Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Chapitre VIII.

Contenant la quatrième guerre contre les Vaudois de Piémont, par Emanuel Philibert Duc de Savoie, après la paix générale de 1559.

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MANUEL Philibert Duc de Savoie et Successeur de Charles, ayant recouvré ses États par la paix générale de l'année 1559. fût poussé par les Moines de Pignerol à condamner les Vaudois à être brûlés, et leurs biens confisqués et donnés pour récompense aux instruments de leur ruine.

Ces pauvres gens se voyant derechef à la veille d'une désolation entière, après leur recours à celui qui tient le coeur des Rois en la main, par prières, jeûnes et humiliations extraordinaires, s'allèrent jeter aux pieds du Duc de Savoie leur Prince, et lui présentèrent une très humble requête tendant à ce, qu'il les laissât vivre dans le libre exercice de leur Religion, ils en présentèrent une autre aux mêmes fins à la Duchesse sa femme, qui avait beaucoup de connaissance de la vérité, et qui témoignait avoir une grande tendresse pour eux.
Mais tout cela inutilement. Le Pape et le Roi des Espagnes, auxquels le Duc de Savoie avait des grandes obligations, à cause qu'ils avaient beaucoup contribué à le rétablir dans ses États, sollicitèrent puissamment ce Prince à détruire les Vaudois, qui contre ses intérêts se laissa aisément persuader au désir des Moines, qui le sollicitaient incessamment à leur faire la guerre.

Pendant qu'ils tâchaient d'adoucir leur Prince, et de détourner par leurs humbles requêtes, l'orage qui les menaçait, les Soldats des Villes circonvoisines surprirent le Bourg de St. Germain à la faveur de la nuit. Les Protestants de ce lieu dans un tel effroi, ne pensèrent qu'à sauver leurs personnes, la plupart se jetèrent même en chemise dans la montagne voisine, à la réserve de 25 (d'entre eux) qui se trouvant en des maisons plus écartées, étaient par conséquent plus éloignés de cette retraite. Ceux-ci voyant qu'il n'était plus temps de fuir, là résolurent à vendre chèrement leur vie, et s'étant jetés à genoux et fait une courte, mais ardente prière à Dieu, à la vue de leurs ennemis, les allèrent attaquer avec tant de courage et de résolution, qu'ils les mirent tous en fuite, il y en eût plusieurs qui furent tués sur le champ, la frayeur de Dieu étant tombée sur les fuyards, un grand nombre se précipita dans la rivière de Clusonet y périt misérablement.

Le Duc de Savoie assisté du Pape, de l'Espagne, et de la France, dressa une puissante armée contre les Vaudois, et en donna la conduite au Comte de la Trinité, qui voyant ce pauvre Peuple affaibli et ébranlé par tant de secousses, de combats, et de persécutions qu'il avait souffert, et souffrait depuis longtemps, crut venir à bout du pernicieux dessein qu'on avait formé, d'extirper entièrement les Vaudois. Il eût recours aux ruses et aux finesses, avant que d'employer la force. En effet il envoya chercher les Conducteurs des Églises. Il les exhorta à mettre bas les armes. Et à congédier leurs Pasteurs, et pour les y porter, il leur représenta d'un côté, le malheur dans lequel ils allaient tomber, s'ils ne se soumettaient à la volonté du Prince, vu les grandes forces qu'il avait en main, pour les y contraindre, auxquelles ils ne pouvaient résister. Que le Pape, le Roi d'Espagne, et le Roi de France avaient engagé le Duc dans cette guerre, et lui prêtaient leurs troupes. Que la paix générale étant faite, tous ces Princes emploieraient toutes leurs forces pour les détruire, s'ils n'obéissaient.

D'autre côté il leur fit de belles et avantageuses promesses, leur faisant espérer qu'en se soumettant à la volonté de leur Prince, il leur donnerait la paix, et les laisserait vivre en liberté. Plusieurs furent ébranlés et intimidés par le discours trompeur de ce Seigneur : qui les voyant divisés, les uns voulant se soumettre, pour conserver leurs biens et leur vie, à la volonté du Prince, et les autres étant d'un sentiment différent, à cause des suites fâcheuses, qu'ils prévoyaient, que cette soumission aveugle aurait. Dans cet état il prit son temps, il leur dressa des embûches en divers lieux, et après les avoir surpris en plusieurs endroits, il en fit une grande boucherie, sans rencontrer aucune résistance, exerçant toute sorte de cruautés contre d'innocentes brebis, qui s'étaient fiées à sa parole.
Cette barbare trahison, jeta d'abord ce pauvre peuple dans une consternation inconcevable, mais trois cents des Réchappés du massacre, s'étant rassemblés à la faveur de la nuit, et fortifiés peu à peu de leurs Confrères, qui s'étaient défiés des promesses du Comte, s'étaient sauvés dans les montagnes, pour ne pas tomber entre ses mains. Avec cette petite troupe de Vaudois, Dieu fit de si grandes merveilles, qu'on aurait peine à les croire aujourd'hui, si ce que nous avons vu que leurs Successeurs ont fait, ces guerres de 1655 de 1663 et 1664 et l'année dernière, lors que sept ou 800 Vaudois ont traversé la Savoie, qui était toute en armes, ont forcé divers passages, gardés par des troupes réglées de France et de Savoie, sont entrés malgré leurs ennemis dans leurs pays, y ont soutenu quinze ou seize combats, ne nous persuadaient que Dieu était avec ce Peuple, combattait pour eux et avec eux, sans quoi il était impossible qu'ils eussent fait tant de si merveilleux et si extraordinaires exploits.

Le jour suivant de la trahison, le Comte de la Trinité occupa son armée, depuis le matin jusqu'au soir, à faire le dégât dans tous les lieux de la Vallée de Lucerne, dont il s'était rendu Maître. Après quoi il marcha avec sept ou huit mille hommes choisis, jusques au haut d'Angrogne, vers le lieu qu'on appelle le pré du Tour, ou la plupart des familles de ces pauvres Vaudois s'étaient retirées, comme à leur plus fort asile qu'elles pussent choisir dans toute la Vallée de Lucerne. Il attaqua ce lieu par trois divers endroits, et ne leur donna jamais aucun relâche l'espace de quatre jours entiers ; un assaut n'était pas plutôt repoussé, qu'il en faisait donner un autre par de nouvelles troupes, sans pouvoir emporter aucun avantage. Dans ces assauts il y perdit deux Colonels, huit Capitaines et 7 à 800 Soldats.

Le cinquième jour il voulut encore s'opiniâtrer, à se rendre Maître de ce poste, pour cet effet, il se servit des troupes Espagnoles qui étaient toutes fraîches, et qui n'avaient point encore combattu, pour faire l'attaque. Les Soldats Espagnols voient qu'ils n'avançaient rien, et qu'ils tombaient comme la pluie, se mutinèrent contre les Officiers, qui voulaient qu'on continuât les attaques. Les Vaudois ayant aperçu la confusion où étaient leurs ennemis, se jetèrent sur eux avec tant de courage, et si à propos, qu'ils mirent toute l'armée en déroute, et il y eût une si grande épouvante, que plusieurs de frayeur se précipitèrent par les rochers ou dans la rivière d'Angrogne, et se noyèrent dans des gouffres, ils poursuivirent leurs ennemis jusqu'au bas d'Angrogne l'espace de deux lieues, et en tuèrent un fort grand nombre.

Pour montrer que la France aidait le Duc de Savoie, en la guerre
qu'il avait alors contre les Vaudois, D'Aubigni rapporte dans son Histoire Universelle, que ce Prince ayant prié le Roi de France, de lui prêter Mr. De Maugiron avec dix compagnies de gens de pied, et Mr. de la Motte Gondrin avec d'autres troupes, toutes composées de Soldats choisis et bien expérimentés, cela lui fut accordé, et les troupes furent jointes à l'armée commandée par le Comte de la Trinité. Les Vaudois à la vue de cette armée renforcée des troupes de France, se confiant au secours du ciel, allèrent forcer la Forteresse du Bourg de Villar, au coeur de la Vallée de Lucerne, que le Duc avait fait depuis peu construire, et cela pour couper le passage à leurs ennemis.

Le Comte de la Trinité fortifié des troupes de France et de nouvelles troupes du Duc, entreprit par diverses fois de les attaquer : mais dans tous les combats qu'il livrait aux Vaudois, il y faisait toujours des notables pertes, quelquefois il perdait jusques à 900 hommes, lors que les Vaudois n'en perdaient pas 15 des leurs. L'Armée du Duc s'étant extrêmement affaiblie, tant par les continuelles pertes, qu'elle faisait tous les jours dans les combats, que par les désertions des Soldats, qui voyant qu'ils ne gagnaient que des coups en cette guerre, désertaient sans cesse. Le Duc sollicité par la Duchesse sa femme, qui comme nous avons dit, avait connaissance de la vérité, et beaucoup de tendresse pour les Vaudois, leur donna la paix, avec l'exercice libre de leur Religion, par ses Lettres Patentes données à Cavor le 5 Juin 1561, leurs biens leur furent rendus, les Prisonniers relâchés, et ceux qui avaient été conduits en galère (pour leur Religion) délivrés. On les rétablit aussi dans tous leurs Droits, Libertés et Privilèges.

En 1555. quatre ans après cet Édit, on publia à l'instance du Pape, un nouvel ordre par toutes les Vallées. Que tous les Sujets du Duc de Savoie, qui dans dix jours après la publication dudit ordre, n'auraient déclaré devant leur Magistrat, qu'ils promettaient d'aller à la messe, eussent à sortir de tous les États du Duc dans les deux mois. Et en même temps les Magistrats reçurent un commandement exprès, de faire une liste exacte de tous ceux, qui n'obéissaient point à cet ordre, et de l'envoyer incessamment à son Altesse.

Cette nouvelle vexation fût fort sensible aux Princes Protestants d'Allemagne, qui par leurs lettres se plaignirent au Duc du mauvais traitement qu'on faisait aux Vaudois, au préjudice et contre la teneur de sa Patente, et le prièrent de remédier à ce qu'à l'avenir, ils jouissent de l'effet de sa concession. Même le Prince Palatin lui envoya un de ses principaux Conseillers en Ambassade, pour procurer la paix à ces pauvres affligés.
Marguerite de France femme du Duc, qui était une pieuse et vertueuse Princesse, et qui avait des tendresses pour les Vaudois, adoucissait autant qu'elle pouvait l'esprit de son mari, lorsque par des faux rapports, les ennemis de la vérité l'avaient irrité contre eux.

Le jour de la St. Barthélémi de l'année 1572. On fit un cruel massacre des Protestants à Paris, et en divers autres lieux du Royaume de France. Castrocaro Gouverneur des Vallées, menaçait d'en faire autant aux Vaudois de Piémont. Le Duc de Savoie soit qu'il n'approuvât pas la cruelle boucherie, qu'on avait fait des Protestants en France, ou que poussé par les continuelles sollicitations de la Duchesse son Épouse, qui portait autant qu'elle pouvait l'esprit du Duc à la douceur et à la clémence envers les Vaudois, fit savoir à tous ses Sujets des Vallées, qui pour crainte du Gouverneur les avaient abandonnées, qu'ils eussent à venir librement chez eux, qu'ils n'eussent rien à craindre ni appréhender, qu'il ne leur ferait fait aucun tort. Il leur donna aussi ordre de recevoir leurs Frères de France, les assurant qu'ils y seraient en toute sûreté. Il leur tint la parole qu'il leur avait donnée ; car jusques à sa mort qui arriva le 13 Août 1580, ils eurent du relâche et jouirent de quelque repos.

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