Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Chapitre XIX.

Seconde paix faite entre Charles Emanuel II et les Vaudois par l'entremise des Ambassadeurs des Cantons Protestants au mois de février 1664 qui a duré jusques à 1686 pendant lequel temps les Vaudois ont rendu des services signalés aux Ducs de Savoie.

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LA guerre de 1663 ayant aussi mal réussi au Duc de Savoie que celle de 1655. il aurait été bien aise de faire la paix, mais il n'osait la demander aux Vaudois, de peur de faire voir sa faiblesse, ou de n'être pas obligé de leur accorder plus, qu'il ne leur avoir accordé par la Patente de Pignerol, à cause des avantages qu'ils avaient obtenus sur lui.
Car ce Prince avait épuisé ses finances, ruiné par cette guerre civile une partie de ses États, perdu plus de quatre mille hommes, et les Vaudois n'en avaient perdu que soixante.

On n'osait plus les aller chercher dans leurs montagnes, et ils descendaient souvent dans la plaine pour attaquer leurs ennemis, qui étant épouvantés par les continuelles victoires qu'ils avaient remportées sur eux, fuyaient devant les Vaudois comme les brebis devant le loup.

Les Suisses ayant eu quelque vent, que le Duc était las de cette guerre, lui firent une belle et ample Ambassade, pour le solliciter à mettre en repos les Sujets Vaudois.
Les Ambassadeurs arrivèrent à Turin le 15 Décembre 1663 et y furent très bien reçus du Duc et de toute la Cour, ce qui n'était point arrivé ni en l'année 1655 après le massacre, ni n'arriva pas aussi en 1686, lorsque le Duc se ligua avec le Roi de France pour détruire les Vaudois, ou les forcer d'aller à la Messe, de la manière qu'on avait l'année précédente forcé les Protestants de France.

Ce bon accueil fait aux Ambassadeurs fait voir clairement qu'on était las de la guerre, et qu'on était bien aisé de faire la paix. Après avoir eu audience, ils envoyèrent leur Secrétaire aux Vallées, pour dire aux Vaudois qu'ils fissent venir leurs Députés à Turin, qui y étant arrivés, on leur fit d'abord une promesse solennelle, qu'on ne ferait aucun acte d'hostilité contre les Vaudois pendant le Traité.

La suite a fait voir qu'on ne leur faisait cette promesse que pour les endormir, afin de les surprendre, pendant qu'on travaillait au Traité de paix. Car par une perfidie inouïe parmi les Nations les plus barbares au préjudice de cette promesse faite en présence des Ambassadeurs, le 21 du même mois, douze mille hommes du bas Piémont se joignirent à l'armée du Marquis de St. Damian, et le 25 à la pointe du jour ils attaquèrent le Taillaret, Angrogne, Rocheplate et St. Germain, sans les avertir qu'on retirait la parole solennelle, qu'on leur avait donnée, qu'on n'attenterait rien pendant qu'on travaillerait au Traité.

La première et la plus forte attaque fut au Taillaret, où les Vaudois qui étaient là faillirent à être accablés. Ceux d'Angrogne leur ayant envoyé cent hommes, ce secours les encouragea si fort, qu'ils rompirent les troupes ennemies commandées par le Comte de Bagnols, et les contraignirent de s'enfuir et de se sauver en désordre dans le Bourg et dans la Citadelle de la Tour. On les poursuivit avec tant de chaleur, que plusieurs Vaudois entrèrent pêle et mêle avec eux dans le Bourg, et en sortirent sans avoir reçu aucune blessure, au grand étonnement de tout le monde, et à la confusion de leurs ennemis.

Du côté d'Angrogne, les ennemis ne purent pas faire reculer les Vaudois d'un pas, quelque assauts qu'ils donnassent, mais après avoir fait inutilement leurs efforts, pour les contraindre à abandonner leur poste, et avoir perdu beaucoup de leurs gens sans rien avancer, ils prirent honteusement la fuite.
Les Vaudois les poursuivirent jusqu'à la plaine, et en tuèrent encore un grand nombre, et se campèrent auprès de la plaine, où leurs ennemis n'osèrent plus les attaquer.

Tout le plus grand mal des Vaudois fût du côté de St. Germain, qui était un poste très avantageux et très important, par le moyen duquel ils avaient jusqu'alors entretenu libre, le passage de la Vallée de Lucerne à celle de la Pérouse et de St. Martin. Les ennemis surprirent malheureusement ce lieu, qui était sans garde, parce que la faim avait obligé les Paysans, qui ne croyaient pas qu'il y eut à craindre, pendant qu'on était en traité, d'aller chercher des vivres pour eux et pour leurs familles ; ils y tuèrent un homme et deux femmes, le reste se sauva miraculeusement. Ils brûlèrent aussi la plus part des maisons, et coupèrent, ou écorchèrent presque tous les arbres fruitiers.

Les Vaudois eurent ce jour-là grande matière de joie, en ce que quoi qu'ils fussent dispersés en divers lieux, et ne fussent pas sur leur garde, se confiant en la promesse solennelle qu'on leur avait fait de ne rien attenter pendant le Traité ; Dieu non seulement les délivra de la main de leurs ennemis, mais encore leur fît remporter sur eux une signalée victoire. L'armée ennemie était composée de dix-huit mille hommes, savoir 6000 que le Marquis de St. Damian avait dans son armée, et douze mille Piémontais, qui vinrent le joindre. Et les Vaudois n'avaient qu'environ sept cents hommes. En ce jour-là les derniers ne perdirent que six hommes, mais les premiers suivant leur propre relation en perdirent quinze cents, entre lesquels furent les Comtes de St. Front et de la Trinité et plusieurs Officiers de marque.

Les Députés des Vaudois qui étaient à Turin depuis six jours, ayant eu la nouvelle de cette perfide attaque, faite contre la parole donnée, prièrent Messieurs les Ambassadeurs des Cantons Suisses, d'en porter leurs justes plaintes au Duc, ce qu'ils firent avec beaucoup de chaleur et de ressentiment. Mais cela ne produisit qu'une Trêve de douze jours, qui par diverses reprises fût prolongée jusqu'à ce que les Seigneurs Ambassadeurs eurent terminé leur négociation par l'accord, contenu dans la Patente du 14 Février 1664. par laquelle les Vaudois furent rétablis dans tous leurs biens, et dans l'exercice de leur Religion dans tous milieux, où ils avaient été rétablis par le Traité de Pignerol fait en l'année 1655.

Cette Patente ne fut pas exécutée de meilleure foi que la précédente, quoique le Duc se fût engagé envers les Cantons Protestants, par une lettre du 28 Février 1664. de la faire ponctuellement observer. On ne saurait représenter les détours dont le Conseil de la Propagation se servit, pour rendre cette Patente inutile aux Vaudois. Il suffit de dire qu'il leur aurait été impossible de se défendre contre tant de subtilités, et tant de malices ; si Dieu qui tient dans sa main le coeur des Princes et des Rois, n'eut changé en leur faveur, celui de Charles Emanuel II.

Ce Prince ayant examine la conduite des Vaudois, connut, que c'était sans raison qu'on les lui avait rendus odieux, et se souvenant du zèle qu'ils avaient témoigné pour son service en diverses occasions, et particulièrement en 1638 et 1640 que la plus part de ses États s'étaient révoltés contre lui, et que le Cardinal de Savoie et le Prince Thomas ses Oncles se rendirent chefs des Révoltés, et assistés des troupes d'Espagne s'emparèrent presque de tout le Piémont, et même de là Ville de Turin, et assiégèrent Madame R. sa mère dans la Citadelle où elle s'était sauvée, et sans le secours ce Louis XIII son oncle maternel et des Vaudois, il est croyable qu'on aurait dépouillé ce Prince de tous ses États.

En l'année 1671 le Duc de Savoie eût guerre contre les Génois, les Vaudois le servirent en cette guerre avec tant de zélé et de courage, que ce Prince ne se contenta pas de donner des éloges à leur vigueur et à leur fidélité, par une lettre qu'il leurs écrivit du 5. Novembre de la même année. Il leur donna encore des marques très sensibles de sa protection et de sa bienveillance jusques à sa mort, qui arriva vers la fin de l'année 1678.
Madame Royale sa veuve les traita à son imitation, non seulement avec beaucoup de douceur et de bonté, mais elle s'engagea encore envers les Cantons Protestants par une lettre au 28 janvier 1579 de maintenir les Vaudois dans l'exercice de leur Religion et dans leurs autres privilèges.

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