IL est certain que les Ducs de Savoie n'avaient
point de meilleurs ni de plus fidèles Sujets
que les Vaudois, qui ont toujours suivi le parti de
leurs Princes dans toutes les guerres, qu'ils ont
eu, tant contre leurs ennemis du dedans, que contre
ceux de dehors. Ils n'ont jamais pris les armes,
que lorsqu'on a voulu forcer leurs consciences, et
les priver de l'exercice libre de leur Religion.
Cela paraît en ce que toutes les fois, qu'on
leur a fait la guerre, on leur a fait commandement
auparavant de renoncer à leur Religion, et
d'aller à la Messe, et qu'on a laissé
en repos ceux qui ont obéi, et même on
leur a donné des exemptions et des
récompenses.
Tout le crime des Vaudois, pour lequel on les a
massacrés et si cruellement
persécutés, est parce qu'ils n'ont
pas voulu abandonner leur Religion, qu'ils avaient
conservée de père en fils depuis le
temps des Apôtres, et qui était
conforme en tout et par tout à leur
doctrine. Ceux qui échappèrent du
massacre avaient un juste Sujet de prendre les
armes. On avait injustement massacré aux
uns, leurs pères et mères, aux autres
leurs femmes et enfants, et aux autres, leurs
frères et soeurs, et on en aurait fait de
même d'eux, si leur fuite ne les eut
dérobés aux yeux des cruels
Bourreaux, qui firent le Massacre.
Tant de sang injustement répandu criait
vengeance au ciel, et Dieu se voulut servir des
mains des rechapés pour le venger, comme
l'événement l'a fait voir, par les
Victoires qu'ils ont remporté sur leurs
massacreurs, et par le carnage qu'ils en ont fait,
quoi qu'ils fussent de beaucoup inférieurs
en nombre.
Qui plus est, ils étaient chassés de
leurs maisons, de leurs biens et de leur patrie,
contre les Droits de la nature et de toutes les
Nations du monde, qui veulent que chacun jouisse en
paix de ce qui est sien, s'il n'a commis de crimes
qui l'en rendent indigne. Or ces pauvres gens
n'avaient point commis de crime, ils étaient
de la Religion qu'ils professaient, avant que les
Ducs de Savoie eussent rien dans le Piémont,
et même ils les y avaient maintenus depuis
par diverses concessions et
déclarations.
Si Dieu n'eût pas voulu les rétablir
dans leur pays, leur aurait-il donné le
courage d'y retourner, sans y être
rappelés par le Prince, après en
avoir été chassés par un cruel
massacre, et par une puissante armée.
Lorsque le Capitaine Janavel y retourna, qui sur
environ quinze ou vingt jours après qu'il
fût chassé de Roras, il n'avait
qu'environ deux cents hommes, et on avait
établi dans les Vallées douze cents
Irlandais, tous gens de guerre. Il y avait outre
cela plus de trois mille hommes de vieilles troupes
du Duc, et tous les habitants Papistes ; de
sorte qu'ils étaient plus de cent contre un.
Mais quoique leurs ennemis fussent en si grand
nombre, et qu'ils fussent Maîtres du pays,
Janavel ne se lassa pas d'y retourner ; et
même dès qu'il y fût
arrivé, il alla faire des courses et
chercher du butin à Lucernette, qui
était un lieu tout rempli d'ennemis, et
situé entre les Villes de Lucerne et de
Bobiane, ou le Duc tenait de fortes garnisons. Si
Dieu n'eût donné courage aux Vaudois,
comment auraient-ils entrepris d'aller forcer St.
Segond, où il y avait 800 Irlandais et 650
Piémontais en garnison fortifiés et
retranchés, ils n'étaient que 5
à 600 tout au plus. Un si petit nombre
aurait-il forcé ce Bourg, si Dieu
n'eût été avec eux, s'il
n'eût combattu pour eux, et n'eût voulu
livrer entre leurs mains les massacreurs de leurs
frères, et venger le sang qu'ils avaient
inhumainement et sans cause répandu.
Bien que cette guerre n'ait duré que trois
mois, elle a été pourtant fort
sanglante, puis que les ennemis des Vaudois y ont
perdu dans les combats dont nous avons
parlé, où en diverses rencontres qui
se sont faites, plus de quatre mille hommes, dont
la plupart étaient du nombre des
Massacreurs, et qui n'ont guère tardé
à aller rendre compte à Dieu, des
barbaries, des cruautés et des
inhumanités, qu'ils avaient exercées
contre tant d'innocentes créatures.
Les Vaudois dans toute cette guerre n'ont perdu,
que 95 hommes, y compris les 40 qui furent
tués avec le Capitaine Jayer, par une
indigne trahison, ainsi que nous l'avons ci-devant
montré.
Ceci est digne de remarque, c'est que les ennemis
des Vaudois n'ont jamais eu aucun avantage sur eux,
que par leurs trahisons et perfidies, en violant
leur foi, leurs promesses et leurs traités.
Mais quand ils se sont tenus sur leurs gardes, et
ont voulu combattre pour le soutien de leur
Religion, ils ont été toujours
victorieux de leurs ennemis. Comme ils soutenaient
la vérité céleste contenue
dans les Saintes Écritures, aussi le Ciel
les prenait sous sa protection, et défendait
leur cause. Il les couvrait de son bouclier par
tout où ils allaient, et combattait pour eux
en leur donnant courage, et en mettant l'effroi, la
confusion et le désordre parmi leurs
ennemis, autrement ils n'auraient pas
remporté, comme ils ont fait, des si
miraculeuses victoires sur leurs ennemis, qui
étaient souvent cent contre un, ainsi que
nous avons dit.
Le Duc de Savoie voyant, que le Massacre, qu'il
avait fait faire des Vaudois, ni la guerre qui
avait suivi le Massacre, ne lui avaient pas
réussi selon son espérance souhaitait
la paix, et était bien aise d'être
sollicité par les Princes et États
Protestants a la donner ; car il y a
apparence, que si on eut tardé encore trois
mois à la faire, il aurait été
obligé à la demander. Son
armée s'était extrêmement
affaiblie et celle des Vaudois s'était
grandement renforcée. De douze cents
Irlandais qu'il y avait au commencement, huit cents
avaient été tués par les
Vaudois à S. Segond, et le reste
était presque péri de maladie,
où dans les autres combats, où ils
s'étaient trouvés depuis.
Les troupes Françaises s'étant
retirées, le Lieutenant Colonel du
Régiment Allemand de Bavière, et
plusieurs de ses meilleurs Officiers, et plus de
100 Soldats avaient été tués
en cette guerre, et outre cela il avait perdu plus
de trois mille hommes de ses troupes.
L'armée des Vaudois, lorsque la paix se fit,
était composée de 1800 hommes, et
s'augmentait tous les jours, par la jonction de
plusieurs Officiers et Soldats Protestants
Français, qui s'y jetaient, et si les
Vaudois lors qu'ils n'étaient que cinq
à six cents, avaient battu toujours les
troupes du Duc, et avaient recouvré en
dépit d'elles, tout ce dont ils avaient
été chassés, il était
à espérer, qu'elles auraient dans ces
trois mois fait périr l'armée
ennemie, où du moins l'auraient
entièrement chassée des
Vallées.
Les Ambassadeurs des Cantons Protestants
étaient depuis longtemps à Turin pour
mettre en repos ces pauvres gens, ils s'offrirent
de se rendre Médiateurs de la paix, Mais le
Duc s'en excusa disant, qu'il avait
déjà donné cette affaire au
Roi de France, et qu'il n'oserait la tirer des
mains d'un si grand Roi. Ce qui l'obligeait de
parler ainsi, est, qu'il voyait que la France
était dans ses intérêts, et lui
avoir prêté ses troupes, et
qu'étant arbitre de la paix, elle se faisait
à son avantage, plutôt qu'à
celui des Vaudois.
Monsieur de Servient Ambassadeur du Roi de France
auprès du Duc, fût le Médiateur
de la paix ; et ce Seigneur sachant que les
Ambassadeurs d'Angleterre et des États
d'Hollande étaient en chemin pour s'employer
pour les Vaudois ; que dans ces deux
États on y avait fait de grandes Collectes
pour eux, et que le Protecteur d'Angleterre
s'intéressait grandement en leur faveur,
précipita cette paix, et la conclue avant
leur arrivée à Turin. Il n'y a point
de doute que si ces Ambassadeurs, fussent
arrivés avant la conclusion, qu'elle aurait
été plus avantageuse aux Vaudois
qu'elle ne fut : On leur aurait fait rendre
tout ce dont on les avait dépossédez
injustement par l'ordonnance de Gaftaldo, et
abattre le Fort de la Tour sans pouvoir bâtir
un autre.
Il est vrai que par un article secret on leur
promit d'abattre le fort, et on le fit en effet
après la paix ; mais ce fût pour
en bâtir un plus fort au lieu ou était
l'ancien, que les Prédécesseurs des
Vaudois avaient fait abattre, et même ce
fût contre la promesse qu'on leur avait fait,
de n'en point bâtir d'autre.
Le Duc leur accorda une Patente qui fût
donnée à Pignerol le 9 Août
1655 par laquelle il donnait Amnistie aux Vaudois,
de ce qu'ils avaient pris les armes contre lui, les
rétablissait dans leurs biens et Droits, et
dans l'exercice libre de leur Religion, à la
réserve de quelques lieux, nommés
dans la Patente. L'Ambassadeur de France avec les
Ministres du Duc dressèrent ainsi la
Patente, pour mettre à couvert disaient-ils
l'honneur de son A. R. Mais pour couvrir l'honneur
du Prince, on faisait passer des Sujets innocents,
qu'on avait injustement massacrés et
chassés de leurs maisons, pour des Rebelles
et des Criminels. Et on les privait de certains
lieux, dont ils avaient joui de père en fils
depuis plusieurs siècles, avant même
que les Ducs de Savoie fussent Princes du
Piémont, et dans lesquels lieux ils avaient
été maintenus par les Concessions et
Déclarations des Prédécesseurs
de son Altesse et qu'elle avait confirmé en
1653.
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