VERS la fin du mois de Juin l'armée de
France et les Bandits de Mondovise
retirèrent. Les Vaudois qui n'avaient pas
voulu écouter les propositions de la paix
frauduleuse qu'on leur présentait, ni se
fier aux promesses trompeuses de leurs ennemis,
n'étant pas si pressés par
l'armée du Duc, qui seule était
restée dans les Vallées, sortirent de
leurs retraites pour aller chercher des vivres,
afin de soutenir leur vie languissante. Il y en
avait environ quatre-vingts dans la Vallée
de Luzerne, et cinquante dans celle de St Martin
avec quelques femmes et enfants. Lorsqu'ils furent
assemblés, ils se saisirent de quelques
postes avantageux, que leurs ennemis avaient
abandonné : après ils firent
plusieurs courses dans la plaine, et
remportèrent toujours des vivres et du
butin, battirent en diverses occasions plusieurs
détachements des ennemis, tuèrent ou
chassèrent un grand nombre de Savoyards, qui
étaient venus habiter dans les
Vallées, et firent pendant quelques mois des
actions si belles, si hardies et si vigoureuses,
qu'ils mirent leurs ennemis à contribution,
et les forcèrent à leur fournir des
vivres, pour les empêcher de continuer leurs
courses dans la plaine.
La Cour de Turin ayant employé inutilement
la force pour les chasser des Vallées, leur
fit offrir sous main des sauf-conduits en bonne
forme, et des otages pour la sûreté de
leur retraite. Ceux qui en portèrent la
proposition aux Vaudois n'avaient garde d'avouer,
qu'ils agissaient par ordre de la Cour de Turin, au
contraire ils disaient qu'ils ne partaient que de
leur mouvement, et de celui de quelques personnes,
qui se promettaient de leur obtenir ces
sauf-conduits et de leur faire donner des
otages.
Il est certain que ces démarches ne se
faisaient pas sans la participation de la Cour. Car
outre qu'aucun particulier n'aurait osé
entreprendre de son chef une semblable
négociation, les saufs conduits qui furent
expédiés dans la fuite justifient
clairement, que tout se faisait par les ordres de
la Cour. Les Vaudois refusèrent d'abord
d'écouter ces propositions, soit parce
qu'ils ne croyaient pas devoir prendre aucune
confiance aux paroles qu'on leur donnait, soit
parce qu'ils avaient résolu de mourir ou de
tirer les prisonniers de la captivité, la
mort leur étant plus, douce que la vie,
tandis que leurs frères gémissaient
dans les fers.
Pour obliger les Vaudois à accepter ces
offres, on leur dit que le Duc de Savoie avait
déclaré, que tant qu'ils seraient
sous les armes, on ne relâcherait point les
prisonniers : mais on leur promit positivement
que dès qu'ils seraient sortis, on donnerait
la liberté à leurs frères. Les
Vaudois considérant d'un côté
que leur résistance pourrait fournir un
prétexte à la détention des
prisonniers, crurent qu'ils devaient se retirer des
États du Duc de Savoie. Et fut convenu et
arrêté qu'ils sortiraient des
Vallées avec leurs femmes, et leurs enfants,
armes et bagage, en deux troupes, ou brigades,
qu'ils seraient défrayés et conduits
jusques en Suisse, en deux divers temps, par un
Capitaine de S. A. R. nommé Perret avec des
sauf-conduits en bonne forme : Que pour la
sûreté de la première troupe
qui partirait, on laisserait des otages dans les
Vallées entre les mains de la seconde, qui
les garderait jusques à ce qu'elle eut
appris l'arrivée de la première, et
que lors que cette première troupe serait
arrivée, ce Capitaine lui donnerait un
Officier de ses parents pour otage, jusques
à ce que la seconde troupe fut de même
arrivée.
Si les Vaudois qui traitèrent avec Dom
Gabriel ou avec Catinat eussent eu ces
précautions, de ne quitter point les armes,
et de se faire bailler des otages, pour la
sûreté des promesses qu'on leur
faisait, on ne les aurait pas menés par
milliers dans des prisons ni enlevé leurs
enfants, ni violé comme on fit leurs femmes,
et leurs filles.
Les Vaudois qui étaient dans la
Vallée de St. Martin firent à peu
près la même chose qu'avaient fait
ceux qui étaient dans la Vallée de
Lucerne, car encore qu'ils fussent en plus petit
nombre, ils se défendirent pourtant avec
tant de vigueur et de résolution, qu'ils
forcèrent leurs ennemis, à leur
accorder des sauf-conduits et des
sûretés pour passer en Suisse avec
leurs femmes et leurs enfants, armes et bagage.
Ceux qui étaient dans une de ces
Vallées ne savaient pas ce qui se passait
dans l'autre, parce que l'armée ennemie
s'étant emparée des passages, leur
empêchait toute communication. S'ils avaient
pu se joindre ou apprendre des nouvelles les uns
des autres, ils auraient sans doute fait une
composition plus avantageuse, et peut-être
auraient-ils arraché leurs frères de
la captivité. Car soit que la Cour de Turin
fût obligée d'entretenir une
armée dans les Vallées pour
empêcher les courses des Vaudois, soit
qu'elle eut dessein de repeupler ce pays-là
de Savoyards qui n'avaient garde d'y aller habiter,
tant qu'il y aurait eu des Vaudois sous les armes,
il y a apparence que pour les en faire sortir, elle
aurait consenti à la délivrance des
prisonniers.
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