LA guerre de 1663 ayant aussi mal réussi
au Duc de Savoie que celle de 1655. il aurait
été bien aise de faire la paix, mais
il n'osait la demander aux Vaudois, de peur de
faire voir sa faiblesse, ou de n'être pas
obligé de leur accorder plus, qu'il ne leur
avoir accordé par la Patente de Pignerol,
à cause des avantages qu'ils avaient obtenus
sur lui.
Car ce Prince avait épuisé ses
finances, ruiné par cette guerre civile une
partie de ses États, perdu plus de quatre
mille hommes, et les Vaudois n'en avaient perdu que
soixante.
On n'osait plus les aller chercher dans leurs
montagnes, et ils descendaient souvent dans la
plaine pour attaquer leurs ennemis, qui
étant épouvantés par les
continuelles victoires qu'ils avaient
remportées sur eux, fuyaient devant les
Vaudois comme les brebis devant le loup.
Les Suisses ayant eu quelque vent, que le Duc
était las de cette guerre, lui firent une
belle et ample Ambassade, pour le solliciter
à mettre en repos les Sujets Vaudois.
Les Ambassadeurs arrivèrent à Turin
le 15 Décembre 1663 et y furent très
bien reçus du Duc et de toute la Cour, ce
qui n'était point arrivé ni en
l'année 1655 après le massacre, ni
n'arriva pas aussi en 1686, lorsque le Duc se ligua
avec le Roi de France pour détruire les
Vaudois, ou les forcer d'aller à la Messe,
de la manière qu'on avait l'année
précédente forcé les
Protestants de France.
Ce bon accueil fait aux Ambassadeurs fait voir
clairement qu'on était las de la guerre, et
qu'on était bien aisé de faire la
paix. Après avoir eu audience, ils
envoyèrent leur Secrétaire aux
Vallées, pour dire aux Vaudois qu'ils
fissent venir leurs Députés à
Turin, qui y étant arrivés, on leur
fit d'abord une promesse solennelle, qu'on ne
ferait aucun acte d'hostilité contre les
Vaudois pendant le Traité.
La suite a fait voir qu'on ne leur faisait cette
promesse que pour les endormir, afin de les
surprendre, pendant qu'on travaillait au
Traité de paix. Car par une perfidie
inouïe parmi les Nations les plus barbares au
préjudice de cette promesse faite en
présence des Ambassadeurs, le 21 du
même mois, douze mille hommes du bas
Piémont se joignirent à
l'armée du Marquis de St. Damian, et le 25
à la pointe du jour ils attaquèrent
le Taillaret, Angrogne, Rocheplate et St. Germain,
sans les avertir qu'on retirait la parole
solennelle, qu'on leur avait donnée, qu'on
n'attenterait rien pendant qu'on travaillerait au
Traité.
La première et la plus forte attaque fut au
Taillaret, où les Vaudois qui étaient
là faillirent à être
accablés. Ceux d'Angrogne leur ayant
envoyé cent hommes, ce secours les
encouragea si fort, qu'ils rompirent les troupes
ennemies commandées par le Comte de Bagnols,
et les contraignirent de s'enfuir et de se sauver
en désordre dans le Bourg et dans la
Citadelle de la Tour. On les poursuivit avec tant
de chaleur, que plusieurs Vaudois entrèrent
pêle et mêle avec eux dans le Bourg, et
en sortirent sans avoir reçu aucune
blessure, au grand étonnement de tout le
monde, et à la confusion de leurs
ennemis.
Du côté d'Angrogne, les ennemis ne
purent pas faire reculer les Vaudois d'un pas,
quelque assauts qu'ils donnassent, mais
après avoir fait inutilement leurs efforts,
pour les contraindre à abandonner leur
poste, et avoir perdu beaucoup de leurs gens sans
rien avancer, ils prirent honteusement la
fuite.
Les Vaudois les poursuivirent jusqu'à la
plaine, et en tuèrent encore un grand
nombre, et se campèrent auprès de la
plaine, où leurs ennemis n'osèrent
plus les attaquer.
Tout le plus grand mal des Vaudois fût du
côté de St. Germain, qui était
un poste très avantageux et très
important, par le moyen duquel ils avaient
jusqu'alors entretenu libre, le passage de la
Vallée de Lucerne à celle de la
Pérouse et de St. Martin. Les ennemis
surprirent malheureusement ce lieu, qui
était sans garde, parce que la faim avait
obligé les Paysans, qui ne croyaient pas
qu'il y eut à craindre, pendant qu'on
était en traité, d'aller chercher des
vivres pour eux et pour leurs familles ; ils y
tuèrent un homme et deux femmes, le reste se
sauva miraculeusement. Ils brûlèrent
aussi la plus part des maisons, et
coupèrent, ou écorchèrent
presque tous les arbres fruitiers.
Les Vaudois eurent ce jour-là grande
matière de joie, en ce que quoi qu'ils
fussent dispersés en divers lieux, et ne
fussent pas sur leur garde, se confiant en la
promesse solennelle qu'on leur avait fait de ne
rien attenter pendant le Traité ; Dieu
non seulement les délivra de la main de
leurs ennemis, mais encore leur fît remporter
sur eux une signalée victoire.
L'armée ennemie était composée
de dix-huit mille hommes, savoir 6000 que le
Marquis de St. Damian avait dans son armée,
et douze mille Piémontais, qui vinrent le
joindre. Et les Vaudois n'avaient qu'environ sept
cents hommes. En ce jour-là les derniers ne
perdirent que six hommes, mais les premiers suivant
leur propre relation en perdirent quinze cents,
entre lesquels furent les Comtes de St. Front et de
la Trinité et plusieurs Officiers de
marque.
Les Députés des Vaudois qui
étaient à Turin depuis six jours,
ayant eu la nouvelle de cette perfide attaque,
faite contre la parole donnée,
prièrent Messieurs les Ambassadeurs des
Cantons Suisses, d'en porter leurs justes plaintes
au Duc, ce qu'ils firent avec beaucoup de chaleur
et de ressentiment. Mais cela ne produisit qu'une
Trêve de douze jours, qui par diverses
reprises fût prolongée jusqu'à
ce que les Seigneurs Ambassadeurs eurent
terminé leur négociation par
l'accord, contenu dans la Patente du 14
Février 1664. par laquelle les Vaudois
furent rétablis dans tous leurs biens, et
dans l'exercice de leur Religion dans tous milieux,
où ils avaient été
rétablis par le Traité de Pignerol
fait en l'année 1655.
Cette Patente ne fut pas exécutée de
meilleure foi que la précédente,
quoique le Duc se fût engagé envers
les Cantons Protestants, par une lettre du 28
Février 1664. de la faire ponctuellement
observer. On ne saurait représenter les
détours dont le Conseil de la Propagation se
servit, pour rendre cette Patente inutile aux
Vaudois. Il suffit de dire qu'il leur aurait
été impossible de se défendre
contre tant de subtilités, et tant de
malices ; si Dieu qui tient dans sa main le
coeur des Princes et des Rois, n'eut changé
en leur faveur, celui de Charles Emanuel II.
Ce Prince ayant examine la conduite des Vaudois,
connut, que c'était sans raison qu'on les
lui avait rendus odieux, et se souvenant du
zèle qu'ils avaient témoigné
pour son service en diverses occasions, et
particulièrement en 1638 et 1640 que la plus
part de ses États s'étaient
révoltés contre lui, et que le
Cardinal de Savoie et le Prince Thomas ses Oncles
se rendirent chefs des Révoltés, et
assistés des troupes d'Espagne
s'emparèrent presque de tout le
Piémont, et même de là Ville de
Turin, et assiégèrent Madame R. sa
mère dans la Citadelle où elle
s'était sauvée, et sans le secours ce
Louis XIII son oncle maternel et des Vaudois, il
est croyable qu'on aurait dépouillé
ce Prince de tous ses États.
En l'année 1671 le Duc de Savoie eût
guerre contre les Génois, les Vaudois le
servirent en cette guerre avec tant de
zélé et de courage, que ce Prince ne
se contenta pas de donner des éloges
à leur vigueur et à leur
fidélité, par une lettre qu'il leurs
écrivit du 5. Novembre de la même
année. Il leur donna encore des marques
très sensibles de sa protection et de sa
bienveillance jusques à sa mort, qui arriva
vers la fin de l'année 1678.
Madame Royale sa veuve les traita à son
imitation, non seulement avec beaucoup de douceur
et de bonté, mais elle s'engagea encore
envers les Cantons Protestants par une lettre au 28
janvier 1579 de maintenir les Vaudois dans
l'exercice de leur Religion et dans leurs autres
privilèges.
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