APRÈS la mort de Victor
Amédée, la Duchesse sa femme
fût Régente de l'État, à
cause que son Fils Charles Emanuel II était
jeune.
La Cour de Rome ayant fait un Conseil de propagande
« fide et de extirpandis
haerticis », on établit de
semblables Conseils dans tous les États des
Princes, qui faisaient profession de la Religion
Romaine. Celui de Turin fût établi en
1650 qui fut divisé en deux corps, dont l'un
était appelé le Conseil des hommes,
et l'autre le Conseil des femmes,
l'Archevêque était le Président
du premier, et la Marquise de Pianesse du second.
Les femmes faisaient de grandes quêtes, pour
ceux qu'elles appelaient Nouveaux Convertis :
et les hommes entretenaient des Espions par toutes
les Vallées, pour savoir et connaître
les Vaudois qui étaient pauvres, ou qui
avaient des procès. Aux pauvres
nécessiteux on leur offrait exemption de
tailles, et de logement de gens de guerre pour
plusieurs années. À ceux qui avaient
de procès à la Cour de Turin ou
ailleurs, on promettait de le leur faire gagner,
pourvu qu'ils se fissent Catholiques Romains. Par
ce trafic ils gagnèrent quelques
personnes.
Mais le Conseil de la Propagation voyant, que
quelques soins que les Moines et eux eussent pris
pour porter les Vaudois à embrasser la
Religion Romaine, ils n'attiraient dans leur parti,
que quelques misérables ou quelques
scélérats, ils s'avisèrent
d'un stratagème abominable, pour les perdre
tous à la fois, en les faisant
égorger par l'armée du Roi de France,
qui était en Italie, et qui était
commandée par le Maréchal de
Grancé.
En l'année 1653 le Roi avait assigné
à son armée pour ses quartiers
d'hiver les Provinces du Dauphiné, de
Provence, du Languedoc, et de Bourgogne. Ces
Provinces offrirent au Maréchal des sommes
considérables pour s'exempter de logements
effectifs, il en était d'autant plus content
que la Duchesse de Savoie offrait de loger dans ses
États l'Armée du Roi, pour une partie
de ces sommes. En conséquence de cette
offre, le Maréchal fit marcher
l'armée vers les Vallées, qui
était le lieu que la Duchesse lui avait
assigné, pour ses quartiers d'hiver.
Cependant bien que le Conseil de la Propagation
connu le Traité fait entre la Duchesse et le
Maréchal, il ne lassa pas de faire agir les
Capucins et quelques Seigneurs des Vallées,
et même les Ministres de la Duchesse, pour
persuader aux Vaudois, que ce n'était point
l'intention de Madame Royale, que les Troupes
étrangères logeassent dans ses
États, et par leurs discours artificieux. et
pleins de malice et de fraude les portèrent
à prendre les armes, pour s'opposer à
l'armée du Roi, qui était
déjà entrée dans la
Vallée de Lucerne, et en état de
forcer ces pauvres gens par les armes à les
recevoir, et qui même menaçait de
mettre tout à feu et à sang. Et cela
n'aurait point manqué, si un Ministre des
Vaudois ne se fût allé jeter aux pieds
du Maréchal, et ne lui eût
découvert la malice diabolique de leurs
ennemis, et prié d'avoir un billet de
là Duchesse, avec promesse que dès
qu'on verrait ce billet, toutes les Vallées
recevraient sans aucune opposition ni
résistance son armée.
À quoi le Maréchal donna les mains,
et envoya en même temps à Turin, pour
avoir le billet, que le Ministre avait
demandé, qui lui fût
expédié incontinent, et dès
que les Vaudois le virent, ils reçurent sans
difficulté l'armée. Il faut
considérer, que l'armée du Roi
était puissante, et composée de
troupes aguerries, que le Maréchal
était piqué au jeu, à cause
qu'il trouvait son compte dans le Traité,
qu'il avait fait avec Madame Royale, par les
grandes sommes qu'il recevrait des Provinces, qui
lui étaient assignées, et que les
Vaudois qui étaient en armes, avaient
laissé entrer l'armée dans la
Vallée de Lucerne sans s'y être
opposés, et qu'ils ne s'étaient point
préparés, pour une longue
défense, ni n'avaient point pensé
à se retrancher dans les lieux, qui leur
pouvaient servir d'asile. Et ainsi il n'y a point
de doute, que la plupart n'eussent succombé
aux attaques de cette armée, et que les
Français y entrant par force, et avec perte
de quelques Officiers, ce qui ne pouvait arriver
autrement, il est certain qu'ils auraient fait
passer au fil de l'épée, tout ce
qu'ils auraient rencontré de Vaudois, sans
épargner âge ni sexe. Mais Dieu se
servit du zèle et de la prudence de ce
Ministre, pour dissiper le malheureux complot de
leurs ennemis.
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