LES Marquis de Fleuri et d'Angrogne, qui les
attaquèrent, l'un par Saint Segond, et
l'autre par Briqueiras se joignirent sur le sommet
d'une colline, qui est entre la Vallée de
Lucerne et la Vallée de Pérouse,
d'où l'on peut facilement gagner le lieu
appelé le Bal, sur la montagne de la
Vachère, au sommet d'Angrogne, qui est comme
un Donjon très important, et comme le centre
des trois Vallées, duquel on descend
librement en celle de Lucerne, de Pérouse et
de St. Martin, ils arrivèrent au sommet de
cette colline au point du jour, et voulant se
saisir du Donjon de la Vachère, ils furent
arrêtés par un Corps de Garde de
soixante hommes, qui était passé
à un détroit appelé la porte
d'Angrogne, sans cela c'était fait des
pauvres Vaudois. Car s'ils eussent perdu ce poste
ils étaient perdus, parce que c'était
le seul lieu, qui leur servait d'asile et de
dernier refuge, contre les grands efforts de leurs
ennemis.
Ceux qui étaient commandés par les
Marquis de Fleuri et d'Angrogne, qui étaient
pour le moins quatre mille, se voyant
arrêtés par ce Corps de Garde, se
postèrent au sommet de la colline qu'ils
avaient occupé, et avec des gazons y firent
un retranchement de la hauteur d'un homme, sans que
les Vaudois le pussent empêcher. Et pendant
que les uns travaillaient à fortifier ce
poste, les autres faisaient tous leurs efforts pour
gagner le Détroit, qui était
gardé par les soixante Vaudois.
L'autre partie de l'armée commandée
par le Comte de Bagnols, consistant en pareil
nombre, était aussi partagée en deux
corps, dont l'un vint du côté du
Chabas, et l'autre du côté de St.
Jean. Ces deux corps agissant en même temps
gagnèrent la colline de St. Jean, et une
partie de celle d'Angrogne.
Les Vaudois furent contraints de reculer, bien
qu'ils eussent là leur plus grandes forces.
Ils se battirent pourtant en retraite
jusqu'à Rochemanant, qui était un
poste plus avantageux bien haut vers Angrogne,
là à la faveur des rochers et de
quelques masures ils tinrent ferme et
arrêtèrent leurs ennemis, sans qu'ils
pussent jamais les arracher de ce poste.
Après avoir donné plusieurs assauts
et s'être lassés à combattre et
perdu trois cents hommes dans ces assauts, pour
forcer ce lieu, la frayeur de Dieu tomba sur eux
d'une telle manière, qu'ils s'enfuirent en
déroute, se jeta à corps perdu par
ces collines pour se sauver. Les Vaudois les
poursuivirent jusques au pied de la Colline,
où était leur Cavalerie et en
tuèrent plusieurs. Et après avoir
pourvu suffisamment à garder le
côté dont ils avaient honteusement
chassé leurs ennemis, coururent au secours
de leurs frères, qui combattaient du
côté où étaient les
Marquis de Fleuri et d'Angrogne, ce qu'ils firent
heureusement.
Les soixante Vaudois qui gardaient le
Détroit d'Angrogne étaient
déjà las, pour avoir combattu plus de
la moitié du jour. Dès qu'ils virent
que leurs frères venaient à leur
secours, ils reprirent courage. Deux d'entr'eux en
se traînant sur le ventre à la faveur
d'un rocher s'approchèrent du retranchement
des ennemis, tuèrent deux sentinelles, et se
jetèrent le sabre à la main dans leur
camp, ils furent aussitôt suivis du reste,
qui donnant de tous côtés s'en
rendirent bientôt les Maîtres, tuant et
taillant en pièces tout ce qui s'opposait
à eux, et mettant en fuite le reste, qui se
sauva en désordre.
Les Marquis de Fleuri et d'Angrogne qui
commandaient, ne furent pas des derniers à
fuir. Les Vaudois poursuivirent leurs ennemis
jusqu'à Briqueiras, et en les poursuivant en
tuèrent plusieurs. Il y eût plus de
six cents des ennemis tués et beaucoup de
blessés qui moururent la plupart de leurs
blessures. Les Vaudois ne perdirent que cinq
à six hommes et n'en eurent qu'une douzaine
légèrement blessé.
Ainsi Dieu délivra glorieusement les
Vaudois, et punit la perfidie et la trahison de
leurs Persécuteurs. Et on peut dire que
comme autrefois l'épée de
l'Éternel fût avec celle de
Gédéon, aussi en cette rencontre elle
fût avec celle du Capitaine Janavel et de sa
petite troupe. Autrement comment est-ce que cinq
cents hommes, qui étaient extrêmement
fatigués, pour avoir combattu plus de la
moitié du jour, auraient chassé
quatre mille de leurs ennemis de leur camp,
retranché et fortifié de la hauteur
d'un homme. Les Vaudois n'étaient pas plus
de cinq cents alors, parce qu'ils avaient
laissé une partie de leurs gens, pour garder
le côté dont ils avaient chassé
le Comte de Bagnols, et ils n'avaient en tout
qu'environ sept cents hommes.
Après avoir battu leurs ennemis, ils
rendirent des actions de grâces à Dieu
de leur délivrance, et de la victoire qu'il
leur avait donnée et lui en
attribuant : toute la gloire.
Les Vaudois après avoir vigoureusement
repoussé et battu leurs ennemis, faisaient
souvent des partis, pour les aller chercher
partout, où la Cavalerie ne pouvait pas les
incommoder, ni les surprendre, et par ce moyen leur
armée diminuait, puisqu'il n'y avait presque
point de jours, qu'un bon nombre de Savoyards ou
Piémontais ne tombât entre les mains
des Vaudois.
Depuis le 6 de Juillet jusqu'au 10 du mois
d'Août, ce temps-là se passaient en
Escarmouches, où les Vaudois avaient
d'ordinaire avantage sur leurs ennemis.
Les Marquis de Fleuri et d'Angrogne qui
commandaient l'armée du Duc, la grossirent
derechef de toutes les milices des États de
son A. R. ou des troupes tirées des
garnisons. Et avec cette grande armée,
firent une entreprise mémorable. Ils
attaquèrent le lieu de Roras, où
quelques Vaudois s'étaient retirés.
Cette communauté comme nous l'avons
remarqué ci-devant était
séparée du reste des Vallées,
et par conséquent ne pouvait pas être
secourue.
Avant le massacre et la guerre de 1655 elle
n'était composée que de vingt et cinq
familles. Les ennemis qui étaient plus de
cent contre un, attaquèrent ce petit lieu
par tant d'endroits, qu'enfin ils s'en rendirent
les Maîtres. Ils tuèrent vingt-trois
Vaudois qui le défendaient ; mais il y
perdirent plus de deux cents hommes. Ça
été la plus grande perte que les
Vaudois aient fait en cette guerre de 1663. Et le
plus grand exploit des Généraux du
Duc de Savoie.
Après que les ennemis se furent rendus
Maîtres des rochers et du désert de
Roras, avec une perte si considérable, ils
firent le lendemain une course à Sainte
Marguerite, qui est un petit Village de là
Communauté de la Tour, composé de 20,
ou 25 maisons qu'ils réduisirent en cendres.
Les Vaudois s'étant alors rencontrés
en quelque nombre sur les montagnes de la Tour, y
accoururent dès qu'ils virent cet
embrasement t avec tant de vitesse et de
résolution, qu'ils mirent ces Incendiaires
en fuite, couvrirent la terre de leurs corps morts,
et en tuèrent plus qu'ils n'avaient
brûle de poutres.
Du Côté des Vaudois il n'y en eut
aucun de tué, ni de blessé. Aussi on
remarqua que ces Incendiaires étaient
effrayés, qu'il semblait, qu'ils n'avaient
ni mains pour combattre, ni pieds pour fuir.
Vers la fin du mois d'Août le Capitaine
Janavel défit entièrement une
embuscade que les ennemis avaient fait au lieu des
Vignes pour le surprendre. Mais ils furent eux
mêmes surpris et taillés en
pièces.
Le Conseil de la Propagation voyant que le Marquis
de Fleuri avait été malheureux en
toutes ses entreprises, trouva bon de changer de
Général, On rappela à la Cour
ce Marquis, et on mit à sa place le Marquis
de St. Damian , qui d'abord fit une grande
levée de boucliers, et ramassa de nouvelles
et grandes troupes, qui firent moins que les
premières. Les Soldats considérant
qu'il n'y avait à gagner pour eux que des
coups, les premiers ayant emporté tout le
butin, n'allaient que par force au combat, et
dès qu'ils trouvaient quelque
résistance, ils tournaient le dos aux
Vaudois, sans que leurs Officiers les pussent
retenir.
Chapitre précédent | Table des matières | Chapitre suivant |