LES Vaudois voyaient tous ces obstacles, mais
cela n'empêcha pas, après qu'ils
eurent mené une vie triste et languissante
pendant environ trois ans, dans la Suisse, ou dans
l'Allemagne, qu'il ne leur monta dans l'esprit de
retourner dans leur pays, et de surmonter toutes
ces difficultés. Ces gens étaient la
plus part des ménagers qui travaillaient
leur bien, et vivaient du revenu qu'il produisait,
ils n'avaient point de bien en Suisse, ni en
Allemagne, où ils puissent s'occuper, et
ainsi bien qu'ils ne manquaient de rien, leur vie
était languissante et ennuyeuse. Ils
s'assemblèrent en nombre de 8 à 900
dans le bois de Nyon, à quatre lieues de
Genève, entre lesquels il y avait plus de
trois cents Réfugiés Français,
ils le firent si secrètement, que les
Seigneurs de Berne, ni les Savoyards n'en sussent
rien, jusques à ce qu'ils eurent
passé le lac et qu'ils furent entrés
dans la Savoie, ils traversèrent le lac de
nuit sur douze bateaux qu'ils avaient loué,
ou qu'ils avaient trouvé à Nyon, on
aux environs et dont ils s'étaient
saisis.
Ce fut au commencement de Septembre 1689 qu'ils
entrèrent dans la Savoie. Ils n'avaient
point de chef, ils en élurent deux pour les
conduire et les commander, l'un était un de
leurs Ministres nommé. Arnaud, et l'autre
était un Maçon appelé Turel,
tous deux braves et intrépides mais sans
expérience au métier de la
guerre.
Ils mirent pied à terre sans aucune
résistance et eurent la prudence de faire
investir deux villages, qui étaient voisins
du lieu où ils firent leur descente, les
habitants dès qu'ils les eurent
découverts voulaient sonner le Tocsin, et
donner l'alarme au pays, mais ils menacèrent
de les brûler, s'ils le faisaient, et les
obligèrent à leur donner des vivres
en payant. Ils eurent encore la précaution
d'envoyer un détachement pour se saisir du
pont des Tremblières, avant que leurs
ennemis s'en aperçussent, et ainsi ils
passèrent sans obstacle la rivière
d'Arve qui est profonde et rapide.
Mais s'ils ne trouvèrent point de
difficulté dans le commencement, il n'en
fût pas de même dans la suite.
La Cour de Savoie et celle de France furent
incontinent averties de leur marche, et on donna
ordre aux Gouverneurs des places, qui
étaient proches de leur passage, de se
mettre en devoir de les arrêter dans
plusieurs défilés, par où ils
devaient nécessairement passer. Ils
surmontèrent néanmoins tous ces
obstacles, et se firent jour partout
l'épée à la main. Ils eurent
quatre ou cinq combats à essuyer avant
d'arriver à leur pays, mais le plus rude
fût contre le Marquis de Larée, qui
voulut les arrêter à un passage
étroit près de Salbetran, il avait
avec soi un Régiment de Dragons et beaucoup
d'infanterie. Il arriva pourtant qu'après un
combat fort long, où ils perdirent quelques
gens, ils forcèrent ce passage comme les
autres. Le Marquis de Larée y fut
blessé à mort, plusieurs autres
Officiers Français y perdirent la vie, et
plus de deux cents Soldats y furent tués.
Après avoir surmonté toutes ces
difficultés, ils entrèrent dans leurs
pays, chassèrent ceux qui s'étaient
emparés de leurs biens, et tuèrent
ceux qui ne voulaient pas les leurs rendre.
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