Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Chapitre X.

Contenant les moyens abominables dont la Duchesse de Savoie, et le conseil de la Propagation se servirent, pour détruire les Vaudois de Piémont.

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APRÈS la mort de Victor Amédée, la Duchesse sa femme fût Régente de l'État, à cause que son Fils Charles Emanuel II était jeune.
La Cour de Rome ayant fait un Conseil de propagande « fide et de extirpandis haerticis », on établit de semblables Conseils dans tous les États des Princes, qui faisaient profession de la Religion Romaine. Celui de Turin fût établi en 1650 qui fut divisé en deux corps, dont l'un était appelé le Conseil des hommes, et l'autre le Conseil des femmes, l'Archevêque était le Président du premier, et la Marquise de Pianesse du second. Les femmes faisaient de grandes quêtes, pour ceux qu'elles appelaient Nouveaux Convertis : et les hommes entretenaient des Espions par toutes les Vallées, pour savoir et connaître les Vaudois qui étaient pauvres, ou qui avaient des procès. Aux pauvres nécessiteux on leur offrait exemption de tailles, et de logement de gens de guerre pour plusieurs années. À ceux qui avaient de procès à la Cour de Turin ou ailleurs, on promettait de le leur faire gagner, pourvu qu'ils se fissent Catholiques Romains. Par ce trafic ils gagnèrent quelques personnes.
Mais le Conseil de la Propagation voyant, que quelques soins que les Moines et eux eussent pris pour porter les Vaudois à embrasser la Religion Romaine, ils n'attiraient dans leur parti, que quelques misérables ou quelques scélérats, ils s'avisèrent d'un stratagème abominable, pour les perdre tous à la fois, en les faisant égorger par l'armée du Roi de France, qui était en Italie, et qui était commandée par le Maréchal de Grancé.


En l'année 1653 le Roi avait assigné à son armée pour ses quartiers d'hiver les Provinces du Dauphiné, de Provence, du Languedoc, et de Bourgogne. Ces Provinces offrirent au Maréchal des sommes considérables pour s'exempter de logements effectifs, il en était d'autant plus content que la Duchesse de Savoie offrait de loger dans ses États l'Armée du Roi, pour une partie de ces sommes. En conséquence de cette offre, le Maréchal fit marcher l'armée vers les Vallées, qui était le lieu que la Duchesse lui avait assigné, pour ses quartiers d'hiver. Cependant bien que le Conseil de la Propagation connu le Traité fait entre la Duchesse et le Maréchal, il ne lassa pas de faire agir les Capucins et quelques Seigneurs des Vallées, et même les Ministres de la Duchesse, pour persuader aux Vaudois, que ce n'était point l'intention de Madame Royale, que les Troupes étrangères logeassent dans ses États, et par leurs discours artificieux. et pleins de malice et de fraude les portèrent à prendre les armes, pour s'opposer à l'armée du Roi, qui était déjà entrée dans la Vallée de Lucerne, et en état de forcer ces pauvres gens par les armes à les recevoir, et qui même menaçait de mettre tout à feu et à sang. Et cela n'aurait point manqué, si un Ministre des Vaudois ne se fût allé jeter aux pieds du Maréchal, et ne lui eût découvert la malice diabolique de leurs ennemis, et prié d'avoir un billet de là Duchesse, avec promesse que dès qu'on verrait ce billet, toutes les Vallées recevraient sans aucune opposition ni résistance son armée.

À quoi le Maréchal donna les mains, et envoya en même temps à Turin, pour avoir le billet, que le Ministre avait demandé, qui lui fût expédié incontinent, et dès que les Vaudois le virent, ils reçurent sans difficulté l'armée. Il faut considérer, que l'armée du Roi était puissante, et composée de troupes aguerries, que le Maréchal était piqué au jeu, à cause qu'il trouvait son compte dans le Traité, qu'il avait fait avec Madame Royale, par les grandes sommes qu'il recevrait des Provinces, qui lui étaient assignées, et que les Vaudois qui étaient en armes, avaient laissé entrer l'armée dans la Vallée de Lucerne sans s'y être opposés, et qu'ils ne s'étaient point préparés, pour une longue défense, ni n'avaient point pensé à se retrancher dans les lieux, qui leur pouvaient servir d'asile. Et ainsi il n'y a point de doute, que la plupart n'eussent succombé aux attaques de cette armée, et que les Français y entrant par force, et avec perte de quelques Officiers, ce qui ne pouvait arriver autrement, il est certain qu'ils auraient fait passer au fil de l'épée, tout ce qu'ils auraient rencontré de Vaudois, sans épargner âge ni sexe. Mais Dieu se servit du zèle et de la prudence de ce Ministre, pour dissiper le malheureux complot de leurs ennemis.

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