Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Chapitre XVII.

Contenant les artifices méchants et abominables dont les ennemis des Vaudois se servirent pour achever de détruire les rechapés du massacre et de la guerre de 1655 avec la rupture de la paix de Pignerol.

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LE Duc de Savoie et son Conseil n'ayant pu détruire les Vaudois, ni par le Massacre qu'ils en firent faire, ni par la cruelle et continuelle guerre qu'on leur fit ensuite. Au lieu de les laisser en paix après le Traité de Pignerol, comme on l'avait promis aux Ambassadeurs, on prit d'autres voies plus subtiles, mais qui n'étaient pas moins diaboliques et dangereuses, pour perdre ce qui était resté de ces pauvres massacrés et persécutés.

Le premier artifice ou moyen dont leurs ennemis se servirent pour les perdre, fût de tacher de mettre la division entr'eux à raison des charitables Collectes, qu'on avait faites pour eux dans les Pays étrangers, et de semer partout de faux bruits, du prétendu abus qu'on avait fait, en l'administration de l'argent qui en était provenu.

Pour cela, ils se servirent d'un Jésuite nommé Longueil, indigne Imposteur, qui vint dans les Vallées et feignit de venir du Languedoc, où il avait, ainsi qu'il disait, abjuré la Religion Romaine. Ce loup se déguisa si bien en brebis, qu'on lui donna l'École du Villar qui est au centre de la Vallée de Lucerne. Là il s'associa avec un Michel Bertram de Ville neuve en Piémont ancien Serviteur du Marquis de Pianesse, avec Jean Vertu de Lucerne et avec Jean Magnan de Provence, qui depuis quelque temps habitait dans les Vallées. Ce Jésuite avec ses Associés firent tout ce qu'ils purent, pour gagner les plus simples et les plus pauvres des Vallées, leur suggérant que les sommes qui en étaient provenues, étaient si grandes, que si on les eût distribuées selon l'intention de ceux qui les avaient données, il y aurait eu pour chacun 14 ou 1500 livres, et par ces discours séditieux, ils prétendaient de les armer les uns contre les autres, et de les perdre par eux-mêmes. Et non contents de cela, ils écrivirent aux Pays étrangers en France, en Suisse, en Hollande et en Angleterre, d'où ces Collectes étaient venues, que les principaux habitants avaient partagé entr'eux cet argent et en faisaient bonne chère, pendant que les pauvres mouraient de faim, pour n'y avoir point de part, et par ces mensonges et impostures, ils prétendaient d'empêcher, que les Étrangers ne fussent plus touchés à l'avenir de leurs misères.

Le second artifice de leurs ennemis, fût de faire bâtir une Citadelle au lieu de la Tour, contre et au préjudice de l'article secret de Pignerol, dans lequel on mit une forte garnison incontinent qu'elle fût construite, qui commit toute sorte d'excès et de violences contre les Vaudois, enlevant leurs fruits qui étaient en terre, et leur vin de leurs Caves, prenant et pillant les meubles de leurs maisons, battant et tuant ceux qu'il leur plaisait, violant femmes et filles, et commettant toute sorte de voleries et de brigandage, sans qu'on y apportât aucun remède, ni qu'on leur fit aucune justice.
Et pour comble de malheur on donna le gouvernement des Vallées au Comte de Bagnols, qui s'était signalé au Massacre de 1655.

Le troisième artifice qu'on employa pour détruire les Vaudois après le Traité de Pignerol, fût de faire des procès criminels aux principaux d'entr'eux sur de fausses accusations, devant la cour de Turin, au préjudice de leurs libertés, qui portaient que leurs affaires se jugeraient dans les Vallées par leurs Juges ordinaires. S'ils se remettaient pour purger les décrets lancés contr'eux, on les tenait un où deux ans en prison sans les ouïr, et là on leur faisait consumer tous leurs biens, où on les laissait mourir de faim. S'ils ne se remettaient point, on les condamnait à la mort, où aux galères, et leurs biens étaient confisqués. Ceux qui étaient condamnés par défaut, s'ils n'abandonnaient leurs biens et leurs maisons, étaient saisis par les Soldats de la garnison de la Citadelle, et conduits dans la forteresse, où on leur faisait souffrir mille maux pires que la mort.

Le quatrième artifice dont les ennemis des Vaudois se servaient pour les perdre, fût l'interdiction de leurs Écoles et de l'exercice de leur Religion en divers lieux, où il avait été maintenu par la Patente de Pignerol, et établi de temps immémorial.

Les Vaudois voyant que le Traité de Pignerol était violé presque en tous ses chefs, eurent recours à leur Prince et à ses Ministres, auxquels ils firent de très humbles Remontrances, réitérées par diverses fois. Mais reconnaissants que c'était inutilement, ils s'adressèrent à Mr. de Servient Ambassadeur de France, qui était encore à Turin, et qui avait été le Médiateur du Traité. Ils écrivirent aussi aux Ambassadeurs des Cantons Protestants qui y furent présents et prièrent très humblement tant l'Ambassadeur de France, que ceux de Suisse d'intercéder pour eux envers son A. R.

Au lieu de faire justice à ces pauvres gens injustement oppressés, on prépara des autres armées pour achever de les détruire ; et pendant qu'elles s'approchaient pour exécuter leur méchant dessein, Mr. Rica Trésorier Général du Duc se rendit à Pignerol, Ville du Roi de France et voisine des Vallées, où il fit appeler les principaux Agents de toutes les Communautés des Vallées, et leur dit en pleurant, (comme le Crocodile envers ceux qu'il veut dévorer) qu'il était extrêmement marri de les voir précipiter dans une ruine inévitable, que le seul et unique moyen de l'éviter était, de faire une bonne et ample députation à Turin vers son A.R. qui était résolue de mettre fin à leurs misères, et que moyennant une soumission, qu'ils pouvaient et devaient faire sans scrupule, ils obtiendraient toutes les provisions, qu'ils pouvaient souhaiter.

Pendant que le Trésorier Général amuse et retient par de belles paroles les principaux Agents des Vallées à Pignerol, les Généraux de l'armée qui étaient en la Vallée de Lucerne, font appeler vers eux tout le reste des Conducteurs des Vallées, et leur déclarent que si seulement, en signe d'obéissance. et de confiance, ils font escorte à un convoi, qu'ils voulaient envoyer au fort de Mirebouc, ils pourront tous s'en retourner en sûreté habiter en leurs maisons.

Les Vaudois qui ne désiraient que la paix et le repos de leurs familles, firent ce que ces Généraux leur commandaient, croyant que ce qu'ils disaient fût véritable. Mais la suite fit voir, que ce n'était que pour les surprendre et les perdre.
Car pendant qu'une partie de leurs gens est employée à faire cette Escorte, que les autres travaillent à ramasser leurs familles et à les ramener dans leurs maisons, suivant l'ordre publié de la part de. S. A. R. Que chacun eût à se retirer chez soi et y ramener sa famille. Que les principaux Agents et Conducteurs des Vaudois sont amusés et arrêtés, les uns à Pignerol auprès du Trésorier, et les autres par les Généraux de l'armée, les Troupes du Duc commandées par les Marquis de Fleuri, et d'Angrogne, et par le Comte de Bagnols en nombre de plus de huit mille hommes, se jetait au point du jour avec grande furie dans les Vallées, par quatre différents endroits, pour surprendre et égorger les Vaudois, comme on avait fait en l'année 1655. et ce qui les faisait espérer de réussir dans leur méchant dessein est qu'ils voyaient que ces pauvres gens étaient dispersés en divers lieux, et endormis sur la confiance de l'ordre de S. À. R. et des belles promesses des Généraux de l'armée et ne s'attendaient pas à une telle trahison et perfidie.
Mais si d'un côté on les séparait les uns des autres, et on leur ôtait leurs Conducteurs, pour les vaincre plus aisément, d'un autre côté on munit d'hommes et de munitions le fort de Mirebouc, qui était au haut de la Vallée de Lucerne, pour leur fermer le passage du Dauphiné, et les empêcher de se sauver dans les terres de France, comme ils firent lors du massacre de 1655. Et les employer pour escorter ceux qui allaient pour munir et garder ce fort, était une double trahison et perfidie.

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