EN l'année 1655. la Duchesse de Savoie et
le Duc son Fils, sollicités, par la Cour de
Rome et par le Conseil de la Propagation, de
détruire les Protestants des Vallées,
et d'y établir en leur place les Irlandais,
qui servaient en Italie dans l'armée du Roi,
et qui avaient été chassés de
leur pays par Cromwel. Il faut remarquer qu'ils
étaient du nombre de ceux, qui avaient
massacré les Protestants d'Irlande en
l'année 1642, et les derniers qui avaient
posé les armes lors des soulèvements
arrivés dans ce Royaume, après la
mort de Charles I.
Pour donner les Vallées aux Irlandais, il
fallait exterminer les Protestants, qui
étaient les vrais et naturels habitants de
ce pays-là, c'est ce qui fût
résolu dans le Conseil de la Propagation, et
puis dans le Conseil du Duc de Savoie, qui
était composé de là plupart de
ceux qui composaient le premier Conseil.
Pour réunir dans leur méchant
dessein, il fallut prendre quelque prétexte.
On ne pouvait pas se servir, de l'affaire de la
maison des Capucins du Villar, que quelques
Protestants poussés par des Papistes avaient
brûlée, cette affaire avait
été accommodée quelques
années auparavant, et les Complices avaient
été punis. On prit donc une autre
voie. On porta le Duc à donner Commission
à Gaftaldo son Conseiller en sa chambre des
Comptes, de chasser tous les Protestants, qui
étaient dans les lieux de Lucerne, de
Lucernette, de St. Jean, de la Tour, de Bubbiane,
de Fenil, de Campligon, de Briqueiras et de Sr.
Second. La Commission fût
expédiée le 13. Janvier 1655 et le 25
du même mois, Gaftaldo donna une ordonnance
portant commandement à tous les Protestants
desdits lieux de les abandonner et de se retirer
avec toutes leurs familles dans trois jours
prochains, depuis la publication, dans les lieux
que son Altesse tolère, qui sont, Bobbi,
Villas, Angrogne, Boras et la contrée de
Bonnets, sous peine de la vie, et de la
confiscation de leurs biens, qui se rencontrent
dans lesdites limites ; si dans vingt jours
ils ne font paraître devant nous, qu'ils se
sont faits Catholiques, ou qu'ils ont vendu leurs
biens à des Catholiques.
Ceux qui donnèrent ce pernicieux conseil au
Duc, savaient bien que les Protestants
étaient établis de tout temps
immémorial, et même devant que les
Ducs de Savoie fussent Princes de Piémont,
dans les lieux qu'on leur commandait d'abandonner,
et que les Prédécesseurs de Charles
Emanuel II. qui avait donné la Commission
à Gaftaldo les avaient maintenus par
diverses Déclarations et Concessions. Mais
ils croyaient que les Vaudois, qui étaient
bien fondés en la possession des lieux,
qu'on leur commandait d'abandonner ,
n'obéiraient point à l'ordonnance
injuste de Gaftaldo, et qu'ainsi on prendrait leur
désobéissance, pour un
prétexte pour les détruire. Ou s'ils
obéissaient et qu'on ne peut pas les
détruire, ou les chasser du reste des
Vallées, les lieux qu'ils abandonneraient
seraient assez suffisants pour y loger les
Irlandais, qui étant de gens aguerris depuis
plusieurs années, tiendraient les Vaudois en
bride, et les empêcheraient de recouvrer le
pays qu'ils abandonneraient.
Bien que les Protestants reconnurent l'injustice de
cette ordonnance, et qu'ils fussent bien
fondés a n'y obéir point,
néanmoins pour ôter tous
prétextes à leurs ennemis, de les
rendre odieux à leur Prince, et les faire
passer pour des Rebelles, ils abandonnèrent
les lieux marqués par l'ordonnance de
Gaftaldo et se retirèrent dans ceux qu'on
leur avait indiqués. Après quoi ils
envoyèrent des Députés au Duc,
qui s'allèrent jeter à ses pieds et
par la très humble requête qu'ils lui
présentèrent, le supplièrent
avec un profond respect de révoquer l'ordre
donné à Gaftaldo, comme contraire
à leurs privilèges et
concessions ; leur Requête fût
sans aucune réponse.
Les Vaudois voyant que leur Prince n'était
point touché de leurs misères, eurent
recours à Madame Royale sa mère,
à laquelle ils présentèrent
une Requête toute pleine de respect et de
soumission. Cette Princesse les renvoya au Conseil
de la Propagation, leurs ennemis jurés et
leurs cruels persécuteurs, et ce Conseil les
renvoya au Marquis de Pianesse, qui
déjà avait reçu ordre de les
aller massacrer, comme l'événement le
fit voir.
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