Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Chapitre XXI.

Contenant la juste défiance d'une partie des Vaudois, qui fut cause de leur conservation, leur courage leur valeur et leur ferme résolution à se bien défendre, qui opérèrent leur sortie des États du Duc de Savoie avec sauf-conduit.

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VERS la fin du mois de Juin l'armée de France et les Bandits de Mondovise retirèrent. Les Vaudois qui n'avaient pas voulu écouter les propositions de la paix frauduleuse qu'on leur présentait, ni se fier aux promesses trompeuses de leurs ennemis, n'étant pas si pressés par l'armée du Duc, qui seule était restée dans les Vallées, sortirent de leurs retraites pour aller chercher des vivres, afin de soutenir leur vie languissante. Il y en avait environ quatre-vingts dans la Vallée de Luzerne, et cinquante dans celle de St Martin avec quelques femmes et enfants. Lorsqu'ils furent assemblés, ils se saisirent de quelques postes avantageux, que leurs ennemis avaient abandonné : après ils firent plusieurs courses dans la plaine, et remportèrent toujours des vivres et du butin, battirent en diverses occasions plusieurs détachements des ennemis, tuèrent ou chassèrent un grand nombre de Savoyards, qui étaient venus habiter dans les Vallées, et firent pendant quelques mois des actions si belles, si hardies et si vigoureuses, qu'ils mirent leurs ennemis à contribution, et les forcèrent à leur fournir des vivres, pour les empêcher de continuer leurs courses dans la plaine.

La Cour de Turin ayant employé inutilement la force pour les chasser des Vallées, leur fit offrir sous main des sauf-conduits en bonne forme, et des otages pour la sûreté de leur retraite. Ceux qui en portèrent la proposition aux Vaudois n'avaient garde d'avouer, qu'ils agissaient par ordre de la Cour de Turin, au contraire ils disaient qu'ils ne partaient que de leur mouvement, et de celui de quelques personnes, qui se promettaient de leur obtenir ces sauf-conduits et de leur faire donner des otages.

Il est certain que ces démarches ne se faisaient pas sans la participation de la Cour. Car outre qu'aucun particulier n'aurait osé entreprendre de son chef une semblable négociation, les saufs conduits qui furent expédiés dans la fuite justifient clairement, que tout se faisait par les ordres de la Cour. Les Vaudois refusèrent d'abord d'écouter ces propositions, soit parce qu'ils ne croyaient pas devoir prendre aucune confiance aux paroles qu'on leur donnait, soit parce qu'ils avaient résolu de mourir ou de tirer les prisonniers de la captivité, la mort leur étant plus, douce que la vie, tandis que leurs frères gémissaient dans les fers.

Pour obliger les Vaudois à accepter ces offres, on leur dit que le Duc de Savoie avait déclaré, que tant qu'ils seraient sous les armes, on ne relâcherait point les prisonniers : mais on leur promit positivement que dès qu'ils seraient sortis, on donnerait la liberté à leurs frères. Les Vaudois considérant d'un côté que leur résistance pourrait fournir un prétexte à la détention des prisonniers, crurent qu'ils devaient se retirer des États du Duc de Savoie. Et fut convenu et arrêté qu'ils sortiraient des Vallées avec leurs femmes, et leurs enfants, armes et bagage, en deux troupes, ou brigades, qu'ils seraient défrayés et conduits jusques en Suisse, en deux divers temps, par un Capitaine de S. A. R. nommé Perret avec des sauf-conduits en bonne forme : Que pour la sûreté de la première troupe qui partirait, on laisserait des otages dans les Vallées entre les mains de la seconde, qui les garderait jusques à ce qu'elle eut appris l'arrivée de la première, et que lors que cette première troupe serait arrivée, ce Capitaine lui donnerait un Officier de ses parents pour otage, jusques à ce que la seconde troupe fut de même arrivée.

Si les Vaudois qui traitèrent avec Dom Gabriel ou avec Catinat eussent eu ces précautions, de ne quitter point les armes, et de se faire bailler des otages, pour la sûreté des promesses qu'on leur faisait, on ne les aurait pas menés par milliers dans des prisons ni enlevé leurs enfants, ni violé comme on fit leurs femmes, et leurs filles.

Les Vaudois qui étaient dans la Vallée de St. Martin firent à peu près la même chose qu'avaient fait ceux qui étaient dans la Vallée de Lucerne, car encore qu'ils fussent en plus petit nombre, ils se défendirent pourtant avec tant de vigueur et de résolution, qu'ils forcèrent leurs ennemis, à leur accorder des sauf-conduits et des sûretés pour passer en Suisse avec leurs femmes et leurs enfants, armes et bagage. Ceux qui étaient dans une de ces Vallées ne savaient pas ce qui se passait dans l'autre, parce que l'armée ennemie s'étant emparée des passages, leur empêchait toute communication. S'ils avaient pu se joindre ou apprendre des nouvelles les uns des autres, ils auraient sans doute fait une composition plus avantageuse, et peut-être auraient-ils arraché leurs frères de la captivité. Car soit que la Cour de Turin fût obligée d'entretenir une armée dans les Vallées pour empêcher les courses des Vaudois, soit qu'elle eut dessein de repeupler ce pays-là de Savoyards qui n'avaient garde d'y aller habiter, tant qu'il y aurait eu des Vaudois sous les armes, il y a apparence que pour les en faire sortir, elle aurait consenti à la délivrance des prisonniers.

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