Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Chapitre XIV.

Septième guerre contre les Vaudois de Piémont, après le massacre de 1655. en laquelle on voit visiblement, que Dieu combattait pour eux et avec eux.

-------

APRÈS le cruel massacre dont nous venons de parler, il y eût une sanglante guerre entre les Vaudois, et ceux qui les avaient massacrés et chassés de leur pays, en laquelle on connut visiblement, que le Dieu des batailles était avec les Vaudois, qu'il combattait avec eux, et pour eux, par les glorieux avantages qu'ils remportaient tous les jours sur leurs ennemis.

Les premiers combats qui se firent furent à Roras, qui était une petite Communauté composée de 15 familles, et qui était écartée des autres Communautés. Le Comte Christophe qui était Seigneur de ce lieu, et membre du Conseil de Propagande fide, bien loin de conserver ses Vassaux, comme son intérêt et son devoir l'y obligeait, poussé d'un faux zèle, fit tout ce qu'il peut pour les perdre, et emplois pour cela la force et la perfidie, puisque contre la parole solennelle qu'il leur avait donnée, de là part du Marquis de Pianesse qu'on les laisserait en repos, le même jour qu'on avait destiné, pour la cruelle boucherie qu'on fit des Vaudois, il envoya quatre ou cinq cents Soldats à Roras, pour traiter les habitants de ce petit lieu, de la même manière, qu'on a traité ceux des autres Vallées, et pour les mieux surprendre, il fit passer les Soldats par un chemin secret qu'il leur indiqua.
Ce qui montre, qu'il n'y a ni méchanceté, ni crime, dont un zèle aveugle ne soit capable.

Le Capitaine Janavel qui s'était réfugié à Roras avec sa famille, aperçut de loin les ennemis, il n'avait alors avec lui que six Paysans, avec cette petite troupe il alla les attendre en un poste avantageux, six furent tués sur le champ, et les autres prirent l'épouvante et s'enfuirent en confusion, estimant que les Vaudois fussent en plus grand nombre qu'ils n'étaient, et en fuyant ils perdirent encore cinquante-quatre des leurs.

Le Marquis de Pianesse qui commandait l'armée ennemie, ayant appris le mauvais succès de ces gens, pour endormir et surprendre ceux de Roras, leur envoya dire que les Soldats qui étaient allé les attaquer n'étaient que de Voleurs et de Vagabonds, et non pas de ses troupes, protestant hautement qu'il n'avait rien su de cette entreprise, et qu'ils lui auraient fait plaisir de les tailler tous en pièces. Cependant le lendemain, après qu'il leur eût envoyé ces belles protestations, il détacha 600 Soldats choisis, qui allèrent attaquer ceux de Roras par trois divers endroits, suivant l'ordre qu'il leur avait donné.

Le Capitaine Janavel les ayant découverts avec sa petite troupe, qui alors était composée de 18 hommes, s'étaient armés de fusils, de pistolets et de sabres, et les six autres de frondes et de cailloux seulement, il la divisa en trois petites bandes, et les mit en embuscades en des lieux avantageux. Ils chargèrent si à propos leurs ennemis, qui se voyant attaqués avec un courage intrépide, par ceux qu'ils allaient surprendre, prirent derechef la fuite, laissant sur le champ ou en fuyant soixante de leurs morts.
Ce second mauvais succès ne rebuta pas pourtant ce Général : mais comme les trahisons et les perfidies lui avaient réussi contre ceux des autres Vallées, il eût encore recours à la même voie. II envoya à Roras le Comte Christophe, qui était Seigneur de ce lieu, pour leur dire, que ce qui était arrivé avait été un mal entendu fondé sur un faux rapport, mais que mieux informé par ledit Comte et à sa prière, il ferait désormais qu'ils soient laissés en repos.

Au préjudice d'une parole si positive, qui leur était portée de la part du Général de l'armée, et par la bouche de leur propre Seigneur. On leur envoya le lendemain un détachement de 900 hommes choisis, pour les attaquer par divers endroits.
Janavel avec ses 17 Paysans étant allé au devant d'eux, les attaqua avec tant de courage et de valeur, qu'il les mit encore en déroute, en tua un grand nombre sur le champ ou en les poursuivant.

Le Marquis de Pianesse crevant de dépit et de rage, pour ce troisième mauvais succès de ses gens, ramassa tout ce qu'il put des troupes qui étaient dans les Vallées, pour aller égorger ces pauvres agneaux, qui restaient dans cette petite Communauté. L'armée composée d'environ 8000 hommes avait son rendez-vous marqué.

Le Capitaine Mario vaillant Soldat et grand massacreur, conduisait les troupes qui venaient du côté de Bagnols, il arriva le premier au rendez-vous avec un corps considérable, et se crut assez fort pour se rendre Maître de Roras, sans attendre les autres troupes, il divisa les siennes en deux, et attaqua les Vaudois par devant et par derrière. Mais les Vaudois gagnèrent une petite éminence, qui était au dessus des plus hautes troupes de leurs ennemis, tellement qu'ils ne pouvaient être attaqués que par devant. De ce lieu ils firent une si vigoureuse résistance, qu'enfin la confusion et le désordre se mit parmi leurs ennemis, et dans cet état ils s'enfuirent, ayant laissé 65 morts sur la place, sans les blessés, ni ceux qui se noyèrent, ou qui furent tués en fuyant. Le Capitaine Mario se jeta en fuyant dans un gouffre, où sans doute il se serait noyé, si deux ou trois de ses Soldats qui savaient mieux nager que lui, ne l'en eussent tiré. Il fût conduit à Lucerne en chemise, sans chapeau et sans souliers, où à l'instant il fût saisi d'une effroyable maladie, pendant laquelle il souffrait des tourments horribles, qui lui firent crier cent fois, qu'il sentait le feu d'Enfer dans ses entrailles, pour les maisons, les temples, et les personnes, qu'il avait fait brûler dans la Vallée de Lucerne, il mourut dans ces tourments, et dans cet état il alla rendre compte de ses méchancetés, devant le Souverain Juge du monde.

Après un combat si long et une si glorieuse délivrance, Janavel avec sa petite troupe, s'étant retiré sur le sommet d'une colline, pour y prendre quelque réfection, ils n'eurent pas plutôt commencé de manger, qu'ils virent un autre corps d'armée qui venait du côté de Villar, et grimpait la montagne pour les surprendre par derrière. Dés qu'ils aperçurent ce corps, ils quittèrent le manger pour se défendre, et se postèrent en un lieu avantageux. Celui qui commandait les ennemis fit un petit détachement, pour reconnaître les Vaudois, qui s'approcha de fort prés d'eux, croyant qu'ils fussent des leurs. Les Vaudois tirèrent si à propos, sur ceux qui venaient les reconnaître, que chacun mit le sien par terre, ce qui causa une si grande frayeur et confusion parmi ceux qui restèrent, qu'ils s'enfuirent en désordre, et portèrent une telle épouvante dans le gros de l'armée, que sans se donner le loisir de reconnaître, qu'ils n'avaient à combattre que contre dix-huit hommes, ils se mirent en déroute, et s'enfuirent en confusion et en désordre. Janavel avec sa petite troupe les poursuivit et tua grand nombre de ces fuyards, après quoi il rendit grâces à Dieu d'une si glorieuse délivrance, ainsi qu'il avait accoutumé de faire, toutes les fois qu'il remportait quelque avantage sur ses ennemis.

Trois jours après les deux derniers combats, le Marquis de Pianesse fumant de colère, et se rongeant les ongles, de rage et de honte, pour le pitoyable succès de toutes ses entreprises, envoya par un exprès une lettre aux gens de Roras, par laquelle il leur commandait de la part du Duc, d'aller à la Messe dans 24 heures, à peine de la vie, et de voir réduire en cendres leurs maisons et couper leurs arbres.
À cette lettre ils répondirent. Qu'ils aimaient mieux mille fois la mort que la Messe, puisqu'on ne leur avait jamais pu montrer, que Jésus-Christ, ni ses Apôtres l'eussent célébrée. Que si après l'incendie de leurs maisons, on venait jusqu'à couper leurs arbres. Ils avaient un père au ciel, qui était un bon pourvoyeur.

Après ces menaces, le Marquis assembla son armée, composée de dix mille hommes, savoir 8000. de vieilles troupes, et 2000. Paysans Piémontais, qu'il ramassa de toutes les Communautés circonvoisines. Il divisa son armée en trois corps, dont l'un eût ordre, d'attaquer les Vaudois du côté du Villar, un autre du côté de Bagnols, et le troisième du coté de Lucerne.

Janavel avec sa petite troupe, alla au-devant du corps d'armée, qui se présenta le premier, et combattit vaillamment, et avec un succès incroyable, ayant mis par terre plusieurs des ennemis : Mais quand il vit que les autres deux corps avaient gagné le poste, où les pauvres familles étaient réfugiées, et qu'il ne pouvait plus les secourir, il se sauva avec ces 17 Paysans et son fils âgé de 7 à huit ans, qu'il emporta sur ses épaules, et se retira dans la Vallée de Queiras, terre du Roi de France.
L'opiniâtreté avec laquelle les ennemis des Vaudois, s'attachèrent à détruire le petit lieu de Roras, fait voir clairement à tout le monde, la passion violente qu'un faux zèle produit dans le coeur de ceux, qui persécutent la vérité sans la connaître. Ceux qui sont animés d'un vrai zèle, ne violent jamais les promesses, ni les serments faits à leurs ennemis. Mais ceux qui sont poussés d'un faux zèle, ne gardent ni promesse ni serment, ils ne regardent qu'à assouvir leur haine, et à contenter leur brutale et aveugle passion.

Pour perdre 15 pauvres familles des Vaudois, on ne se contenta pas d'employer la force, on y joignit encore la trahison et la perfidie, on leur fait des promesses et des serments, qu'on les laisserait en repos, tant de la part du Duc, que du Général de l'armée, et, dès le lendemain on commande aux troupes de les aller égorger, et n'ayant pu avec cinq cents hommes les détruire, on y envoie après six cents, puis 900 cents, puis 8000. et en fin dix mille. Et ce qui est remarquable, c'est qui ni la honte d'avoir été repoussés par diverses fois, ni la perte de plusieurs centaines des leurs, ne les rebuta pas.

L'Intrépidité avec laquelle, le Capitaine Janavel et sa petite troupe soutint, et repoussa les attaques de ses ennemis, et les merveilleuses Victoires qu'il remporta sur eux, donnent à connaître à toute la terre, que le Dieu des batailles combattait avec lui et pour lui. Car comment dans le premier combat, sept hommes en auraient battu et mis en fuite cinq cents ; et dans les autres combats 17 ou 18 hommes, dont six. n'étaient armés que des frondes et de cailloux, en auraient battu et mis en déroute, tantôt six cents, tantôt neuf cents, et tantôt plusieurs milles, si Dieu n'eût été avec eux, ne leur eût donné force et courage, et si au contraire il n'eût ôté la force et le courage à leurs ennemis, et n'eût mis la frayeur dans leur coeur, d'où s'enfuyait leur confusion et leur désordre.

Enfin comment est-ce, que Janavel et ses gens, après, tant de si rudes combats se seraient sauvé avec sa troupe, sans qu'aucun des siens ait été tué ni blessé, bien qu'ils aient été attaqués par devant et par derrière de leurs ennemis ; si Dieu ne les eût couvert de son bouclier, et n'eût écarté de leurs personnes les traits de leurs ennemis.
L'armée ennemie s'étant rendue Maîtresse de Roras, exerça les mêmes cruautés envers les familles de ce petit lieu, qu'elle avait exercé envers celles des autres Vallées mettant tout à feu et à sang, sans épargner ni âge ni sexe. Mais le Général fût fâché, de ce qu'avec une si puissante armée, il n'avait pu triompher que de femmes, filles, enfants, et Vieillards, qui étaient sans défense, sans que Janavel ni aucun de ses gens, fût tombé entre ses mains.
La Femme et les filles de Janavel furent emmenées prisonnières, on les conserva pour lui faire poser les armes, par les menaces qu'on lui fit, de brûler sa femme et ses filles, s'il continuait dans sa rébellion, c'est ainsi qu'on appelait sa juste défense.

Toutes les Vallées et leurs dépendances étant entre les mains des ennemis des Vaudois, il semblait que ces pauvres gens seraient pour jamais exilés de leur patrie : mais Dieu qui voulait conserver encore, le flambeau de sa parole dans ces montagnes et Vallons, ne tarda pas à les y rétablir. Le massacre des Vallées se fit le 24. Avril : mais la prise et massacre de Roras, ne se fit qu'au commencement de mai.

Le Capitaine Janavel après s'être rafraîchi quelques jours dans Queiras, et ramassé, quelques-uns de ses confrères, qui s'étaient réfugiés, retourna dans les Vallées avec quelques provisions, et vint se porter sur une montagne nommée le Palea de Jaimet, d'où avec sa troupe il partit le 22 dudit mois de Mai sur le soir, à dessein d'aller à Lucernette, qui est un village entre les villes de Lucerne et de Bobiane, pour y enlever du bétail pour vivre, et y faire des prisonniers, pour faire rendre sa femme et les filles qui étaient prisonnières, Son entreprise n'eut pas le succès qu'il avait espéré, à cause que ce lieu se trouva rempli de gens de guerre. Il retourna à son poste ayant appris que le Capitaine Jayer, avec ce qu'il avait peu ramasser des réchappés du massacre, réfugiés dans les Vallées de Peirouse et de Pragela terre de France, s'était jeté dans la Vallée de Lucerne du côté d'Angrogne, le pria par lettre de lui assigner le temps et le lieu pour rejoindre, se joindre, ce qu'ils firent le 27 dudit mois de Mai.

Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant