LE Duc de Savoie et son Conseil n'ayant pu
détruire les Vaudois, ni par le Massacre
qu'ils en firent faire, ni par la cruelle et
continuelle guerre qu'on leur fit ensuite. Au lieu
de les laisser en paix après le
Traité de Pignerol, comme on l'avait promis
aux Ambassadeurs, on prit d'autres voies plus
subtiles, mais qui n'étaient pas moins
diaboliques et dangereuses, pour perdre ce qui
était resté de ces pauvres
massacrés et persécutés.
Le premier artifice ou moyen dont leurs ennemis se
servirent pour les perdre, fût de tacher de
mettre la division entr'eux à raison des
charitables Collectes, qu'on avait faites pour eux
dans les Pays étrangers, et de semer partout
de faux bruits, du prétendu abus qu'on avait
fait, en l'administration de l'argent qui en
était provenu.
Pour cela, ils se servirent d'un Jésuite
nommé Longueil, indigne Imposteur, qui vint
dans les Vallées et feignit de venir du
Languedoc, où il avait, ainsi qu'il disait,
abjuré la Religion Romaine. Ce loup se
déguisa si bien en brebis, qu'on lui donna
l'École du Villar qui est au centre de la
Vallée de Lucerne. Là il s'associa
avec un Michel Bertram de Ville neuve en
Piémont ancien Serviteur du Marquis de
Pianesse, avec Jean Vertu de Lucerne et avec Jean
Magnan de Provence, qui depuis quelque temps
habitait dans les Vallées. Ce Jésuite
avec ses Associés firent tout ce qu'ils
purent, pour gagner les plus simples et les plus
pauvres des Vallées, leur suggérant
que les sommes qui en étaient provenues,
étaient si grandes, que si on les eût
distribuées selon l'intention de ceux qui
les avaient données, il y aurait eu pour
chacun 14 ou 1500 livres, et par ces discours
séditieux, ils prétendaient de les
armer les uns contre les autres, et de les perdre
par eux-mêmes. Et non contents de cela, ils
écrivirent aux Pays étrangers en
France, en Suisse, en Hollande et en Angleterre,
d'où ces Collectes étaient venues,
que les principaux habitants avaient partagé
entr'eux cet argent et en faisaient bonne
chère, pendant que les pauvres mouraient de
faim, pour n'y avoir point de part, et par ces
mensonges et impostures, ils prétendaient
d'empêcher, que les Étrangers ne
fussent plus touchés à l'avenir de
leurs misères.
Le second artifice de leurs ennemis, fût de
faire bâtir une Citadelle au lieu de la Tour,
contre et au préjudice de l'article secret
de Pignerol, dans lequel on mit une forte garnison
incontinent qu'elle fût construite, qui
commit toute sorte d'excès et de violences
contre les Vaudois, enlevant leurs fruits qui
étaient en terre, et leur vin de leurs
Caves, prenant et pillant les meubles de leurs
maisons, battant et tuant ceux qu'il leur plaisait,
violant femmes et filles, et commettant toute sorte
de voleries et de brigandage, sans qu'on y
apportât aucun remède, ni qu'on leur
fit aucune justice.
Et pour comble de malheur on donna le gouvernement
des Vallées au Comte de Bagnols, qui
s'était signalé au Massacre de
1655.
Le troisième artifice qu'on employa pour
détruire les Vaudois après le
Traité de Pignerol, fût de faire des
procès criminels aux principaux d'entr'eux
sur de fausses accusations, devant la cour de
Turin, au préjudice de leurs
libertés, qui portaient que leurs affaires
se jugeraient dans les Vallées par leurs
Juges ordinaires. S'ils se remettaient pour purger
les décrets lancés contr'eux, on les
tenait un où deux ans en prison sans les
ouïr, et là on leur faisait consumer
tous leurs biens, où on les laissait mourir
de faim. S'ils ne se remettaient point, on les
condamnait à la mort, où aux
galères, et leurs biens étaient
confisqués. Ceux qui étaient
condamnés par défaut, s'ils
n'abandonnaient leurs biens et leurs maisons,
étaient saisis par les Soldats de la
garnison de la Citadelle, et conduits dans la
forteresse, où on leur faisait souffrir
mille maux pires que la mort.
Le quatrième artifice dont les ennemis des
Vaudois se servaient pour les perdre, fût
l'interdiction de leurs Écoles et de
l'exercice de leur Religion en divers lieux,
où il avait été maintenu par
la Patente de Pignerol, et établi de temps
immémorial.
Les Vaudois voyant que le Traité de Pignerol
était violé presque en tous ses
chefs, eurent recours à leur Prince et
à ses Ministres, auxquels ils firent de
très humbles Remontrances,
réitérées par diverses fois.
Mais reconnaissants que c'était inutilement,
ils s'adressèrent à Mr. de Servient
Ambassadeur de France, qui était encore
à Turin, et qui avait été le
Médiateur du Traité. Ils
écrivirent aussi aux Ambassadeurs des
Cantons Protestants qui y furent présents et
prièrent très humblement tant
l'Ambassadeur de France, que ceux de Suisse
d'intercéder pour eux envers son A. R.
Au lieu de faire justice à ces pauvres gens
injustement oppressés, on prépara des
autres armées pour achever de les
détruire ; et pendant qu'elles
s'approchaient pour exécuter leur
méchant dessein, Mr. Rica Trésorier
Général du Duc se rendit à
Pignerol, Ville du Roi de France et voisine des
Vallées, où il fit appeler les
principaux Agents de toutes les Communautés
des Vallées, et leur dit en pleurant, (comme
le Crocodile envers ceux qu'il veut dévorer)
qu'il était extrêmement marri de les
voir précipiter dans une ruine
inévitable, que le seul et unique moyen de
l'éviter était, de faire une bonne et
ample députation à Turin vers son
A.R. qui était résolue de mettre fin
à leurs misères, et que moyennant une
soumission, qu'ils pouvaient et devaient faire sans
scrupule, ils obtiendraient toutes les provisions,
qu'ils pouvaient souhaiter.
Pendant que le Trésorier
Général amuse et retient par de
belles paroles les principaux Agents des
Vallées à Pignerol, les
Généraux de l'armée qui
étaient en la Vallée de Lucerne, font
appeler vers eux tout le reste des Conducteurs des
Vallées, et leur déclarent que si
seulement, en signe d'obéissance. et de
confiance, ils font escorte à un convoi,
qu'ils voulaient envoyer au fort de Mirebouc, ils
pourront tous s'en retourner en sûreté
habiter en leurs maisons.
Les Vaudois qui ne désiraient que la paix et
le repos de leurs familles, firent ce que ces
Généraux leur commandaient, croyant
que ce qu'ils disaient fût véritable.
Mais la suite fit voir, que ce n'était que
pour les surprendre et les perdre.
Car pendant qu'une partie de leurs gens est
employée à faire cette Escorte, que
les autres travaillent à ramasser leurs
familles et à les ramener dans leurs
maisons, suivant l'ordre publié de la part
de. S. A. R. Que chacun eût à se
retirer chez soi et y ramener sa famille. Que les
principaux Agents et Conducteurs des Vaudois sont
amusés et arrêtés, les uns
à Pignerol auprès du
Trésorier, et les autres par les
Généraux de l'armée, les
Troupes du Duc commandées par les Marquis de
Fleuri, et d'Angrogne, et par le Comte de Bagnols
en nombre de plus de huit mille hommes, se jetait
au point du jour avec grande furie dans les
Vallées, par quatre différents
endroits, pour surprendre et égorger les
Vaudois, comme on avait fait en l'année
1655. et ce qui les faisait espérer de
réussir dans leur méchant dessein est
qu'ils voyaient que ces pauvres gens étaient
dispersés en divers lieux, et endormis sur
la confiance de l'ordre de S. À. R. et des
belles promesses des Généraux de
l'armée et ne s'attendaient pas à une
telle trahison et perfidie.
Mais si d'un côté on les
séparait les uns des autres, et on leur
ôtait leurs Conducteurs, pour les vaincre
plus aisément, d'un autre côté
on munit d'hommes et de munitions le fort de
Mirebouc, qui était au haut de la
Vallée de Lucerne, pour leur fermer le
passage du Dauphiné, et les empêcher
de se sauver dans les terres de France, comme ils
firent lors du massacre de 1655. Et les employer
pour escorter ceux qui allaient pour munir et
garder ce fort, était une double trahison et
perfidie.
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