Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Chapitre XVIII

Contenant la huitième guerre faite contre les Vaudois en 1662, et 1663 par Charles Emanuel II. Duc de Savoie.

-------

LES Marquis de Fleuri et d'Angrogne, qui les attaquèrent, l'un par Saint Segond, et l'autre par Briqueiras se joignirent sur le sommet d'une colline, qui est entre la Vallée de Lucerne et la Vallée de Pérouse, d'où l'on peut facilement gagner le lieu appelé le Bal, sur la montagne de la Vachère, au sommet d'Angrogne, qui est comme un Donjon très important, et comme le centre des trois Vallées, duquel on descend librement en celle de Lucerne, de Pérouse et de St. Martin, ils arrivèrent au sommet de cette colline au point du jour, et voulant se saisir du Donjon de la Vachère, ils furent arrêtés par un Corps de Garde de soixante hommes, qui était passé à un détroit appelé la porte d'Angrogne, sans cela c'était fait des pauvres Vaudois. Car s'ils eussent perdu ce poste ils étaient perdus, parce que c'était le seul lieu, qui leur servait d'asile et de dernier refuge, contre les grands efforts de leurs ennemis.

Ceux qui étaient commandés par les Marquis de Fleuri et d'Angrogne, qui étaient pour le moins quatre mille, se voyant arrêtés par ce Corps de Garde, se postèrent au sommet de la colline qu'ils avaient occupé, et avec des gazons y firent un retranchement de la hauteur d'un homme, sans que les Vaudois le pussent empêcher. Et pendant que les uns travaillaient à fortifier ce poste, les autres faisaient tous leurs efforts pour gagner le Détroit, qui était gardé par les soixante Vaudois.

L'autre partie de l'armée commandée par le Comte de Bagnols, consistant en pareil nombre, était aussi partagée en deux corps, dont l'un vint du côté du Chabas, et l'autre du côté de St. Jean. Ces deux corps agissant en même temps gagnèrent la colline de St. Jean, et une partie de celle d'Angrogne.

Les Vaudois furent contraints de reculer, bien qu'ils eussent là leur plus grandes forces. Ils se battirent pourtant en retraite jusqu'à Rochemanant, qui était un poste plus avantageux bien haut vers Angrogne, là à la faveur des rochers et de quelques masures ils tinrent ferme et arrêtèrent leurs ennemis, sans qu'ils pussent jamais les arracher de ce poste. Après avoir donné plusieurs assauts et s'être lassés à combattre et perdu trois cents hommes dans ces assauts, pour forcer ce lieu, la frayeur de Dieu tomba sur eux d'une telle manière, qu'ils s'enfuirent en déroute, se jeta à corps perdu par ces collines pour se sauver. Les Vaudois les poursuivirent jusques au pied de la Colline, où était leur Cavalerie et en tuèrent plusieurs. Et après avoir pourvu suffisamment à garder le côté dont ils avaient honteusement chassé leurs ennemis, coururent au secours de leurs frères, qui combattaient du côté où étaient les Marquis de Fleuri et d'Angrogne, ce qu'ils firent heureusement.
Les soixante Vaudois qui gardaient le Détroit d'Angrogne étaient déjà las, pour avoir combattu plus de la moitié du jour. Dès qu'ils virent que leurs frères venaient à leur secours, ils reprirent courage. Deux d'entr'eux en se traînant sur le ventre à la faveur d'un rocher s'approchèrent du retranchement des ennemis, tuèrent deux sentinelles, et se jetèrent le sabre à la main dans leur camp, ils furent aussitôt suivis du reste, qui donnant de tous côtés s'en rendirent bientôt les Maîtres, tuant et taillant en pièces tout ce qui s'opposait à eux, et mettant en fuite le reste, qui se sauva en désordre.

Les Marquis de Fleuri et d'Angrogne qui commandaient, ne furent pas des derniers à fuir. Les Vaudois poursuivirent leurs ennemis jusqu'à Briqueiras, et en les poursuivant en tuèrent plusieurs. Il y eût plus de six cents des ennemis tués et beaucoup de blessés qui moururent la plupart de leurs blessures. Les Vaudois ne perdirent que cinq à six hommes et n'en eurent qu'une douzaine légèrement blessé.

Ainsi Dieu délivra glorieusement les Vaudois, et punit la perfidie et la trahison de leurs Persécuteurs. Et on peut dire que comme autrefois l'épée de l'Éternel fût avec celle de Gédéon, aussi en cette rencontre elle fût avec celle du Capitaine Janavel et de sa petite troupe. Autrement comment est-ce que cinq cents hommes, qui étaient extrêmement fatigués, pour avoir combattu plus de la moitié du jour, auraient chassé quatre mille de leurs ennemis de leur camp, retranché et fortifié de la hauteur d'un homme. Les Vaudois n'étaient pas plus de cinq cents alors, parce qu'ils avaient laissé une partie de leurs gens, pour garder le côté dont ils avaient chassé le Comte de Bagnols, et ils n'avaient en tout qu'environ sept cents hommes.

Après avoir battu leurs ennemis, ils rendirent des actions de grâces à Dieu de leur délivrance, et de la victoire qu'il leur avait donnée et lui en attribuant : toute la gloire.
Les Vaudois après avoir vigoureusement repoussé et battu leurs ennemis, faisaient souvent des partis, pour les aller chercher partout, où la Cavalerie ne pouvait pas les incommoder, ni les surprendre, et par ce moyen leur armée diminuait, puisqu'il n'y avait presque point de jours, qu'un bon nombre de Savoyards ou Piémontais ne tombât entre les mains des Vaudois.

Depuis le 6 de Juillet jusqu'au 10 du mois d'Août, ce temps-là se passaient en Escarmouches, où les Vaudois avaient d'ordinaire avantage sur leurs ennemis.

Les Marquis de Fleuri et d'Angrogne qui commandaient l'armée du Duc, la grossirent derechef de toutes les milices des États de son A. R. ou des troupes tirées des garnisons. Et avec cette grande armée, firent une entreprise mémorable. Ils attaquèrent le lieu de Roras, où quelques Vaudois s'étaient retirés. Cette communauté comme nous l'avons remarqué ci-devant était séparée du reste des Vallées, et par conséquent ne pouvait pas être secourue.

Avant le massacre et la guerre de 1655 elle n'était composée que de vingt et cinq familles. Les ennemis qui étaient plus de cent contre un, attaquèrent ce petit lieu par tant d'endroits, qu'enfin ils s'en rendirent les Maîtres. Ils tuèrent vingt-trois Vaudois qui le défendaient ; mais il y perdirent plus de deux cents hommes. Ça été la plus grande perte que les Vaudois aient fait en cette guerre de 1663. Et le plus grand exploit des Généraux du Duc de Savoie.

Après que les ennemis se furent rendus Maîtres des rochers et du désert de Roras, avec une perte si considérable, ils firent le lendemain une course à Sainte Marguerite, qui est un petit Village de là Communauté de la Tour, composé de 20, ou 25 maisons qu'ils réduisirent en cendres. Les Vaudois s'étant alors rencontrés en quelque nombre sur les montagnes de la Tour, y accoururent dès qu'ils virent cet embrasement t avec tant de vitesse et de résolution, qu'ils mirent ces Incendiaires en fuite, couvrirent la terre de leurs corps morts, et en tuèrent plus qu'ils n'avaient brûle de poutres.
Du Côté des Vaudois il n'y en eut aucun de tué, ni de blessé. Aussi on remarqua que ces Incendiaires étaient effrayés, qu'il semblait, qu'ils n'avaient ni mains pour combattre, ni pieds pour fuir.

Vers la fin du mois d'Août le Capitaine Janavel défit entièrement une embuscade que les ennemis avaient fait au lieu des Vignes pour le surprendre. Mais ils furent eux mêmes surpris et taillés en pièces.

Le Conseil de la Propagation voyant que le Marquis de Fleuri avait été malheureux en toutes ses entreprises, trouva bon de changer de Général, On rappela à la Cour ce Marquis, et on mit à sa place le Marquis de St. Damian , qui d'abord fit une grande levée de boucliers, et ramassa de nouvelles et grandes troupes, qui firent moins que les premières. Les Soldats considérant qu'il n'y avait à gagner pour eux que des coups, les premiers ayant emporté tout le butin, n'allaient que par force au combat, et dès qu'ils trouvaient quelque résistance, ils tournaient le dos aux Vaudois, sans que leurs Officiers les pussent retenir.

Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant