Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Chapitre XVI.

Réflexions sur La guerre de 1655 et sur la paix qui s'en ensuivit faits a Pignerol par l'entremise de l'Ambassadeur de France, et des Ambassadeurs des Cantons Protestants.

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IL est certain que les Ducs de Savoie n'avaient point de meilleurs ni de plus fidèles Sujets que les Vaudois, qui ont toujours suivi le parti de leurs Princes dans toutes les guerres, qu'ils ont eu, tant contre leurs ennemis du dedans, que contre ceux de dehors. Ils n'ont jamais pris les armes, que lorsqu'on a voulu forcer leurs consciences, et les priver de l'exercice libre de leur Religion. Cela paraît en ce que toutes les fois, qu'on leur a fait la guerre, on leur a fait commandement auparavant de renoncer à leur Religion, et d'aller à la Messe, et qu'on a laissé en repos ceux qui ont obéi, et même on leur a donné des exemptions et des récompenses.

Tout le crime des Vaudois, pour lequel on les a massacrés et si cruellement persécutés, est parce qu'ils n'ont pas voulu abandonner leur Religion, qu'ils avaient conservée de père en fils depuis le temps des Apôtres, et qui était conforme en tout et par tout à leur doctrine. Ceux qui échappèrent du massacre avaient un juste Sujet de prendre les armes. On avait injustement massacré aux uns, leurs pères et mères, aux autres leurs femmes et enfants, et aux autres, leurs frères et soeurs, et on en aurait fait de même d'eux, si leur fuite ne les eut dérobés aux yeux des cruels Bourreaux, qui firent le Massacre.

Tant de sang injustement répandu criait vengeance au ciel, et Dieu se voulut servir des mains des rechapés pour le venger, comme l'événement l'a fait voir, par les Victoires qu'ils ont remporté sur leurs massacreurs, et par le carnage qu'ils en ont fait, quoi qu'ils fussent de beaucoup inférieurs en nombre.

Qui plus est, ils étaient chassés de leurs maisons, de leurs biens et de leur patrie, contre les Droits de la nature et de toutes les Nations du monde, qui veulent que chacun jouisse en paix de ce qui est sien, s'il n'a commis de crimes qui l'en rendent indigne. Or ces pauvres gens n'avaient point commis de crime, ils étaient de la Religion qu'ils professaient, avant que les Ducs de Savoie eussent rien dans le Piémont, et même ils les y avaient maintenus depuis par diverses concessions et déclarations.

Si Dieu n'eût pas voulu les rétablir dans leur pays, leur aurait-il donné le courage d'y retourner, sans y être rappelés par le Prince, après en avoir été chassés par un cruel massacre, et par une puissante armée. Lorsque le Capitaine Janavel y retourna, qui sur environ quinze ou vingt jours après qu'il fût chassé de Roras, il n'avait qu'environ deux cents hommes, et on avait établi dans les Vallées douze cents Irlandais, tous gens de guerre. Il y avait outre cela plus de trois mille hommes de vieilles troupes du Duc, et tous les habitants Papistes ; de sorte qu'ils étaient plus de cent contre un. Mais quoique leurs ennemis fussent en si grand nombre, et qu'ils fussent Maîtres du pays, Janavel ne se lassa pas d'y retourner ; et même dès qu'il y fût arrivé, il alla faire des courses et chercher du butin à Lucernette, qui était un lieu tout rempli d'ennemis, et situé entre les Villes de Lucerne et de Bobiane, ou le Duc tenait de fortes garnisons. Si Dieu n'eût donné courage aux Vaudois, comment auraient-ils entrepris d'aller forcer St. Segond, où il y avait 800 Irlandais et 650 Piémontais en garnison fortifiés et retranchés, ils n'étaient que 5 à 600 tout au plus. Un si petit nombre aurait-il forcé ce Bourg, si Dieu n'eût été avec eux, s'il n'eût combattu pour eux, et n'eût voulu livrer entre leurs mains les massacreurs de leurs frères, et venger le sang qu'ils avaient inhumainement et sans cause répandu.

Bien que cette guerre n'ait duré que trois mois, elle a été pourtant fort sanglante, puis que les ennemis des Vaudois y ont perdu dans les combats dont nous avons parlé, où en diverses rencontres qui se sont faites, plus de quatre mille hommes, dont la plupart étaient du nombre des Massacreurs, et qui n'ont guère tardé à aller rendre compte à Dieu, des barbaries, des cruautés et des inhumanités, qu'ils avaient exercées contre tant d'innocentes créatures.

Les Vaudois dans toute cette guerre n'ont perdu, que 95 hommes, y compris les 40 qui furent tués avec le Capitaine Jayer, par une indigne trahison, ainsi que nous l'avons ci-devant montré.

Ceci est digne de remarque, c'est que les ennemis des Vaudois n'ont jamais eu aucun avantage sur eux, que par leurs trahisons et perfidies, en violant leur foi, leurs promesses et leurs traités. Mais quand ils se sont tenus sur leurs gardes, et ont voulu combattre pour le soutien de leur Religion, ils ont été toujours victorieux de leurs ennemis. Comme ils soutenaient la vérité céleste contenue dans les Saintes Écritures, aussi le Ciel les prenait sous sa protection, et défendait leur cause. Il les couvrait de son bouclier par tout où ils allaient, et combattait pour eux en leur donnant courage, et en mettant l'effroi, la confusion et le désordre parmi leurs ennemis, autrement ils n'auraient pas remporté, comme ils ont fait, des si miraculeuses victoires sur leurs ennemis, qui étaient souvent cent contre un, ainsi que nous avons dit.

Le Duc de Savoie voyant, que le Massacre, qu'il avait fait faire des Vaudois, ni la guerre qui avait suivi le Massacre, ne lui avaient pas réussi selon son espérance souhaitait la paix, et était bien aise d'être sollicité par les Princes et États Protestants a la donner ; car il y a apparence, que si on eut tardé encore trois mois à la faire, il aurait été obligé à la demander. Son armée s'était extrêmement affaiblie et celle des Vaudois s'était grandement renforcée. De douze cents Irlandais qu'il y avait au commencement, huit cents avaient été tués par les Vaudois à S. Segond, et le reste était presque péri de maladie, où dans les autres combats, où ils s'étaient trouvés depuis.

Les troupes Françaises s'étant retirées, le Lieutenant Colonel du Régiment Allemand de Bavière, et plusieurs de ses meilleurs Officiers, et plus de 100 Soldats avaient été tués en cette guerre, et outre cela il avait perdu plus de trois mille hommes de ses troupes. L'armée des Vaudois, lorsque la paix se fit, était composée de 1800 hommes, et s'augmentait tous les jours, par la jonction de plusieurs Officiers et Soldats Protestants Français, qui s'y jetaient, et si les Vaudois lors qu'ils n'étaient que cinq à six cents, avaient battu toujours les troupes du Duc, et avaient recouvré en dépit d'elles, tout ce dont ils avaient été chassés, il était à espérer, qu'elles auraient dans ces trois mois fait périr l'armée ennemie, où du moins l'auraient entièrement chassée des Vallées.

Les Ambassadeurs des Cantons Protestants étaient depuis longtemps à Turin pour mettre en repos ces pauvres gens, ils s'offrirent de se rendre Médiateurs de la paix, Mais le Duc s'en excusa disant, qu'il avait déjà donné cette affaire au Roi de France, et qu'il n'oserait la tirer des mains d'un si grand Roi. Ce qui l'obligeait de parler ainsi, est, qu'il voyait que la France était dans ses intérêts, et lui avoir prêté ses troupes, et qu'étant arbitre de la paix, elle se faisait à son avantage, plutôt qu'à celui des Vaudois.

Monsieur de Servient Ambassadeur du Roi de France auprès du Duc, fût le Médiateur de la paix ; et ce Seigneur sachant que les Ambassadeurs d'Angleterre et des États d'Hollande étaient en chemin pour s'employer pour les Vaudois ; que dans ces deux États on y avait fait de grandes Collectes pour eux, et que le Protecteur d'Angleterre s'intéressait grandement en leur faveur, précipita cette paix, et la conclue avant leur arrivée à Turin. Il n'y a point de doute que si ces Ambassadeurs, fussent arrivés avant la conclusion, qu'elle aurait été plus avantageuse aux Vaudois qu'elle ne fut : On leur aurait fait rendre tout ce dont on les avait dépossédez injustement par l'ordonnance de Gaftaldo, et abattre le Fort de la Tour sans pouvoir bâtir un autre.

Il est vrai que par un article secret on leur promit d'abattre le fort, et on le fit en effet après la paix ; mais ce fût pour en bâtir un plus fort au lieu ou était l'ancien, que les Prédécesseurs des Vaudois avaient fait abattre, et même ce fût contre la promesse qu'on leur avait fait, de n'en point bâtir d'autre.

Le Duc leur accorda une Patente qui fût donnée à Pignerol le 9 Août 1655 par laquelle il donnait Amnistie aux Vaudois, de ce qu'ils avaient pris les armes contre lui, les rétablissait dans leurs biens et Droits, et dans l'exercice libre de leur Religion, à la réserve de quelques lieux, nommés dans la Patente. L'Ambassadeur de France avec les Ministres du Duc dressèrent ainsi la Patente, pour mettre à couvert disaient-ils l'honneur de son A. R. Mais pour couvrir l'honneur du Prince, on faisait passer des Sujets innocents, qu'on avait injustement massacrés et chassés de leurs maisons, pour des Rebelles et des Criminels. Et on les privait de certains lieux, dont ils avaient joui de père en fils depuis plusieurs siècles, avant même que les Ducs de Savoie fussent Princes du Piémont, et dans lesquels lieux ils avaient été maintenus par les Concessions et Déclarations des Prédécesseurs de son Altesse et qu'elle avait confirmé en 1653.

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