Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Chapitre XIII.

Contenant les moyens abominables dont le Marquis de Pianesse se servit pour surprendre les Vaudois de Piémont et entrer dans les Vallées, et le cruel massacre qu'il fit de ces pauvres innocents, après y être entré en l'an 1655.

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LE Marquis de Pianesse voyant, qu'il ne pouvait pas détruire les Vaudois par la force des armes, eût recours à la plus étrange et abominable perfidie, que Satan ait jamais suggéré à ses Suppôts. Il leur envoya un Trompette, pour leur dire qu'ils lui envoyassent leurs Députés, pour apprendre de sa bouche la volonté de son A. R. le tout pour leur bien et avantage, et qu'ils pouvaient venir en toute assurance.

Les Vaudois ne défiant rien tant que la paix, donnèrent incontinent dans le piège que le Marquis leur tendait, ils firent partir leurs Députés avec le Trompette, qui furent reçus avec des grands témoignages de bienveillance, Mr. de Pianesse les fit dîner splendidement avec lui, leur fit mille protestations d'amitié et mille caresses ; mais c'était pour les surprendre et les trahir, comme Judas Jésus-Christ par un baiser.

Après les avoir éblouis par ses protestations et caresses trompeuses, et pleines de pièges, il leur dit qu'il n'en voulait qu'aux habitants des lieux défendus par l'ordonnance de Gaftaldo ; mais que les autres n'auraient rien à craindre, si seulement en signe d'obéissance et de fidélité, ils voulaient recevoir et loger pour deux ou trois jours, en chacune de leur Communauté un Régiment d'Infanterie, et deux Compagnies de Cavalerie. Les Députés qui croyaient, que les protections du Marquis de Pianesse étaient sincères, et exemptes de tout soupçon, de trahison et de perfidie, lorsqu'ils furent de retour vers ceux qui les avaient députés, leur persuadèrent si fort à faire, ce que Mr. De Pianesse leur avait conseillé, qu'il n'y eût aucune Communauté, qui ne fut disposée à recevoir ces troupes, et qu'on les reçut partout sans opposition ni résistance.

Les Régiments d'Infanterie, et les Compagnies de Cavalerie, dont on avait convenu, ne furent pas plutôt reçus et logées dans chaque Communauté, qu'elles se saisirent de tous les passages, et furent suivies de tout le reste de l'armée. On les pria de loger aux Bourgs et Villages plus bas, comme leur étant plus commode, avec offre de leur fournir tout ce qui leur serait nécessaire : mais ils poussèrent tant que le jour le leur permit, jusqu'aux lieux les plus hauts qui étaient habités. Une partie de l'armée monta par le chemin ordinaire d'Angrogne, une autre partie par celui du Villar et de Bobbi, et le troisième corps de l'armée par un chemin abrégé, s'alla jeter dans le pré du Tour, qui était le lieu le plus fort d'Angrogne, et qui servait comme de Donjon aux Vaudois, et en montant mit le feu partout où il passa, et égorgea tout ceux qu'il rencontra en son chemin.

Ce procédé si étrange et si barbare découvrit la trahison. Chacun alors pensa à sauver sa vie. La plupart des hommes se jetèrent sur les montagnes à la faveur de la nuit, sauvèrent une partie de leurs familles, qu'ils dérobèrent aux Massacreurs, et se glissèrent par l'autre pente de la montagne dans la Vallée de Pérouse terre du Roi de France.


Cette armée altérée du sang des Saints, trouva à la vérité les maisons d'Angrogne remplies de biens, tant des naturels habitants, que des Réfugiés des lieux, d'où ils avaient été chassés par l'ordonnance de Gaftaldo : mais ils n'y trouvèrent que peu d'habitants, si ce n'est des femmes, des enfants, des vieillards, et des malades.
Les ennemis des Vaudois s'étant par cette trahison et perfidie, rendus Maîtres de toutes les Vallées, sans excepter les lieux les plus forts, qui leur auraient servi d'asile et de forteresse contre leurs persécuteurs, demeurèrent deux jours sans exercer leur rage et leur cruauté projetée, feignant de ne vouloir faire autre chose, que se rafraîchir deux ou trois jours, selon l'ordre de leur logement, et cependant ils exhortaient puissamment ceux qui étaient restés, de rappeler les fugitifs avec assurance, qu'on ne leur ferait aucun mal. Il y en eût d'assez crédules, qui se jetèrent dans les filets, qu'ils avaient heureusement évités.
Au troisième jour, qui fût le 24 d'Avril, le signal ayant été donné sur la colline de la Tour, qu'on appelé le Castelas, toutes les innocentes créatures qui se trouvèrent en la puissance de cette armée de Bourreaux, furent égorgées, de la manière la plus cruelle qu'on puisse penser ni imaginer. On ne les tua pas comme des brebis qu'on tue à la boucherie, ou comme des ennemis vaincus, qu'on fait passer au fil de l'épée sans leur donner aucun quartier, mais d'une manière bien plus cruelle et plus barbare. Les enfants furent impitoyablement arrachés des mamelles de leur mères, et froissés et écrasés par ces Bourreaux contre les rochers et les murailles, où souvent leurs cervelles restaient plâtrées.

Ou bien un Soldat prenait ces pauvres innocents par une jambe, et faisait prendre l'autre jambe à un autre Soldat, et en les tirant chacun de son côté, les déchiraient misérablement par le milieu du corps, et se les jetaient les uns contre les autres, et même parfois en bâtaient les pauvres mères, et puis les jetaient à la Voirie.

Les malades et les Vieillards, tant hommes que femmes étaient ou brûlés dans leurs maisons, ou tranchés en pièces, ou liés tous nus en forme de peloton la tête entre les jambes, et précipités par les rochers, ou roulés par les montagnes.

Les femmes et les filles étaient violées, après on leur farcissait le ventre de cailloux, ou on leur remplissait la bouche et les oreilles de poudre, ensuite on y mettait le feu, et par cette sorte de mines on leur faisait sauter la cervelle.

D'autres étaient empalées toutes vives par la nature, et en cette effroyable postère (posture ?) dressées toutes nues sur les grands chemins, comme des croix. D'autres enfin on leur coupait la tête, les bras, les jambes et les mamelles, que ces barbares (Margageas) fricassaient et mangeaient.

Les hommes qui n'étaient ni vieux ni malades, qui tombèrent entre les mains de ces cruels Bourreaux, furent les uns écorchés vifs, les autres après qu'on leur avait coupé le * * *, on leur coupait ensuite la tête, et on mettait leur membre entre leurs dents. D'autres enfin furent tranchés tous vifs en pièces, membre après membre, ni plus ni moins que la chair de la boucherie. Ceux qui se signalèrent le plus en cruauté furent les Irlandais, qui comme nous avons déjà dit, aidèrent à massacrer leurs Compatriotes en l'année 1642.
Après cette grande boucherie faite des Vaudois, les Massacreurs allèrent le lendemain à la chasse des réchappés, dont plusieurs étaient errants dans les bois et dans les plus hautes montagnes couvertes de neiges, ou cachés dans les cavernes et trous des rochers, pour n'avoir pu se sauver, tant à cause de la quantité de neiges, que de leur faiblesse, que parce que les ennemis s'étaient saisis des passages.

Cette armée meurtrière ayant achevé de massacrer, tout ce qu'elle avait trouvé de Protestants dans les Vallées, ou errants dans les bois et dans les montagnes, ou cachés dans les cavernes et dans les trous des rochers. Elle mit ensuite le feu partout, et réduisit en cendres tant les maisons que les temples sacrés. On ne réserva que le Bourg et le Temple du Villar, qui est au centre de la Vallée de Lucerne, et quelques maisons de la plaine, pour le logement des Irlandais, auxquels le Duc de Savoie donna ce pays. On peut voir dans l'Histoire Générale de Jean Léger, le nom et le nombre des Massacrés, et la manière en laquelle ils ont été massacrés.

Les Vaudois ayant été les uns cruellement massacrés, les autres faits prisonniers, et les autres chassés de leur pays, et leurs ennemis s'étant entièrement emparés des Vallées et en étant les Maîtres, et y ayant établi les Irlandais, qui étaient en plus grand nombre que les Vaudois, qui étaient échappés du Massacre, il n'y avait point d'apparence, que ces pauvres gens puissent rentrer dans leur pays et s'y rétablir jamais. Mais Dieu à qui rien n'est impossible, prit leur cause en main, toucha le coeur des Princes et États Protestants, qui les aidèrent par leurs charitables subventions, leur donna force et courage, combattit pour eux, et leur fit avec une poignée des gens, obtenir des grandes et miraculeuses victoires sur leurs ennemis, et par ces signalées victoires et les félicitations des Princes et États Protestants, ils furent rétablis dans leurs pays et s'y sont maintenus jusques en l'année 1686 malgré tous les efforts et artifices de leurs ennemis.

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