Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Chapitre XX.

Neuvième guerre contre les Vaudois par Louis XIV. Roi de France et Victor Amédée II. Duc de Savoie avec les perfidies, trahisons et manque de foi de leurs ennemis, qui furent cause de leur ruine et de leur dispersion.

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LA douceur dont les Vaudois avaient joui depuis la guerre contre les Génois, jusques à la mort de Charles Emanuel II. Et depuis la mort de ce Prince sous la Régence de Madame Royale sa veuve, jusques à l'année 1685. leur faisait espérer de jouir de quelque tranquillité, sous le règne de Victor Amédée II. qui est à présent Duc de Savoie, et ce qui les flattait encore de cette espérance, était tous les services considérables, qu'ils lui avaient rendu en 1684. dans la guerre contre ceux de Mondovi, dans laquelle ils avaient signalé leur courage et leur zèle. Ce Prince même leur avait donné des assurances authentiques de sa satisfaction et de sa bienveillance, par une lettre qu'il leur fit écrire à cette occasion, ils se repaissaient de cette espérance, lors que le Gouverneur des Vallées fit publier, sur la fin de l'an 1685 une ordonnance qui défendait à tous étrangers d'aller habiter dans les Vallées, et d'y demeurer plus de trois jours sans sa permission, et aux habitants de les loger, sous des grosses peines.

Les Vaudois avaient déjà appris les violences qu'on exerçait en France pour forcer les gens à changer de Religion. Ils avaient encore appris que le Roi avait cassé l'Édit de Nantes, et ils jugeaient bien, que la défense qu'on leur faisait, des Vaudois. de donner retraite à leurs frères, était d'une dangereuse conséquence, mais ils ne prévoyaient pas les malheurs, qui leur sont arrivés, ni les maux qu'on leur préparait.

Ils furent fort surpris, lorsqu'on publia dans les Vallées, une ordonnance du Duc de Savoie, du 31 Janvier 1686 qui défendait généralement l'exercice de la Religion, à peine de la vie et de confiscation des biens, condamnait tous les temples à être démolis, et tous les Ministres au bannissement, ordonnait que tous les enfants, qui naîtraient seraient baptisés et élevés dans la Religion Romaine à peine des Galères contre les pères. On ne saurait exprimer les craintes et les douleurs, dont les Vaudois furent pénétrés à la vue d'une ordonnance si surprenante, si injuste, si rigoureuse et si contraire à leurs droits et à leurs privilèges. Les précédentes ordonnances ne tendaient qu'à les resserrer dans des limites plus étroites, mais celle du 31 Janvier, les privait entièrement de l'exercice de leur Religion, et de là liberté de conscience.

Dans ce piteux état où ils se trouvaient, ils eurent recours aux plaintes et aux supplications selon leur coutume. Ils présentèrent quatre requêtes au Duc de Savoie, pour demander la révocation de cette ordonnance. Mais comme ils ne purent obtenir que quelque délai, pour se préparer à l'exécuter, ils virent que leur malheur était sans ressource : ils en furent encore plus certains, lorsqu'ils apprirent que le Roi de France, qui par des raisons d'intérêt et de politique, les avait toujours protégés, et qui même s'était déclaré le garant des Patentes de 1655 et de 1664, avait non seulement obligé le Duc à donner cet ordre, mais encore faisait avancer les troupes vers le Piémont, pour le faire exécuter.

Les Cantons Protestants ayant été informés de cet ordre, et des mesures qu'on avait prises pour le faire exécuter, crûrent qu'ils ne devaient pas abandonner un Peuple persécuté pour la Religion, et qu'ils devaient paraître dans cette occasion comme ils avaient fait dans les précédentes. Ils résolurent dans une assemblée tenue à Bade, au mois de Février 1686., d'envoyer encore des Ambassadeurs au Duc de Savoie, pour intercéder pour les Vaudois. Ces Ambassadeurs arrivèrent à Turin au commencement du mois de Mars, et firent leur proposition tendant à la révocation de l'ordonnance du 31 Janvier. Ils firent voir que les Cantons étaient intéressés en cette affaire, non seulement comme frères des Vaudois, faisant profession d'une même Religion, mais encore parce que les Patentes de 1655 et 1664 que cette ordonnance détruisait, étaient les fruits de leur médiation, et ils appuyèrent leur demande de plusieurs considérations fortes et solides.

La Cour de Turin ne combattit pas ces raisons, elle se contenta de faire dire aux Ambassadeurs, que les engagements où le Duc de Savoie était entré avec le Roi de France, s'opposaient au succès de leur négociation. Cela les obligea à représenter dans un mémoire qu'ils donnèrent pour ce Sujet, que les Prédécesseurs de S. A. avait engagé leur parole Royale à plusieurs Souverains, et particulièrement aux Cantons Protestants, pour l'observation des patentes accordées aux Vaudois, elle ne pouvait pas renoncer à des engagements si formels et si authentiques, soit parce que les Patentes n'étaient pas de simples tolérances, mais des Concessions perpétuelles, et des lois irrévocables, soit parce que ces Patentes ayant été données à l'intercession de plusieurs Souverains, et selon la Loi des Nations, elles sont des monuments éternels de la foi publique, soit enfin parce que les paroles des Souverains, doivent être sacrées et inviolables.
Ils firent voir aussi par plusieurs raisons de politique, que le Duc de Savoie devait maintenir les Vaudois dans leurs privilèges, et que celles de la justice et de la clémence ne lui permettaient pas de porter dans ses propres États le feu, le sang et le carnage ; et qu'il détruisit un Peuple, lequel implorait sa grâce et sa miséricorde, et qui n'avait rien fait pour lui attirer l'ordre funeste, qui causait son désespoir.
Mais ni les raisons des Ambassadeurs, ni leurs prestantes Sollicitations, ni les lettres d'intercession que plusieurs Princes Protestants écrivirent en faveur des Vaudois, ne produisirent aucun effet, et ne firent que confirmer les Ambassadeurs, dans l'assurance des engagements où le Duc de Savoie était entré avec le Roi de France, pour éteindre la Religion Protestante dans les Vallées, comme on avait fait en France, et employer les mêmes moyens dont on s'était servi pour réussir dans un si funeste dessein.

Cependant les Vaudois ignoraient ce qui se passait à Turin, parce qu'on avait pris et arrêté sur les passages deux hommes, qui allaient dans les Vallées pour en porter les nouvelles.
Bien est vrai, qu'ils avaient reçu ensuite par un bruit commun, que les Ambassadeurs Suisse étaient à Turin, pour demander la révocation de l'ordre du 31 Janvier, mais ils ne savaient rien de positif de leur négociation. Ils ne pouvaient pas même s'en aller informer, parce qu'aucun deux
n'osait aller à Turin, depuis que les délais qu'on leur avait donnés, pour exécuter l'ordre, furent expirés. Qui plus est, on avait refusé aux Ambassadeurs un sauf-conduit, pour faire venir les Députés des Vallées, pour soutenir leur droit, comme on l'avait pratiqué dans les précédentes négociations.

Le Duc de Savoie fit rendre réponse à la demande des Ambassadeurs, par le Marquis de St. Thomas, un de ses Ministres d'État, qui avait la direction des affaires étrangères, qui leur protesta que le Duc ne pouvoir pas révoquée l'ordre qu'il avait donné, parce qu'il n'en était pas le maître, mais pourvu que l'ordre fût exécuté son A. R. ne refuserait pas d'entrer dans quelque expédient. Il leur fît même sentir qu'à leur considération, elle ne refuserait pas aux Vaudois la permission de sortir de ses États, et de disposer de leurs biens.

Les Ambassadeurs considérant que les Vaudois n'avaient ni chef, ni troupes réglées, ne pouvaient pas soutenir une guerre contre le Roi de France et le Duc de Savoie, qui s'étaient unis pour les détruire, ils crurent que pour détourner l'orage dont ils étaient menacés, ils leur devaient procurer une retraite avec la disposition de leurs biens.
Mais avant d'entrer dans cette négociation, il fallait consulter le sentiment des Vaudois, les Ambassadeurs prirent des mesures avec la Cour de Turin, pour aller faire un voyage dans les Vallées, même le Duc de Savoie leur donna une lettre sur ce Sujet, pour le Gouverneur de ce pays-là. l'événement a fait voir que le sentiment de la Cour n'était pas de laisser sortir les Vaudois du Piémont, mais de les forcer d'abandonner leur Religion, de la manière qu'on avait contraint les Protestants de France, et de perdre et détruire tous ceux, qui ne voudraient point l'abandonner. Et on ne consentait à accorder la sortie aux Vaudois que pour les diviser, ils savaient qu'il y en avait plusieurs, qui ne voudraient point abandonner leur bien, et leur patrie, pour aller mener une vie languissante et vagabonde dans un pays étranger, que ceux-là aimeraient mieux abandonner leur Religion, que se soumettre à une condition si dure.

Quand à ceux qui se résoudraient à sortir, on trouverait des moyens pour les chicaner sur leur sortie, ou en retenant leurs enfants pour les élever dans la Religion Romaine, ou en leur empêchant de disposer de leurs biens, ou en emprisonnant les uns, où en massacrant les autres, comme on fit en 1655. et comme on fit encore cette fois, même contre la foi et les promesses solennelles qu'on leur donna par diverses fois.

Les Ambassadeurs arrivèrent dans les Vallées le 22. de Mars, et le lendemain ils firent assembler les Communes par Députés, auxquels ils racontèrent ce qu'ils avaient fait. Ils leur dirent ensuite, que dans l'état où les Vaudois étaient, dénués de l'espérance de tout secours, ils n'avaient point d'autre parti à prendre, que celui de la retraite, en cas qu'on peut l'obtenir avec la disposition de leurs biens, et que s'ils voulaient prendre ce parti, ils en porteraient la proposition comme venant d'eux.
Les Députés des Communes furent fort surpris d'apprendre, qu'ils ne devaient attendre aucun secours dans une occasion, où ils croyaient que toute l'Europe Réformée devait s'intéresser, dirent aux Ambassadeurs qu'ils étaient persuadés, qu'on ne pouvait pas mieux faire que de suivre leur avis, mais que pour prendre une délibération, sur une affaire de cette importance, il fallait faire une assemblée générale.

Les ordres étant donnés pour cela, les Ambassadeurs retournèrent à Turin, et informèrent le Marquis de St. Thomas du succès de leur voyage, qui les assura que cette négociation était fort, agréable à la Cour.
Après quoi ils demandèrent un sauf-conduit pour faire venir quelques habitants des Vallées, pour apporter les délibérations, qui seraient prises dans cette assemblée, qu'on leur refusa sous deux prétextes frivoles.
L'un que le Duc de Savoie ne voyait pas qu'aucun Vaudois parut à la suite de sa Cour. L'autre qu'il ne prétendent faire aucune chose dans cette occasion, qu'a la seule considération des Ambassadeurs.
Ce qui fût cause qu'ils envoyèrent leur Secrétaire dans les Vallées, pour aller quérir ces délibérations. Il trouva les Communes assemblées à Angrogne, le 28 Mars, fort irrésolues sur le parti qu'elles devaient prendre, car si d'un côté elles voyaient les suites funestes d'une guerre, elles voyaient des dangers et des difficultés insurmontables, dans l'exécution de la sortie. Mais enfin elles prirent le parti d'envoyer aux Ambassadeurs un mémoire, des dangers et des difficultés, qui s'opposaient à leur sortie, et en même temps elles leur écrivirent une lettre, par laquelle, après les avoir suppliés de faire réflexion sur ces obstacles, elles leur déclaraient qu'elles s'en remettaient à leur prudence et à leur conduite.

En vertu de cette lettre les Ambassadeurs agirent pour obtenir aux Vaudois la permission de sortir des États du Duc de Savoie, et de disposer de leurs biens. Mais le Duc à qui la proposition en fût portée, leur fit dire qu'avant que d'y répondre, il prétendait que les Communes des Vallées lui envoyaient des Députés, avec un ample pouvoir, pour lui faire les soumissions qui lui étaient dues, et pour lui demander la permission de sortir de ses États, comme une grâce qu'elles imploraient de lui.

Ce changement fait voir clairement, qu'on n'avait consenti à la sortie des Vaudois, que pour les diviser, comme cela arriva, au grand contentement de leurs ennemis. Les Ambassadeurs trouvèrent fort étrange ce préalable, et virent qu'on se jouait d'eux, et qu'on se moquait des Vaudois. On leur avait refusé le sauf-conduit, qu'ils avaient demandé, pour faire venir à Turin des Députés des Vallées. On les avait assurés plusieurs fois, que si l'on accordait la retraite aux Vaudois, ce ne serait qu'à la considération et médiation des Ambassadeurs. Cependant on ne veut plus que ce soient les Ambassadeurs, qui demandent la permission de la sortie, comme une proposition venue de leur part, on veut au contraire que ce soient les Vaudois, qui fassent eux-mêmes cette demande. Et que des gens qui n'ont rien fait, que servir Dieu selon la pureté de son St. Évangile, demandent comme une grâce, d'être bannis de leur Patrie, et d'abandonner leurs maisons, et leurs biens, pour aller mendier dans un pays étranger.

Le mauvais traitement qu'on faisait aux Ambassadeurs ne les rebuta pas pourtant, pour ôter tout prétexte aux ennemis des Vaudois, ils demandèrent un sauf-conduit, pour faire venir les Députés qu'on demandait, et l'envoyèrent aux Vallées par leur Secrétaire, qui fit assembler les Communes afin de nommer les Députés.

Mais comme d'un côté il y en avait plusieurs, qui n'avaient jamais été dans le dessein de sortir. Et que de l'autre les nouvelles démarches de leurs ennemis leur paraissaient suspectes, les Communes ne furent pas toutes dans un même sentiment, ni les ordres qu'elles donnèrent à leurs Députés conformes les uns aux autres.
Les uns portaient de demander la permission de sortir, et de disposer de leurs biens, et les autres la maintenue de l'exercice de leur Religion et de leurs autres droits. Les Députés étant arrivés à Turin, les Ambassadeurs ne trouvèrent pas à propos qu'ils parussent à la Cour ainsi divisés, ils les renvoyèrent dans les Vallées pour tacher de s'unir, et cependant ils travaillèrent à leur obtenir un délai.
Les ennemis des Vaudois, qui avaient dans les Vallées des gens à gages pour les diviser, furent bien aises d'apprendre leur division, ils virent que c'était un moyen assuré pour les détruire. Pour fomenter cette division, ils firent donner un Édit le 9 d'Avril, qui leur permettait de sortir et de disposer de leurs biens, sous certaines conditions.
Il faut remarquer que les Députés des Vallées ne demandaient pas la sortie, ni les Ambassadeurs ne la demandaient pas alors non plus, mais seulement un délai pour faire rassembler les Communes pour délibérer sur ce qui leur serait expédient de faire.
Cet Édit fit un effet contraire au sentiment de leurs ennemis, il fit unir les Vaudois, au lieu qu'on espérait qu'il les diviserait d'avantage, ou du moins qu'il fomentèrent la division parmi eux. Car l'ayant examiné ils virent, que c'était un piège qu'on leur avait tendu, pour les détruire avec moins de peine.

1. Cet Édit ne révoquait point l'ordonnance du 31 Janvier, qui leur ordonnait de démolir tous leurs temples dans huit jours, mais la confirmait, il fallait ou qu'ils les démolissent eux-mêmes dans ce délai et on ne leur donnait que ce même temps pour se préparer à sortir de leur pays, et à abandonner pour jamais leur Patrie, et on voyait bien qu'ils ne se résoudraient point à le faire. Ou bien il fallait que leurs ennemis les démolissent pendant ce délai, autrement ils étaient par l'Édit déchus de toutes les grâces, qu'on leur faisait, il n'y avait plus d'amnistie pour le passé.
Leurs ennemis n'auraient osé démolir les temples des Vaudois, sans que l'armée ne fût entrée dans les Vallées, et ne s'en fût rendue la maîtresse,

2. L'édit portait encore qu'ils mettent bas les armes, et se retirent dans leurs maisons dans huit jours, sans qu'il leur fût permis de faire aucun attroupement, ni assemblée en façon quelconque. Ils n'avaient pas oublié ce qui leur arriva en 1655, car pour avoir donné entrée à l'armée du Duc dans les Vallées, pour y loger seulement deux ou trois jours, comme on leur demandait pour marque de leur soumission et obéissance, on y fit le Massacre dont nous avons parlé ci devant.
Et les suites sont voir, que l'ordre de mettre bas les armes, et la défense de faire des attroupements ne tendaient, qu'à les pouvoir contraindre à abandonner leur Religion, ou à les massacrer comme on fit en divers lieux, après que les troupes y furent entrées.

3. On obligeait les Vaudois de sortirent trois brigades séparées, et de se rendre sans armes dans les lieux, où les troupes étaient campées, et ainsi s'exposer à la discrétion des Soldats, et s'offrir à la boucherie.

4. Ils voyaient que la permission que l'Édit leur donnent de vendre leur bien, leur était inutile. Car outre que la vente ne pouvait être faite qu'après leur sortie, à des Catholiques, et par le Ministère des Procureurs, il fallait sur le prix des mêmes biens, indemniser les Moines, les Missionnaires et les Catholiques tant anciens, que modernes, des dommages et intérêts qu'ils prétendaient avoir souffert, et qu'ils auraient fait monter au delà de la valeur des biens.

5. Si on leur voulait permettre de sortir sans obstacle, pourquoi ne surseoir pas jusques après leur sortie, à l'exécution de l'ordre du 31 Janvier, pourquoi les obliger à démolir leurs temples dans les huit jours, qui leur étaient donnés pour se préparer à abandonner pour jamais leur patrie ; il fallait être aveugle pour ne voir pas, que c'était pour rendre leur retraite impossible.

6. Les Ambassadeurs n'étaient point nommés dans l'Édit, et les Vaudois n'avaient aucune sûreté, pour l'exécution des choses, qui y étaient contenues, ils avaient donc Sujet d'être dans une grande défiance.

7. Le Duc de Savoie avait déclaré aux Ambassadeurs, qu'il n'était pas maître de cette affaire, à cause des engagements qu'il avait pris avec le Roi de France. Il était donc à présumer, que ce Monarque de qui la chose dépendait, ne voudrait tenir à l'égard des Vaudois autre conduite, que celle qu'il avait tenue envers ses propres sujets.

Enfin cet Édit faisait passer les Vaudois pour les plus grands scélérats, et les plus grands criminels du monde, pour n'avoir pas obéi à l'ordre du 31 Janvier, qui était un ordre, lequel renversait tous leurs droits et leurs privilèges, qui leur ôtait la liberté de conscience, et leur ravissait leurs enfants pour les amener à l'idole. Et par conséquent le Duc de Savoie ne le pouvait pas donner sans une injustice manifeste et sans empiéter sur le droit de Dieu, qui seul est maître de la conscience des hommes.
Les Vaudois étaient établis dans les Vallées, et y possédaient les biens qu'ils possédaient lors que cet ordre fût donné, et faisaient profession de là même Religion qu'ils professaient plusieurs siècles avant que les Ducs de Savoie fussent Princes du Piémont. Car ce ne fût qu'en l'année 1235 que Thomas Comte de Savoie se rendit maître de la Ville de Pignerol et des Vallées, sous prétexte que la race des Princes de Piémont était éteinte. Mais les Vaudois ont possédé les Vallées, depuis que ce pays-là a été habité, puis que c'est des Vallées qu'ils empruntent leur nom, comme les Grecs de la Grèce, et les Italiens de l'Italie, et quand à leur Religion nous avons montré, qu'ils l'ont conservée de père en fils depuis les Apôtres. Si les Peuples ne peuvent pas priver leurs Souverains de leurs droits et privilèges, pour quelle raison les Souverains pourraient-ils priver leurs Sujets de leurs libertés et privilèges, s'ils n'ont pas commis des crimes qui les en rendent indignes.

Les Souverains sont établis pour gouverner et conduire leurs Sujets et pour empêcher qu'aucune injustice ne leur soit faite, et non pas pour les perdre, ni pour les dépouiller de leurs biens et de leurs privilèges, mais pour les y maintenir, et défendre leurs droits et leurs libertés.

L'Édit fût publié dans les Vallées le 11 d'Avril et il fallait dans huit jours abattre leurs temples, bannir leurs Ministres, baptiser à la Messe leurs enfants, qui naîtraient jusqu'à leur départ, et faire instruire les autres dans la Religion Romaine, il fallait encore poser les armes, et ne faire point d'assemblée ni d'attroupement, recevoir les Moines, les Missionnaires, et les anciens et nouveaux Catholiques, et même toute l'armée ennemie.

On ne voulut point aussi donner d'assurance aux Ambassadeurs, que les troupes n'entreraient point dans les Vallées, que les Vaudois n'en fussent partis, et l'armée était à l'entrée et prête à y entrer avant que l'Édit fût donné. Et quelques jours après que la publication en fût faite, le Duc de Savoie se rendit au camp, pour intimider les Vaudois par sa présence, et les obliger à subir les conditions, qu'il leur avait imposées.
Il fallait avoir exécuté le 19 tout ce qui était porté par l'ordre du 31 Janvier et partir, ceux de Lucerne le 21. Ceux d'Angrogne le 22. et ceux de St. Martin et de la Pérouse le 23 du mois d'Avril. Il ne fallait qu'avoir manqué à un seul point de l'ordre, pour être arrêté et privé de la liberté de sortir, et condamné comme criminel d'une rébellion énorme et consumée, car c'est ainsi que parle l'Édit.


Les Communes qui s'étaient assemblées à Rocheplate le 14 du mois, après avoir examiné les termes et les conditions, de l'Édit, jugèrent que leurs ennemis n'avaient rien de plus éloigné de la pensée que de leur permettre, de bonne foi la sortie, qu'on faisait semblant de leur accorder et que cet Édit n'était qu'un piège qu'on leur avait tendu, pour les envelopper et les perdre plus facilement. Elles résolurent donc de ne le point accepter, pour les raisons que nous avons dites, qu'ils envoyèrent avec leur résolution aux Ambassadeurs ; qui employèrent tous les soins imaginables pour procurer aux Vaudois des conditions plus sûres et plus avantageuses que celles qui étaient contenues dans l'Édit, mais leurs raisons ni leurs sollicitations ne produisirent aucun effet. On leur dit toujours que tant que les Vaudois seraient sous les armes, on ne leur pouvait rien accorder, ni même rien promettre de positif.


Les Vaudois étaient persuadés qu'on ne les voulait désarmer, que pour les détruire sans peine et sans résistance, ne voulurent point y donner les mains, et il persistèrent dans la résolution de se défendre, si on les venait attaquer.

Ce qui les confirma dans cette résolution, c'est que deux ou trois jours après la publication de l'Édit, quinze ou seize Vaudois allèrent trouver l'Intendant des Vallées, pour lui déclarer qu'eux, et leurs familles avaient dessein de sortir, et le prièrent de leur donner un sauf-conduit, qu'il leur refusa sous prétexte qu'ils dévoient attendre de sortir avec les autres. Il ne se contenta pas de leur refuser le sauf-conduit qui leur était nécessaire pour obéir à l'Édit, il les sollicita encore de changer de Religion, et parce qu'ils ne le voulurent pas faire, il les fit mettre en prison, où quelques-uns sont morts de misère et de langueur, et les autres y ont demeuré sept à huit mois, jusques à ce que les autres, prisonniers furent délivrés. Cela fait voir qu'on avait pour but de faire périr les Vaudois, qui ne voudraient pas changer de Religion.

Il arriva encore que les Directeurs de l'Église de Ville sèche dans la Vallée de St. Martin écrivirent aux Ambassadeurs, qui étaient encore à Turin sur le point de leur de part une lettre du 20 d'Avril, par laquelle ils déclaraient qu'ils voulaient exécuter l'Édit et les prièrent de leur procurer un sauf-conduit et quelque délais pour pouvoir se retirer. Un des Ambassadeurs prit la peine d'aller au camp pour demander un sauf-conduit, mais on le lui refusa, sous prétexte, qu'on ne l'avait pas demandé dans le temps. Il était toujours trop tôt ou trop tard, et jamais le temps n'était propre pour obtenir des sauf-conduits.

Il y avait deux armées pour attaquer les Vaudois. Celle du Duc qui était commandée par Dom Gabriel de Savoie, oncle du Duc, et celle du Roi de France commandée par Catinat Gouverneur de Casal, l'armée du Duc était composée de sa maison, de toute sa Cavalerie et Infanterie, de la milice de Mondovi, de Barjes, de Bagnols et autres lieux de Piémont. Celle de France était composée de plusieurs Régiments de Cavalerie, et de Dragons, de huit bataillons d'Infanterie, qui avaient passé les Monts, et d'une partie de la garnison de Pignerol. Le Duc avant de partir du camp fit la revue tant de ses troupes, que de celles de France, et disposa toutes choses, pour attaquer les Vaudois, dès que le délai qu'on leur avait donné serait expiré, ayant destiné son armée pour forcer la Vallée de Lucerne et la Communauté d'Angrogne, et l'armée de France pour forcer les Vallées de St. Martin et de la Pérouse.

Les Vaudois avaient pris quelques mesures pour se défendre. Ils ne tenaient qu'une partie de la Vallée de Lucerne, et une partie de la Communauté d'Angrogne. Ils n'occupaient dans la Vallée de la Pérouse que quelques postes dans les lieux qui dépendent du Duc de Savoie, y ayant une partie de cette Vallée qui dépend de la France ; mais ils tenaient toute la Vallée de St. Martin, la plus forte de toutes par sa situation. Ils s'étaient fortifiés dans chacune des Vallées de plusieurs retranchements de gazon et de pierre sèche, et étaient environ 2500. hommes sous les armes, deux tiers plus qu'ils n'étaient dans les guerres de 1655 et 1663. Ils avaient fait leurs Chefs et leurs Officiers des plus considérables d'entr'eux, il n'y avait point d'Étrangers et ils attendaient les ennemis avec assez de résolution. Mais il leur manquait des troupes. réglées et des Chefs et Officiers entendus. Il y en avait même plusieurs corrompus ; ou qui s'étaient ralentis pendant la négociation. La plus grande faute qu'ils firent, ce fut de vouloir garder tous leurs postes. Car s'ils eussent abandonné les plus avancés, et qu'il se fussent retirés dans les retranchements qu'ils avaient dans les montagnes, il n'y a pas apparence qu'on les y eut forcés.

Le 22 d'Avril les deux Armées attaquèrent les Vaudois par divers endroits. L'armée du Duc s'étant rendue à la plaine de St. Jean, se partagea en plusieurs corps, qui attaquèrent en même temps divers retranchements que les Vaudois avaient dans les Vallées de Lucerne et d'Angrogne. Les Vaudois ne pouvant résister au canon des ennemis, à cause qu'ils étaient dans des postes trop découverts, furent contraints après quelque résistance d'abandonner une partie de ces retranchements et de s'aller jeter dans un fort plus avantageux par dessus Angrogne, où ils se trouvèrent environ 500 hommes.

Les ennemis après avoir brûlé toutes les maisons, qu'ils rencontrèrent sur leur passage, vinrent attaquer le fort : les Vaudois se défendirent si vigoureusement contre toute l'armée, qu'ils conservèrent ce poste tout un jour, sans perdre que cinq hommes, et les ennemis en perdirent plus de trois cents, quoi qu'ils se fussent couverts d'un retranchement à la portée du pistolet.

Les Vaudois craignant de ne pouvoir plus conserver ce poste, s'allèrent jeter dans un autre, qui était à deux cents pas au dessus, et dans un lieu plus favorable, là ils attendaient avec beaucoup de résolution L'armée ennemie, qui s'avançait pour les y venir attaquer, lors qu'on leur donna avis le 14 d'Avril que la Vallée de St. Martin s'était rendue aux Français, qui venaient les prendre par derrière. Cette Vallée était comme nous avons dit la plus forte de toutes, et delà on pouvait facilement entrer dans celles de Lucerne et d'Angrogne, ils ne savaient pas mêmes sous quelles conditions elle s'était rendue, ni quel traitement les Français avaient fait à leurs frères.

Cette fâcheuse nouvelle obligeât les Vaudois d'entrer en composition avec Don Gabriel de Savoie, oncle du Duc, et Général de l'armée, et avec les autres Généraux, lesquels après avoir eu le sentiment de S. A. R. qui était à Lucerne promirent positivement de sa part et de la leur, que tout serait pardonné aux Vaudois, et qu'ils seraient remis aux termes de l'Édit du 9. Avril, pourvu qu'ils se rendirent à la clémence. Mais comme les Vaudois faisaient quelques difficulté de se fier sur cette promesse ; Dom Gabriel, qui en fut averti, leur envoya un billet écrit et signé de sa main au nom de S. R. A. conçu en ces termes.
Posés promptement les armes, et remettez-vous à la clémence de son Altesse R. moyennant quoi, assurez-vous, qu'elle vous fait grâce, et qu'on ne touchera, ni à vos personnes, ni à celles de vos femmes et de vos enfants. Une assurance de cette nature devait donner une entière sûreté pour la vie et pour la liberté des Vaudois. Cette promesse avait été faîte au nom et de la part du Duc, mais quand bien même elle n'aurait été faite que par Dom Gabriel, et par les Officiers Généraux, elle ne devait pas être moins inviolable. Aussi on ne voit point parmi les Turcs, ni parmi les autres Nations pour barbares qu'elles soient, que de telles promesses aient jamais été violées.

Les Vaudois mirent bas les armes, sur la foi de cette promesse, et s'allèrent rendre pour la plus part à leurs ennemis.
Mais tous ceux qui se mirent entre leurs mains, furent faits prisonniers, et conduits à la Ville de Lucerne, sous prétexte qu'on les menait à son A. R. pour lui faire leurs soumissions. Les ennemis se saisirent aussitôt de tous les postes, que les Vaudois avaient occupés dans la Communauté d'Angrogne. Et non content d'avoir violé la foi qu'on leur avait donnée qu'on ne toucherait point à leurs personnes.

En les faisant prisonniers, ils saccagèrent, pillèrent et brûlèrent les maisons de ces pauvres gens, et firent passer au fil de l'épée un grand nombre des Vaudois de tout âge et de tout sexe, et violèrent plusieurs femmes et filles, et commirent des actions si brutales, qu'elles font frémir d'horreur tous ceux qui ont quelque pudeur et quelque sentiment d'humanité.
Après cette composition plusieurs Vaudois se retirèrent à l'écart, et ne voulurent pas se livrer entre les mains de leurs ennemis sans savoir ce que deviendraient les premiers qui s'étaient rendus.

Ceux-ci voyant que l'armée exerçait des cruautés épouvantables partout, où elle passait, et qu'on retenait tous ceux qui s'allaient rendre, se cachèrent dans les bois, et envoyèrent à Dom Gabriel une Requête par un homme de St. Jean, pour le supplier de relâcher leurs frères que l'on retenait contre la parole donnée, et de faire cesser les actes d'hostilité, que l'armée exerçait avec tant de barbarie.
Dom Gabriel ne répondit point à cette Requête. Mais quelques Officiers répondirent à celui qui l'avait portée, que l'on ne menait les Vaudois, que pour aller demander pardon à S. A. R. et qu'après cela on les relâcherait, ce qu'on ne fit pas pourtant.
Le Traité fait avec Dom Gabriel portait encore que les Vaudois étaient remis aux termes de l'Édit du 9 Avril, qui leur permettait de sortir des États du Duc, et d'emporter avec eux les hardes, et effets qu'ils voudraient. et de vendre les effets et biens qu'ils laisseraient. Toutes ces conditions furent encore violée, on leur enleva et pilla tous leurs effets, et l'ennemi brûla leurs maisons et tout ce qu'il ne peut emporter.

Les Vaudois qui étaient dans le Poste dont nous avons parlé, s'étaient rendus à leurs ennemis aux conditions susdites. Dom Gabriel fit gagner les hauteurs de la Vallée d'Angrogne par un corps d'armée, qui ne trouvant plus de résistance vint jusques au pré du Tour, le plus considérable fort des Vaudois, et dans lequel ils avaient la plupart de leurs bestiaux. Le Marquis de Parelle qui commandait ce Corps, fit savoir aux Vaudois qui, étaient dans ce fort, que la paix était faite par la Capitulation d'Angrogne, et qu'il ne tiendrait qu'à eux de jouir des fruits de cette paix. Il les assura en même temps sur la foi d'un Gentilhomme d'honneur ; que s'ils voulaient se remettre entre ses mains, on ne toucherait ni à leurs personnes, ni à celles de leurs femmes et de leurs enfants, qu'ils pourraient emporter avec eux tout ce qu'ils voudraient sans crainte qu'on leur prit aucune chose, qu'ils n'avaient qu'à venir à Lucerne, où était S. A. R. pour lui faire leurs soumissions. Que moyennant cela, ceux qui voudraient se faire Catholiques retourneraient en toute sûreté dans leurs maisons et dans leurs biens, et ceux qui voudraient sortir des États de son A. auraient la liberté de se retirer, conformément à l'Édit du 9 Avril.

Les Vaudois qui étaient dans le pré du Tour, se rendirent encore, sur la foi dés promesses du Marquis de Parelle, qui ne furent pas mieux observées, que celles de Dom Gabriel. Car les ennemis ne furent pas plutôt entrés dans le pré du Tour, que tout ce que les Vaudois y avaient, fût abandonné au pillage des Soldats, et des bandits de Mondovi, leurs ennemis capitaux, qui s'enrichirent de leurs dépouilles. Et ceux qui étaient dedans, dont la plupart étaient des Vieillards, des malades, des femmes et des enfants, furent faits prisonniers avec quelques Ministres, et conduits avec tant de fureur, que ceux à qui l'âge ou la maladie, ne permettaient pas de marcher assez vite au gré des Soldats furent égorgés ou précipités des rochers en bas dans des précipices.
Voilà qu'elles ont été les prouesses et la bonne foi de l'armée du Duc, voyons qu'elles ont été celles de l'armée de France.

Au même temps que l'armée du Duc attaquait les Vallées de Lucerne et d'Angrogne. Celle de France, commandée par Catinat attaquait celles de la Pérouse et de St. Martin. Le 22 d'Avril elle marcha deux heures avant le jour à la clarté des Flambeaux, et suivit pendant quelque temps la rivière du Cluson sur les terres de France. Ce Général fit un détachement d'infanterie commandé par Villevielle le Lieutenant-Colonel du Régiment du Limousin, qui ayant passé la rivière sur un pont, entra dans la Vallée de la Pérouse appartenant au Duc, se saisit de St. Germain, Village que les Vaudois avaient abandonné, et vint pour forcer un retranchement, qu'ils avaient au dessus, dans lequel il y avait deux cents hommes.

Les Vaudois après quelque résistance, quittèrent ce poste et s'allèrent jeter dans un autre plus avantageux. Cependant un nouveau détachement de Cavalerie et de Dragons ayant passé la rivière, vint soutenir l'Infanterie qui avait attaché le combat. Ils firent ensemble tous leurs efforts pour gagner le retranchement des Vaudois qu'ils croyaient d'emporter d'emblée étant dix contre un ; mais ils y trouvèrent tant de résistance, qu'après avoir perdu beaucoup de monde, ils se retranchèrent eux-mêmes à la portée du pistolet, on fit un feu continuel de part et d'autre pendant plus de dix heures : mais enfin les Vaudois sortirent de leurs retranchements, l'épée à la main, surprirent les Français qui ne s'attendaient pas à une action si hardie, et les chassèrent jusques dans la plaine au delà du Cluson, où favorablement ils trouvèrent, un pont qui les empêcha de se noyer. Dans cette occasion il y eut plus de cinq cents Français de tués, ou de blessés. Et les Vaudois n'eurent, que deux hommes de tués et quelques-uns blessés.

Dans cette déroute, Villevielle se jeta dans le temple de St. Germain, avec soixante et dix Soldats, et quelques Officiers ; on le somma de se rendre et on lui offrit bon quartier, mais il le refusa et témoigna beaucoup de résolution, quoi qu'on lui eut tué ou blessé une partie de son monde. Les Vaudois l'auraient sans doute forcé, mais la nuit étant venue, ils se trouvèrent si accablés des fatigues qu'ils avaient eues pendant tout le jour, qu'ils furent contraints après avoir laissé quelque monde à la porte du temple, d'aller chercher du rafraîchissement. Villevielle fût dégagé le lendemain au point du jour, par quelques troupes que le Gouverneur de Pignerol fit filer toute la nuit. Les Vaudois se remirent dans leur retranchement croyants qu'on les y viendrait attaquer, mais les ennemis s'étant mis en plus grand nombre que le jour précédent, se contentèrent de se retrancher hors de la portée du pistolet. Sans tirer pendant deux jours de part ni d'autre, que quelques coups perdus.
Pendant que les choses se passaient ainsi dans la Pérouse, le Corps de l'armée de France remonta la rivière du Cluson jusques au fort de la Pérouse sur les terres de France, Catinat fit alors un détachement de Cavalerie commandé par Mélac, qui ayant passé la rivière sur deux ponts, alla en contournant gagner les hauteurs qui séparent la Vallée de St. Martin du Dauphiné. Le reste de l'armée ayant aussi passé la rivière, alla camper avec Catinat, au Clos de Bolards une partie de la nuit, et le lendemain 23, il attaqua la Vallée de St. Martin, par un Village nomme Rioclaret. Mais comme ceux qui commandaient dans cette Vallée ne croyaient pas qu'on les eut attaqué, après les démarches qu'ils avaient faites, de se soumettre aux conditions de l'Édit du 9 Avril, surtout puisque le jour marqué pour la sortie de cette Vallée n'était pas encore passé ; Les Vaudois qui y étaient ne s'étaient point mis en état de se défendre, aussi ils ne firent aucune résistance, ils prirent le parti de mettre les armes bas, et d'implorer la pitié et la clémence du Vainqueur. Mais les Français irrités, de ce qui s'était passé au pré de St. Germain, ne se contentèrent pas de brûler, de violer, et de piller, ils massacrèrent sans distinction d'âge et de sexe, avec une furie inouïe, tous ceux que la fuite ne put pas dérober à leur barbarie.

On doit remarquer que la Vallée de St. Martin était entrée dans tous les engagements des autres Vallées, par une délibération faite dans l'assemblée générale tenue à Angrogne le 14 d'Avril, et cette Vallée qui était la plus forte de toutes, ayant changé de sentiment quelques jours après, et envoyé à la Cour qu'elle acceptait l'Édit du 9 Avril, ce changement inespéré porta grand préjudice aux autres, qui voyant que l'ennemi s'était emparé de cette Vallée, d'où on pouvait facilement passer dans les autres, perdirent espérance de se pouvoir défendre, cette fâcheuse nouvelle obligea les Vaudois d'entrer en composition.

Si les habitants de cette Vallée se fussent défendus comme ils pouvaient et devaient, et que ceux des autres Vallées se fussent contentés de garder les lieux les plus forts de leurs montagnes, il eut été malaisé à leurs ennemis de les en tirer. Et deux puissantes armées comme étaient celle de France et celle du Duc de Savoie, n'auraient pas pu subsister longtemps dans ce pays-là sans périr, ou par la famine, ou par les armes des Vaudois, comme avaient fait les armées qui dans les guerres précédentes, on leur avait envoyé pour leur faire la guerre, et la détruire par les armes.

Catinat après avoir ravagé toute la contrée de Rioclaret d'une manière la plus étonnante, laissa quelques troupes dans la Vallée de St. Martin, puis traversa avec un corps d'armée les Montagnes qui séparent cette Vallée de celle de la Pérouse, et alla camper sans trouver aucune résistance, dans la Communauté de Pramol dans la Vallée de la Pérouse, Les Soldats massacrèrent tous ceux qui tombèrent entre leurs mains, sans pitié des femmes ni des enfants, des vieillards ; ni des malades. Le détachement que Mélac commandait ayant campé une nuit sur les hauteurs de la Vallée de St. Martin, entra par divers endroits dans cette Vallée, par des chemins inconnus à tous autres qu'aux habitants du pays, sans trouver aussi aucune résistance. Il laissa partout où il passa des marques d'une cruauté sans exemple, et alla joindre le corps, de l'armée qui était campé à Pramol.

On ne fera pas ici le détail des barbaries, et des inhumanités exercées tant par le Corps de l'armée de France que par le détachement commandé par Mélac, cela n'étant pas convenable à un abrégé d'histoire, il suffit de dire que les Français ne cédèrent en rien en cruauté, barbarie, et inhumanité aux Savoyards et Piémontais. Mais ceci est étonnant, qu'ils ont commis ces fureurs infernales, contre des gens soumis à un ordre donné par leur Souverain, contre des gens qui avaient mis bas les armes, et qui ne se défendaient point.

L'armée du Roi de France était campée dans un quartier de la Communauté de Pramol, appelé la Rua, a demi-lieue d'un autre quartier appelé Peumian, où une partie des Communautés de Pramol, de St. Germain, de Prarustin et de Rocheplate s'étaient retirées, au nombre de 1500 personnes, tant hommes que femmes et enfants. Les Vaudois qui s'étaient si vaillamment défendus contre Villevielle, voyant que les François campés à Rua pouvaient venir fondre sur eux par derrière, quittèrent leur poste, et s'allèrent jeter dans Peumian, où étaient leurs frères. Pendant
qu'ils délibéraient sur les moyens de se défendre contre les Français, qui se préparaient à les venir attaquer, quelques habitants des Vallées apostés et gagnés par les ennemis, leur vinrent dire que les Vallées d'Angrogne et de Luzerne s'étaient soumises à la volonté de leur Prince qui leur avait fait grâce, et qu'il les avait remis aux termes de l'Édit du 9 Avril. Ils leur dirent aussi qu'il ne tiendrait qu'à eux de finir une guerre dont ils ne pouvaient pas soutenir le fardeau tous seuls, et de se procurer une paix qui leur
serait avantageuse.
Cette nouvelle ôta aux Vaudois une partie de leur résolution, et les porta à envoyer des Députés avec un Tambour au Général de l'armée de France, pour composer avec lui. Ce Général qui ne désirait pas mieux leur dit, que l'intention de S. A. R, était de leur pardonner, et leur promit positivement tant de la part de ce Prince, que de la sienne la vie et la liberté, avec la permission de retourner en toute sûreté dans leurs maisons et dans leurs biens, pourvu qu'ils missent promptement les armes bas. Et sur ce que les Députés lui dirent, qu'ils craignaient que les Français irrités de ce qui s'était passé à St. Germain, ne se vengeassent sur les Vaudois, lors qu'ils les auront désarmés.

Il leur fit des grandes protestations avec des horribles serments, que quand toute l'armée passerait près de leurs maisons elle ne leur tuerait pas seulement une poule. Cette Composition faite, Catinat retint auprès de lui un des Députés, et renvoya les autres pour en donner avis aux Vaudois, et pour obliger tous ceux qui s'étaient écartés de se rendre le lendemain 2 Avril à Peumian, afin que chacun put retourner dans sa maison, après avoir été informé de la paix, Pendant que les Vaudois faisaient assembler à Peumian les familles dispersées, Catinat donna avis de cette capitulation à Dom Gabriel, qui lui envoya le même jour au Courrier qui passa par Peumian, et assura les Vaudois qui y étaient, qu'il portait la paix, et le lendemain à son retour leur dit, que la paix était faite. Ils en étaient si persuadés que le jour précédent ils avaient posé les armes suivant les conditions du Traité, se confiant entièrement aux promesses de Catinat.

Ils attendaient dans cet état de ses nouvelles à Peumian, mais ce Général Français n'observa pas mieux le Traité fait avec les Vaudois, qui s'étaient retranchés dans Peumian, que le Général de l'armée du Duc, le Traité fait avec ceux d'Angrogne. Car il leur envoya un Capitaine de la Garnison du Fort de la Pérouse, suivi de plusieurs Dragons, il était fort connu des Vaudois, d'abord il leur réitéra les assurances de la paix, mais ce furent des assurances trompeuses, comme celles des Généraux. Il fit ensuite mettre les hommes en un quartier, les femmes, et les enfants en un autre. Les Troupes Françaises étant arrivées dans le même temps, dirent aux hommes, qu'elles avaient ordre de les ramener dans leurs maisons, et les firent filer quatre à quatre. Ces pauvres gens ayant été contraints, de laisser leurs femmes et leurs filles exposées à la discrétion des Soldats, furent conduits, non dans leurs maisons comme on leur avait dit, mais à Dom Gabriel, qui était campé sur la montagne de la Vachère, et qui les fit mener prisonniers à Luzerne. Pendant qu'on traitait ainsi les hommes, les femmes éprouvaient tout ce que la furie, et la brutalité des Soldats ont de plus abominable et de cruel. Ces barbares ne se contentèrent pas de voler tout l'argent qu'elles portaient, ils violèrent encore plusieurs femmes et filles, avec des circonstances qui font honte à la nature, et massacrèrent celles qui se sauvaient pour conserver leur honneur. Catinat ne fut point présent à ce qui se passa à Peumian, il laissa la conduite de cet affaire à quelques Officiers, pour ne pas entendre les plaintes que les Vaudois avaient droit de lui faire, de son manque de foi, et de sa perfidie, ou pour n'être pas spectateur de tant de vilaines actions, qu'on avait formé le dessein de leur faire, contre et un préjudice des Traités.

Quoi qu'il en soit, il est certain qu'à la réserve des femmes, qui furent tuées, et de celles qui se dérobèrent par la fuite à la persécution de ces monstres et se sauvèrent dans les bois voisins au péril des mousquetades, qu'on leur tirait pour les arrêter, tout le reste fut traîné dans diverses prisons avec une extrême inhumanité.

La Vallée de la Pérouse étant réduite par la capitulation de Peumian, une partie de l'armée de France quitta cette Vallée, et alla joindre celle du Duc, qui était campée à la montagne de la Vachère, et ce fut alors que de tous côtés, on ramassa les Vaudois dispersés, que l'on traîna dans diverses prisons ou Châteaux, sous prétexte qu'on les menait à S. A. R. pour lui demander pardon ; Ce qu'il y eut de plus touchant et de plus pitoyable, est qu'on refusa à leurs prières et à leurs larmes, de mettre les familles ensemble. On voulut séparer un père de son enfant, et un mari de sa femme, pour leur ôter tous les moyens de se fortifier et de se secourir, les uns les autres. Leurs ennemis ne se contentent pas de violer la foi des Traités, et des Serments, qui de tout temps ont été des choses sacrés entre les hommes, ils violent encore les liens de la nature et du sang, afin qu'ils fussent moins en état de soutenir les tentations, et les autres maux qu'on leur avait préparés. Il y eut quantité de jeunes garçons et filles, que l'on ne mit point en prison, et que l'on dispersa par le Piémont dans des maisons particulières, mais ce ne fut pas par un motif d'équité ou de compassion, ce fut pour les faire changer de Religion, pour les faire instruire dans la Religion Romaine, et par ce moyen les ravir à leurs pères et à leurs mères.

Il y avait encore alors un grand nombre de Vaudois qui ne s'étaient point rendus, ou qui n'avaient point été pris. Ceux de Villars, de Bobbi et de quelques autres lieux de la Vallée de Lucerne, n'avaient pas voulu composer comme les autres, pour ne pas éprouver le même fort : Plusieurs de ceux d'Angrogne s'étaient jetés avec eux, ayant vu le manquement de parole de leurs ennemis. Quantité de Vaudois de la Vallée de St. Martin avaient cherché des asiles et des retraites dans les bois et dans les rochers, pour se dérober à la barbarie des Français, qui ne donnaient point de quartier. Les ennemis résolurent de se rendre maîtres par la force ou par la ruse de ces Vaudois, comme ils avaient fait des autres. Pour cet effet pendant qu'un corps de l'armée du Duc était occupé contre ceux, qui étaient encore en armes dans la Vallée de Luzerne, les Français retournèrent dans celle de St. Martin, avec le Marquis de Parelle fort connu par les Vaudois, et fort propre à les persuader. Ce Marquis savait par expérience, que la ruse était un moyen plus assuré pour réussir que la force ouverte. Voici la ruse ou plutôt la perfidie dont il se servit.

Il y avait quelques-uns des principaux d'entre les Vaudois qui s'étaient rendus sur la foi des Traités, et auxquels, le peuple avait de la confiance, il les fit marcher à la tête de l'armée, et les força le pistolet à la gorge, non seulement de servir de guide aux Français, pour découvrir les Vaudois dans leurs retraites les plus cachées, mais encore à écrire plusieurs billets dans la Vallée de St. Martin, pour exhorter leurs Compatriotes à se rendre à la clémence de leur Prince, dont la grâce était offerte à tous ceux qui en voudraient profiter. Et parce que la conduite qu'on avait tenue à l'égard de ceux qui s'étaient rendus, pouvait ôter créance, à cette sollicitation, on ajouta dans plusieurs de ces billets, que les prisonniers seraient bientôt relâchés.
Sur la foi de ces billets dont on connaissait le caractère, et sur l'assurance que les Marquis de Parelle, et les autres Officiers donnèrent aux Vaudois de la paix, et de la grâce du Prince, plusieurs de ces pauvres gens se rendirent entre leurs mains. Plusieurs autres furent pris ou massacrés par les Soldats, mais ceux qui se rendirent, et ceux qui furent pris eurent la même destinée, et furent également menés prisonniers en diverses prisons.

Pendant que la ruse et la cruauté dépouillaient la Vallée de St. Martin de ses habitants, il faut savoir ce qui se passait dans la Vallée de Lucerne.
Les Vaudois y occupaient encore deux postes, l'un appelé Jaimet, et l'autre Chamruma, au dessus de la Tour, dans lequel une partie de ceux qui s'étaient sauvés d'Angrogne s'étaient jetés. Ces deux postes couvraient Villars, où il y avait environ mille personnes, tant Vieillards, que femmes et enfants. Un détachement de l'armée du Duc de Savoie soutenu des bandits du Mondovi, vint attaquer ces deux postes, où les Vaudois se défendirent tout un jour avec un courage et valeur extraordinaire. Ils tuèrent un grand nombre de leurs ennemis, entre lesquels il y avait plusieurs Officiers de marque, le Commandant des bandits, y perdit aussi la vie dans ce combat. Les Vaudois n'eurent que six hommes de tués et autant de blessés.

Les ennemis étaient fort fatigués et n'avaient plus de quoi tirer, ils méditaient leur retraite, mais comme on pouvait les poursuivre facilement et les défaire en se retirant, ils s'avisèrent de ce stratagème.
Plusieurs Officiers ayant mis les armes et leurs chapeaux à terre s'approchèrent sur le soir du retranchement de Chamruma, avec un mouchoir au bout d'un bâton, et demandèrent à parler pour faire des propositions de paix. Ils montrèrent, aussi un papier et dirent aux Vaudois, qu'ils venaient de recevoir des lettres, qui portaient que la paix était faite dans toutes les Vallées, que S. A. R. avait fait grâce généralement à tous ses Sujets, et qu'il ne tiendrait, qu'a ceux qui étaient encore en armes d'y être compris comme les autres.
Ils ajoutèrent qu'ils avaient ordre de ne tirer plus et de faire retraite, et exhortèrent les Vaudois à en faire de même, et d'accepter une grâce que leur Prince leur offrait, et dont le Podesta Prat qui était là présent les pouvait assurer.
Ce Podesta qui était fort connu des Vaudois ayant joint ses protestations à celle des Officiers, et tous ensemble leur ayant promis avec serment la vie et la liberté pourvu qu'ils se retiraient.

Les Vaudois se confiant en ces promesses, non seulement ils ne tirèrent plus, mais encore ils donnèrent à leurs ennemis, qu'ils pouvaient défaire la liberté de la retraite, même ils abandonnèrent leur poste, étant tous persuadés que la paix était faite. Plusieurs de la Communauté d'Angrogne, qui se rendirent à la Tour pour jouir des fruits de cette paix, furent aussitôt arrêtés et conduits dans les prisons. Les Vaudois n'eurent pas plutôt abandonné Chamruma qui était un poste très avantageux, que les ennemis s'en emparèrent.

Ceux qui étaient à Jaimet, et qui n'étaient pas entrés dans la composition furent obligés d'abandonner le leur, parce qu'il était commandé par l'autre, et s'allèrent jeter aux coteaux de Villars. Les ennemis marchèrent sur leurs traces et allèrent camper à Bonnet, sur les avenues de Villars, et de Bobbi, et y demeurèrent deux jours sans insulter les Vaudois, qui s'étaient joints, et qui pouvaient faire quatre où cinq cents hommes. Les officiers de l'armée employèrent ce temps-là, à leur faire des propositions de paix, accompagnées de belles promesses s'ils se rendaient, et de terribles menaces s'ils se défendaient.

Les Vaudois répondirent à ces propositions, qu'ils ne souhaitaient rien tant que la paix, mais que celle qu'on leur présentait était plus funeste que la guerre, puis qu'on ne l'a pouvait acheter qu'au prix de la liberté, que malgré la paix, qu'on avait promise à ceux de Chamruma, et sous la foi de laquelle ils avaient abandonné leur poste, on n'avait pas laissé d'emprisonner ceux qui s'étaient rendus, que l'exemple de leurs frères leur apprenait, ce qu'ils devaient attendre de ces propositions.
Cela n'empêcha pas, que plusieurs de ces pauvres innocents ne se rendirent entre les mains de leurs ennemis, sur ce qu'on leur jura, que ceux qui s'étaient rendus retourneraient bientôt dans leurs maisons, et qu'ils n'avaient été conduits à S. A. R. que pour lui demander pardon. Mais ces pauvres crédules furent encore menés en prison et traités de la même manière que les autres.


Les Vaudois étant fort affaiblis, abandonnèrent Villars, dont l'ennemi s'en saisit d'abord. On les laissa en repos jusques au 4 Mai, que les troupes s'étant renforcées allèrent attaquer Bobbi, où les Vaudois s'étaient ; retirés. mais elles furent repoussées par 150. Vaudois qui étaient sur la montagne de Subjusque, et qui sans perdre un seul homme, tuèrent quelques Officiers et un grand nombre de Soldats. Le 12 du même mois les deux armées s'étant jointes voulurent forcer Bobbi, mais les Vaudois se défendirent si bien, qu'après un combat qui dura tout le jour, leurs ennemis furent contraints de se retirer avec beaucoup de perte.

Le lendemain le Marquis de Parelle, qui venait de la Vallée de St. Martin avec un grand détachement, passa le col de Julien, qui est une montagne qu'on croyait alors inaccessible, et était en état d'attaquer les Vaudois par dessus, cela les obligea d'abandonner Bobbi, et de s'aller jeter dans les bois et dans les rochers. Le Marquis de Parelle et le Comte de Brichanteau ayant occupé les postes, que les Vaudois. venaient de quitter, leur envoyèrent dans leurs retraites diverses personnes pour les exhorter à se rendre, et leur offrir la grâce du Prince, une partie de ces gens accablés de fatigues, et pressés par la faim et par la misère, se rendirent à cette offre, mais ils perdirent la liberté comme les autres. Il y en eut aussi qui se rendirent au Gouverneur du fort de Mirebouc, sur l'assurance qu'il leur donnerait la vie et la liberté ; ce Gouverneur paya leur confiance d'une rigoureuse prison.

Ceux qui s'étaient jetés dans la montagne de Vandelin, après s'être battus durant quelque temps, avec beaucoup de résolution et de bonheur, se laissèrent enfin séduire par le Comte de la Roche Gouverneur dans les Vallées. Il leur promit positivement par un billet écrit de sa main, qu'ils retourneraient dans leurs maisons en toute liberté, mais ils n'eurent pas plutôt abandonné leur poste, qu'il les fit saisir et conduire en prison, et leur fit ôter le billet qu'il leur avait donné. Le mauvais traitement qu'on faisait à ceux qui se rendaient, fût cause, qu'il y eut une petite partie de Vaudois, qui aimèrent mieux souffrir la faim et la misère dans les bois et dans les rochers où ils s'étaient cachés que de se mettre entre les mains de leurs ennemis, on fit marcher des troupes pour les aller chercher et les tirer de là, on en trouva quelques-uns, qui furent ou massacrés en se voulant sauver, ou pris et pendu sur le champ à des arbres, ou conduis à Lucerne dans les prisons, d'où on les tira ensuite pour les mener à la potence, entre lesquels fût Leidet ministre dans la Vallée de St. Martin qui fit une mort fort Chrétienne.

Ceux qui ne tombèrent pas entre les mains de leurs ennemis, menèrent une vie languissante dans les bois, ou dans les rochers où ils s'étaient cachés, ne vivant que des racines et des herbes sauvages, qu'ils cueillaient dans les montagnes, les uns passèrent dans ce piteux état un mois et les autres deux, selon le temps qu'ils s'étaient cachés.
Les ennemis des Vaudois ayant par leurs perfidies et trahisons, ôté la vie à plus de trois mille Vaudois, privé de la liberté plus de dix mille , et enlevé et dispersé environ deux mille enfants, ils crurent qu'ils n'avaient plus rien à ménager, et poussant l'injustice à bout, ils confisquèrent tous les biens des Vaudois.

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