Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

V

NUITS DE VEILLE

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 Dans une salle de l'hôpital, une jeune garde veillait au chevet d'un malade. Elisabeth aimait sa nouvelle vocation. Pourtant la séparation lui avait été pénible : les larmes des enfants, le chagrin de l'aïeule lui étaient allés au coeur, mais elle ne regrettait nullement la vie délicieuse et facile qu'elle avait quittée pour jamais. À l'hôpital, elle couchait à la dure, remplissait des devoirs pénibles, se sentait en communion avec la grande souffrance universelle. Pour une nature comme la sienne, c'était tout juste ce qu'il fallait.

Le malade qu'elle assistait, un jeune phtisique, avait eu la veille une grave hémoptysie. Les médecins désespéraient de le sauver. C'était un catholique. Le docteur de Candaux, homme aux idées larges, lui avait envoyé un prêtre pour le confesser et lui administrer l'extrême-onction. Le mourant avait les mains jointes et son visage souffrant portait, malgré tout, l'empreinte de la paix. Elisabeth se pencha pour essuyer la sueur qui lui baignait le front. En se relevant, ses yeux tombèrent sur un petit calendrier accroché à la muraille. Elle y lut la date inoubliable du 14 août.

Ce chiffre, qui lui rappelait la fin de la guerre camisarde, le naufrage de chères espérances, la fit tressaillir. Et tandis qu'à cent lieues de là, cette même nuit, Claude, étendu dans la cale de la galère, pensait à elle avec intensité, Elisabeth aussi s'abîmait dans ses souvenirs. Elle songea d'abord à Mlle de Cornelli. Qu'était devenue la châtelaine de Castelnau ? Vivait-elle encore ? Avait-elle cherché dans un autre amour l'oubli de sa peine ? Ou bien, s'enfermant, inconsolable, dans son manoir, pleurait-elle encore le chef camisard qu'elle avait si passionnément aimé ?
La ballade du troubadour vint chanter aux oreilles de la jeune infirmière, sa mélopée douce et cruelle :

En son castel, la châtelaine
Rêve et module un chant d'amour...
Il dort sur la plage lointaine,
Il dort, le pauvre troubadour

Puis toutes les réminiscences de sa visite à la galère se réveillèrent dans sa mémoire avec une étrange netteté. Elle revit les bannières fleurdelysées, les banderoles flottant au vent, les rames énormes, au creux des larges sillons d'écume soulevant des étincelles qui retombaient en gerbes dans la mer. Elle revit le visage brun de Claude, elle sentit le regard intense qui silencieusement avait cherché le sien... Le drame de cette jeune vie offerte à Dieu, sacrifiée au devoir, lui apparut dans sa poignante beauté. Puis il lui sembla voir sa place vide. En imagination, elle le contempla immobile, les bras croisés sur sa poitrine, au bord du coursier, elle vit les argousins sans bruit le soulever et le descendre dans la mer... Après tant de souffrance et de fatigue, il devait être doux de dormir ainsi, paisible, bercé par les flots de la grande mer...

Elisabeth, autrefois, avait trouvé dans la musique une expression aux sentiments trop violents qui lui bouleversaient le coeur. Cette nuit-là, ce soulagement lui était refusé. Mais le bouillonnement intérieur de son âme se fraya une autre issue. Sa fibre poétique, touchée soudain par une main mystérieuse, après des années de silence, se remit à vibrer. Ses pensées, peu à peu, prirent le rythme et la cadence des vers. Sans effort, des strophes se composèrent l'une après l'autre ; elle n'eut que la peine de prendre un crayon, une feuille blanche, et de les y fixer. Quand la dernière fut inscrite, elle relut, fit quelques corrections. Cette poésie, à laquelle elle donna pour titre : « Sur la galère », elle l'enfermerait dans sa cassette avec les précieuses lettres qui s'y trouvaient déjà. C'était tout le drame intime et profond de leurs deux vies, qui, dans ces quelques strophes, se trouvait résumé. Aucun regard humain, pas même celui de Jeanne ou de Mme Paysac, ne les lirait jamais !

Vers cinq heures du matin, le malade expira. Elisabeth fut toute seule pour s'occuper de sa dernière toilette. Ces soins, les premiers temps, lui avaient été extrêmement pénibles. Mais graduellement elle s'y était accoutumée. Comme elle se retirait dans sa chambre pour y chercher un peu de repos, l'une de ses compagnes, Mlle Tissot, vint lui apporter un magnifique bouquet de fleurs de serre. C'était un témoignage de gratitude d'un malade qu'elle avait soigné. Ce parfum d'affection et de reconnaissance, la jeune fille le respira avec délices. Travailler, se dévouer, soulager les souffrances en s'oubliant elle-même, c'était là, désormais, le programme de sa vie. Elle le vit beau dans son austérité et, se sentant appréciée, utile, aimée, du fond de son coeur, elle en remercia Dieu.





VI

LES SUITES DU CONGRÈS D'UTRECHT


Le traité d'Utrecht, paix désastreuse pour la France, venait d'être signé entre Louis XIV et les Alliés. Quelques voix, dans le Congrès, s'étaient élevées en faveur des prisonniers et forçats huguenots, mais devant l'opposition irréductible du vieux monarque, toujours médusé par les Jésuites, les princes protestants s'étaient tus. Cependant, aux derniers jours de mai, des bruits étranges et contradictoires couraient à Genève. On parlait d'un gentilhomme huguenot, délégué des cantons suisses, qui, non découragé de son échec au congrès, continuait à se dépenser corps et âme pour ses frères captifs. À son instigation, une démarche venait d'être tentée auprès du roi par la reine Anne d'Angleterre. Les uns prétendaient que les délégués de la reine avaient été favorablement accueillis, d'autres affirmaient que Louis XIV, fidèle à son invariable ligne de conduite, les avait courtoisement congédiés. Chacun causait, commentait, niais nul ne savait rien de certain.

De divers côté, ces rumeurs étaient parvenues aux oreilles d'Elisabeth et l'avaient jetée dans un émoi facile à comprendre. Tout ce qui concernait les anciens compagnons de Claude éveillait dans son coeur un intérêt poignant. Elle avait eu l'occasion, chez le docteur Candaux, d'être présentée à l'un des membres du Consistoire. Elle résolut de lui écrire afin d'obtenir sur ce sujet des renseignements précis. Se sentant très fatiguée de sa rude besogne, après quatre semaines consécutives de service de nuit, elle demanda à la direction de l'Hôpital de bien vouloir avancer d'un mois la date de ses vacances. Sa requête lui fut accordée. Elle se réjouit de pouvoir passer dans sa famille d'adoption les belles journées ensoleillées du mois de juin.

Le dimanche, on fut ensemble au culte du village. On avait mis une grosse bûche sous le pot au feu, et laissé dans la cour, à l'ombre du tilleul, le vieux domestique, sa grosse Bible sur les genoux, pour surveiller la ferme. Grande fut la surprise de nos amis, en trouvant la petite église, si nue à l'ordinaire, décorée ce jour-là d'une profusion de fleurs et de branches vertes. Pourtant les jours fériés de Pâques et Pentecôte étaient passés. Que signifiait ce décor inaccoutumé ? Quand le pasteur Laroche, un réfugié, entré depuis peu en fonctions, gravit les degrés de la chaire, il se fit dans tout l'auditoire un mouvement d'intense attention. Le visage illuminé d'une flamme intérieure, la voix vibrante d'émotion, M. Laroche parla en ces termes :

Mes frères, ce jour est pour nos Églises de France, pour notre Église réformée de Genève, pour la chrétienté tout entière, une grande et glorieuse journée !... Béni soit ce vieillard qui, triomphant de la fatigue et des infirmités d'un grand âge, franchit les mers, parcourt les pays lointains, réveille dans le coeur des souverains de toutes les cours protestantes d'Europe une ardente sympathie pour la cause de nos martyrs ! Et bénie soit cette reine du Nord qui, émue à son tour de nos détresses, proteste, intervient et force enfin la main au vieux roi, sourd jusqu'alors à toutes nos requêtes ! Mais surtout béni soit le Très-Haut dont la main puissante se signale aujourd'hui par la plus merveilleuse des délivrances !

Après cet exode, M. Laroche, précisant les événements, s'expliqua :
Ces derniers jours, aujourd'hui même peut-être, trois cents de nos nobles confesseurs des galères de France voient tomber leurs fers ! Un homme, animé de ce zèle que rien ne rebute, de cette foi qui transporte les montagnes, le vieux marquis de la Rochegude, a visité ces derniers mois toutes les cours protestantes, sollicitant des lettres de recommandation pour la reine d'Angleterre. Il les a obtenues. Et cette reine, une Stuart, oubliant les griefs de sa race contre la foi réformée, faisant taire ses préventions, cette reine a cédé ! N'écoutant que la voix du coeur, elle est intervenue auprès de Louis XIV. Et le vieux despote qui, au congrès d'Utrecht, pressenti par les ambassadeurs de Hollande, d'Allemagne et d'Angleterre, leur avait opposé ce refus inexorable : « De mon vivant, sauf abjuration, pas un seul des forçats huguenots ne sera relâché ! » le vieux roi persécuteur, à son tour, a cédé ! Faut-il y voir un tardif remords ? Un désir inavoué d'expier ses crimes ? N'y verrons-nous pas bien plutôt un miracle du Tout-Puissant, de Celui qui tient en ses mains les coeurs des rois et les dirige, lorsque telle est sa volonté souveraine, comme des ruisseaux d'eau ?...

Sur ces vaisseaux de guerre, bagne infamant, où nos frères ont lutté jusqu'au sang pour la vérité, ils étaient plusieurs centaines... Beaucoup sont morts, mais pendant ces longues années de souffrance, d'âpre lutte contre les privations de toutes sortes, pas un seul n'a trahi sa cause, pas un n'a lâché son drapeau !

Beaucoup sont morts, reprit la voix profonde de M. Laroche. Et quand, dans quelques jours, les réchappés arriveront à nos portes, quand nos murs accueilleront leur cortège triomphal, - alors, ces martyrs obscurs, nous ne les oublierons pas ! Devant ces héros, gisant dans la lice, devant ces soldats, tombés avant la fin de la bataille, sanglants mais non vaincus, je m'incline avec respect ! ...

Elisabeth ne put en écouter davantage. Les sanglots l'étouffaient. Elle se retira sans bruit, entra dans le petit cimetière et là, assise près d'une tombe d'enfant, elle donna libre cours à ses larmes.
Pourtant, elle voulait se réjouir ! En ce jour de délivrance, d'allégresse pour toutes les Églises réformées, elle ne s'absorberait point dans sa douleur égoïste : elle s'efforcerait de s'oublier pour jouir de la grande joie universelle... Vaine tentative ! Son coeur se brisait de douleur et ses larmes ne tarissaient pas.
Elle se releva et s'approcha de la porte pour écouter la fin du discours. Dès que l'amen fut prononcé, sentant le besoin d'être seule, elle prit, pour regagner la ferme, non la grande route, mais un petit sentier agreste qui traversait les champs.

C'était une matinée d'été pleine de charme et de douceur. Le ciel était voilé, mais par les déchirures des nuages apparaissaient des coins d'azur d'une idéale pureté. Dans la prairie tardive qu'elle côtoyait brillaient les sauges bleues, les esparcettes roses, et, candides étoiles de nos prés, rayonnaient les marguerites. Les longues graminées inclinaient sous la brise leurs fines aigrettes d'or. Au bruissement du foin mûr s'ajoutait le concert des grillons et le léger bruit des criquets dont les ailes, parfois, rayaient l'air en vives et rouges étincelles. Toutes ces splendeurs, toutes ces harmonies pénétraient, sans qu'elle s'en rendit compte, l'âme d'Elisabeth. Une pensée la traversa tout à coup : Et s'il n'était pas mort ? Mais, avec une sorte de frayeur, elle la repoussa. Tant de fois déjà, et si cruellement, elle avait été déçue ! Elle gardait au coeur le souvenir de la douleur terrible qui toujours suit de près l'illusion. Non, il valait mieux ne plus rien attendre, ne plus rien espérer ! Et pourtant, s'il n'était pas mort ?... Savait-on jamais ? Si, malgré les sombres pressentiments, les probabilités écrasantes, hélas ! si malgré tout, il revenait ?... Elisabeth avait beau faire, elle ne pouvait résister à l'espoir secret qui, malgré ses efforts, s'infiltrait en elle, l'envahissait, la subjuguait. À la fin comme le batelier qui cesse de lutter, qui lâche les rames pour s'abandonner à l'irrésistible courant, elle livra son coeur à la joie tremblante, mais délicieuse, de l'espérance. Oui, se dit-elle enfin, au risque de mourir ensuite de chagrin, je veux, pendant ces semaines, relever ma tête vers la lumière, croire au bonheur, espérer ! Je le veux, je l'aurai ce bonheur de quelques jours ! Même pour retomber ensuite dans l'abîme de ma désespérance, - pour me dire avec une amère tristesse : Tout n'a été qu'aurore, le jour n'est pas venu !

Le lendemain, calculant que la réponse du Consistoire devait être au bureau des messageries, elle revint au village tout en se chargeant des commissions. Son coeur battit lorsqu'on lui remit une carte du haut et vénérable Consistoire de Genève, armoriée du sceau de la ville.
- Vous allez à la ferme des Tilleuls ? lui dit l'employé. Une lettre pour la fermière !
Il la glissa dans le petit sac de velours qu'Elisabeth portait au bras. Avidement, elle prit connaissance de la carte.


Ce 17 juin 1713.

« Les nouvelles qui circulent à Genève sont exactes. Par l'effet de la haute intervention de S. M. la reine d'Angleterre, 136 galériens huguenots des galères du roi, à Marseille, vont être incessamment déchaînés. C'est par nous que M. le Marquis de la Rochegude, délégué des Cantons suisses au Congrès d'Utrecht, leur a fait tenir l'heureuse nouvelle de leur libération. »

Elisabeth fit rapidement ses emplettes. En route, elle lut et relut le message du Consistoire. Elle venait d'atteindre le petit bois qui séparait le village de la ferme. Glissant enfin la carte dans son réticule, elle prit la lettre adressée aux Paysac et y jeta les yeux. Alors, soudain, elle eut un éblouissement. La route, les arbres vacillèrent autour d'elle. Puis elle se sentit descendre, mais sans secousse et sans douleur, dans un gouffre qui n'avait pas de fond. Elle ne sut pas combien de minutes avait duré son évanouissement. Lorsqu'elle en sortît, elle vit d'abord que le bois était solitaire, la route déserte. Personne ne l'avait aperçue. D'une main tremblante, elle ramassa la lettre qui gisait à côté d'elle. Cette lettre venait de Marseille : l'écriture était celle de Claude !...

La première violence de son émotion passée, elle reprit sa route. Elle volait plutôt qu'elle ne marchait. De loin, apercevant Jeanne et sa mère dans la cour, elle agita la lettre au-dessus de sa tête. Isaac et Daniel, occupés dans la grange, furent appelés. Les cadets accoururent à leur tour ; bientôt toute la famille fut réunie sous le grand tilleul. Et ce furent des cris, des exclamations de joie. Mme Paysac ouvrit la lettre et la lut à haute voix :


« Bien chers amis,

« Vous serez sans doute surpris de recevoir une lettre de ma main. Pendant ces trois longues, rudes années, si je n'ai pas écrit, ma pensée vous a cependant chaque jour visités. Maintenant que notre délivrance, - Dieu en soit mille fois béni ! - est chose presque certaine, je viens vous donner quelques détails. Par le secrétaire de l'intendant, qui nous est dévoué, nous avons appris que la reine d'Angleterre, aux sollicitations d'un gentilhomme français, avait obtenu du roi notre libération. Il y a quelques jours, l'intendant a reçu de la cour l'ordre de déchaîner 136 d'entre nous. Son secrétaire, toujours en secret, nous a communiqué la liste, mais par fragments. J'y ai trouvé mon nom ainsi que ceux de Franceset (que je croyais mort) et de Pierre Mazel. Mais les aumôniers, apprenant la décision du roi, ont envoyé un express à la cour pour faire retirer l'ordre. Ils ont le bras long, nos Lazaristes... Heureusement, l'express est revenu n'apportant aucune réponse. Mais ils en ont dépêché un second ! Hier, une lettre du Consistoire de Genève adressée à Pierre Mazel est venue nous confirmer la grande nouvelle. Enfin, à midi, l'intendant nous a fait déchaîner, nous 136 ! J'ai retrouvé Franceset qui avait été transféré sur la galère La Victorieuse, et lui ai remis la lettre de sa femme et le portrait de son enfant. Il était comme fou de joie. Nous avons la liberté de parcourir la ville mais avec défense d'en franchir les murs. Nous ne sommes pas au bout de nos tribulations. Car les Lazaristes, pour nous retenir, ont exigé de l'intendant qu'il nous forçât à sortir du royaume, par mer, pour n'y plus rentrer. Or, aucun vaisseau anglais, ni hollandais, n'entre dans le port. Cependant nous avons confiance. Celui qui a incliné en notre faveur le coeur des souverains, Celui-là achèvera l'oeuvre de délivrance !

Nous sommes décidés, en tout cas, à ne nous séparer point, à gagner, si possible, tous ensemble Genève. Nous tâcherons de louer des barques pour nous transporter à Villefranche. Se peut-il que bientôt j'aie l'immense joie de vous revoir tous, chers et bons amis. Je n'ose y croire encore !
Soyez tous fraternellement salués et embrassés de votre frère.

« Claude NOGUIER. »


La missive n'avait qu'un court post-scriptum :
« Mlle d'Arville est-elle encore chez le docteur de Candaux ? Dites-moi quelque chose de ses circonstances actuelles. Écrivez comme de coutume chez Mme Soubeyran, rue des Chapeliers, 17. En répondant tout de suite, j'aurai la lettre avant notre départ. »

Ce post-scriptum, Elisabeth le lut et le relut plusieurs fois. Puis, prenant la plume, elle traça la réponse suivante :

« Il n'existe pas de paroles humaines pour exprimer la joie que nous a causée votre lettre. Car nous savions bien la démarche de la reine Anne et l'ordre de libération, mais nous vous pleurions comme mort... Nous nous réjouissons de faire la connaissance de Pierre Mazel, le frère de notre pauvre et vaillant Abraham. En apprenant que son mari est sur la liste, la femme de Franceset pleurera de joie après avoir si longtemps et amèrement pleuré... Loué soit Dieu qui change en concerts de louange nos plus profondes détresses ! Nous vous attendons !

« Votre ELISABETH. »


P.S. - Depuis quinze mois, je travaille comme garde dans l'un des hôpitaux de Genève.

Sa lettre écrite, Elisabeth la porta tout de suite au bureau central. Il lui sembla que, ce soir-là, la route familière, la haie vive, les grands peupliers, les montagnes, le lac scintillant par les éclaircies des forêts, n'étaient plus les mêmes que la veille. Elle voyait les contours plus lumineux, plus précis et comme s'ils étaient baignés d'une lumière surnaturelle. C'est que, dans son âme, un rideau qui lui dérobait la merveilleuse beauté de ces paysages agrestes, s'était déchiré. Le voile sombre au travers duquel, depuis trois ans, elle considérait le monde extérieur, - ce voile n'existait plus !

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