LA douceur dont les Vaudois avaient joui depuis
la guerre contre les Génois, jusques
à la mort de Charles Emanuel II. Et depuis
la mort de ce Prince sous la Régence de
Madame Royale sa veuve, jusques à
l'année 1685. leur faisait espérer de
jouir de quelque tranquillité, sous le
règne de Victor Amédée II. qui
est à présent Duc de Savoie, et ce
qui les flattait encore de cette espérance,
était tous les services
considérables, qu'ils lui avaient rendu en
1684. dans la guerre contre ceux de Mondovi, dans
laquelle ils avaient signalé leur courage et
leur zèle. Ce Prince même leur avait
donné des assurances authentiques de sa
satisfaction et de sa bienveillance, par une lettre
qu'il leur fit écrire à cette
occasion, ils se repaissaient de cette
espérance, lors que le Gouverneur des
Vallées fit publier, sur la fin de l'an 1685
une ordonnance qui défendait à tous
étrangers d'aller habiter dans les
Vallées, et d'y demeurer plus de trois jours
sans sa permission, et aux habitants de les loger,
sous des grosses peines.
Les Vaudois avaient déjà appris les
violences qu'on exerçait en France pour
forcer les gens à changer de Religion. Ils
avaient encore appris que le Roi avait cassé
l'Édit de Nantes, et ils jugeaient bien, que
la défense qu'on leur faisait, des Vaudois.
de donner retraite à leurs frères,
était d'une dangereuse conséquence,
mais ils ne prévoyaient pas les malheurs,
qui leur sont arrivés, ni les maux qu'on
leur préparait.
Ils furent fort surpris, lorsqu'on publia dans les
Vallées, une ordonnance du Duc de Savoie, du
31 Janvier 1686 qui défendait
généralement l'exercice de la
Religion, à peine de la vie et de
confiscation des biens, condamnait tous les temples
à être démolis, et tous les
Ministres au bannissement, ordonnait que tous les
enfants, qui naîtraient seraient
baptisés et élevés dans la
Religion Romaine à peine des Galères
contre les pères. On ne saurait exprimer les
craintes et les douleurs, dont les Vaudois furent
pénétrés à la vue d'une
ordonnance si surprenante, si injuste, si
rigoureuse et si contraire à leurs droits et
à leurs privilèges. Les
précédentes ordonnances ne tendaient
qu'à les resserrer dans des limites plus
étroites, mais celle du 31 Janvier, les
privait entièrement de l'exercice de leur
Religion, et de là liberté de
conscience.
Dans ce piteux état où ils se
trouvaient, ils eurent recours aux plaintes et aux
supplications selon leur coutume. Ils
présentèrent quatre requêtes au
Duc de Savoie, pour demander la révocation
de cette ordonnance. Mais comme ils ne purent
obtenir que quelque délai, pour se
préparer à l'exécuter, ils
virent que leur malheur était sans
ressource : ils en furent encore plus
certains, lorsqu'ils apprirent que le Roi de
France, qui par des raisons d'intérêt
et de politique, les avait toujours
protégés, et qui même
s'était déclaré le garant des
Patentes de 1655 et de 1664, avait non seulement
obligé le Duc à donner cet ordre,
mais encore faisait avancer les troupes vers le
Piémont, pour le faire exécuter.
Les Cantons Protestants ayant été
informés de cet ordre, et des mesures qu'on
avait prises pour le faire exécuter,
crûrent qu'ils ne devaient pas abandonner un
Peuple persécuté pour la Religion, et
qu'ils devaient paraître dans cette occasion
comme ils avaient fait dans les
précédentes. Ils résolurent
dans une assemblée tenue à Bade, au
mois de Février 1686., d'envoyer encore des
Ambassadeurs au Duc de Savoie, pour
intercéder pour les Vaudois. Ces
Ambassadeurs arrivèrent à Turin au
commencement du mois de Mars, et firent leur
proposition tendant à la révocation
de l'ordonnance du 31 Janvier. Ils firent voir que
les Cantons étaient intéressés
en cette affaire, non seulement comme frères
des Vaudois, faisant profession d'une même
Religion, mais encore parce que les Patentes de
1655 et 1664 que cette ordonnance
détruisait, étaient les fruits de
leur médiation, et ils appuyèrent
leur demande de plusieurs considérations
fortes et solides.
La Cour de Turin ne combattit pas ces raisons, elle
se contenta de faire dire aux Ambassadeurs, que les
engagements où le Duc de Savoie était
entré avec le Roi de France, s'opposaient au
succès de leur négociation. Cela les
obligea à représenter dans un
mémoire qu'ils donnèrent pour ce
Sujet, que les Prédécesseurs de S. A.
avait engagé leur parole Royale à
plusieurs Souverains, et particulièrement
aux Cantons Protestants, pour l'observation des
patentes accordées aux Vaudois, elle ne
pouvait pas renoncer à des engagements si
formels et si authentiques, soit parce que les
Patentes n'étaient pas de simples
tolérances, mais des Concessions
perpétuelles, et des lois
irrévocables, soit parce que ces Patentes
ayant été données à
l'intercession de plusieurs Souverains, et selon la
Loi des Nations, elles sont des monuments
éternels de la foi publique, soit enfin
parce que les paroles des Souverains, doivent
être sacrées et inviolables.
Ils firent voir aussi par plusieurs raisons de
politique, que le Duc de Savoie devait maintenir
les Vaudois dans leurs privilèges, et que
celles de la justice et de la clémence ne
lui permettaient pas de porter dans ses propres
États le feu, le sang et le carnage ;
et qu'il détruisit un Peuple, lequel
implorait sa grâce et sa miséricorde,
et qui n'avait rien fait pour lui attirer l'ordre
funeste, qui causait son désespoir.
Mais ni les raisons des Ambassadeurs, ni leurs
prestantes Sollicitations, ni les lettres
d'intercession que plusieurs Princes Protestants
écrivirent en faveur des Vaudois, ne
produisirent aucun effet, et ne firent que
confirmer les Ambassadeurs, dans l'assurance des
engagements où le Duc de Savoie était
entré avec le Roi de France, pour
éteindre la Religion Protestante dans les
Vallées, comme on avait fait en France, et
employer les mêmes moyens dont on
s'était servi pour réussir dans un si
funeste dessein.
Cependant les Vaudois ignoraient ce qui se passait
à Turin, parce qu'on avait pris et
arrêté sur les passages deux hommes,
qui allaient dans les Vallées pour en porter
les nouvelles.
Bien est vrai, qu'ils avaient reçu ensuite
par un bruit commun, que les Ambassadeurs Suisse
étaient à Turin, pour demander la
révocation de l'ordre du 31 Janvier, mais
ils ne savaient rien de positif de leur
négociation. Ils ne pouvaient pas même
s'en aller informer, parce qu'aucun deux
n'osait aller à Turin, depuis que les
délais qu'on leur avait donnés, pour
exécuter l'ordre, furent expirés. Qui
plus est, on avait refusé aux Ambassadeurs
un sauf-conduit, pour faire venir les
Députés des Vallées, pour
soutenir leur droit, comme on l'avait
pratiqué dans les précédentes
négociations.
Le Duc de Savoie fit rendre réponse à
la demande des Ambassadeurs, par le Marquis de St.
Thomas, un de ses Ministres d'État, qui
avait la direction des affaires
étrangères, qui leur protesta que le
Duc ne pouvoir pas révoquée l'ordre
qu'il avait donné, parce qu'il n'en
était pas le maître, mais pourvu que
l'ordre fût exécuté son A. R.
ne refuserait pas d'entrer dans quelque
expédient. Il leur fît même
sentir qu'à leur considération, elle
ne refuserait pas aux Vaudois la permission de
sortir de ses États, et de disposer de leurs
biens.
Les Ambassadeurs considérant que les Vaudois
n'avaient ni chef, ni troupes
réglées, ne pouvaient pas soutenir
une guerre contre le Roi de France et le Duc de
Savoie, qui s'étaient unis pour les
détruire, ils crurent que pour
détourner l'orage dont ils étaient
menacés, ils leur devaient procurer une
retraite avec la disposition de leurs biens.
Mais avant d'entrer dans cette négociation,
il fallait consulter le sentiment des Vaudois, les
Ambassadeurs prirent des mesures avec la Cour de
Turin, pour aller faire un voyage dans les
Vallées, même le Duc de Savoie leur
donna une lettre sur ce Sujet, pour le Gouverneur
de ce pays-là. l'événement a
fait voir que le sentiment de la Cour
n'était pas de laisser sortir les Vaudois du
Piémont, mais de les forcer d'abandonner
leur Religion, de la manière qu'on avait
contraint les Protestants de France, et de perdre
et détruire tous ceux, qui ne voudraient
point l'abandonner. Et on ne consentait à
accorder la sortie aux Vaudois que pour les
diviser, ils savaient qu'il y en avait plusieurs,
qui ne voudraient point abandonner leur bien, et
leur patrie, pour aller mener une vie languissante
et vagabonde dans un pays étranger, que
ceux-là aimeraient mieux abandonner leur
Religion, que se soumettre à une condition
si dure.
Quand à ceux qui se résoudraient
à sortir, on trouverait des moyens pour les
chicaner sur leur sortie, ou en retenant leurs
enfants pour les élever dans la Religion
Romaine, ou en leur empêchant de disposer de
leurs biens, ou en emprisonnant les uns, où
en massacrant les autres, comme on fit en 1655. et
comme on fit encore cette fois, même contre
la foi et les promesses solennelles qu'on leur
donna par diverses fois.
Les Ambassadeurs arrivèrent dans les
Vallées le 22. de Mars, et le lendemain ils
firent assembler les Communes par
Députés, auxquels ils
racontèrent ce qu'ils avaient fait. Ils leur
dirent ensuite, que dans l'état où
les Vaudois étaient, dénués de
l'espérance de tout secours, ils n'avaient
point d'autre parti à prendre, que celui de
la retraite, en cas qu'on peut l'obtenir avec la
disposition de leurs biens, et que s'ils voulaient
prendre ce parti, ils en porteraient la proposition
comme venant d'eux.
Les Députés des Communes furent fort
surpris d'apprendre, qu'ils ne devaient attendre
aucun secours dans une occasion, où ils
croyaient que toute l'Europe Réformée
devait s'intéresser, dirent aux Ambassadeurs
qu'ils étaient persuadés, qu'on ne
pouvait pas mieux faire que de suivre leur avis,
mais que pour prendre une
délibération, sur une affaire de
cette importance, il fallait faire une
assemblée générale.
Les ordres étant donnés pour cela,
les Ambassadeurs retournèrent à
Turin, et informèrent le Marquis de St.
Thomas du succès de leur voyage, qui les
assura que cette négociation était
fort, agréable à la Cour.
Après quoi ils demandèrent un
sauf-conduit pour faire venir quelques habitants
des Vallées, pour apporter les
délibérations, qui seraient prises
dans cette assemblée, qu'on leur refusa sous
deux prétextes frivoles.
L'un que le Duc de Savoie ne voyait pas qu'aucun
Vaudois parut à la suite de sa Cour. L'autre
qu'il ne prétendent faire aucune chose dans
cette occasion, qu'a la seule considération
des Ambassadeurs.
Ce qui fût cause qu'ils envoyèrent
leur Secrétaire dans les Vallées,
pour aller quérir ces
délibérations. Il trouva les Communes
assemblées à Angrogne, le 28 Mars,
fort irrésolues sur le parti qu'elles
devaient prendre, car si d'un côté
elles voyaient les suites funestes d'une guerre,
elles voyaient des dangers et des
difficultés insurmontables, dans
l'exécution de la sortie. Mais enfin elles
prirent le parti d'envoyer aux Ambassadeurs un
mémoire, des dangers et des
difficultés, qui s'opposaient à leur
sortie, et en même temps elles leur
écrivirent une lettre, par laquelle,
après les avoir suppliés de faire
réflexion sur ces obstacles, elles leur
déclaraient qu'elles s'en remettaient
à leur prudence et à leur
conduite.
En vertu de cette lettre les Ambassadeurs agirent
pour obtenir aux Vaudois la permission de sortir
des États du Duc de Savoie, et de disposer
de leurs biens. Mais le Duc à qui la
proposition en fût portée, leur fit
dire qu'avant que d'y répondre, il
prétendait que les Communes des
Vallées lui envoyaient des
Députés, avec un ample pouvoir, pour
lui faire les soumissions qui lui étaient
dues, et pour lui demander la permission de sortir
de ses États, comme une grâce qu'elles
imploraient de lui.
Ce changement fait voir clairement, qu'on n'avait
consenti à la sortie des Vaudois, que pour
les diviser, comme cela arriva, au grand
contentement de leurs ennemis. Les Ambassadeurs
trouvèrent fort étrange ce
préalable, et virent qu'on se jouait d'eux,
et qu'on se moquait des Vaudois. On leur avait
refusé le sauf-conduit, qu'ils avaient
demandé, pour faire venir à Turin des
Députés des Vallées. On les
avait assurés plusieurs fois, que si l'on
accordait la retraite aux Vaudois, ce ne serait
qu'à la considération et
médiation des Ambassadeurs. Cependant on ne
veut plus que ce soient les Ambassadeurs, qui
demandent la permission de la sortie, comme une
proposition venue de leur part, on veut au
contraire que ce soient les Vaudois, qui fassent
eux-mêmes cette demande. Et que des gens qui
n'ont rien fait, que servir Dieu selon la
pureté de son St. Évangile, demandent
comme une grâce, d'être bannis de leur
Patrie, et d'abandonner leurs maisons, et leurs
biens, pour aller mendier dans un pays
étranger.
Le mauvais traitement qu'on faisait aux
Ambassadeurs ne les rebuta pas pourtant, pour
ôter tout prétexte aux ennemis des
Vaudois, ils demandèrent un sauf-conduit,
pour faire venir les Députés qu'on
demandait, et l'envoyèrent aux
Vallées par leur Secrétaire, qui fit
assembler les Communes afin de nommer les
Députés.
Mais comme d'un côté il y en avait
plusieurs, qui n'avaient jamais été
dans le dessein de sortir. Et que de l'autre les
nouvelles démarches de leurs ennemis leur
paraissaient suspectes, les Communes ne furent pas
toutes dans un même sentiment, ni les ordres
qu'elles donnèrent à leurs
Députés conformes les uns aux
autres.
Les uns portaient de demander la permission de
sortir, et de disposer de leurs biens, et les
autres la maintenue de l'exercice de leur Religion
et de leurs autres droits. Les
Députés étant arrivés
à Turin, les Ambassadeurs ne
trouvèrent pas à propos qu'ils
parussent à la Cour ainsi divisés,
ils les renvoyèrent dans les Vallées
pour tacher de s'unir, et cependant ils
travaillèrent à leur obtenir un
délai.
Les ennemis des Vaudois, qui avaient dans les
Vallées des gens à gages pour les
diviser, furent bien aises d'apprendre leur
division, ils virent que c'était un moyen
assuré pour les détruire. Pour
fomenter cette division, ils firent donner un
Édit le 9 d'Avril, qui leur permettait de
sortir et de disposer de leurs biens, sous
certaines conditions.
Il faut remarquer que les Députés des
Vallées ne demandaient pas la sortie, ni les
Ambassadeurs ne la demandaient pas alors non plus,
mais seulement un délai pour faire
rassembler les Communes pour
délibérer sur ce qui leur serait
expédient de faire.
Cet Édit fit un effet contraire au sentiment
de leurs ennemis, il fit unir les Vaudois, au lieu
qu'on espérait qu'il les diviserait
d'avantage, ou du moins qu'il fomentèrent la
division parmi eux. Car l'ayant examiné ils
virent, que c'était un piège qu'on
leur avait tendu, pour les détruire avec
moins de peine.
1. Cet Édit ne révoquait point
l'ordonnance du 31 Janvier, qui leur ordonnait de
démolir tous leurs temples dans huit jours,
mais la confirmait, il fallait ou qu'ils les
démolissent eux-mêmes dans ce
délai et on ne leur donnait que ce
même temps pour se préparer à
sortir de leur pays, et à abandonner pour
jamais leur Patrie, et on voyait bien qu'ils ne se
résoudraient point à le faire. Ou
bien il fallait que leurs ennemis les
démolissent pendant ce délai,
autrement ils étaient par l'Édit
déchus de toutes les grâces, qu'on
leur faisait, il n'y avait plus d'amnistie pour le
passé.
Leurs ennemis n'auraient osé démolir
les temples des Vaudois, sans que l'armée ne
fût entrée dans les Vallées, et
ne s'en fût rendue la maîtresse,
2. L'édit portait encore qu'ils
mettent bas les armes, et se retirent dans leurs
maisons dans huit jours, sans qu'il leur fût
permis de faire aucun attroupement, ni
assemblée en façon quelconque. Ils
n'avaient pas oublié ce qui leur arriva en
1655, car pour avoir donné entrée
à l'armée du Duc dans les
Vallées, pour y loger seulement deux ou
trois jours, comme on leur demandait pour marque de
leur soumission et obéissance, on y fit le
Massacre dont nous avons parlé ci
devant.
Et les suites sont voir, que l'ordre de mettre bas
les armes, et la défense de faire des
attroupements ne tendaient, qu'à les pouvoir
contraindre à abandonner leur Religion, ou
à les massacrer comme on fit en divers
lieux, après que les troupes y furent
entrées.
3. On obligeait les Vaudois de sortirent
trois brigades séparées, et de se
rendre sans armes dans les lieux, où les
troupes étaient campées, et ainsi
s'exposer à la discrétion des
Soldats, et s'offrir à la boucherie.
4. Ils voyaient que la permission que
l'Édit leur donnent de vendre leur bien,
leur était inutile. Car outre que la vente
ne pouvait être faite qu'après leur
sortie, à des Catholiques, et par le
Ministère des Procureurs, il fallait sur le
prix des mêmes biens, indemniser les Moines,
les Missionnaires et les Catholiques tant anciens,
que modernes, des dommages et intérêts
qu'ils prétendaient avoir souffert, et
qu'ils auraient fait monter au delà de la
valeur des biens.
5. Si on leur voulait permettre de sortir
sans obstacle, pourquoi ne surseoir pas jusques
après leur sortie, à
l'exécution de l'ordre du 31 Janvier,
pourquoi les obliger à démolir leurs
temples dans les huit jours, qui leur
étaient donnés pour se
préparer à abandonner pour jamais
leur patrie ; il fallait être aveugle
pour ne voir pas, que c'était pour rendre
leur retraite impossible.
6. Les Ambassadeurs n'étaient point
nommés dans l'Édit, et les Vaudois
n'avaient aucune sûreté, pour
l'exécution des choses, qui y étaient
contenues, ils avaient donc Sujet d'être dans
une grande défiance.
7. Le Duc de Savoie avait
déclaré aux Ambassadeurs, qu'il
n'était pas maître de cette affaire,
à cause des engagements qu'il avait pris
avec le Roi de France. Il était donc
à présumer, que ce Monarque de qui la
chose dépendait, ne voudrait tenir à
l'égard des Vaudois autre conduite, que
celle qu'il avait tenue envers ses propres
sujets.
Enfin cet Édit faisait passer les Vaudois
pour les plus grands scélérats, et
les plus grands criminels du monde, pour n'avoir
pas obéi à l'ordre du 31 Janvier, qui
était un ordre, lequel renversait tous leurs
droits et leurs privilèges, qui leur
ôtait la liberté de conscience, et
leur ravissait leurs enfants pour les amener
à l'idole. Et par conséquent le Duc
de Savoie ne le pouvait pas donner sans une
injustice manifeste et sans empiéter sur le
droit de Dieu, qui seul est maître de la
conscience des hommes.
Les Vaudois étaient établis dans les
Vallées, et y possédaient les biens
qu'ils possédaient lors que cet ordre
fût donné, et faisaient profession de
là même Religion qu'ils professaient
plusieurs siècles avant que les Ducs de
Savoie fussent Princes du Piémont. Car ce ne
fût qu'en l'année 1235 que Thomas
Comte de Savoie se rendit maître de la Ville
de Pignerol et des Vallées, sous
prétexte que la race des Princes de
Piémont était éteinte. Mais
les Vaudois ont possédé les
Vallées, depuis que ce pays-là a
été habité, puis que c'est des
Vallées qu'ils empruntent leur nom, comme
les Grecs de la Grèce, et les Italiens de
l'Italie, et quand à leur Religion nous
avons montré, qu'ils l'ont conservée
de père en fils depuis les Apôtres. Si
les Peuples ne peuvent pas priver leurs Souverains
de leurs droits et privilèges, pour quelle
raison les Souverains pourraient-ils priver leurs
Sujets de leurs libertés et
privilèges, s'ils n'ont pas commis des
crimes qui les en rendent indignes.
Les Souverains sont établis pour gouverner
et conduire leurs Sujets et pour empêcher
qu'aucune injustice ne leur soit faite, et non pas
pour les perdre, ni pour les dépouiller de
leurs biens et de leurs privilèges, mais
pour les y maintenir, et défendre leurs
droits et leurs libertés.
L'Édit fût publié dans les
Vallées le 11 d'Avril et il fallait dans
huit jours abattre leurs temples, bannir leurs
Ministres, baptiser à la Messe leurs
enfants, qui naîtraient jusqu'à leur
départ, et faire instruire les autres dans
la Religion Romaine, il fallait encore poser les
armes, et ne faire point d'assemblée ni
d'attroupement, recevoir les Moines, les
Missionnaires, et les anciens et nouveaux
Catholiques, et même toute l'armée
ennemie.
On ne voulut point aussi donner d'assurance aux
Ambassadeurs, que les troupes n'entreraient point
dans les Vallées, que les Vaudois n'en
fussent partis, et l'armée était
à l'entrée et prête à y
entrer avant que l'Édit fût
donné. Et quelques jours après que la
publication en fût faite, le Duc de Savoie se
rendit au camp, pour intimider les Vaudois par sa
présence, et les obliger à subir les
conditions, qu'il leur avait imposées.
Il fallait avoir exécuté le 19 tout
ce qui était porté par l'ordre du 31
Janvier et partir, ceux de Lucerne le 21. Ceux
d'Angrogne le 22. et ceux de St. Martin et de la
Pérouse le 23 du mois d'Avril. Il ne fallait
qu'avoir manqué à un seul point de
l'ordre, pour être arrêté et
privé de la liberté de sortir, et
condamné comme criminel d'une
rébellion énorme et consumée,
car c'est ainsi que parle l'Édit.
Les Communes qui s'étaient assemblées
à Rocheplate le 14 du mois, après
avoir examiné les termes et les conditions,
de l'Édit, jugèrent que leurs ennemis
n'avaient rien de plus éloigné de la
pensée que de leur permettre, de bonne foi
la sortie, qu'on faisait semblant de leur accorder
et que cet Édit n'était qu'un
piège qu'on leur avait tendu, pour les
envelopper et les perdre plus facilement. Elles
résolurent donc de ne le point accepter,
pour les raisons que nous avons dites, qu'ils
envoyèrent avec leur résolution aux
Ambassadeurs ; qui employèrent tous les
soins imaginables pour procurer aux Vaudois des
conditions plus sûres et plus avantageuses
que celles qui étaient contenues dans
l'Édit, mais leurs raisons ni leurs
sollicitations ne produisirent aucun effet. On leur
dit toujours que tant que les Vaudois seraient sous
les armes, on ne leur pouvait rien accorder, ni
même rien promettre de positif.
Les Vaudois étaient persuadés qu'on
ne les voulait désarmer, que pour les
détruire sans peine et sans
résistance, ne voulurent point y donner les
mains, et il persistèrent dans la
résolution de se défendre, si on les
venait attaquer.
Ce qui les confirma dans cette résolution,
c'est que deux ou trois jours après la
publication de l'Édit, quinze ou seize
Vaudois allèrent trouver l'Intendant des
Vallées, pour lui déclarer qu'eux, et
leurs familles avaient dessein de sortir, et le
prièrent de leur donner un sauf-conduit,
qu'il leur refusa sous prétexte qu'ils
dévoient attendre de sortir avec les autres.
Il ne se contenta pas de leur refuser le
sauf-conduit qui leur était
nécessaire pour obéir à
l'Édit, il les sollicita encore de changer
de Religion, et parce qu'ils ne le voulurent pas
faire, il les fit mettre en prison, où
quelques-uns sont morts de misère et de
langueur, et les autres y ont demeuré sept
à huit mois, jusques à ce que les
autres, prisonniers furent délivrés.
Cela fait voir qu'on avait pour but de faire
périr les Vaudois, qui ne voudraient pas
changer de Religion.
Il arriva encore que les Directeurs de
l'Église de Ville sèche dans la
Vallée de St. Martin écrivirent aux
Ambassadeurs, qui étaient encore à
Turin sur le point de leur de part une lettre du 20
d'Avril, par laquelle ils déclaraient qu'ils
voulaient exécuter l'Édit et les
prièrent de leur procurer un sauf-conduit et
quelque délais pour pouvoir se retirer. Un
des Ambassadeurs prit la peine d'aller au camp pour
demander un sauf-conduit, mais on le lui refusa,
sous prétexte, qu'on ne l'avait pas
demandé dans le temps. Il était
toujours trop tôt ou trop tard, et jamais le
temps n'était propre pour obtenir des
sauf-conduits.
Il y avait deux armées pour attaquer les
Vaudois. Celle du Duc qui était
commandée par Dom Gabriel de Savoie, oncle
du Duc, et celle du Roi de France commandée
par Catinat Gouverneur de Casal, l'armée du
Duc était composée de sa maison, de
toute sa Cavalerie et Infanterie, de la milice de
Mondovi, de Barjes, de Bagnols et autres lieux de
Piémont. Celle de France était
composée de plusieurs Régiments de
Cavalerie, et de Dragons, de huit bataillons
d'Infanterie, qui avaient passé les Monts,
et d'une partie de la garnison de Pignerol. Le Duc
avant de partir du camp fit la revue tant de ses
troupes, que de celles de France, et disposa toutes
choses, pour attaquer les Vaudois, dès que
le délai qu'on leur avait donné
serait expiré, ayant destiné son
armée pour forcer la Vallée de
Lucerne et la Communauté d'Angrogne, et
l'armée de France pour forcer les
Vallées de St. Martin et de la
Pérouse.
Les Vaudois avaient pris quelques mesures pour se
défendre. Ils ne tenaient qu'une partie de
la Vallée de Lucerne, et une partie de la
Communauté d'Angrogne. Ils n'occupaient dans
la Vallée de la Pérouse que quelques
postes dans les lieux qui dépendent du Duc
de Savoie, y ayant une partie de cette
Vallée qui dépend de la France ;
mais ils tenaient toute la Vallée de St.
Martin, la plus forte de toutes par sa situation.
Ils s'étaient fortifiés dans chacune
des Vallées de plusieurs retranchements de
gazon et de pierre sèche, et étaient
environ 2500. hommes sous les armes, deux tiers
plus qu'ils n'étaient dans les guerres de
1655 et 1663. Ils avaient fait leurs Chefs et leurs
Officiers des plus considérables d'entr'eux,
il n'y avait point d'Étrangers et ils
attendaient les ennemis avec assez de
résolution. Mais il leur manquait des
troupes. réglées et des Chefs et
Officiers entendus. Il y en avait même
plusieurs corrompus ; ou qui s'étaient
ralentis pendant la négociation. La plus
grande faute qu'ils firent, ce fut de vouloir
garder tous leurs postes. Car s'ils eussent
abandonné les plus avancés, et qu'il
se fussent retirés dans les retranchements
qu'ils avaient dans les montagnes, il n'y a pas
apparence qu'on les y eut forcés.
Le 22 d'Avril les deux Armées
attaquèrent les Vaudois par divers endroits.
L'armée du Duc s'étant rendue
à la plaine de St. Jean, se partagea en
plusieurs corps, qui attaquèrent en
même temps divers retranchements que les
Vaudois avaient dans les Vallées de Lucerne
et d'Angrogne. Les Vaudois ne pouvant
résister au canon des ennemis, à
cause qu'ils étaient dans des postes trop
découverts, furent contraints après
quelque résistance d'abandonner une partie
de ces retranchements et de s'aller jeter dans un
fort plus avantageux par dessus Angrogne, où
ils se trouvèrent environ 500 hommes.
Les ennemis après avoir brûlé
toutes les maisons, qu'ils rencontrèrent sur
leur passage, vinrent attaquer le fort : les
Vaudois se défendirent si vigoureusement
contre toute l'armée, qu'ils
conservèrent ce poste tout un jour, sans
perdre que cinq hommes, et les ennemis en perdirent
plus de trois cents, quoi qu'ils se fussent
couverts d'un retranchement à la
portée du pistolet.
Les Vaudois craignant de ne pouvoir plus conserver
ce poste, s'allèrent jeter dans un autre,
qui était à deux cents pas au dessus,
et dans un lieu plus favorable, là ils
attendaient avec beaucoup de résolution
L'armée ennemie, qui s'avançait pour
les y venir attaquer, lors qu'on leur donna avis le
14 d'Avril que la Vallée de St. Martin
s'était rendue aux Français, qui
venaient les prendre par derrière. Cette
Vallée était comme nous avons dit la
plus forte de toutes, et delà on pouvait
facilement entrer dans celles de Lucerne et
d'Angrogne, ils ne savaient pas mêmes sous
quelles conditions elle s'était rendue, ni
quel traitement les Français avaient fait
à leurs frères.
Cette fâcheuse nouvelle obligeât les
Vaudois d'entrer en composition avec Don Gabriel de
Savoie, oncle du Duc, et Général de
l'armée, et avec les autres
Généraux, lesquels après avoir
eu le sentiment de S. A. R. qui était
à Lucerne promirent positivement de sa part
et de la leur, que tout serait pardonné aux
Vaudois, et qu'ils seraient remis aux termes de
l'Édit du 9. Avril, pourvu qu'ils se
rendirent à la clémence. Mais comme
les Vaudois faisaient quelques difficulté de
se fier sur cette promesse ; Dom Gabriel, qui
en fut averti, leur envoya un billet écrit
et signé de sa main au nom de S. R. A.
conçu en ces termes.
Posés promptement les armes, et
remettez-vous à la clémence de son
Altesse R. moyennant quoi, assurez-vous, qu'elle
vous fait grâce, et qu'on ne touchera, ni
à vos personnes, ni à celles de vos
femmes et de vos enfants. Une assurance de cette
nature devait donner une entière
sûreté pour la vie et pour la
liberté des Vaudois. Cette promesse avait
été faîte au nom et de la part
du Duc, mais quand bien même elle n'aurait
été faite que par Dom Gabriel, et par
les Officiers Généraux, elle ne
devait pas être moins inviolable. Aussi on ne
voit point parmi les Turcs, ni parmi les autres
Nations pour barbares qu'elles soient, que de
telles promesses aient jamais été
violées.
Les Vaudois mirent bas les armes, sur la foi de
cette promesse, et s'allèrent rendre pour la
plus part à leurs ennemis.
Mais tous ceux qui se mirent entre leurs mains,
furent faits prisonniers, et conduits à la
Ville de Lucerne, sous prétexte qu'on les
menait à son A. R. pour lui faire leurs
soumissions. Les ennemis se saisirent
aussitôt de tous les postes, que les Vaudois
avaient occupés dans la Communauté
d'Angrogne. Et non content d'avoir violé la
foi qu'on leur avait donnée qu'on ne
toucherait point à leurs personnes.
En les faisant prisonniers, ils saccagèrent,
pillèrent et brûlèrent les
maisons de ces pauvres gens, et firent passer au
fil de l'épée un grand nombre des
Vaudois de tout âge et de tout sexe, et
violèrent plusieurs femmes et filles, et
commirent des actions si brutales, qu'elles font
frémir d'horreur tous ceux qui ont quelque
pudeur et quelque sentiment d'humanité.
Après cette composition plusieurs Vaudois se
retirèrent à l'écart, et ne
voulurent pas se livrer entre les mains de leurs
ennemis sans savoir ce que deviendraient les
premiers qui s'étaient rendus.
Ceux-ci voyant que l'armée exerçait
des cruautés épouvantables partout,
où elle passait, et qu'on retenait tous ceux
qui s'allaient rendre, se cachèrent dans les
bois, et envoyèrent à Dom Gabriel une
Requête par un homme de St. Jean, pour le
supplier de relâcher leurs frères que
l'on retenait contre la parole donnée, et de
faire cesser les actes d'hostilité, que
l'armée exerçait avec tant de
barbarie.
Dom Gabriel ne répondit point à cette
Requête. Mais quelques Officiers
répondirent à celui qui l'avait
portée, que l'on ne menait les Vaudois, que
pour aller demander pardon à S. A. R. et
qu'après cela on les relâcherait, ce
qu'on ne fit pas pourtant.
Le Traité fait avec Dom Gabriel portait
encore que les Vaudois étaient remis aux
termes de l'Édit du 9 Avril, qui leur
permettait de sortir des États du Duc, et
d'emporter avec eux les hardes, et effets qu'ils
voudraient. et de vendre les effets et biens qu'ils
laisseraient. Toutes ces conditions furent encore
violée, on leur enleva et pilla tous leurs
effets, et l'ennemi brûla leurs maisons et
tout ce qu'il ne peut emporter.
Les Vaudois qui étaient dans le Poste dont
nous avons parlé, s'étaient rendus
à leurs ennemis aux conditions susdites. Dom
Gabriel fit gagner les hauteurs de la Vallée
d'Angrogne par un corps d'armée, qui ne
trouvant plus de résistance vint jusques au
pré du Tour, le plus considérable
fort des Vaudois, et dans lequel ils avaient la
plupart de leurs bestiaux. Le Marquis de Parelle
qui commandait ce Corps, fit savoir aux Vaudois
qui, étaient dans ce fort, que la paix
était faite par la Capitulation d'Angrogne,
et qu'il ne tiendrait qu'à eux de jouir des
fruits de cette paix. Il les assura en même
temps sur la foi d'un Gentilhomme d'honneur ;
que s'ils voulaient se remettre entre ses mains, on
ne toucherait ni à leurs personnes, ni
à celles de leurs femmes et de leurs
enfants, qu'ils pourraient emporter avec eux tout
ce qu'ils voudraient sans crainte qu'on leur prit
aucune chose, qu'ils n'avaient qu'à venir
à Lucerne, où était S. A. R.
pour lui faire leurs soumissions. Que moyennant
cela, ceux qui voudraient se faire Catholiques
retourneraient en toute sûreté dans
leurs maisons et dans leurs biens, et ceux qui
voudraient sortir des États de son A.
auraient la liberté de se retirer,
conformément à l'Édit du 9
Avril.
Les Vaudois qui étaient dans le pré
du Tour, se rendirent encore, sur la foi dés
promesses du Marquis de Parelle, qui ne furent pas
mieux observées, que celles de Dom Gabriel.
Car les ennemis ne furent pas plutôt
entrés dans le pré du Tour, que tout
ce que les Vaudois y avaient, fût
abandonné au pillage des Soldats, et des
bandits de Mondovi, leurs ennemis capitaux, qui
s'enrichirent de leurs dépouilles. Et ceux
qui étaient dedans, dont la plupart
étaient des Vieillards, des malades, des
femmes et des enfants, furent faits prisonniers
avec quelques Ministres, et conduits avec tant de
fureur, que ceux à qui l'âge ou la
maladie, ne permettaient pas de marcher assez vite
au gré des Soldats furent
égorgés ou précipités
des rochers en bas dans des précipices.
Voilà qu'elles ont été les
prouesses et la bonne foi de l'armée du Duc,
voyons qu'elles ont été celles de
l'armée de France.
Au même temps que l'armée du Duc
attaquait les Vallées de Lucerne et
d'Angrogne. Celle de France, commandée par
Catinat attaquait celles de la Pérouse et de
St. Martin. Le 22 d'Avril elle marcha deux heures
avant le jour à la clarté des
Flambeaux, et suivit pendant quelque temps la
rivière du Cluson sur les terres de France.
Ce Général fit un détachement
d'infanterie commandé par Villevielle le
Lieutenant-Colonel du Régiment du Limousin,
qui ayant passé la rivière sur un
pont, entra dans la Vallée de la
Pérouse appartenant au Duc, se saisit de St.
Germain, Village que les Vaudois avaient
abandonné, et vint pour forcer un
retranchement, qu'ils avaient au dessus, dans
lequel il y avait deux cents hommes.
Les Vaudois après quelque résistance,
quittèrent ce poste et s'allèrent
jeter dans un autre plus avantageux. Cependant un
nouveau détachement de Cavalerie et de
Dragons ayant passé la rivière, vint
soutenir l'Infanterie qui avait attaché le
combat. Ils firent ensemble tous leurs efforts pour
gagner le retranchement des Vaudois qu'ils
croyaient d'emporter d'emblée étant
dix contre un ; mais ils y trouvèrent
tant de résistance, qu'après avoir
perdu beaucoup de monde, ils se
retranchèrent eux-mêmes à la
portée du pistolet, on fit un feu continuel
de part et d'autre pendant plus de dix
heures : mais enfin les Vaudois sortirent de
leurs retranchements, l'épée à
la main, surprirent les Français qui ne
s'attendaient pas à une action si hardie, et
les chassèrent jusques dans la plaine au
delà du Cluson, où favorablement ils
trouvèrent, un pont qui les empêcha de
se noyer. Dans cette occasion il y eut plus de cinq
cents Français de tués, ou de
blessés. Et les Vaudois n'eurent, que deux
hommes de tués et quelques-uns
blessés.
Dans cette déroute, Villevielle se jeta dans
le temple de St. Germain, avec soixante et dix
Soldats, et quelques Officiers ; on le somma
de se rendre et on lui offrit bon quartier, mais il
le refusa et témoigna beaucoup de
résolution, quoi qu'on lui eut tué ou
blessé une partie de son monde. Les Vaudois
l'auraient sans doute forcé, mais la nuit
étant venue, ils se trouvèrent si
accablés des fatigues qu'ils avaient eues
pendant tout le jour, qu'ils furent contraints
après avoir laissé quelque monde
à la porte du temple, d'aller chercher du
rafraîchissement. Villevielle fût
dégagé le lendemain au point du jour,
par quelques troupes que le Gouverneur de Pignerol
fit filer toute la nuit. Les Vaudois se remirent
dans leur retranchement croyants qu'on les y
viendrait attaquer, mais les ennemis s'étant
mis en plus grand nombre que le jour
précédent, se contentèrent de
se retrancher hors de la portée du pistolet.
Sans tirer pendant deux jours de part ni d'autre,
que quelques coups perdus.
Pendant que les choses se passaient ainsi dans la
Pérouse, le Corps de l'armée de
France remonta la rivière du Cluson jusques
au fort de la Pérouse sur les terres de
France, Catinat fit alors un détachement de
Cavalerie commandé par Mélac, qui
ayant passé la rivière sur deux
ponts, alla en contournant gagner les hauteurs qui
séparent la Vallée de St. Martin du
Dauphiné. Le reste de l'armée ayant
aussi passé la rivière, alla camper
avec Catinat, au Clos de Bolards une partie de la
nuit, et le lendemain 23, il attaqua la
Vallée de St. Martin, par un Village nomme
Rioclaret. Mais comme ceux qui commandaient dans
cette Vallée ne croyaient pas qu'on les eut
attaqué, après les démarches
qu'ils avaient faites, de se soumettre aux
conditions de l'Édit du 9 Avril, surtout
puisque le jour marqué pour la sortie de
cette Vallée n'était pas encore
passé ; Les Vaudois qui y
étaient ne s'étaient point mis en
état de se défendre, aussi ils ne
firent aucune résistance, ils prirent le
parti de mettre les armes bas, et d'implorer la
pitié et la clémence du Vainqueur.
Mais les Français irrités, de ce qui
s'était passé au pré de St.
Germain, ne se contentèrent pas de
brûler, de violer, et de piller, ils
massacrèrent sans distinction d'âge et
de sexe, avec une furie inouïe, tous ceux que
la fuite ne put pas dérober à leur
barbarie.
On doit remarquer que la Vallée de St.
Martin était entrée dans tous les
engagements des autres Vallées, par une
délibération faite dans
l'assemblée générale tenue
à Angrogne le 14 d'Avril, et cette
Vallée qui était la plus forte de
toutes, ayant changé de sentiment quelques
jours après, et envoyé à la
Cour qu'elle acceptait l'Édit du 9 Avril, ce
changement inespéré porta grand
préjudice aux autres, qui voyant que
l'ennemi s'était emparé de cette
Vallée, d'où on pouvait facilement
passer dans les autres, perdirent espérance
de se pouvoir défendre, cette fâcheuse
nouvelle obligea les Vaudois d'entrer en
composition.
Si les habitants de cette Vallée se fussent
défendus comme ils pouvaient et devaient, et
que ceux des autres Vallées se fussent
contentés de garder les lieux les plus forts
de leurs montagnes, il eut été
malaisé à leurs ennemis de les en
tirer. Et deux puissantes armées comme
étaient celle de France et celle du Duc de
Savoie, n'auraient pas pu subsister longtemps dans
ce pays-là sans périr, ou par la
famine, ou par les armes des Vaudois, comme avaient
fait les armées qui dans les guerres
précédentes, on leur avait
envoyé pour leur faire la guerre, et la
détruire par les armes.
Catinat après avoir ravagé toute la
contrée de Rioclaret d'une manière la
plus étonnante, laissa quelques troupes dans
la Vallée de St. Martin, puis traversa avec
un corps d'armée les Montagnes qui
séparent cette Vallée de celle de la
Pérouse, et alla camper sans trouver aucune
résistance, dans la Communauté de
Pramol dans la Vallée de la Pérouse,
Les Soldats massacrèrent tous ceux qui
tombèrent entre leurs mains, sans
pitié des femmes ni des enfants, des
vieillards ; ni des malades. Le
détachement que Mélac commandait
ayant campé une nuit sur les hauteurs de la
Vallée de St. Martin, entra par divers
endroits dans cette Vallée, par des chemins
inconnus à tous autres qu'aux habitants du
pays, sans trouver aussi aucune résistance.
Il laissa partout où il passa des marques
d'une cruauté sans exemple, et alla joindre
le corps, de l'armée qui était
campé à Pramol.
On ne fera pas ici le détail des barbaries,
et des inhumanités exercées tant par
le Corps de l'armée de France que par le
détachement commandé par
Mélac, cela n'étant pas convenable
à un abrégé d'histoire, il
suffit de dire que les Français ne
cédèrent en rien en cruauté,
barbarie, et inhumanité aux Savoyards et
Piémontais. Mais ceci est étonnant,
qu'ils ont commis ces fureurs infernales, contre
des gens soumis à un ordre donné par
leur Souverain, contre des gens qui avaient mis bas
les armes, et qui ne se défendaient
point.
L'armée du Roi de France était
campée dans un quartier de la
Communauté de Pramol, appelé la Rua,
a demi-lieue d'un autre quartier appelé
Peumian, où une partie des
Communautés de Pramol, de St. Germain, de
Prarustin et de Rocheplate s'étaient
retirées, au nombre de 1500 personnes, tant
hommes que femmes et enfants. Les Vaudois qui
s'étaient si vaillamment défendus
contre Villevielle, voyant que les François
campés à Rua pouvaient venir fondre
sur eux par derrière, quittèrent leur
poste, et s'allèrent jeter dans Peumian,
où étaient leurs frères.
Pendant
qu'ils délibéraient sur les moyens de
se défendre contre les Français, qui
se préparaient à les venir attaquer,
quelques habitants des Vallées
apostés et gagnés par les ennemis,
leur vinrent dire que les Vallées d'Angrogne
et de Luzerne s'étaient soumises à la
volonté de leur Prince qui leur avait fait
grâce, et qu'il les avait remis aux termes de
l'Édit du 9 Avril. Ils leur dirent aussi
qu'il ne tiendrait qu'à eux de finir une
guerre dont ils ne pouvaient pas soutenir le
fardeau tous seuls, et de se procurer une paix qui
leur
serait avantageuse.
Cette nouvelle ôta aux Vaudois une partie de
leur résolution, et les porta à
envoyer des Députés avec un Tambour
au Général de l'armée de
France, pour composer avec lui. Ce
Général qui ne désirait pas
mieux leur dit, que l'intention de S. A. R,
était de leur pardonner, et leur promit
positivement tant de la part de ce Prince, que de
la sienne la vie et la liberté, avec la
permission de retourner en toute
sûreté dans leurs maisons et dans
leurs biens, pourvu qu'ils missent promptement les
armes bas. Et sur ce que les Députés
lui dirent, qu'ils craignaient que les
Français irrités de ce qui
s'était passé à St. Germain,
ne se vengeassent sur les Vaudois, lors qu'ils les
auront désarmés.
Il leur fit des grandes protestations avec des
horribles serments, que quand toute l'armée
passerait près de leurs maisons elle ne leur
tuerait pas seulement une poule. Cette Composition
faite, Catinat retint auprès de lui un des
Députés, et renvoya les autres pour
en donner avis aux Vaudois, et pour obliger tous
ceux qui s'étaient écartés de
se rendre le lendemain 2 Avril à Peumian,
afin que chacun put retourner dans sa maison,
après avoir été informé
de la paix, Pendant que les Vaudois faisaient
assembler à Peumian les familles
dispersées, Catinat donna avis de cette
capitulation à Dom Gabriel, qui lui envoya
le même jour au Courrier qui passa par
Peumian, et assura les Vaudois qui y
étaient, qu'il portait la paix, et le
lendemain à son retour leur dit, que la paix
était faite. Ils en étaient si
persuadés que le jour
précédent ils avaient posé les
armes suivant les conditions du Traité, se
confiant entièrement aux promesses de
Catinat.
Ils attendaient dans cet état de ses
nouvelles à Peumian, mais ce
Général Français n'observa pas
mieux le Traité fait avec les Vaudois, qui
s'étaient retranchés dans Peumian,
que le Général de l'armée du
Duc, le Traité fait avec ceux d'Angrogne.
Car il leur envoya un Capitaine de la Garnison du
Fort de la Pérouse, suivi de plusieurs
Dragons, il était fort connu des Vaudois,
d'abord il leur réitéra les
assurances de la paix, mais ce furent des
assurances trompeuses, comme celles des
Généraux. Il fit ensuite mettre les
hommes en un quartier, les femmes, et les enfants
en un autre. Les Troupes Françaises
étant arrivées dans le même
temps, dirent aux hommes, qu'elles avaient ordre de
les ramener dans leurs maisons, et les firent filer
quatre à quatre. Ces pauvres gens ayant
été contraints, de laisser leurs
femmes et leurs filles exposées à la
discrétion des Soldats, furent conduits, non
dans leurs maisons comme on leur avait dit, mais
à Dom Gabriel, qui était campé
sur la montagne de la Vachère, et qui les
fit mener prisonniers à Luzerne. Pendant
qu'on traitait ainsi les hommes, les femmes
éprouvaient tout ce que la furie, et la
brutalité des Soldats ont de plus abominable
et de cruel. Ces barbares ne se contentèrent
pas de voler tout l'argent qu'elles portaient, ils
violèrent encore plusieurs femmes et filles,
avec des circonstances qui font honte à la
nature, et massacrèrent celles qui se
sauvaient pour conserver leur honneur. Catinat ne
fut point présent à ce qui se passa
à Peumian, il laissa la conduite de cet
affaire à quelques Officiers, pour ne pas
entendre les plaintes que les Vaudois avaient droit
de lui faire, de son manque de foi, et de sa
perfidie, ou pour n'être pas spectateur de
tant de vilaines actions, qu'on avait formé
le dessein de leur faire, contre et un
préjudice des Traités.
Quoi qu'il en soit, il est certain qu'à la
réserve des femmes, qui furent tuées,
et de celles qui se dérobèrent par la
fuite à la persécution de ces
monstres et se sauvèrent dans les bois
voisins au péril des mousquetades, qu'on
leur tirait pour les arrêter, tout le reste
fut traîné dans diverses prisons avec
une extrême inhumanité.
La Vallée de la Pérouse étant
réduite par la capitulation de Peumian, une
partie de l'armée de France quitta cette
Vallée, et alla joindre celle du Duc, qui
était campée à la montagne de
la Vachère, et ce fut alors que de tous
côtés, on ramassa les Vaudois
dispersés, que l'on traîna dans
diverses prisons ou Châteaux, sous
prétexte qu'on les menait à S. A. R.
pour lui demander pardon ; Ce qu'il y eut de
plus touchant et de plus pitoyable, est qu'on
refusa à leurs prières et à
leurs larmes, de mettre les familles ensemble. On
voulut séparer un père de son enfant,
et un mari de sa femme, pour leur ôter tous
les moyens de se fortifier et de se secourir, les
uns les autres. Leurs ennemis ne se contentent pas
de violer la foi des Traités, et des
Serments, qui de tout temps ont été
des choses sacrés entre les hommes, ils
violent encore les liens de la nature et du sang,
afin qu'ils fussent moins en état de
soutenir les tentations, et les autres maux qu'on
leur avait préparés. Il y eut
quantité de jeunes garçons et filles,
que l'on ne mit point en prison, et que l'on
dispersa par le Piémont dans des maisons
particulières, mais ce ne fut pas par un
motif d'équité ou de compassion, ce
fut pour les faire changer de Religion, pour les
faire instruire dans la Religion Romaine, et par ce
moyen les ravir à leurs pères et
à leurs mères.
Il y avait encore alors un grand nombre de Vaudois
qui ne s'étaient point rendus, ou qui
n'avaient point été pris. Ceux de
Villars, de Bobbi et de quelques autres lieux de la
Vallée de Lucerne, n'avaient pas voulu
composer comme les autres, pour ne pas
éprouver le même fort : Plusieurs
de ceux d'Angrogne s'étaient jetés
avec eux, ayant vu le manquement de parole de leurs
ennemis. Quantité de Vaudois de la
Vallée de St. Martin avaient cherché
des asiles et des retraites dans les bois et dans
les rochers, pour se dérober à la
barbarie des Français, qui ne donnaient
point de quartier. Les ennemis résolurent de
se rendre maîtres par la force ou par la ruse
de ces Vaudois, comme ils avaient fait des autres.
Pour cet effet pendant qu'un corps de
l'armée du Duc était occupé
contre ceux, qui étaient encore en armes
dans la Vallée de Luzerne, les
Français retournèrent dans celle de
St. Martin, avec le Marquis de Parelle fort connu
par les Vaudois, et fort propre à les
persuader. Ce Marquis savait par expérience,
que la ruse était un moyen plus
assuré pour réussir que la force
ouverte. Voici la ruse ou plutôt la perfidie
dont il se servit.
Il y avait quelques-uns des principaux d'entre les
Vaudois qui s'étaient rendus sur la foi des
Traités, et auxquels, le peuple avait de la
confiance, il les fit marcher à la
tête de l'armée, et les força
le pistolet à la gorge, non seulement de
servir de guide aux Français, pour
découvrir les Vaudois dans leurs retraites
les plus cachées, mais encore à
écrire plusieurs billets dans la
Vallée de St. Martin, pour exhorter leurs
Compatriotes à se rendre à la
clémence de leur Prince, dont la grâce
était offerte à tous ceux qui en
voudraient profiter. Et parce que la conduite qu'on
avait tenue à l'égard de ceux qui
s'étaient rendus, pouvait ôter
créance, à cette sollicitation, on
ajouta dans plusieurs de ces billets, que les
prisonniers seraient bientôt
relâchés.
Sur la foi de ces billets dont on connaissait le
caractère, et sur l'assurance que les
Marquis de Parelle, et les autres Officiers
donnèrent aux Vaudois de la paix, et de la
grâce du Prince, plusieurs de ces pauvres
gens se rendirent entre leurs mains. Plusieurs
autres furent pris ou massacrés par les
Soldats, mais ceux qui se rendirent, et ceux qui
furent pris eurent la même destinée,
et furent également menés prisonniers
en diverses prisons.
Pendant que la ruse et la cruauté
dépouillaient la Vallée de St. Martin
de ses habitants, il faut savoir ce qui se passait
dans la Vallée de Lucerne.
Les Vaudois y occupaient encore deux postes, l'un
appelé Jaimet, et l'autre Chamruma, au
dessus de la Tour, dans lequel une partie de ceux
qui s'étaient sauvés d'Angrogne
s'étaient jetés. Ces deux postes
couvraient Villars, où il y avait environ
mille personnes, tant Vieillards, que femmes et
enfants. Un détachement de l'armée du
Duc de Savoie soutenu des bandits du Mondovi, vint
attaquer ces deux postes, où les Vaudois se
défendirent tout un jour avec un courage et
valeur extraordinaire. Ils tuèrent un grand
nombre de leurs ennemis, entre lesquels il y avait
plusieurs Officiers de marque, le Commandant des
bandits, y perdit aussi la vie dans ce combat. Les
Vaudois n'eurent que six hommes de tués et
autant de blessés.
Les ennemis étaient fort fatigués et
n'avaient plus de quoi tirer, ils méditaient
leur retraite, mais comme on pouvait les poursuivre
facilement et les défaire en se retirant,
ils s'avisèrent de ce stratagème.
Plusieurs Officiers ayant mis les armes et leurs
chapeaux à terre s'approchèrent sur
le soir du retranchement de Chamruma, avec un
mouchoir au bout d'un bâton, et
demandèrent à parler pour faire des
propositions de paix. Ils montrèrent, aussi
un papier et dirent aux Vaudois, qu'ils venaient de
recevoir des lettres, qui portaient que la paix
était faite dans toutes les Vallées,
que S. A. R. avait fait grâce
généralement à tous ses
Sujets, et qu'il ne tiendrait, qu'a ceux qui
étaient encore en armes d'y être
compris comme les autres.
Ils ajoutèrent qu'ils avaient ordre de ne
tirer plus et de faire retraite, et
exhortèrent les Vaudois à en faire de
même, et d'accepter une grâce que leur
Prince leur offrait, et dont le Podesta Prat qui
était là présent les pouvait
assurer.
Ce Podesta qui était fort connu des Vaudois
ayant joint ses protestations à celle des
Officiers, et tous ensemble leur ayant promis avec
serment la vie et la liberté pourvu qu'ils
se retiraient.
Les Vaudois se confiant en ces promesses, non
seulement ils ne tirèrent plus, mais encore
ils donnèrent à leurs ennemis, qu'ils
pouvaient défaire la liberté de la
retraite, même ils abandonnèrent leur
poste, étant tous persuadés que la
paix était faite. Plusieurs de la
Communauté d'Angrogne, qui se rendirent
à la Tour pour jouir des fruits de cette
paix, furent aussitôt arrêtés et
conduits dans les prisons. Les Vaudois n'eurent pas
plutôt abandonné Chamruma qui
était un poste très avantageux, que
les ennemis s'en emparèrent.
Ceux qui étaient à Jaimet, et qui
n'étaient pas entrés dans la
composition furent obligés d'abandonner le
leur, parce qu'il était commandé par
l'autre, et s'allèrent jeter aux coteaux de
Villars. Les ennemis marchèrent sur leurs
traces et allèrent camper à Bonnet,
sur les avenues de Villars, et de Bobbi, et y
demeurèrent deux jours sans insulter les
Vaudois, qui s'étaient joints, et qui
pouvaient faire quatre où cinq cents hommes.
Les officiers de l'armée employèrent
ce temps-là, à leur faire des
propositions de paix, accompagnées de belles
promesses s'ils se rendaient, et de terribles
menaces s'ils se défendaient.
Les Vaudois répondirent à ces
propositions, qu'ils ne souhaitaient rien tant que
la paix, mais que celle qu'on leur
présentait était plus funeste que la
guerre, puis qu'on ne l'a pouvait acheter qu'au
prix de la liberté, que malgré la
paix, qu'on avait promise à ceux de
Chamruma, et sous la foi de laquelle ils avaient
abandonné leur poste, on n'avait pas
laissé d'emprisonner ceux qui
s'étaient rendus, que l'exemple de leurs
frères leur apprenait, ce qu'ils devaient
attendre de ces propositions.
Cela n'empêcha pas, que plusieurs de ces
pauvres innocents ne se rendirent entre les mains
de leurs ennemis, sur ce qu'on leur jura, que ceux
qui s'étaient rendus retourneraient
bientôt dans leurs maisons, et qu'ils
n'avaient été conduits à S. A.
R. que pour lui demander pardon. Mais ces pauvres
crédules furent encore menés en
prison et traités de la même
manière que les autres.
Les Vaudois étant fort affaiblis,
abandonnèrent Villars, dont l'ennemi s'en
saisit d'abord. On les laissa en repos jusques au 4
Mai, que les troupes s'étant
renforcées allèrent attaquer Bobbi,
où les Vaudois s'étaient ;
retirés. mais elles furent repoussées
par 150. Vaudois qui étaient sur la montagne
de Subjusque, et qui sans perdre un seul homme,
tuèrent quelques Officiers et un grand
nombre de Soldats. Le 12 du même mois les
deux armées s'étant jointes voulurent
forcer Bobbi, mais les Vaudois se
défendirent si bien, qu'après un
combat qui dura tout le jour, leurs ennemis furent
contraints de se retirer avec beaucoup de
perte.
Le lendemain le Marquis de Parelle, qui venait de
la Vallée de St. Martin avec un grand
détachement, passa le col de Julien, qui est
une montagne qu'on croyait alors inaccessible, et
était en état d'attaquer les Vaudois
par dessus, cela les obligea d'abandonner Bobbi, et
de s'aller jeter dans les bois et dans les rochers.
Le Marquis de Parelle et le Comte de Brichanteau
ayant occupé les postes, que les Vaudois.
venaient de quitter, leur envoyèrent dans
leurs retraites diverses personnes pour les
exhorter à se rendre, et leur offrir la
grâce du Prince, une partie de ces gens
accablés de fatigues, et pressés par
la faim et par la misère, se rendirent
à cette offre, mais ils perdirent la
liberté comme les autres. Il y en eut aussi
qui se rendirent au Gouverneur du fort de Mirebouc,
sur l'assurance qu'il leur donnerait la vie et la
liberté ; ce Gouverneur paya leur
confiance d'une rigoureuse prison.
Ceux qui s'étaient jetés dans la
montagne de Vandelin, après s'être
battus durant quelque temps, avec beaucoup de
résolution et de bonheur, se
laissèrent enfin séduire par le Comte
de la Roche Gouverneur dans les Vallées. Il
leur promit positivement par un billet écrit
de sa main, qu'ils retourneraient dans leurs
maisons en toute liberté, mais ils n'eurent
pas plutôt abandonné leur poste, qu'il
les fit saisir et conduire en prison, et leur fit
ôter le billet qu'il leur avait donné.
Le mauvais traitement qu'on faisait à ceux
qui se rendaient, fût cause, qu'il y eut une
petite partie de Vaudois, qui aimèrent mieux
souffrir la faim et la misère dans les bois
et dans les rochers où ils s'étaient
cachés que de se mettre entre les mains de
leurs ennemis, on fit marcher des troupes pour les
aller chercher et les tirer de là, on en
trouva quelques-uns, qui furent ou massacrés
en se voulant sauver, ou pris et pendu sur le champ
à des arbres, ou conduis à Lucerne
dans les prisons, d'où on les tira ensuite
pour les mener à la potence, entre lesquels
fût Leidet ministre dans la Vallée de
St. Martin qui fit une mort fort
Chrétienne.
Ceux qui ne tombèrent pas entre les mains de
leurs ennemis, menèrent une vie languissante
dans les bois, ou dans les rochers où ils
s'étaient cachés, ne vivant que des
racines et des herbes sauvages, qu'ils cueillaient
dans les montagnes, les uns passèrent dans
ce piteux état un mois et les autres deux,
selon le temps qu'ils s'étaient
cachés.
Les ennemis des Vaudois ayant par leurs perfidies
et trahisons, ôté la vie à plus
de trois mille Vaudois, privé de la
liberté plus de dix mille , et enlevé
et dispersé environ deux mille enfants, ils
crurent qu'ils n'avaient plus rien à
ménager, et poussant l'injustice à
bout, ils confisquèrent tous les biens des
Vaudois.
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