux tout notre temps libre. Peut-être que
les tenants de la civilisation ne seraient pas
moins heureux que les amis de
l'évangélisation s'ils pouvaient
jeter les yeux sur nos lointains rivages...
« Dernièrement, les
indigènes ont construit deux grands ponts
qui feraient honneur à n'importe quel
village d'Angleterre. Toutefois nous ne pouvons
nous consacrer à ces travaux manuels aux
dépens de l'oeuvre spirituelle et des
intérêts éternels de ceux que
nous sommes venus instruire. »
Quelles merveilleuses et profondes
transformations la prédication de
l'Évangile a accomplies en quelques
mois ! Car c'est bien l'Évangile qui
est à la base de cet extraordinaire
changement ! C'est la prédication de la
Bonne Nouvelle qui incline le coeur de ce roi
auquel le paganisme accorde des honneurs divins -
à se détourner de l'idolâtrie
pour servir Dieu. C'est l'Évangile qui
amène les prêtres d'Oro à
abandonner le culte sanguinaire dont ils vivent,
dont ils vivaient. C'est l'Évangile,
l'Évangile vécu par ses serviteurs
qui amène un peuple se livrant de temps
immémorial au plaisir, au vice, à la
paresse, à quitter son indolence pour se
mettre au travail et à faire ce que -
quelques mois auparavant - il considérait
comme impossible, insupportable !
« Ici, un bras se meut comme un
piston de haut en bas : l'indigène scie
un tronc d'arbre pour faire des planches. Voici un
autre homme actionnant un tour et occupé
à tourner le pied d'une table.
Là-bas, une colonne de fumée sur le
rivage : ce sont des Raïatéens qui
brûlent le corail blanc - lequel abonde
à l'intérieur des récifs -
pour faire la chaux nécessaire aux planchers
et aux cloisons des maisons en construction. Ici,
le bruit
du
marteau sur l'enclume, des gerbes
d'étincelles se succèdent, des
flammes jettent leurs lueurs fauves sur les corps
des forgerons qui semblent autant de statues de
bronze. Plus loin, nous sommes attirés par
le bruit d'une curieuse machine, c'est un moulin
à broyer la canne à sucre qu'a
construit le jeune missionnaire. Et tout à
côté, la vapeur s'élève
d'un récipient où le jus qui
s'écoule est bouilli et
purifié... »
Assis à la tailleur, un
indigène plie des feuillets, les place par
ordre, les coud, les colle, faisant des livres
qu'il recouvre d'un fort carton. De tout ce que
nous avons énuméré, c'est ici
la chose la plus extraordinaire. Les missionnaires
de Huahiné se sont employés à
fixer le langage des indigènes par des mots
jamais encore écrits jusque-là,
puisque le peuple n'avait pas d'alphabet. Ensuite
ils s'étaient mis à traduire
l'évangile selon saint Luc, et l'avaient
imprimé en se servant d'une petite presse
apportée d'Angleterre. Ce sont les feuillets
de l'évangile de Luc que le
Raïatéen s'occupe maintenant à
classer et à relier pour les écoles
ouvertes par John Williams.
Ces livres eussent été bien
inutiles sans les écoles où on
enseignait la lecture aux indigènes.
À Raïatéa même, John
Williams et sa femme allaient chaque matin à
l'école. Quand la cloche sonnait, tous
hommes et femmes, garçons et filles, jeunes
et vieux se rendaient à la
« farehaapiiraa ». Celle-ci fut
rapidement trop petite et il fallut tenir l'une des
classes au dehors. Il était évident
que malgré leur bonne volonté, les
Williams ne pouvaient enseigner le B a Ba à
cette multitude d'élèves. Toujours
pratique, toujours méthodique, Williams a
vite fait de repérer les plus intelligents
de ses élèves ; il en prend sept qu'il
instruit plus
particulièrement et dont il fait des
moniteurs, chacun à son tour ayant à
s'occuper de l'enseignement d'une classe. Le soir,
les heures d'étude, terminées, on
entoure les moniteurs - car ils savent lire - et
tout heureux de leur science nouvellement acquise,
ils lisent à ceux qui les écoutent
l'évangile, de Luc.
Un jour qu'un Raïatéen se
rendait à l'école, il vit l'un de ses
compatriotes rester assis à la maison.
Étonné, il s'arrêta pour savoir
pourquoi l'homme ne venait pas aussi :
« E boa ! [Ami] demande-t-il, la
cloche de l'école a sonné ; que
fais-tu ?
- Je suis découragé, parce que
je suis encore au BA ba, répondit-il. Jamais
je ne parviendrai à lire le livre de Luc. Je
n'irai plus à l'école.
- C'est là une amorce du diable,
répondit l'indigène. Quand tu vas
pêcher, tu dissimules ton hameçon sous
une amorce pour tromper le poisson. Certainement le
diable a son hameçon dans la mauvaise
pensée qui te fait rester à la
maison. Ne t'y laisse pas prendre et viens avec
moi. » Celui qui était ainsi
exhorté se leva, et suivit son ami.
Nous avons signalé les merveilleuses
transformations opérées par le labeur
des missionnaires sur lequel Dieu faisait reposer
sa bénédiction. Mais combien restait
à faire ! Que d'ombres au
tableau ! Que de réformes à
opérer dans bien des domaines ! Et pour
ne citer qu'une chose, nous ne signalerons que
l'exercice de la justice.
Jusqu'ici, le despotisme des chefs, des
prêtres, et les sociétés
d'Aréoïs maintenaient le peuple sous
une pénible oppression. Il est
évident que l'enseignement
évangélique minait un état de
chose inique, et que la croissance du christianisme
devait faire s'écrouler tôt ou tard les lois
païennes et
la société païenne
elle-même. D'autre part, les
bénéficiaires de l'état de
chose existant s'opposeraient probablement aux
réformes nécessaires, réformes
pour lesquelles d'ailleurs le peuple n'était
pas encore prêt. De sorte que les
missionnaires se contentèrent chaque fois
que se présentait l'occasion - de dire
comment les choses se passaient en Angleterre. En
même temps, ils soulignaient les avantages
d'un Code de lois et l'existence de magistrats
préposés à leur application.
Il était bon de procéder lentement,
sagement, et de ne dire que ce que
l'indigène pouvait assimiler. L'année
1819 n'était pas achevée que les
missionnaires avaient la joie de constater que leur
méthode portait des fruits.
« Nous sommes extrêmement
heureux de noter la manière dont les rois et
les chefs procèdent pour essayer de
réglementer les affaires du peuple. Ils
viennent de tenir une grande réunion
à laquelle ils nous ont invités et
voici comment le roi s'est
exprimé :
« Essayons de conformer notre
conduite d'après l'enseignement de nos
missionnaires et de la Parole de Dieu que nous
lisons quotidiennement. Arrêtons-nous !
C'est assez ! Notre méchanceté
est déjà grande. Souvenez-vous que
c'est moi qui vous parle. Si le fils d'un roi est
méchant et mérite de mourir : il
mourra. Si un roi mérite la mort : il
mourra. Et si je mérite la mort, je mourrai
aussi. Que tous se souviennent de cela. Qui
méritera de mourir : mourra ! Nous
écouterons la parole des missionnaires, car
c'est Dieu qui les a envoyés. Prenez garde,
vous tous, d'exciter sa colère ; car si
Dieu se courrouçait contre nous, il
retirerait nos conducteurs, et nous serions
à nouveau dans les
ténèbres. »
Puis se tournant vers nous, le roi demanda
ce qu'il fallait faire pour
empêcher l'homme de renvoyer sa femme ou la
femme de quitter son mari » ? Nous
lui expliquâmes qu'une fois le coeur
changé, tout ce qui était mal n'avait
plus d'attrait ; toutes choses étaient
faites nouvelles. On remit au roi un registre pour
qu'il y inscrivît les noms des gens
mariés ; on décida que tous ceux qui
voulaient se marier devraient faire connaître
leurs intentions au roi, et que leurs noms seraient
inscrits au registre.
Tout ceci se fit spontanément, sans
aucune intervention de notre part, peu après
le meurtre commis par l'un des chefs d'une
île du groupe et à la suite de
plusieurs prédications
dénonçant et stigmatisant les
horribles coutumes subsistant encore parmi les
indigènes.
Le lendemain, les chefs
s'assemblèrent et ordonnèrent qu'on
leur amenât vingt femmes qui avaient
abandonné leurs maris et ils les
obligèrent à retourner avec eux en
disant : « Si vous refusez de le
faire, rendez aussi la Parole de Dieu que vous
apprenez (4). Cela ne pourrait plus
vous
servir ; vous n'auriez plus qu'à suivre
à nouveau le diable. Que notre terre ne soit
plus polluée par le
péché ! » Le plus
grand nombre des ménages ainsi réunis
d'autorité par les chefs vivent en bonne
harmonie maintenant, pour autant que je suis
renseigné. »
Les ennemis du christianisme et plus
particulièrement de
l'évangélisation en pays païens
ont critiqué l'oeuvre missionnaire en
Polynésie. On est allé jusqu'à
prétendre que le règne du despotisme
subsistait malgré l'introduction du
christianisme. Mais il était exercé
par les missionnaires au lieu de l'être comme autrefois
parle roi et les
chefs.
Que trouvons-nous ou plutôt qui trouvons-nous
à l'origine de ces accusations ?
Fréquemment des matelots, des personnes
intéressées, qui n'ont pu s'enrichir
aux dépens des indigènes comme ils
l'auraient voulu, à cause de la vigilance et
de l'influence des missionnaires. De là leur
haine et leurs calomnies. Et des ennemis de
l'oeuvre missionnaire ont recueilli avec joie les
critiques, les inventions qu'ils ne pouvaient
contrôler, et pour cause.
Il demeure que les missionnaires se
contentent de conseiller. Mais le roi et les chefs
habitués à commander ordonnent
aujourd'hui que le peuple se conforme aux lois
inspirées par l'Évangile, tout comme
ils commandaient autrefois au temps du paganisme
les rites idolâtres. Il est indéniable
que l'influence des missionnaires est très
grande ! Mais comment en serait-il
autrement ? Ils sont les instruments dont Dieu
s'est servi pour l'extraordinaire transformation
opérée, au sein de ce peuple maori,
transformation qui s'accentue de jour en jour.
De plus, l'influence missionnaire
s'étend au delà de l'île
où ils résident, jusque dans les
îles éloignées qui ne sont
visitées que de temps à autre.
Cette première année de labeur
fut couronnée par la création d'une
Société Missionnaire auxiliaire,
création désirée par MM.
Williams et Threlkeld, mais dont ils ne voulaient
pas prendre l'initiative, de peur que les coeurs
mal disposés, les esprits mal
intentionnés - où ne les trouve-t-on
pas hélas ? - ne prissent occasion de
la chose pour reprocher qu'on fît payer
l'Évangile.
Toutefois, ceux qui aimaient les
missionnaires n'avaient pas besoin d'être
stimulés. Ils savaient ce qui se faisait à Tahiti
et
à Huahiné, et désiraient que
Raïatéa eût aussi son
Comité des Missions et sa fête. Ils
décidèrent donc de convier tout le
peuple au village pour l'entretenir de ce
projet : un jour fut fixé, le temple
fut agrandi et des préparatifs furent faits
pour recevoir ceux qui viendraient de loin.
Au jour dit, une foule d'indigènes se
pressait au temple et aux abords du temple. On
désirait tellement être présent
à cette réunion que même des
infirmes retenus sur leurs nattes depuis de longues
années se faisaient porter par leurs amis.
Ce que voyant, on s'écria dans la foule
« C'est un jour de résurrection
des morts ! Voyez Les malades, les boiteux,
les aveugles, sont venus aujourd'hui. »
Mais bien avant l'heure du service, il était
évident que le temple ne pourrait contenir
ceux qui continuaient d'arriver. Quelqu'un
cria : Qu'on enlève les
côtés de la maison, que nous puissions
voir ceux qui nous enseignent et entendre leurs
voix. Ainsi fut fait, et bientôt on ne vit
plus des murs que les piliers qui soutenaient le
toit.
Le service commença par le chant et
la prière ; puis quelques orateurs
indigènes se levèrent pour exposer la
raison de cette convocation adressée
à tous : la création d'une
Société auxiliaire des Missions. Mr.
Williams se leva alors pour proposer que Tamatoa
fût le président de
l'assemblée. Mr. Threlkeld vint ensuite
appuyer ce qu'on venait de dire, demandant que ceux
qui étaient d'accord levassent la main, On
vit alors une forêt de bras tendus pour
approuver les propositions faites. Après la
nomination de Tamatoa, les missionnaires
quittèrent le temple, laissant les
indigènes continuer la séance.
Le roi se leva et adressa à son
peuple des paroles pleines de vie
et de force. Nous citons ci-après une partie
de son discours et les paroles de plusieurs autres
orateurs. Ceci permettra de mesurer le labeur
missionnaire : « Souvenez-vous de ce
que vous faisiez pour vos dieux menteurs, dit le
roi. Vous leur donniez tout ce qu'ils
demandaient ; vos forces, ce que vous
possédiez et même vos vies. Alors rien
ne vous appartenait ; tout était aux
esprits mauvais. Pirogue, nattes, porcs,
étoffe, nourriture, tout était
à eux. Quel travail colossal vous imposait
la construction des maraës
(5). Tout
ce que
vous aviez était absorbé par les
dieux. Mais maintenant ce qui vous appartient est
bien à vous ; et ceux qui nous
enseignent sont au milieu de nous ! Dieu les a
envoyés. Il a de grandes compassions. Ils
ont laissé leur pays pour venir ici. Et
maintenant nos yeux sont ouverts et nous savons que
notre ancienne religion n'est que mensonge, une
religion de mort : des paroles et des oeuvres
qui vont à la mort. Agissons selon ce que
nous avons appris. Ayons pitié des terres
encore dans les ténèbres. Donnons
joyeusement de ce que nous possédons,
donnons de tout coeur pour qu'on leur envoie aussi
des missionnaires. C'est
là bien peu de chose que nous pouvons faire
pour le vrai Dieu. Cependant si vous ne donnez
rien, vous n'avez pas à redouter
d'être punis ou tués comme vous
l'auriez été certainement autrefois.
Que chacun agisse comme il le
voudra. »
Le roi continua en les exhortant à
rechercher avec soin le salut et termina son
discours en disant :
« Veillons à ne pas
travailler à la propagation de
l'Évangile en d'autres pays et en même
temps le chasser de chez nous par notre
iniquité. Souvenez-vous que beaucoup
périrent dans les eaux qui cependant avaient
aidé à construire l'arche. - Prenez
garde d'avoir envoyé l'Évangile aux
autres et de mourir dans vos propres
péchés. Ne soyons pas comme ces
échafaudages utiles pour la construction
d'une maison et qu'on brûle quand elle est
achevée. Si nous ne sommes pas de vrais
croyants, Dieu nous rejettera et nous serons
jetés dans l'étang de
feu. »
Tamatoa s'était à peine assis
que Puna - un indigène réputé
pour sa bonne conduite - se leva pour faire nommer
un secrétaire pour l'un des districts, puis
il ajouta :
« Amis, j'ai à vous poser
une petite question dans votre pensée,
qu'est-ce qui fait avancer le grand navire ?
Moi je pense que c'est le vent. Sans vent, le
navire resterait sur place. Mais quand le vent
souffle, le navire avance. Pour la grande
Société missionnaire, l'argent c'est
comme le vent. S'il n'y avait pas eu d'argent,
aucun bateau ne serait venu jusqu'à nous
avec des missionnaires. Si l'argent manque, comment
des missionnaires pourraient-ils être
envoyés en d'autres pays ? Comment le
navire avancerait-il ? Donnons donc de nos
biens, tout ce qui est en notre
pouvoir. »
Tuahiné, l'un des hommes les plus
habiles du village, se leva et dit :
« Amis - rois, chefs, et vous
tous, vous avez entendu bien des discours
aujourd'hui. Ayez patience. J'ai aussi quelques
mots à vous dire. D'où viennent les
grandes rivières ? N'est-ce pas de
petits cours d'eau ? Qu'il y ait donc de
nombreux petits cours d'eau, et que le nôtre
ne soit jamais à sec. Qu'il y ait des
missionnaires envoyés en tous pays. Notre
état actuel est bien supérieur
à celui d'autrefois. Nous ne dormons plus
maintenant avec nos cartouches sous la tête,
nos fusils à nos côtés, et la
peur ne nous broie plus le coeur. Nos enfants ne
sont plus étranglés et nos
frères ne sont plus immolés en
sacrifice aux faux dieux. C'est là l'oeuvre
de Dieu qui nous a envoyé sa Parole et des
missionnaires pour nous l'enseigner. Et nous
espérons que parmi nous il y a plusieurs
croyants. »
Plusieurs nominations furent faites pour les
districts, puis on offrit la parole à qui
voudrait dire quelque chose. C'est alors que se
leva Ueva, l'un de ceux que les missionnaires
considéraient comme convertis, et il
dit :
« Nous venons de constituer une
Société des Missions et on nous
invite à donner pour que la Parole de Dieu
soit annoncée en d'autres pays. Est-elle
dans nos coeurs ? Y-a-t-elle pris
racine ? Sinon, comment aurions-nous
compassion des autres ? L'amour pour ceux qui
sont encore assis dans les ténèbres
et l'ombre de la mort doit accompagner le
don. »
Aussitôt, Paumoana se leva pour
dire :
« Il est à souhaiter que,
par toute la terre, on connaisse la Parole de Dieu
aussi bien que chez nous, qu'on ait la
possibilité de la lire comme nous, et la possibilité
de l'entendre
chaque dimanche comme nous ; il est à
souhaiter que tous fléchissent les genoux
devant Jésus et qu'ils voient en Lui
l'unique sacrifice pour le péché.
Nous sommes invités à donner ce que
nous avons pour que d'autres pays puissent
connaître le vrai Dieu et sa Parole, pour que
d'autres puissent avoir des missionnaires. Ce qu'on
nous demande n'est pas destiné aux faux
dieux que nous servions autrefois. Soyons donc
diligents, et dépensons-nous pour cette
bonne oeuvre. »
Enfin, un autre dit :
« Amis, il s'en trouve parmi nous
qui ont été percés de balles
(6). Que
nos
fusils se couvrent de rouille et si nous sommes
encore transpercés que ce soit avec la
Parole de Dieu ! Ne nous amassons plus de
balles, et que la balle que nous tirerons sur
d'autres pays, ce soit la Parole de
Dieu. » Arrêtons ici ces
citations ; nous ne pouvons relater tout ce
qui se dit au sein de l'immense assemblée,
mais ces extraits aident à comprendre
l'état d'âme de ces païens
d'hier.
Ce peuple qui s'assemble à l'appel de
son roi chrétien, cette résolution de
création d'une Société
auxiliaire des Missions pour envoyer
l'Évangile en pays encore païens, ces
discours favorables à la cause missionnaire,
tout ceci nous montre les progrès
extraordinaires de l'Évangile à
Raïatéa, et la transformation profonde
qui s'accomplissait au sein de ce petit peuple.
Mais ce serait une erreur de croire que la
majorité des Raïatéens eussent
accepté l'Évangile comme règle
de vie. Williams écrit :
« Comme en tous endroits où
pénètre le christianisme, le nombre des professants
dépasse de
beaucoup celui de ceux qui ont
expérimenté la puissance de la Vie
nouvelle en Christ. Et si nous admirons les effets
extraordinaires de la prédication de
l'Évangile qui a conduit à
l'abolition d'une religion cruelle et sanguinaire,
à l'abandon de cérémonies
dégoûtantes et absurdes, nous ne
pouvons que pleurer sur tous ceux qui ignorent la
repentance et manifestent la plus grande
indifférence concernant le salut de leurs
âmes. »
La masse reste indifférente, mais
suit extérieurement les actes du culte.
Autrefois, le roi était païen et avait
rang divin, son peuple était païen et
lui rendait les hommages dus à la
divinité. Aujourd'hui, il a accepté
la religion des blancs, docilement, son peuple le
suit aussi. Mais ce que le peuple dans sa masse
n'imite pas et ce qu'aucun pouvoir humain ne peut
provoquer, c'est le changement du coeur, c'est la
transformation de la vie qui s'étaient
opérés chez le roi.
Tamatoa est le plus fidèle ami des
missionnaires et il soutient de toutes ses forces
leur action. Par son exemple, par ses paroles, il
essaye d'amener son peuple à la soutenir
aussi. Un jour que John Williams passait
près de leur maison, il fut tout
étonné de voir le roi et la reine,
dehors, occupés à préparer de
la fécule d'arrow-root
(7).
Le jeune
missionnaire s'arrêta et, au cours de la
conversation, laissa voir sa surprise :
« Pourquoi faites-vous ce travail, alors
que vous avez tant de serviteurs qui pourraient le
faire, pour vous, dit-il ?
- Oh ! répondit le roi en
souriant, nous préparons notre souscription
pour la fête des Missions.
- Mais pourquoi ne pas laisser faire ce
travail par d'autres ?
- Non, répondit-il. Nous ne voudrions
pas donner au Seigneur ce qui ne nous a pas
coûté de travail, et
préférons préparer notre don
de nos propres mains. Ainsi, comme David, nous
pourrons offrir à Dieu de ce qui nous
appartient en propre. »
Chapitre précédent | Table des matières | Chapitre suivant |