LE Marquis de Pianesse voyant, qu'il ne pouvait
pas détruire les Vaudois par la force des
armes, eût recours à la plus
étrange et abominable perfidie, que Satan
ait jamais suggéré à ses
Suppôts. Il leur envoya un Trompette, pour
leur dire qu'ils lui envoyassent leurs
Députés, pour apprendre de sa bouche
la volonté de son A. R. le tout pour leur
bien et avantage, et qu'ils pouvaient venir en
toute assurance.
Les Vaudois ne défiant rien tant que la
paix, donnèrent incontinent dans le
piège que le Marquis leur tendait, ils
firent partir leurs Députés avec le
Trompette, qui furent reçus avec des grands
témoignages de bienveillance, Mr. de
Pianesse les fit dîner splendidement avec
lui, leur fit mille protestations d'amitié
et mille caresses ; mais c'était pour
les surprendre et les trahir, comme Judas
Jésus-Christ par un baiser.
Après les avoir éblouis par ses
protestations et caresses trompeuses, et pleines de
pièges, il leur dit qu'il n'en voulait
qu'aux habitants des lieux défendus par
l'ordonnance de Gaftaldo ; mais que les autres
n'auraient rien à craindre, si seulement en
signe d'obéissance et de
fidélité, ils voulaient recevoir et
loger pour deux ou trois jours, en chacune de leur
Communauté un Régiment d'Infanterie,
et deux Compagnies de Cavalerie. Les
Députés qui croyaient, que les
protections du Marquis de Pianesse étaient
sincères, et exemptes de tout
soupçon, de trahison et de perfidie,
lorsqu'ils furent de retour vers ceux qui les
avaient députés, leur
persuadèrent si fort à faire, ce que
Mr. De Pianesse leur avait conseillé, qu'il
n'y eût aucune Communauté, qui ne fut
disposée à recevoir ces troupes, et
qu'on les reçut partout sans opposition ni
résistance.
Les Régiments d'Infanterie, et les
Compagnies de Cavalerie, dont on avait convenu, ne
furent pas plutôt reçus et
logées dans chaque Communauté,
qu'elles se saisirent de tous les passages, et
furent suivies de tout le reste de l'armée.
On les pria de loger aux Bourgs et Villages plus
bas, comme leur étant plus commode, avec
offre de leur fournir tout ce qui leur serait
nécessaire : mais ils poussèrent
tant que le jour le leur permit, jusqu'aux lieux
les plus hauts qui étaient habités.
Une partie de l'armée monta par le chemin
ordinaire d'Angrogne, une autre partie par celui du
Villar et de Bobbi, et le troisième corps de
l'armée par un chemin abrégé,
s'alla jeter dans le pré du Tour, qui
était le lieu le plus fort d'Angrogne, et
qui servait comme de Donjon aux Vaudois, et en
montant mit le feu partout où il passa, et
égorgea tout ceux qu'il rencontra en son
chemin.
Ce procédé si étrange et si
barbare découvrit la trahison. Chacun alors
pensa à sauver sa vie. La plupart des hommes
se jetèrent sur les montagnes à la
faveur de la nuit, sauvèrent une partie de
leurs familles, qu'ils dérobèrent aux
Massacreurs, et se glissèrent par l'autre
pente de la montagne dans la Vallée de
Pérouse terre du Roi de France.
Cette armée altérée du sang
des Saints, trouva à la vérité
les maisons d'Angrogne remplies de biens, tant des
naturels habitants, que des Réfugiés
des lieux, d'où ils avaient
été chassés par l'ordonnance
de Gaftaldo : mais ils n'y trouvèrent
que peu d'habitants, si ce n'est des femmes, des
enfants, des vieillards, et des malades.
Les ennemis des Vaudois s'étant par cette
trahison et perfidie, rendus Maîtres de
toutes les Vallées, sans excepter les lieux
les plus forts, qui leur auraient servi d'asile et
de forteresse contre leurs persécuteurs,
demeurèrent deux jours sans exercer leur
rage et leur cruauté projetée,
feignant de ne vouloir faire autre chose, que se
rafraîchir deux ou trois jours, selon l'ordre
de leur logement, et cependant ils exhortaient
puissamment ceux qui étaient restés,
de rappeler les fugitifs avec assurance, qu'on ne
leur ferait aucun mal. Il y en eût d'assez
crédules, qui se jetèrent dans les
filets, qu'ils avaient heureusement
évités.
Au troisième jour, qui fût le 24
d'Avril, le signal ayant été
donné sur la colline de la Tour, qu'on
appelé le Castelas, toutes les innocentes
créatures qui se trouvèrent en la
puissance de cette armée de Bourreaux,
furent égorgées, de la manière
la plus cruelle qu'on puisse penser ni imaginer. On
ne les tua pas comme des brebis qu'on tue à
la boucherie, ou comme des ennemis vaincus, qu'on
fait passer au fil de l'épée sans
leur donner aucun quartier, mais d'une
manière bien plus cruelle et plus barbare.
Les enfants furent impitoyablement arrachés
des mamelles de leur mères, et
froissés et écrasés par ces
Bourreaux contre les rochers et les murailles,
où souvent leurs cervelles restaient
plâtrées.
Ou bien un Soldat prenait ces pauvres innocents par
une jambe, et faisait prendre l'autre jambe
à un autre Soldat, et en les tirant chacun
de son côté, les déchiraient
misérablement par le milieu du corps, et se
les jetaient les uns contre les autres, et
même parfois en bâtaient les pauvres
mères, et puis les jetaient à la
Voirie.
Les malades et les Vieillards, tant hommes que
femmes étaient ou brûlés dans
leurs maisons, ou tranchés en pièces,
ou liés tous nus en forme de peloton la
tête entre les jambes, et
précipités par les rochers, ou
roulés par les montagnes.
Les femmes et les filles étaient
violées, après on leur farcissait le
ventre de cailloux, ou on leur remplissait la
bouche et les oreilles de poudre, ensuite on y
mettait le feu, et par cette sorte de mines on leur
faisait sauter la cervelle.
D'autres étaient empalées toutes
vives par la nature, et en cette effroyable
postère (posture ?) dressées
toutes nues sur les grands chemins, comme des
croix. D'autres enfin on leur coupait la
tête, les bras, les jambes et les mamelles,
que ces barbares (Margageas) fricassaient et
mangeaient.
Les hommes qui n'étaient ni vieux ni
malades, qui tombèrent entre les mains de
ces cruels Bourreaux, furent les uns
écorchés vifs, les autres
après qu'on leur avait coupé le * *
*, on leur coupait ensuite la tête, et on
mettait leur membre entre leurs dents. D'autres
enfin furent tranchés tous vifs en
pièces, membre après membre, ni plus
ni moins que la chair de la boucherie. Ceux qui se
signalèrent le plus en cruauté furent
les Irlandais, qui comme nous avons
déjà dit, aidèrent à
massacrer leurs Compatriotes en l'année
1642.
Après cette grande boucherie faite des
Vaudois, les Massacreurs allèrent le
lendemain à la chasse des
réchappés, dont plusieurs
étaient errants dans les bois et dans les
plus hautes montagnes couvertes de neiges, ou
cachés dans les cavernes et trous des
rochers, pour n'avoir pu se sauver, tant à
cause de la quantité de neiges, que de leur
faiblesse, que parce que les ennemis
s'étaient saisis des passages.
Cette armée meurtrière ayant
achevé de massacrer, tout ce qu'elle avait
trouvé de Protestants dans les
Vallées, ou errants dans les bois et dans
les montagnes, ou cachés dans les cavernes
et dans les trous des rochers. Elle mit ensuite le
feu partout, et réduisit en cendres tant les
maisons que les temples sacrés. On ne
réserva que le Bourg et le Temple du Villar,
qui est au centre de la Vallée de Lucerne,
et quelques maisons de la plaine, pour le logement
des Irlandais, auxquels le Duc de Savoie donna ce
pays. On peut voir dans l'Histoire
Générale de Jean Léger, le nom
et le nombre des Massacrés, et la
manière en laquelle ils ont
été massacrés.
Les Vaudois ayant été les uns
cruellement massacrés, les autres faits
prisonniers, et les autres chassés de leur
pays, et leurs ennemis s'étant
entièrement emparés des
Vallées et en étant les
Maîtres, et y ayant établi les
Irlandais, qui étaient en plus grand nombre
que les Vaudois, qui étaient
échappés du Massacre, il n'y avait
point d'apparence, que ces pauvres gens puissent
rentrer dans leur pays et s'y rétablir
jamais. Mais Dieu à qui rien n'est
impossible, prit leur cause en main, toucha le
coeur des Princes et États Protestants, qui
les aidèrent par leurs charitables
subventions, leur donna force et courage, combattit
pour eux, et leur fit avec une poignée des
gens, obtenir des grandes et miraculeuses victoires
sur leurs ennemis, et par ces signalées
victoires et les félicitations des Princes
et États Protestants, ils furent
rétablis dans leurs pays et s'y sont
maintenus jusques en l'année 1686
malgré tous les efforts et artifices de
leurs ennemis.
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