LE Duc de Savoie voyant que les Alliés
étaient en état de secourir les
Vaudois, et que l'Empereur et le Roi d'Espagne le
sollicitaient d'embrasser leur parti, crut qu'en se
déclarant neutre, il pourrait empêcher
ce secours. Mais la Cour de France, qui jusques
alors avait été maîtresse du
Duc de Savoie et de ses États, ne voulut
point ouïr parler de cette neutralité,
et voulait à toute force que le Duc se
déclarât entièrement pour la
France. Et pour l'y obliger le Roi lui demanda,
pour assurance qu'il garderait inviolablement la
neutralité, qu'il lui baillât toutes
ses troupes, et lui remit entre ses mains la
citadelle de Turin et Verceil, pour en faire une
place d'armes, espérant que le Duc aimerait
mieux se déclarer pour la France, que se
soumettre à de si dures conditions, mais
voyant que le Duc balançait, il fit marcher
Catinat avec quinze ou seize mille hommes vers le
Piémont, avec ordre d'y entrer, et de
contraindre le Duc à faire ce qu'on lui
demandait.
Le Duc de Savoie considérant que si le Roi
de France avoir une garnison Française dans
la citadelle de Turin, et dans Verceil, et toutes
ses troupes au service de la France, le Roi serait
non seulement Maître de ses États,
mais aussi de sa personne, il demanda du temps pour
répondre aux demandes du Roi, il offrit
même de lui bailler trois mille hommes de ses
meilleures troupes, savoir mille hommes de cheval,
et deux mille hommes de pied pour assurance de sa
neutralité. Et cependant il envoya aux
Alliés pour s'assurer de leur secours en cas
qu'il fût attaqué par la France. Les
Espagnols comme les plus voisins à cause du
Milanais, offrirent de lui envoyer huit mille
hommes dès que les Français
approcheraient de ses États.
La hauteur avec laquelle la France le traitait
fût la cause qu'il se jeta dans le parti des
Alliés, et qu'il fit divers Traités
avec eux, et surtout avec l'Empereur et le Roi
d'Espagne. Et étant fortifié des
troupes d'Espagne qui étaient dans le
Milanais, il déclara la guerre à la
France, et fit commandement à Catinat qui
commandait l'armée du Roi de sortir de ses
États.
Il faut considérer que le Duc de Savoie est
Prince de l'Empire, que l'Empereur et ses
Alliés étaient puissants et ses
voisins, surtout l'Espagne, qu'ils pouvaient lui
faire bien du mal, en secourant et assistant les
Vaudois, comme leur intérêt les y
obligeait, à cause qu'ils étaient
voisins de la France, et que par leur moyen on
pourrait faire une grande diversion, au moyen des
courses qu'ils feraient dans le Dauphiné,
qui était une Province de France voisine des
Vallées, où il y avait beaucoup de
Protestants, qui se joindraient aux Vaudois, ou qui
du moins les favoriseraient. Et pour empêcher
ces courses, il faudrait que la France entretint
une puissante armée dans le
Dauphiné.
Le Duc savait encore que les Cantons Protestants
gardaient, des mesures avec la France, et surtout
celui de Berne, qui avait fait trancher la
tête au nommé Bourgeois, pour avoir
fait des levées dans ce Canton pour les
Vaudois sans leur ordre, et ainsi qu'il n'y avait
point d'apparence, que les Bernois donnaient
passage à ceux qui iraient au secours des
Vaudois, pour les Cantons Catholiques Romains il
était assuré, que les Vaudois ni ceux
qui iraient à leur secours ne passeraient
point dans leurs terres, puis qu'ils
s'étaient saisis des Vaudois, qui avaient
entrepris d'y passer, et les avaient remis entre
ses mains. Il n'y avait plus que les Grisons qui
puissent favoriser leur passage ; mais cela ne
leur suffisait pas, parce que pour aller des
Grisons dans le Piémont il fallait traverser
le Milanais. Or le Duc espérait qu'en se
déclarant neutre il empêcherait que
les Espagnols ne donneraient point de passage aux
Vaudois, et que la France lui aiderait toujours
comme elle avait fait par le passé, à
rechasser les Vaudois des Vallées. Et il n'y
à point de doute que si la France se fut
contentée, de laisser le Duc de Savoie dans
la neutralité qu'il demandait, qu'il
l'aurait inviolablement gardée, parce que
son intérêt voulait qu'il ne rompit
point avec la France.
Ce Prince avoir des habiles Conseillers, qui
voyaient que le Roi de France lui tenait le pied
sur la gorge, s'il m'est permis de m'exprimer
ainsi.
La Savoie était ouverte aux troupes de
France par le fort de Barraüe que le Roi
tenait, et par divers autres lieux, et n'y avait
qu'une seule place forte dans la Savoie, qui est
Mont-Melian, il serait facile au Roi de France de
se rendre Maître dans peu de temps de la
Savoie. Et quand au Piémont le Roi y tenait
Pignerol à huit lieues de Turin ; et
à l'entrée du Piémont, et de
l'autre coté il tenait Cazal et tout le
Montferrat, et ainsi les États de ce Prince
étaient enclavés entre les places du
Roi de France, et par conséquent il ne
pouvait se déclarer pour les Alliés
sans risquer de les perdre.
Si le Duc de Savoie eut traité avec les
Alliés avant que l'armée de France
entrât dans le Piémont, il est certain
que ce Prince qui ne manque ni d'esprit ni de bon
conseil, se serait précautionné
contre les attentats de la France, qu'il aurait
rappelé ses troupes, qui étaient au
service du Roi, pour les employer contre les
Vaudois, on contre les Espagnols, en cas qu'ils
entreprirent quelque chose dans le Milanais, et
leurs armes étant jointes contre les
Vaudois, la France n'aurait point eu d'ombrage de
cette demande. Mais où sont les
Traités que le Duc a fait avec l'Empereur ou
avec l'Espagne, en a-t-on produit aucun, tous ceux
qu'on a vu sont postérieurs à
l'entrée de l'armée de France dans le
Piémont, et ainsi tout ce qu'on a dit pour
excuser la France de sa conduite envers S. A. R.
sont des impostures et des inventions
forgées à plaisir et sans
fondement.
Ce qui a obligé ou plutôt forcé
le Duc de Savoie, à embrasser le parti des
Alliés, est le mauvais traitement du Roi de
France, qui le traitait, non pas comme un Prince
Souverain, mais comme un petit Vassal. Cette
hauteur avec laquelle la Cour de France agissait
envers lui, l'irrita si fort, qu'il le porta
à hasarder tout plutôt que de faire
les bassesses, qu'on exigeait de lui, et dans cet
État, il eut secours aux Alliées et
à ses Voisins, comme cela se vérifie
par les lettres qu'il leur écrivit, qui ont
été rendues publiques.
Le Duc de Savoie étant forcé de
rompre avec la France par la dure loi qu'on lui
imposait, cette rupture causa la liberté et
la délivrance de tous les Vaudois. Car ayant
appris que la France les sollicitait d'embrasser
son parti, avec offre de les rétablir dans
leur pays, et de leur donner liberté de
conscience et l'exercice libre et public de leur
Religion, ce qui aurait été
grandement préjudiciable à ses
intérêts, parce qu'au lieu d'un ennemi
il en aurait eu d'eux sur les bras, et se serait
privé du secours que les Princes Protestants
avaient promis de donner aux Vaudois, et du service
considérable qu'ils lui pouvaient rendre en
gardant les passages, et en empêchant la
communication des troupes, qui étaient dans
le Dauphiné avec l'armée
commandée par Catinat. Ce Prince se
résolut de les attirer dans son parti. Pour
cet effet il mit en liberté tous les Vaudois
qui étaient en prison tant Ministres que
autres. Il envoya une amnistie
générale à ceux qui
étaient en armes dans les Vallées, et
à ceux qui étaient dans les pays
étrangers, la permission de retourner dans
leur patrie, avec les passeports
nécessaires, avec ordre aux uns et aux
autres de tourner leurs armes contre les
Français, qu'ils devaient regarder comme
leurs véritables persécuteurs et
comme la cause de tous leurs maux.
Il fit mener devant lui tous ceux qui
étaient prisonniers à Turin, il leur
dit qu'il était touché de leur
misère, et commanda en leur présence
qu'on les habillât, et qu'on leur fournit de
tout ce qui leur était nécessaire. Il
leur fit même des excuses de ce qu'il les
avait traités si rudement, et en rejeta la
cause sur le Roi de France, comme sur le
véritable auteur de tout ce qui leur
était arrivé. Et parce que le nombre
des Vaudois était de beaucoup
diminué, et qu'à peine il en
était resté deux mille des
dernières persécutions, le Duc de
Savoie déclara, que tous les
Réfugiés de France, qui voudraient
venir habiter dans les Vallées, et se
joindre aux Vaudois, le pouvait faire, qu'il les
mettait sous sa protection, et fit distribuer les
passeports nécessaires pour ce sujet.
Il ordonna aussi qu'en entrant dans la Savoie, on
fournit tant aux Vaudois qu'aux
Réfugiés de France, des armes et les
choses nécessaires pour passer dans les
Vallées, ce qui fut ponctuellement
exécuté.
Le retour des Vaudois dans leur Patrie, leur
entrée dans les Vallées, et leur
subsistance pendant huit mois dans ce
pays-là, sont tout autant de prodiges.
N'est-ce pas une merveille que 8 à 900
hommes entreprennent de traverser un pays ennemi de
14 ou 15 journées de chemin, où il
fallait grimper des hautes montagnes, forcer
plusieurs passages étroits, où cent
hommes étaient capables non seulement
d'arrêter, mais aussi de battre deux ou trois
mille hommes. Et ce qui est étonnant ces
passages étaient gardés et
défendus par des troupes plus nombreuses, et
plus aguerries, que celles des Vaudois. Ils
forcèrent néanmoins tous ces passages
l'épée à la main, et mirent en
désordre et en déroute, ceux qui les
gardaient, après en avoir tué
plusieurs.
C'est encore une merveille qu'ils soient
entrés dans les Vallées, les
entrées en sont difficiles, elles
étaient repeuplées de Catholiques
Romains qui pouvaient leur en défendre
l'entrée, ils étaient en plus grand
nombre qu'eux, ou du moins ils pouvaient s'emparer
des postes les plus avantageux, qui étaient
dans les montagnes, et s'y défendre
aisément en attendant le secours, que la
Cour de France et celle de Turin leur
préparaient.
Mais la frayeur de Dieu tomba tellement sur ces
nouveaux habitants des Vallées, qu'ils
n'eurent ni la force ni le courage de se
défendre contre les Vaudois, qui sans peine
et sans résistance les chassèrent des
Vallées.
N'est ce pas encore une grande merveille, qu'une
poignée de gens sans chefs
expérimentés au métier de la
guerre ait subsisté huit mois dans les
Vallées, et ait essuyé neuf à
dix combats, contre l'armée de France et de
Savoie, qui étaient vingt et le plus souvent
trente contre un sans les pouvoir chasser de leurs
postes, et aient tué plus de deux milles de
leurs ennemis. Tant d'heureux succès font
voir, que le Dieu des batailles, leur avait
inspiré la généreuse
résolution de retourner dans leur pays pour
y rallumer le flambeau, de la parole, que les
Émissaires de Satan avaient éteint,
qu'il marchait à leur tête, et
combattait pour eux, sans quoi ils n'auraient pas
pu, forcer tant de passages, ni repousser leurs
ennemis dans tant de combats, qu'ils leur ont
livré.
Le Roi d'Angleterre ayant appris leur retour dans
leur pays, blâma leur entreprise comme
téméraire, et hors de saison, et crut
que ces 900 Vaudois ou Réfugiés
étaient des gens perdus. Les États
d'Hollande en avaient la même pensée,
et ne voulaient point les secourir, estimant que
cela était inutile ; mais quand ils ont
vu, que contre l'espérance de tout le monde,
ils se maintenaient dans ce pays, on
commença le mois de Mai dernier 1690 de leur
envoyer quelque argent, et de leur faire filer
quelques Réfugiés de France, qui
étaient en Suisse ou en Brandebourg pour les
secourir.
Si les Vaudois ne fussent entrés dans leur
pays et ne s'y fussent généreusement
défendus contre leurs ennemis. Le Duc de
Savoie lors qu'il a rompu avec la France n'aurait
pas pensé à tirer des prisons ceux
qui y étaient injustement retenus, ni a
rappelé ceux qui étaient
dispersés dans les pays étrangers. Et
les Alliés se seraient contentés, que
le Duc se fût déclare pour eux et eut
embrassé leur parti, sans exiger qu'il
rétablit les Vaudois dans leur pays, bien
qu'on les en eut chassés contre toute force
de droit.
La conduite de Dieu dans le rappel des Vaudois est
admirable, et fait voir à l'oeil, que sa
sage providence a des ressorts,
incompréhensibles à l'esprit humain.
Le Roi de France en 1686 pousse le Duc de Savoie
à contraindre les Vaudois, à
abandonner leur Religion, par les mêmes
voies, qu'il avait contraint les Protestants de son
Royaume, ils joignent leurs armes ensemble pour les
y forcer, pour en venir à bout, ils violent
non seulement les Traités que les
Prédécesseurs du Duc avaient fait
avec les Vaudois, mais aussi tous les
Traités, promesses et serments, que les
Commandants de leurs armées leur ont fait,
les prennent prisonniers contre la foi promise, les
tuent, les massacrent, violent leurs femmes et
leurs filles, égorgent leurs petits enfants,
et usent contre des innocents, après leur
avoir fait poser les armes, de toute sorte de
cruautés et de barbaries.
Et en 1690 Dieu envoie un esprit de division entre
le Roi de France et le Duc de Savoie, en sorte
qu'ils travaillent à l'envie, qui aura les
Vaudois dans son parti. Et par cette division le
Duc de Savoie est forcé de rétablir
les Vaudois, dans leurs biens, droits, et
privilèges, de mettre en liberté les
prisonniers qu'il tenait, depuis environ quatre
ans, et d rappeler ceux qui étaient
dispercés dans le pays étranger. Et
ainsi le Roi de France qui avait été
le principal instrument de leur ruine, devient
contre sa volonté la cause de leur
rétablissement, en forçant le Duc de
Savoie par sa mauvaise conduite à se jeter
dans le parti des Alliés.
Cela nous montre que Dieu se moque des desseins et
des conseils, que les Rois et les Princes prennent
contre Jésus-Christ, et contre son
Église, d'un seul souffle, il dissipe tous
leurs desseins, et réduit en fumée
toutes leurs entreprises. Bien souvent il se sert
des ennemis de son Église, pour la
protéger et pour la défendre.
Henri II Roi de France pendant qu'il
persécute les Protestants de son Royaume,
secourt les Princes Protestants d'Allemagne contre
l'Empereur Charles V Louis XIII en fait de
même contre Ferdinand II, et Louis XIV
pendant qu'il s'applique de toute sa puissance
à détruire les Protestants de son
Royaume secourt les Protestants d'Hongrie contre
l'Empereur Léopold.
Henri III Roi de France, lorsqu'il n'était
encore que Duc d'Anjou, conseilla dans une
assemblée qui se tint à St. Clou de
faire le Massacre de la St.
Barthélémi, et après qu'il
fût Roi de France, il employa toutes ses
forces à achever de détruire ceux,
qui étaient restés du Massacre,
tandis qu'il s'applique de toute sa puissance,
à exécuter son méchant et
pernicieux dessein , Dieu lui suscite le Duc de
Guise pour ennemi, qui sous prétexte de
détruire les Protestants de France fit une
Ligue contre Henri, le chassa de Paris, se saisit
de ses Gardes, et le contraignit malgré lui,
de se jeter entre les mains des Protestants, et
d'implorer leur secours et leur assistance. Sans
quoi il était perdu, le Duc l'aurait mis
dans un Cloître, comme Charles Martel
Chilpéric IIl. et se serait emparé de
sa couronne. Henri en reconnaissance des services
qu'il reçut des Protestants, ou qu'il
espérait d'en recevoir à l'avenir,
leur donna des places de sûreté , des
Chambres de l'Édit et plusieurs autres
privilèges, et nomma Henri de Bourbon, qui
était Protestant, pour son légitime
successeur à la couronne.
Et ainsi Dieu par une voie imperceptible et
inespérée, d'un ennemi cruel et
implacable des Protestants, il en fit malgré
lui leur Défenseur et leur Protecteur. Le
Roi Henri, et le Duc de Guise étaient tous
deux armés contre les Protestants, ils leur
faisaient conjointement la guerre, et avaient
également juré leur ruine. Dieu
permet qu'ils se divisassent, et se servit de leur
division, pour les perdre l'un par l'autre, et pour
délivrer les Protestants, qui étaient
fort pressés et
persécutés.
Il est arrivé à peu près de
même en la délivrance des Vaudois,
Dieu a mis la division entre le Roi de France et le
Duc de Savoie, pour les punir des maux qu'ils ont
fait aux Protestants. Ces deux Princes
étaient également les ennemis des
Vaudois, ils leur faisaient conjointement la
guerre, et avaient entr'eux arrête et
juré leur perte. Et lors qu'ils sont les
plus acharnés et envenimés contre ces
pauvres innocents Dieu souffle sur leur
méchant dessein, et fait qu'ils tournent
leurs armes l'un contre l'autre pour les perdre
l'un par l'autre, comme il perdit le Duc de Guise
par Henri, qui le fit assassiner dans Blois,
à la vue de toute la France,
assemblée en la personne de ceux qui
composaient les Etats-Généraux. Et
après que Dieu eut puni le Duc de Guise des
maux qu'il avait fait aux Protestants de France, il
punit aussi Henri, qui fut assassiné dans le
Château de St. Clou, par un Moine, et dans la
même salle où on avait tenu le
conseil, qu'on prit de faire le massacre de la St.
Barthélémi, dont Henri et le Duc de
Guise étaient les principaux Conseillers, et
les plus portés à faire cette
horrible boucherie.
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