MANUEL Philibert Duc de Savoie et Successeur de
Charles, ayant recouvré ses États par
la paix générale de l'année
1559. fût poussé par les Moines de
Pignerol à condamner les Vaudois à
être brûlés, et leurs biens
confisqués et donnés pour
récompense aux instruments de leur
ruine.
Ces pauvres gens se voyant derechef à la
veille d'une désolation entière,
après leur recours à celui qui tient
le coeur des Rois en la main, par prières,
jeûnes et humiliations extraordinaires,
s'allèrent jeter aux pieds du Duc de Savoie
leur Prince, et lui présentèrent une
très humble requête tendant à
ce, qu'il les laissât vivre dans le libre
exercice de leur Religion, ils en
présentèrent une autre aux
mêmes fins à la Duchesse sa femme, qui
avait beaucoup de connaissance de la
vérité, et qui témoignait
avoir une grande tendresse pour eux.
Mais tout cela inutilement. Le Pape et le Roi des
Espagnes, auxquels le Duc de Savoie avait des
grandes obligations, à cause qu'ils avaient
beaucoup contribué à le
rétablir dans ses États,
sollicitèrent puissamment ce Prince à
détruire les Vaudois, qui contre ses
intérêts se laissa aisément
persuader au désir des Moines, qui le
sollicitaient incessamment à leur faire la
guerre.
Pendant qu'ils tâchaient d'adoucir leur
Prince, et de détourner par leurs humbles
requêtes, l'orage qui les menaçait,
les Soldats des Villes circonvoisines surprirent le
Bourg de St. Germain à la faveur de la nuit.
Les Protestants de ce lieu dans un tel effroi, ne
pensèrent qu'à sauver leurs
personnes, la plupart se jetèrent même
en chemise dans la montagne voisine, à la
réserve de 25 (d'entre eux) qui se trouvant
en des maisons plus écartées,
étaient par conséquent plus
éloignés de cette retraite. Ceux-ci
voyant qu'il n'était plus temps de fuir,
là résolurent à vendre
chèrement leur vie, et s'étant
jetés à genoux et fait une courte,
mais ardente prière à Dieu, à
la vue de leurs ennemis, les allèrent
attaquer avec tant de courage et de
résolution, qu'ils les mirent tous en fuite,
il y en eût plusieurs qui furent tués
sur le champ, la frayeur de Dieu étant
tombée sur les fuyards, un grand nombre se
précipita dans la rivière de Clusonet
y périt misérablement.
Le Duc de Savoie assisté du Pape, de
l'Espagne, et de la France, dressa une puissante
armée contre les Vaudois, et en donna la
conduite au Comte de la Trinité, qui voyant
ce pauvre Peuple affaibli et ébranlé
par tant de secousses, de combats, et de
persécutions qu'il avait souffert, et
souffrait depuis longtemps, crut venir à
bout du pernicieux dessein qu'on avait
formé, d'extirper entièrement les
Vaudois. Il eût recours aux ruses et aux
finesses, avant que d'employer la force. En effet
il envoya chercher les Conducteurs des
Églises. Il les exhorta à mettre bas
les armes. Et à congédier leurs
Pasteurs, et pour les y porter, il leur
représenta d'un côté, le
malheur dans lequel ils allaient tomber, s'ils ne
se soumettaient à la volonté du
Prince, vu les grandes forces qu'il avait en main,
pour les y contraindre, auxquelles ils ne pouvaient
résister. Que le Pape, le Roi d'Espagne, et
le Roi de France avaient engagé le Duc dans
cette guerre, et lui prêtaient leurs troupes.
Que la paix générale étant
faite, tous ces Princes emploieraient toutes leurs
forces pour les détruire, s'ils
n'obéissaient.
D'autre côté il leur fit de belles et
avantageuses promesses, leur faisant espérer
qu'en se soumettant à la volonté de
leur Prince, il leur donnerait la paix, et les
laisserait vivre en liberté. Plusieurs
furent ébranlés et intimidés
par le discours trompeur de ce Seigneur : qui
les voyant divisés, les uns voulant se
soumettre, pour conserver leurs biens et leur vie,
à la volonté du Prince, et les autres
étant d'un sentiment différent,
à cause des suites fâcheuses, qu'ils
prévoyaient, que cette soumission aveugle
aurait. Dans cet état il prit son temps, il
leur dressa des embûches en divers lieux, et
après les avoir surpris en plusieurs
endroits, il en fit une grande boucherie, sans
rencontrer aucune résistance,
exerçant toute sorte de cruautés
contre d'innocentes brebis, qui s'étaient
fiées à sa parole.
Cette barbare trahison, jeta d'abord ce pauvre
peuple dans une consternation inconcevable, mais
trois cents des Réchappés du
massacre, s'étant rassemblés à
la faveur de la nuit, et fortifiés peu
à peu de leurs Confrères, qui
s'étaient défiés des promesses
du Comte, s'étaient sauvés dans les
montagnes, pour ne pas tomber entre ses mains. Avec
cette petite troupe de Vaudois, Dieu fit de si
grandes merveilles, qu'on aurait peine à les
croire aujourd'hui, si ce que nous avons vu que
leurs Successeurs ont fait, ces guerres de 1655 de
1663 et 1664 et l'année dernière,
lors que sept ou 800 Vaudois ont traversé la
Savoie, qui était toute en armes, ont
forcé divers passages, gardés par des
troupes réglées de France et de
Savoie, sont entrés malgré leurs
ennemis dans leurs pays, y ont soutenu quinze ou
seize combats, ne nous persuadaient que Dieu
était avec ce Peuple, combattait pour eux et
avec eux, sans quoi il était impossible
qu'ils eussent fait tant de si merveilleux et si
extraordinaires exploits.
Le jour suivant de la trahison, le Comte de la
Trinité occupa son armée, depuis le
matin jusqu'au soir, à faire le
dégât dans tous les lieux de la
Vallée de Lucerne, dont il s'était
rendu Maître. Après quoi il marcha
avec sept ou huit mille hommes choisis, jusques au
haut d'Angrogne, vers le lieu qu'on appelle le
pré du Tour, ou la plupart des familles de
ces pauvres Vaudois s'étaient
retirées, comme à leur plus fort
asile qu'elles pussent choisir dans toute la
Vallée de Lucerne. Il attaqua ce lieu par
trois divers endroits, et ne leur donna jamais
aucun relâche l'espace de quatre jours
entiers ; un assaut n'était pas
plutôt repoussé, qu'il en faisait
donner un autre par de nouvelles troupes, sans
pouvoir emporter aucun avantage. Dans ces assauts
il y perdit deux Colonels, huit Capitaines et 7
à 800 Soldats.
Le cinquième jour il voulut encore
s'opiniâtrer, à se rendre Maître
de ce poste, pour cet effet, il se servit des
troupes Espagnoles qui étaient toutes
fraîches, et qui n'avaient point encore
combattu, pour faire l'attaque. Les Soldats
Espagnols voient qu'ils n'avançaient rien,
et qu'ils tombaient comme la pluie, se
mutinèrent contre les Officiers, qui
voulaient qu'on continuât les attaques. Les
Vaudois ayant aperçu la confusion où
étaient leurs ennemis, se jetèrent
sur eux avec tant de courage, et si à
propos, qu'ils mirent toute l'armée en
déroute, et il y eût une si grande
épouvante, que plusieurs de frayeur se
précipitèrent par les rochers ou dans
la rivière d'Angrogne, et se noyèrent
dans des gouffres, ils poursuivirent leurs ennemis
jusqu'au bas d'Angrogne l'espace de deux lieues, et
en tuèrent un fort grand nombre.
Pour montrer que la France aidait le Duc de Savoie,
en la guerre
qu'il avait alors contre les Vaudois, D'Aubigni
rapporte dans son Histoire Universelle, que ce
Prince ayant prié le Roi de France, de lui
prêter Mr. De Maugiron avec dix compagnies de
gens de pied, et Mr. de la Motte Gondrin avec
d'autres troupes, toutes composées de
Soldats choisis et bien expérimentés,
cela lui fut accordé, et les troupes furent
jointes à l'armée commandée
par le Comte de la Trinité. Les Vaudois
à la vue de cette armée
renforcée des troupes de France, se confiant
au secours du ciel, allèrent forcer la
Forteresse du Bourg de Villar, au coeur de la
Vallée de Lucerne, que le Duc avait fait
depuis peu construire, et cela pour couper le
passage à leurs ennemis.
Le Comte de la Trinité fortifié des
troupes de France et de nouvelles troupes du Duc,
entreprit par diverses fois de les attaquer :
mais dans tous les combats qu'il livrait aux
Vaudois, il y faisait toujours des notables pertes,
quelquefois il perdait jusques à 900 hommes,
lors que les Vaudois n'en perdaient pas 15 des
leurs. L'Armée du Duc s'étant
extrêmement affaiblie, tant par les
continuelles pertes, qu'elle faisait tous les jours
dans les combats, que par les désertions des
Soldats, qui voyant qu'ils ne gagnaient que des
coups en cette guerre, désertaient sans
cesse. Le Duc sollicité par la Duchesse sa
femme, qui comme nous avons dit, avait connaissance
de la vérité, et beaucoup de tendresse pour les Vaudois, leur donna la
paix,
avec l'exercice libre de leur Religion, par ses
Lettres Patentes données à Cavor le 5
Juin 1561, leurs biens leur furent rendus, les
Prisonniers relâchés, et ceux qui
avaient été conduits en galère
(pour leur Religion) délivrés. On les
rétablit aussi dans tous leurs Droits,
Libertés et Privilèges.
En 1555. quatre ans après cet Édit,
on publia à l'instance du Pape, un nouvel
ordre par toutes les Vallées. Que tous les
Sujets du Duc de Savoie, qui dans dix jours
après la publication dudit ordre, n'auraient
déclaré devant leur Magistrat, qu'ils
promettaient d'aller à la messe, eussent
à sortir de tous les États du Duc
dans les deux mois. Et en même temps les
Magistrats reçurent un commandement
exprès, de faire une liste exacte de tous
ceux, qui n'obéissaient point à cet
ordre, et de l'envoyer incessamment à son
Altesse.
Cette nouvelle vexation fût fort sensible aux
Princes Protestants d'Allemagne, qui par leurs
lettres se plaignirent au Duc du mauvais traitement
qu'on faisait aux Vaudois, au préjudice et
contre la teneur de sa Patente, et le
prièrent de remédier à ce
qu'à l'avenir, ils jouissent de l'effet de
sa concession. Même le Prince Palatin lui
envoya un de ses principaux Conseillers en
Ambassade, pour procurer la paix à ces
pauvres affligés.
Marguerite de France femme du Duc, qui était
une pieuse et vertueuse Princesse, et qui avait des
tendresses pour les Vaudois, adoucissait autant
qu'elle pouvait l'esprit de son mari, lorsque par
des faux rapports, les ennemis de la
vérité l'avaient irrité contre
eux.
Le jour de la St. Barthélémi de
l'année 1572. On fit un cruel massacre des
Protestants à Paris, et en divers autres
lieux du Royaume de France. Castrocaro Gouverneur
des Vallées, menaçait d'en faire
autant aux Vaudois de Piémont. Le Duc de
Savoie soit qu'il n'approuvât pas la cruelle
boucherie, qu'on avait fait des Protestants en
France, ou que poussé par les continuelles
sollicitations de la Duchesse son Épouse,
qui portait autant qu'elle pouvait l'esprit du Duc
à la douceur et à la clémence
envers les Vaudois, fit savoir à tous ses
Sujets des Vallées, qui pour crainte du
Gouverneur les avaient abandonnées, qu'ils
eussent à venir librement chez eux, qu'ils
n'eussent rien à craindre ni
appréhender, qu'il ne leur ferait fait aucun
tort. Il leur donna aussi ordre de recevoir leurs
Frères de France, les assurant qu'ils y
seraient en toute sûreté. Il leur tint
la parole qu'il leur avait donnée ; car
jusques à sa mort qui arriva le 13
Août 1580, ils eurent du relâche et
jouirent de quelque repos.
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