Ils sont nombreux ceux qui pourraient
faire revivre cette période de la vie
d'Henri-A. Junod. il parcourut toutes les
Églises de la Suisse romande avec sa
guitare ; le charme de sa parole et de sa voix
sut capter l'intérêt de beaucoup
d'indifférents. Il avait assimilé
plusieurs chants des Ba-Ronga et on pouvait
entendre beaucoup de ses auditeurs fredonnant les
mélodies qu'il avait su leur
inculquer : « Les cailloux sont bien
durs à casser... Au pays de
l'étranger... » etc., etc. Il
commença à interpréter
l'âme indigène avec cette
compétence qui fit de lui un des
ethnographes les plus en vue, l'auteur du livre que
chacun aujourd'hui consulte sur « La vie
d'une tribu sud-africaine. » Il joignait
à un respect entier des faits, que lui avait
donné sa culture scientifique, une intuition
artistique qui manque à beaucoup de
savants.
Ce fut une période
d'activité littéraire
considérable. La « Grammaire
Ronga » paraissait en 1896, volume de 300
pages, précédé d'une
introduction ethnographique et suivi de quelques
contes ronga avec leur traduction
française... « Nos Églises,
dit le Bulletin, ont une grande dette de
reconnaissance envers M. Junod qui, grâce
à un travail opiniâtre, est
arrivé à rédiger ce volume
pendant la période troublée de la
guerre. »
En 1897 apparaissait un charmant volume
intitulé : « Les Chants et
les Contes des Ba-Ronga » contenant
plusieurs observations sur le clan des Ba-Ronga,
sur les instruments de musique et le système
musical, sur les différents chants de la
tribu ; puis un ensemble de contes, folklore
animalier, la sagesse des petits, les contes
d'ogres, les contes moraux et les contes
étrangers.
La traduction de la Bible fut aussi
poursuivie, et c'est en partie pour ce travail
spécial que le séjour d'Henri Junod dans la patrie
fut
prolongé jusqu'au printemps de 1899. Le 20
avril 1897 naissait Henri-Philippe Junod, à
Collégiale 10, dans cette chambre
appelée par la famille la chambre du
prophète, et qui est devenue aujourd'hui
l'atelier d'un peintre de talent...
En 1898 paraissait, à l'imprimerie Paul
Attinger, un fort volume intitulé
« Les Ba-Ronga », étude
ethnographique sur les indigènes de la Baie
de Delagoa : moeurs, droit coutumier, vie
nationale, industrie, traditions, superstitions et
religion. Il s'agissait d'un travail de grande
envergure, où les dons exceptionnels d'Henri
Junod sont évidents. La conclusion de
l'ouvrage fut critiquée de divers
côtés. En effet, Henri Junod analysait
des faits et arrivait à poser certains
principes sur la différence des races. Il
montrait qu'il existe des inégalités
de fait dont il faut tenir compte. Nous y
reviendrons quand nous arriverons à son
grand ouvrage : « La vie d'une tribu
sud-africaine". Pour le moment il nous suffira de
constater que le fondement de l'activité
essentielle d'Henri-A. Junod était
établi. Il s'était imposé au
monde savant, et, dès lors, son
activité scientifique se poursuivit sans
discontinuer jusqu'au bout. Il était en
relation avec des savants du monde entier,
entomologues, zoologues, botanistes, ethnologues et
psychologues. Mais on pouvait déjà
voir qu'à la base de cette activité
scientifique il y avait quelque chose de plus
grand, un principe directeur, qui ne faussait en
rien l'observation exacte, mais qui lui donnait un
sens, une inspiration. Déjà on
pouvait discerner ce qui fit de cette vie une vie
exceptionnelle : un équilibre complet
des dons de l'intelligence et des dons du
coeur.
En octobre 1898, le Conseil de la
Mission décide la fondation d'une
école d'évangélistes à
Shilouvane, et nomme Henri-A. Junod son directeur.
Son nouveau départ est fixé au
printemps 1899. Il s'embarque avec sa femme et leur
petit garçon le 8 avril 1899 sur le
« Tintagel Castle », et ils ont
la joie d'être reçus à
Lourenço Marques, comme dix ans auparavant,
par leurs frère et soeur Berthoud.
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