Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Chapitre XXVI.

Contenant la division du Roi de France et du Duc de Savoie, qui causa le rétablissement des Vaudois dans leur pays par ordre de leur Prince et les merveilles que Dieu a fait pour leur rétablissement.

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LE Duc de Savoie voyant que les Alliés étaient en état de secourir les Vaudois, et que l'Empereur et le Roi d'Espagne le sollicitaient d'embrasser leur parti, crut qu'en se déclarant neutre, il pourrait empêcher ce secours. Mais la Cour de France, qui jusques alors avait été maîtresse du Duc de Savoie et de ses États, ne voulut point ouïr parler de cette neutralité, et voulait à toute force que le Duc se déclarât entièrement pour la France. Et pour l'y obliger le Roi lui demanda, pour assurance qu'il garderait inviolablement la neutralité, qu'il lui baillât toutes ses troupes, et lui remit entre ses mains la citadelle de Turin et Verceil, pour en faire une place d'armes, espérant que le Duc aimerait mieux se déclarer pour la France, que se soumettre à de si dures conditions, mais voyant que le Duc balançait, il fit marcher Catinat avec quinze ou seize mille hommes vers le Piémont, avec ordre d'y entrer, et de contraindre le Duc à faire ce qu'on lui demandait.

Le Duc de Savoie considérant que si le Roi de France avoir une garnison Française dans la citadelle de Turin, et dans Verceil, et toutes ses troupes au service de la France, le Roi serait non seulement Maître de ses États, mais aussi de sa personne, il demanda du temps pour répondre aux demandes du Roi, il offrit même de lui bailler trois mille hommes de ses meilleures troupes, savoir mille hommes de cheval, et deux mille hommes de pied pour assurance de sa neutralité. Et cependant il envoya aux Alliés pour s'assurer de leur secours en cas qu'il fût attaqué par la France. Les Espagnols comme les plus voisins à cause du Milanais, offrirent de lui envoyer huit mille hommes dès que les Français approcheraient de ses États.

La hauteur avec laquelle la France le traitait fût la cause qu'il se jeta dans le parti des Alliés, et qu'il fit divers Traités avec eux, et surtout avec l'Empereur et le Roi d'Espagne. Et étant fortifié des troupes d'Espagne qui étaient dans le Milanais, il déclara la guerre à la France, et fit commandement à Catinat qui commandait l'armée du Roi de sortir de ses États.

Il faut considérer que le Duc de Savoie est Prince de l'Empire, que l'Empereur et ses Alliés étaient puissants et ses voisins, surtout l'Espagne, qu'ils pouvaient lui faire bien du mal, en secourant et assistant les Vaudois, comme leur intérêt les y obligeait, à cause qu'ils étaient voisins de la France, et que par leur moyen on pourrait faire une grande diversion, au moyen des courses qu'ils feraient dans le Dauphiné, qui était une Province de France voisine des Vallées, où il y avait beaucoup de Protestants, qui se joindraient aux Vaudois, ou qui du moins les favoriseraient. Et pour empêcher ces courses, il faudrait que la France entretint une puissante armée dans le Dauphiné.
Le Duc savait encore que les Cantons Protestants gardaient, des mesures avec la France, et surtout celui de Berne, qui avait fait trancher la tête au nommé Bourgeois, pour avoir fait des levées dans ce Canton pour les Vaudois sans leur ordre, et ainsi qu'il n'y avait point d'apparence, que les Bernois donnaient passage à ceux qui iraient au secours des Vaudois, pour les Cantons Catholiques Romains il était assuré, que les Vaudois ni ceux qui iraient à leur secours ne passeraient point dans leurs terres, puis qu'ils s'étaient saisis des Vaudois, qui avaient entrepris d'y passer, et les avaient remis entre ses mains. Il n'y avait plus que les Grisons qui puissent favoriser leur passage ; mais cela ne leur suffisait pas, parce que pour aller des Grisons dans le Piémont il fallait traverser le Milanais. Or le Duc espérait qu'en se déclarant neutre il empêcherait que les Espagnols ne donneraient point de passage aux Vaudois, et que la France lui aiderait toujours comme elle avait fait par le passé, à rechasser les Vaudois des Vallées. Et il n'y à point de doute que si la France se fut contentée, de laisser le Duc de Savoie dans la neutralité qu'il demandait, qu'il l'aurait inviolablement gardée, parce que son intérêt voulait qu'il ne rompit point avec la France.
Ce Prince avoir des habiles Conseillers, qui voyaient que le Roi de France lui tenait le pied sur la gorge, s'il m'est permis de m'exprimer ainsi.

La Savoie était ouverte aux troupes de France par le fort de Barraüe que le Roi tenait, et par divers autres lieux, et n'y avait qu'une seule place forte dans la Savoie, qui est Mont-Melian, il serait facile au Roi de France de se rendre Maître dans peu de temps de la Savoie. Et quand au Piémont le Roi y tenait Pignerol à huit lieues de Turin ; et à l'entrée du Piémont, et de l'autre coté il tenait Cazal et tout le Montferrat, et ainsi les États de ce Prince étaient enclavés entre les places du Roi de France, et par conséquent il ne pouvait se déclarer pour les Alliés sans risquer de les perdre.

Si le Duc de Savoie eut traité avec les Alliés avant que l'armée de France entrât dans le Piémont, il est certain que ce Prince qui ne manque ni d'esprit ni de bon conseil, se serait précautionné contre les attentats de la France, qu'il aurait rappelé ses troupes, qui étaient au service du Roi, pour les employer contre les Vaudois, on contre les Espagnols, en cas qu'ils entreprirent quelque chose dans le Milanais, et leurs armes étant jointes contre les Vaudois, la France n'aurait point eu d'ombrage de cette demande. Mais où sont les Traités que le Duc a fait avec l'Empereur ou avec l'Espagne, en a-t-on produit aucun, tous ceux qu'on a vu sont postérieurs à l'entrée de l'armée de France dans le Piémont, et ainsi tout ce qu'on a dit pour excuser la France de sa conduite envers S. A. R. sont des impostures et des inventions forgées à plaisir et sans fondement.

Ce qui a obligé ou plutôt forcé le Duc de Savoie, à embrasser le parti des Alliés, est le mauvais traitement du Roi de France, qui le traitait, non pas comme un Prince Souverain, mais comme un petit Vassal. Cette hauteur avec laquelle la Cour de France agissait envers lui, l'irrita si fort, qu'il le porta à hasarder tout plutôt que de faire les bassesses, qu'on exigeait de lui, et dans cet État, il eut secours aux Alliées et à ses Voisins, comme cela se vérifie par les lettres qu'il leur écrivit, qui ont été rendues publiques.

Le Duc de Savoie étant forcé de rompre avec la France par la dure loi qu'on lui imposait, cette rupture causa la liberté et la délivrance de tous les Vaudois. Car ayant appris que la France les sollicitait d'embrasser son parti, avec offre de les rétablir dans leur pays, et de leur donner liberté de conscience et l'exercice libre et public de leur Religion, ce qui aurait été grandement préjudiciable à ses intérêts, parce qu'au lieu d'un ennemi il en aurait eu d'eux sur les bras, et se serait privé du secours que les Princes Protestants avaient promis de donner aux Vaudois, et du service considérable qu'ils lui pouvaient rendre en gardant les passages, et en empêchant la communication des troupes, qui étaient dans le Dauphiné avec l'armée commandée par Catinat. Ce Prince se résolut de les attirer dans son parti. Pour cet effet il mit en liberté tous les Vaudois qui étaient en prison tant Ministres que autres. Il envoya une amnistie générale à ceux qui étaient en armes dans les Vallées, et à ceux qui étaient dans les pays étrangers, la permission de retourner dans leur patrie, avec les passeports nécessaires, avec ordre aux uns et aux autres de tourner leurs armes contre les Français, qu'ils devaient regarder comme leurs véritables persécuteurs et comme la cause de tous leurs maux.

Il fit mener devant lui tous ceux qui étaient prisonniers à Turin, il leur dit qu'il était touché de leur misère, et commanda en leur présence qu'on les habillât, et qu'on leur fournit de tout ce qui leur était nécessaire. Il leur fit même des excuses de ce qu'il les avait traités si rudement, et en rejeta la cause sur le Roi de France, comme sur le véritable auteur de tout ce qui leur était arrivé. Et parce que le nombre des Vaudois était de beaucoup diminué, et qu'à peine il en était resté deux mille des dernières persécutions, le Duc de Savoie déclara, que tous les Réfugiés de France, qui voudraient venir habiter dans les Vallées, et se joindre aux Vaudois, le pouvait faire, qu'il les mettait sous sa protection, et fit distribuer les passeports nécessaires pour ce sujet.

Il ordonna aussi qu'en entrant dans la Savoie, on fournit tant aux Vaudois qu'aux Réfugiés de France, des armes et les choses nécessaires pour passer dans les Vallées, ce qui fut ponctuellement exécuté.

Le retour des Vaudois dans leur Patrie, leur entrée dans les Vallées, et leur subsistance pendant huit mois dans ce pays-là, sont tout autant de prodiges. N'est-ce pas une merveille que 8 à 900 hommes entreprennent de traverser un pays ennemi de 14 ou 15 journées de chemin, où il fallait grimper des hautes montagnes, forcer plusieurs passages étroits, où cent hommes étaient capables non seulement d'arrêter, mais aussi de battre deux ou trois mille hommes. Et ce qui est étonnant ces passages étaient gardés et défendus par des troupes plus nombreuses, et plus aguerries, que celles des Vaudois. Ils forcèrent néanmoins tous ces passages l'épée à la main, et mirent en désordre et en déroute, ceux qui les gardaient, après en avoir tué plusieurs.

C'est encore une merveille qu'ils soient entrés dans les Vallées, les entrées en sont difficiles, elles étaient repeuplées de Catholiques Romains qui pouvaient leur en défendre l'entrée, ils étaient en plus grand nombre qu'eux, ou du moins ils pouvaient s'emparer des postes les plus avantageux, qui étaient dans les montagnes, et s'y défendre aisément en attendant le secours, que la Cour de France et celle de Turin leur préparaient.
Mais la frayeur de Dieu tomba tellement sur ces nouveaux habitants des Vallées, qu'ils n'eurent ni la force ni le courage de se défendre contre les Vaudois, qui sans peine et sans résistance les chassèrent des Vallées.

N'est ce pas encore une grande merveille, qu'une poignée de gens sans chefs expérimentés au métier de la guerre ait subsisté huit mois dans les Vallées, et ait essuyé neuf à dix combats, contre l'armée de France et de Savoie, qui étaient vingt et le plus souvent trente contre un sans les pouvoir chasser de leurs postes, et aient tué plus de deux milles de leurs ennemis. Tant d'heureux succès font voir, que le Dieu des batailles, leur avait inspiré la généreuse résolution de retourner dans leur pays pour y rallumer le flambeau, de la parole, que les Émissaires de Satan avaient éteint, qu'il marchait à leur tête, et combattait pour eux, sans quoi ils n'auraient pas pu, forcer tant de passages, ni repousser leurs ennemis dans tant de combats, qu'ils leur ont livré.

Le Roi d'Angleterre ayant appris leur retour dans leur pays, blâma leur entreprise comme téméraire, et hors de saison, et crut que ces 900 Vaudois ou Réfugiés étaient des gens perdus. Les États d'Hollande en avaient la même pensée, et ne voulaient point les secourir, estimant que cela était inutile ; mais quand ils ont vu, que contre l'espérance de tout le monde, ils se maintenaient dans ce pays, on commença le mois de Mai dernier 1690 de leur envoyer quelque argent, et de leur faire filer quelques Réfugiés de France, qui étaient en Suisse ou en Brandebourg pour les secourir.

Si les Vaudois ne fussent entrés dans leur pays et ne s'y fussent généreusement défendus contre leurs ennemis. Le Duc de Savoie lors qu'il a rompu avec la France n'aurait pas pensé à tirer des prisons ceux qui y étaient injustement retenus, ni a rappelé ceux qui étaient dispersés dans les pays étrangers. Et les Alliés se seraient contentés, que le Duc se fût déclare pour eux et eut embrassé leur parti, sans exiger qu'il rétablit les Vaudois dans leur pays, bien qu'on les en eut chassés contre toute force de droit.

La conduite de Dieu dans le rappel des Vaudois est admirable, et fait voir à l'oeil, que sa sage providence a des ressorts, incompréhensibles à l'esprit humain. Le Roi de France en 1686 pousse le Duc de Savoie à contraindre les Vaudois, à abandonner leur Religion, par les mêmes voies, qu'il avait contraint les Protestants de son Royaume, ils joignent leurs armes ensemble pour les y forcer, pour en venir à bout, ils violent non seulement les Traités que les Prédécesseurs du Duc avaient fait avec les Vaudois, mais aussi tous les Traités, promesses et serments, que les Commandants de leurs armées leur ont fait, les prennent prisonniers contre la foi promise, les tuent, les massacrent, violent leurs femmes et leurs filles, égorgent leurs petits enfants, et usent contre des innocents, après leur avoir fait poser les armes, de toute sorte de cruautés et de barbaries.
Et en 1690 Dieu envoie un esprit de division entre le Roi de France et le Duc de Savoie, en sorte qu'ils travaillent à l'envie, qui aura les Vaudois dans son parti. Et par cette division le Duc de Savoie est forcé de rétablir les Vaudois, dans leurs biens, droits, et privilèges, de mettre en liberté les prisonniers qu'il tenait, depuis environ quatre ans, et d rappeler ceux qui étaient dispercés dans le pays étranger. Et ainsi le Roi de France qui avait été le principal instrument de leur ruine, devient contre sa volonté la cause de leur rétablissement, en forçant le Duc de Savoie par sa mauvaise conduite à se jeter dans le parti des Alliés.

Cela nous montre que Dieu se moque des desseins et des conseils, que les Rois et les Princes prennent contre Jésus-Christ, et contre son Église, d'un seul souffle, il dissipe tous leurs desseins, et réduit en fumée toutes leurs entreprises. Bien souvent il se sert des ennemis de son Église, pour la protéger et pour la défendre.

Henri II Roi de France pendant qu'il persécute les Protestants de son Royaume, secourt les Princes Protestants d'Allemagne contre l'Empereur Charles V Louis XIII en fait de même contre Ferdinand II, et Louis XIV pendant qu'il s'applique de toute sa puissance à détruire les Protestants de son Royaume secourt les Protestants d'Hongrie contre l'Empereur Léopold.

Henri III Roi de France, lorsqu'il n'était encore que Duc d'Anjou, conseilla dans une assemblée qui se tint à St. Clou de faire le Massacre de la St. Barthélémi, et après qu'il fût Roi de France, il employa toutes ses forces à achever de détruire ceux, qui étaient restés du Massacre, tandis qu'il s'applique de toute sa puissance, à exécuter son méchant et pernicieux dessein , Dieu lui suscite le Duc de Guise pour ennemi, qui sous prétexte de détruire les Protestants de France fit une Ligue contre Henri, le chassa de Paris, se saisit de ses Gardes, et le contraignit malgré lui, de se jeter entre les mains des Protestants, et d'implorer leur secours et leur assistance. Sans quoi il était perdu, le Duc l'aurait mis dans un Cloître, comme Charles Martel Chilpéric IIl. et se serait emparé de sa couronne. Henri en reconnaissance des services qu'il reçut des Protestants, ou qu'il espérait d'en recevoir à l'avenir, leur donna des places de sûreté , des Chambres de l'Édit et plusieurs autres privilèges, et nomma Henri de Bourbon, qui était Protestant, pour son légitime successeur à la couronne.

Et ainsi Dieu par une voie imperceptible et inespérée, d'un ennemi cruel et implacable des Protestants, il en fit malgré lui leur Défenseur et leur Protecteur. Le Roi Henri, et le Duc de Guise étaient tous deux armés contre les Protestants, ils leur faisaient conjointement la guerre, et avaient également juré leur ruine. Dieu permet qu'ils se divisassent, et se servit de leur division, pour les perdre l'un par l'autre, et pour délivrer les Protestants, qui étaient fort pressés et persécutés.

Il est arrivé à peu près de même en la délivrance des Vaudois, Dieu a mis la division entre le Roi de France et le Duc de Savoie, pour les punir des maux qu'ils ont fait aux Protestants. Ces deux Princes étaient également les ennemis des Vaudois, ils leur faisaient conjointement la guerre, et avaient entr'eux arrête et juré leur perte. Et lors qu'ils sont les plus acharnés et envenimés contre ces pauvres innocents Dieu souffle sur leur méchant dessein, et fait qu'ils tournent leurs armes l'un contre l'autre pour les perdre l'un par l'autre, comme il perdit le Duc de Guise par Henri, qui le fit assassiner dans Blois, à la vue de toute la France, assemblée en la personne de ceux qui composaient les Etats-Généraux. Et après que Dieu eut puni le Duc de Guise des maux qu'il avait fait aux Protestants de France, il punit aussi Henri, qui fut assassiné dans le Château de St. Clou, par un Moine, et dans la même salle où on avait tenu le conseil, qu'on prit de faire le massacre de la St. Barthélémi, dont Henri et le Duc de Guise étaient les principaux Conseillers, et les plus portés à faire cette horrible boucherie.

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