Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

III

DANS LA CALE

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 Claude avait un petit calepin dans lequel il inscrivait les dates, les accompagnant parfois d'une note, d'une réflexion brève. Lorsqu'il écrivit celle du 14 août 1712, il se souvint de la mort de Roland. Sa pensée le reporta à huit ans en arrière. Il songea au brave chef qu'il avait connu personnellement, à ce corps « dès longtemps offert en sacrifice » et qui, traîné sur la claie, à Nîmes, avait été jeté ignominieusement à la voirie. Il se dit que l'âme héroïque, enlevée par les anges comme celle de Lazare, avait été portée en triomphe devant l'Éternel.
Claude envia Roland.

À ses côtés, Capucin soupirait et geignait. Fiévreux, il s'était agité toute la nuit sur son banc sans trouver le sommeil. Il tourna vers le Cévenol son visage douloureux :
- Ça se tire, ça se tire ! murmura-t-il, la fin de l'écheveau n'est pas loin. Quelle chienne de vie, tout de même, quelle chienne de vie ! Mieux aurait valu n'être jamais né !

Plusieurs fois, Claude s'était entretenu des choses éternelles avec son vieil ami. Celui-ci tantôt écoutait, tantôt coupait court à l'entretien par une plaisanterie. Cette fois, Capucin ne riait plus, il suppliait.
À bout de courage, il implorait un secours.
Claude lui prit la main avec affection.
- Camarade, dit-il, je sais quelqu'un de très bon et de très puissant qui ne demanderait pas mieux que de t'aider. Avec lui, la vie est supportable, et la mort, loin d'être une fin, devient un commencement magnifique...
Le pauvre hère soupira.
- Ah bah ! tout ça n'est pas pour moi. Je suis trop vieux, trop misérable, trop canaille ! ...
- Tu te trompes ! C'est justement ceux-là qu'il préfère, mon Maître bien-aimé ! C'est pour ceux-là qu'il est descendu. Les justes comme le père Garcin, le père Lacoste et tous nos aumôniers n'en ont pas besoin. C'était toujours les plus bas tombés, les plus méprisés qu'il accueillait quand il était sur la terre... Il en faisait de nouvelles créatures, il les transformait, il leur donnait la vie éternelle !
- Alors tout ça, c'est vrai ? fit Capucin, ouvrant les yeux tout grands comme s'il se réveillait d'un songe. Tu peux m'affirmer sur ta tête que c'est vrai ?

Le forçat huguenot eut un argument sans réplique :
- Si je n'avais pas la certitude que c'est vrai, serais-je aux galères depuis dix ans ?
- Alors que faut-il que le fasse ? Je voudrais bien ne pas couler à pic, mais, je ne sais pas... Il faudrait encore m'expliquer...
- Écoute, dit Claude, le Fils de Dieu est descendu du ciel, exprès pour sauver ceux qui, comme toi et moi, désespèrent de se sauver eux-mêmes. Il libère les esclaves du mal. Vois-tu, Capucin, ta canaillerie ce n'est pas toi. C'est une chaîne qui doit se rompre. Ton vrai toi, c'est ton âme ! C'est ce quelque chose qui souffre, qui aspire à une vie nouvelle qui voudrait changer mais ne le peut pas. Eh bien ! Jésus de Nazareth est le Fort, le Puissant qui peut te secourir. Ta chaîne de découragement, de vices et de doutes, il veut la briser. Tout ce qu'il te demande, c'est de le vouloir toi-même. Il frappe à ta porte, ne la verrouille pas. Ouvre-la, laisse-le entrer ! Capucin, tu as tout au fond de toi quelque chose de très bon, une étincelle divine que Dieu lui-même y avait cachée. Je l'ai vue briller une fois, dans la baraque, quand tu m'affirmais que tu donnerais ta vie pour moi. Mon Maître veut la rallumer, cette étincelle. Il veut souffler dessus par son souffle divin : son Esprit. Alors tu sentiras se réveiller en toi le courage, la joie et tous les sentiments nobles. Tu deviendras quelqu'un qui se respecte lui-même et qu'on respecte !
- Est-ce vrai que je pourrais un jour être comme toi ? murmura Capucin. Ce serait trop beau ! Il ferma les yeux : Je suis à moitié mort de lassitude !...

Frileux, il se pelotonna sur son banc.
Le sous-comite passait. En fonctions depuis quinze jours, il remplaçait ce jour-là le comite en chef qui avait dû s'absenter et dont il était le neveu. Il prenait au sérieux sa nouvelle dignité, invectivait, frappait, donnait des ordres à tort et à travers.
De l'arsenal, on avait réquisitionné des hommes pour une tâche urgente. Déjà plusieurs étaient sortis des bancs et s'alignaient sur le coursier. Il avisa Capucin.
- Debout, chien paresseux lui cria-t-il en faisant claquer sa corde.
- J'peux pas ! J'suis malade ! gémit Capucin...
- J'peux pas ! C'est ce qu'on va voir ! Les feignants, c'est justement ceux-là que j'expédie à « la fatigue ».
- Je te dis que je ne peux pas ! répéta Capucin, le regardant avec une de ses grimaces habituelles.

Le sous-comite crut qu'on le narguait.
- Debout, fainéant ! cria-t-il, et les coups de pleuvoir sur les épaules de Capucin.

Claude s'interposa :
- Laissez-le. Je prends sa place.

Mais sans rien entendre, le sous-comite redoubla ses coups. Alors Claude lui empoigna le bras.
- Le comite permet l'échange ! Vous n'avez pas le droit de frapper ainsi ! Les règlements sont faits pour être observés.
- Chien pouilleux, tu veux m'apprendre mon métier ! hurla le sous-comite. Me lâcheras-tu ? Je te ferai voir qui commande sur ma galère ! ...
- Cette galère n'est pas à vous !

Le sous-comite prît alors la corde de la main gauche et en cingla le visage du galérien avec une bordée d'injures. Celui-ci, d'un geste instinctif et violent lui arracha la corde et la lança par-dessus bord.
Ce que Claude avait prévu arriva. Mais en se rejetant vivement en arrière, il esquiva le coup de la lourde botte ferrée.
Ce geste fut fatal au sous-comite. Peu habitué encore au roulis, il perdit l'équilibre et s'étendit de son long sur le coursier. Alors ce fut un vrai tumulte. Des rires, des huées s'élevaient de tous les bancs.
- Hardi ! Noguier, hardi ! Empoigne ce gueux et l'envoie après sa corde ! À la mer, le bourreau !

Le tapage s'apaisa cependant, quand à la poupe apparut le capitaine.
Il vit Claude debout, le sous-comite écumant de rage et s'informa de ce qui se passait. Ce dernier voulut parler, mais il bégayait. Alors, M. de Ribeauville se tourna vers le galérien. En quelques mots clairs et concis, Claude décrivit la scène telle qu'elle s'était passée. Depuis quinze jours, les airs prétentieux et fanfarons du nouvel employé agaçaient le capitaine. Il ne perdit pas une si belle occasion de le remettre à sa place.
- Quand en finiras-tu d'embêter le monde, espèce de macaque ! dit-il de sa voix tonitruante. C'est bien sûr que l'échange est permis, il l'a toujours été. Si tu ne connais pas encore les règlements, va cuver ton vin et fiche enfin la paix à ma chiourme !

À cette sortie du capitaine, les forçats applaudirent bruyamment.
- Bravo ! Bien parlé ! crièrent quelques voix.

Quand le sous-comite disparut sous la rambade, il n'était plus blanc, il était vert. Claude fut déchaîné. Les galériens de « la fatigue » s'alignèrent, puis sous la conduite d'un argousin, s'acheminèrent vers l'arsenal.

Claude, tout le jour, fut sous le coup d'une vague inquiétude. Il savait que son adversaire le retrouverait. Aussi ne fut-il pas surpris, le soir, de le voir revenir en compagnie du major des galères. C'était ce dernier qui présidait aux exécutions.
- Mutinerie, injures, voies de fait ! résumait le sous-comite. Il faut faire un exemple, sans quoi mon autorité est ruinée. Je réclame cinquante coups.

Un murmure de protestation s'éleva dans la chiourme.
- Et moi, j'en appelle au capitaine ! s'écria le Cévenol qui se leva, indigné. Il sait comment les choses se sont passées.
- Le capitaine est en train de dîner. On ne le dérange pas pour si peu !

Avec plus de force, Claude répéta:
- J'en appelle à M. de Ribeauville ! Puis avisant un Turc que la dispute avait attiré :
- Va le chercher immédiatement ! ajouta-t-il d'un ton d'autorité.
- Écoutez ce chien qui se mêle de donner des ordres ! Si tu bouges, toi, Isouff, je te mets à la double boucle !

Sachant que le major était l'ennemi le plus implacable des huguenots, le sous-comite ajouta, venimeux
- C'est un hérétique !

Alors le major laissa tomber sa sentence
- Quarante-cinq coups !

Nouvelle rumeur des galériens, malgré la présence du major qui leur en imposait... Claude n'avait pas d'ennemi dans la chiourme. Chacun le respectait. La dose ordinaire de la bastonnade était de 20 à 30 coups. Ceux qui en subissaient davantage en réchappaient rarement.

Sur les galères, la bastonnade se pratiquait de la manière suivante : Le patient était dépouillé de ses vêtements jusqu'à la ceinture puis immobilisé. Alors un robuste Turc prenait une corde et lui en labourait le dos. Ce Turc était excité par le comite lui-même qui, si le bourreau ne s'acquittait pas avec toute la cruauté voulue de sa mission, le frappait impitoyablement. Au bout de quinze à vingt coups, le supplicié presque toujours s'évanouissait. Pour le faire revenir à lui et, en même temps pour prévenir la gangrène, le « frater » de la galère versait sur ses plaies un mélange de vinaigre et de sel. Ensuite on le jetait dans la cale, sur quelques paquets de câbles ou de cordes.

Pendant qu'on attachait son camarade, Capucin criait, suppliait, réclamait la moitié des coups de corde... Mais nul ne prenait garde à lui.
Isakoff fut appelé pour remplir l'office de bourreau. Mais prières ni menaces ne purent le forcer à démarrer.
- Noguier, mon ami, mon camarade ! Moi, jamais le frapper ! déclara-t-il. Après lui avoir juré qu'il serait châtié d'importance, le sous-comite dut s'adresser au Turc d'un autre banc.

Un quart d'heure plus tard, M. de Ribeauville sortit de la chambre de poupe. En apprenant ce qui s'était passé, sa colère fut terrible.
- Où est-il, ce satané gueux ! s'écria-t-il en parcourant la galère. Le diable m'emporte si je ne le fais pas jeter à la mer. C'est une infamie ! Mon brave Noguier, mon meilleur vogue-avant !

Prudemment, le sous-comite s'était éclipsé. Il détala le soir, sans esclandre. On ne le revit jamais sur la Favorite.

Le capitaine descendit dans la cale. Il trouva Claude presque inanimé, gisant dans une mare de sang. Alors il appela le chirurgien du bord. Le Cévenol fut pansé puis déposé sur un matelas.
- Un peu de vin vous ranimera, dit le capitaine, se penchant sur le visage livide. Je vous apporte un doigt de Madère ou mieux, de Marsala...
- Merci, Ne prenez pas la peine...

Il n'acheva pas. Les dents convulsivement serrées, il parlait avec difficulté.
Le capitaine sortit. Isakoff entra dans la chambre de chirurgie. Il rapportait ses hardes au supplicié.
M. de Ribeauville revint avec une gourde qu'il déposa à son chevet. Puis il s'informa s'il désirait encore quelque chose.
- Capitaine, - le patient s'exprimait avec effort prenez dans ma casaque un portefeuille. Dedans, quatre pièces d'or. Remettez-les à mon frère, Pierre Mazel...
- Je les garde, dit le capitaine, pour vous les remettre à vous-même quand vous serez guéri. Demain, je vous fais transporter à l'hôpital.

Il s'éloigna, Claude pria le Turc de l'aider à remettre sa casaque. Ce vêtement sans manches, en forme de sac, où se trouvait simplement une ouverture pour la tête, n'était guère difficile à enfiler. Cependant, il fallut du temps. Quand le Turc se pencha, des larmes plein les yeux, pour lui souhaiter une bonne nuit, Claude lui tendit la main.
- Merci, mon brave, mon fidèle Isakoff, merci !

Le Cévenol n'était pas seul dans la cale. Un autre forçat, un Provençal, gisait sur le plancher. Depuis deux jours, il râlait... Il semblait que la mort ne voulût point de lui.
Claude reposait immobile, sans donner aucun signe de vie. Le pansement l'avait Soulagé, l'atroce douleur de la première heure s'était sensiblement atténuée. Mais s'il ne pouvait remuer, ni gémir, il pensait avec d'autant plus d'intensité. Son front brûlait de fièvre. Toute l'activité de son être semblait s'être réfugiée dans le cerveau. Ses pensées se heurtaient, roulaient comme des vagues. Toute sa vie passée se déroulait, pareille à un drame, devant ses yeux fermés. Depuis longtemps, il s'était interdit de penser à son amour sacrifié : évitant tout ce qui pouvait l'amollir, émousser son courage, il se bornait à prier pour celle qu'il chérissait plus que jamais au tréfonds de son coeur. Mais en cette nuit solennelle, il vécut une seconde fois, avec puissance, les événements des dernières années : la visite à la prison, le départ, l'inoubliable journée où, sur la galère, leurs yeux s'étaient rencontrés, - et puis, les sublimes, magnifiques et folles espérances suscitées par les guerres camisardes. Il revécut son sacrifice, son immolation volontaire. Et, suivant le cours de sa pensée, il vit celle qu'il aimait, - non plus avec le déchirement terrible d'autrefois, mais avec une sorte de résignation douce, - trouver dans l'oubli, dans la vie familiale, dans les joies paisibles du foyer ce bonheur qu'il avait voulu pour elle...
Avançant la main, il sentit sous sa casaque le petit portefeuille qui depuis neuf ans ne l'avait pas quitté. Et il eut une joie en songeant qu'il l'emporterait avec lui au fond de l'océan.

Les deux mots brodés bleu pâle et or sur le fond sombre scintillèrent tout à coup autour de lui, dans les ténèbres, s'imprimant en lettres de lumière sur le velours de la nuit. Tu vaincra ! La victoire, il l'avait maintenant. Il la remportait dans la mort. Franchissant d'un coup d'aile le temps qui n'existait plus, sa pensée le transporta au seuil du monde invisible. Lorsque, dans un stade plus grand que ceux des fêtes olympiques, la couronne serait posée sur le front des vainqueurs, elle serait là ! Elle serait là, avec sa chevelure légère et blonde, son regard bleu, changeant comme la mer. Mais surtout avec son coeur qui jadis l'avait aimé... Les vainqueurs, elle les verrait s'avancer l'un après l'autre pour ceindre l'éternel laurier. Et, lorsqu'à son tour il monterait de l'arène, alors, - peut-être - elle se souviendrait...

Il faisait complètement nuit quand le père Lacoste, un fallot à la main, entra dans la chambre de chirurgie. Il s'approcha de Claude, projeta la flamme sur son visage et le regarda, perplexe.
- Souffrez-vous beaucoup ? demanda-t-il enfin d'une voix assourdie et que l'émotion faisait trembler.
- Pas trop.
- Mon pauvre ami ! Je suis navré, absolument navré de toute cette affaire. Le sous-comite sera puni comme il le mérite : M. de Ribeauville me l'a promis. Puis-je faire quelque chose pour vous ?

Claude souleva les paupières.
- Merci, dit-il, je n'ai besoin de rien, je suis bien. Au bout de quelques secondes, ouvrant tout à coup les yeux, il regarda le Lazariste.
- Père Lacoste ! murmura-t-il d'une voix distincte, on peut faire à un homme un mal plus grand que de tuer son corps ; c'est d'avilit son âme... je vous pardonne. Vous ne saviez pas... Cette fois, - il fit un grand effort pour articuler sa dernière phrase, - je crois que ma chaîne est bien près de tomber !

Le prêtre lui prit la main et sentit qu'elle commençait à se refroidir. Il se tourna vers l'autre moribond qui gémissait et râlait sans trêve. Alors, fléchissant les genoux, dans cette cale de galère, dans cette ombre qu'étoilait à peine la lueur rougeâtre du fallot posé sur des câbles, d'une voix rauque, il récita les prières des agonisants.

Capucin resta longtemps affalé sur son banc, silencieux, morne, l'âme labourée d'une douleur faite de désespoir et de rage impuissante. Oh ! ce huguenot que le hasard lui avait donné comme compagnon de chaîne, ce camarade à l'abord si familier mais au front si noble, comme il l'avait aimé ! Son attitude, son regard, sa voix, c'était le feu divin qui rallumait, sans qu'il en eût conscience, tout ce qui restait de bon en son vieux coeur souillé. Et c'était à cause de lui, Capucin, qu'on venait de l'assassiner. C'était pour le protéger, pour le défendre, que Claude avait donné sa vie. C'était à cause de lui que, dans quelques heures peut-être, on prendrait sa dépouille et que, comme une bête morte, on la jetterait à la mer !

Le sifflet avait retenti. Tous les forçats, enveloppés de leur capote, dormaient ou faisaient semblant de dormir. La nuit devenait plus sombre. À la clarté d'un pâle rayon de lune, Capucin vit tout à coup deux argousins qui sortaient de la cale. Ils portaient quelque chose d'informe qu'ils déposèrent sur le coursier. Puis ils disparurent. Un corps était là, immobile, revêtu de sa rouge casaque comme d'un manteau d'ignominie. Au bout de deux minutes, les argousins revinrent portant un boulet. Capucin vit, comme on l'attachait aux pieds du cadavre, il vit les argousins soulever leur fardeau et s'approcher du bord. Puis ce fut le bruit sourd d'un plongeon et le rejaillissement de l'eau sur les flancs de la galère... Alors, incapable de se contenir, Capucin courba la tête, se cacha le visage dans ses deux mains et sanglota comme un enfant.

À l'aube, le comite entra dans la chambre de chirurgie. Il remarqua d'abord que le Provençal avait disparu. Le corps de Claude, raide, inanimé en apparence, reposait encore sur le matelas. Il appela les argousins et leur commanda de préparer un boulet. Comme ils soulevaient le corps pour l'emporter, survint le chirurgien de bord. Celui-ci connaissait Claude.
- Une minute, s'il vous plaît ! ordonna-t-il aux argousins.

Il s'agenouilla, appuya son oreille sur la poitrine immobile, puis, se relevant ;
- Cet homme vit, dit-il, le coeur bat encore, quoique faiblement. Je vais avertir le capitaine.

Une heure plus tard, Claude reposait dans un lit, à l'hôpital de marine. Les argousins avaient eu soin, selon leur coutume, de l'enchaîner solidement au pied du lit. Une religieuse en cornette blanche regarda quelques instants le visage inerte, les yeux enfoncés, frangés de longs cils noirs, les mâchoires serrées par une dernière et suprême résolution...
- Pauvre garçon ! murmura-t-elle, ils ne lui ont pas même ôté sa chaîne... Comme si les morts pouvaient s'évader !

Lorsque, sortant enfin de son évanouissement profond, Claude ouvrit les yeux, il éprouva d'abord une sorte d'étonnement. Il était mort : pourquoi se réveillait-il ?... La sueur d'agonie avait mouillé son front, le hoquet du dernier combat avait déchiré sa poitrine : pourquoi se retrouvait-il dans cette salle d'hôpital ? N'avait-il pas assez souffert, assez soulevé la rame, assez traîné la chaîne ?... Il avait touché le sommet, pourquoi retombait-il au pied de la montagne ? Il avait salué le port et maintenant un vent mauvais, le repoussant au large, le rejetait en pleine tempête ...
Oui, pourquoi ? ...





IV

CHEZ LE DOCTEUR DE CANDAUX


Abraham Mazel était mort ! Cette nouvelle fut connue à Genève aux derniers jours d'octobre. Elisabeth en eut un inexprimable chagrin. Elle revoyait Marc partant gaiement avec le chef camisard et lui criant, la voix légèrement frondeuse :

« C'est pour Claude qu'on marche ! Sûr, on vous le ramène ! » Hélas ! non seulement il ne l'avaient point ramené, mais c'était Marc, l'insouciant, le joyeux soldat qui dormait maintenant à l'ombre de la métairie d'Uzès ! En défendant Abraham, il était tombé sous les balles des Miquelets. Daniel, désolé, harassé, les vêtements en lambeaux, était revenu seul. Ce deuil avait jeté sur la famille du Désert une ombre profonde. Mme Paysac fut la première, non à se consoler, mais à se soumettre. « Toutes les familles ont leurs brèches, dit-elle à ses enfants, la nôtre aussi devait payer son tribut. Notre Marc, sachons le donner sans regret à la sainte cause de la liberté ! »

Dans sa nouvelle place, Elisabeth, après plusieurs années de vie rude, avait retrouvé le confort et l'existence facile dont elle jouissait jadis au Manoir. Elle avait une ravissante chambre donnant sur un balcon. L'ameublement en était élégant et simple : un lit en bois de chêne sculpté, un sofa, un confortable fauteuil et une grande glace caressaient ses regards. À côté de la table, couverte d'un riche tapis de moquette, il y avait un petit secrétaire pour sa correspondance. Plusieurs vases fleurissaient la jardinière. Elle avait la permission, les soirs d'hiver, d'allumer du feu dans sa cheminée de marbre, lorsqu'elle voulait écrire ou lire en toute tranquillité.

Les deux petites de Candaux lui témoignaient la plus vive affection. Le docteur l'entourait d'égards et de respect et la vieille, charmante grand'maman, l'aimait comme sa fille. Et pourtant, dans ce milieu sympathique autant que distingué - Elisabeth devait se rendre à l'évidence elle se sentait parfois profondément malheureuse.

Les lettres qu'elle aimait tant, ces lettres qui étaient toute la joie, tout l'intérêt profond de sa vie de jeune fille, ces lettres n'arrivaient plus Les jours de courrier elle se levait avec cette pensée ! Le messager ne m'apportera-t-il rien ? et le soir, après sa cruelle déception, elle versait quelques larmes. La semaine prochaine, peut-être ! songeait-elle pour se consoler.
Mais les courriers se succédaient sans amener la missive attendue. À la fin, Elisabeth résolut d'écrire directement à Mme Soubeyran, la suppliant de lui donner des nouvelles. Quinze jours plus tard, elle en reçut la réponse suivante :

« Il m'est impossible, à mon grand regret, de vous renseigner au sujet de M. Noguier. Tout ce que je puis vous dire c'est que, depuis plusieurs mois, son Turc n'est plus venu chercher des lettres ni m'en apporter. J'ai encore ici tous vos derniers paquets et lettres que je n'ai pu lui faire parvenir. Il est donc inutile de m'en envoyer davantage. Je n'ose non plus faire des démarches pour m'assurer qu'il est encore vivant. Depuis longtemps on me surveille. Des prêtres rôdent parfois autour de la maison, épiant nos allées et venues. Heureusement qu'ils n'ont rien pu découvrir ces derniers temps : cela m'aurait attiré sans doute quelque mauvaise affaire. Des épidémies ont régné cet été sur les galères ! ma conviction c'est que Claude Noguier est au nombre des victimes, sans quoi il m'enverrait son messager comme il l'a fait régulièrement jusqu'ici. Le Turc Isakoff m'assurait que beaucoup meurent des suites de la bastonnade. Enfin, s'il est au repos, que peut-on lui souhaiter de mieux ? Vous le savez, c'est une vie effroyable qu'on leur fait à ces malheureux, sur les galères de Marseille. »
Elle ajoutait en post-scriptum : « Si jamais j'ai des nouvelles, je vous les communiquerai immédiatement. »

Cette lettre fut pour la jeune fille un coup de massue. Elle se retira dans sa chambre, enfouit sa tête dans les coussins et se mit à sangloter désespérément.

Toutes sortes de questions se posaient : Pourquoi Dieu n'avait-il pas donné la victoire aux Camisards ? - le succès à la tentative d'Abraham ? Pourquoi n'avait-il pas rompu les fers des captifs ? Elle avait tout sacrifié pour rester fidèle à sa foi, elle avait quitté famille, patrie, et c'était là sa récompense ! ...
Alors, il lui sembla qu'une voix murmurait à son oreille : Est-ce bien pour moi que tu l'as fait ?

Les semaines qui suivirent furent pour elle profondément tristes. Le jour, pour ne point assombrir son entourage, elle refoulait ses larmes, elle s'efforçait de prendre une figure sereine et gaie. Mais chaque soir, le désespoir prenait sa revanche. Claire et Laurette l'observaient avec sympathie.
Quand les fillettes avaient été très sages, qu'elles avaient appris parfaitement leurs leçons, Elisabeth avait l'habitude de leur chanter une romance en s'accompagnant de la guitare. Un soir, elles réclamèrent leur morceau favori: « La ballade du troubadour ».

Elisabeth se dit que, coûte que coûte, elle devait surmonter sa faiblesse, arriver à se dominer elle-même. Elle prit donc l'instrument et se mit à chanter.
Mais à peine avait-elle achevé le premier verset que la guitare lui tomba des mains et qu'elle éclata en sanglots. Les fillettes se jetèrent sur elle pour l'embrasser, la consoler, en lui faisant toutes sortes de questions. La grand'mère qui crochetait dans son fauteuil la suivit, lorsqu'elle sortit, d'un tendre et anxieux regard.

Sa porte verrouillée, Elisabeth sanglota longtemps, à genoux près du lit. De son coeur montait un vrai cri de détresse : Comment vivre sans lui ? Avec Claude, les humiliations les plus profondes, les pires difficultés ne comptaient pas. Sans lui, sans l'espérance du revoir, toute joie terrestre, toute énergie sombrait. Et comme un flot appelle un autre flot, la perspective de l'avenir la remplit de trouble et d'angoisse. Que serait plus tard son existence ? Elle ne demeurerait pas toujours chez les de Candaux. Seule et pauvre, elle devrait travailler, gagner le pain de chaque jour ; son lot jusqu'à la fin serait de servir. Servir ! Elle dont les ancêtres, d'une génération à l'autre, s'étaient fait servir - elle devrait, sans but, sans espoir au coeur, se courber humblement, sous la dépendance d'autrui... A cette pensée, tout son orgueil douloureux et saignant, tous les préjugés de sa lignée aristocratique se réveillaient, se dressaient pour l'écraser... Soudain, elle eut le sentiment d'une présence invisible. Quelqu'un était là. Douce et pénétrante, une voix parla dans son coeur :

« Existant en forme de Dieu, il s'est abaissé, il s'est anéanti lui-même en devenant semblable aux hommes, en prenant la forme d'un serviteur. Étant riche, il s'est fait pauvre pour nous afin que, par sa pauvreté, nous fussions rendus riches... Vous m'appelez Maître et Seigneur et vous dites bien car je le suis. - Et cependant je suis au milieu de vous comme celui qui sert. »

Elisabeth sentit alors un mystérieux apaisement. Elle eut la vision d'un autre ordre de grandeur. L'humilité du fils de Dieu, la splendeur de son abaissement volontaire pour la première fois la saisirent avec force. En ce moment, tout son orgueil se fondit, sans effort sa volonté se courba sous une volonté d'amour librement acceptée.
Et de nouveau la voix se fit entendre :
- Pourquoi pleures-tu ? Il a combattu le bon combat, il a gardé la foi. Et maintenant, à ton tour, veux-tu me servir ? veux-tu me suivre ? Marcher sur mes traces dans la voie du renoncement et du sacrifice ?

Nette et décisive, la réponse jaillit de ses lèvres. Oui, Seigneur, je le veux ! Ce soir-là, un pacte fut scellé entre le Maître doux et humble de coeur et la jeune patricienne qui, descendant pour jamais de son piédestal, à son exemple consentait à servir.
Graduellement la paix revint en elle. Ce n'était pas encore la joie, mais au moins avait-elle retrouvé la force nécessaire pour porter, sans défaillance, le fardeau journalier.

Elle regardait parfois avec une sorte d'antipathie le luxe qui l'entourait. Claude ne les avait jamais goûtés, ces raffinements de l'existence que permet la fortune. Sa vie à lui s'était passée au Désert, dure, errante, exposée à mille périls, elle s'était achevée dans les horreurs du bagne. Comment avait-elle pu dormir sous son moelleux édredon, le sachant exposé aux morsures du mistral, vivre dans les délices tandis que, sur l'affreuse galère, il souffrait et mourait ? En y songeant, elle se haïssait elle-même. Ah ! comme elle regrettait l'hiver passé chez la belle-soeur de Jeanne, ce rude et lumineux hiver où plus d'une fois minuit l'avait trouvée courbée sur ses durs travaux ! Cette vie laborieuse et pénible, avec, au coeur, une espérance, n'était-ce donc pas du bonheur ?...

Mme Soubeyran avait promis d'écrire tout de suite si elle recevait quelque nouvelle. Mais les semaines passaient, une année succédait à une autre année et la lettre, suprême espoir d'Elisabeth, n'arrivait pas !
Depuis son poignant chagrin, tous, dans la famille du docteur, avaient redoublé pour elle d'affection et de prévenances. Mme de Candaux, lorsqu'elle vit enfin reparaître sur les traits de sa jeune amie un peu de gaîté, s'en réjouit intérieurement. Elisabeth n'avait pu lui celer toute la vérité : une demi-confidence l'avait mise sur la voie. Et maintenant la vieille dame, de toutes manières, s'efforçait de lui faire partager sa conviction : Un deuil peut bien assombrir quelque temps une jeune vie, mais il ne doit pas pour toujours la briser. Il faut savoir, comme Paul, rompre avec le passé et se tourner résolument vers l'avenir...

Le docteur, mis au courant par sa mère, observait avec joie ces symptômes de guérison morale. Il traitait la jeune fille non comme une employée, mais comme une égale, l'entourant du respect le plus délicat, de la plus parfaite courtoisie. Un jour, il lui donna, sans qu'elle l'eût demandé, un congé de quinze jours pour qu'elle allât se retremper auprès de ses amis des Tilleuls.
- Vous prenez votre tâche décidément trop à coeur, lui dit-il, vous avez l'air fatiguée. Un repos complet vous fera du bien. Allez ! promenez-vous beaucoup dans la campagne, laissez-vous vivre au grand soleil et revenez-nous avec du rose aux joues et une provision nouvelle de santé et de gaîté !

En s'acheminant vers la ferme, Elisabeth n'avait qu'une pensée. Les Paysac n'auraient-ils pas, peut-être, en son absence, reçu des nouvelles ? Elle se rappelait une lettre de Claude, portant sur l'enveloppe des salutations de Pierre Mazel aux galères, de Jean Mazel dans les Cévennes et dont le sceau était de Genève. Elle avait été mise à la poste par des réfugiés. L'incertitude lui était si douloureuse ! Ses prières, elle les commençait maintenant par ces mots : S'il vit, s'il lutte et souffre encore... Oh ! comme il lui tardait d'être enfin délivrée de ses doutes et de savoir toute la vérité !
Mais à la ferme elle ne trouva rien, - rien si ce n'est le sourire de Mme Paysac et la chaude affection de Jeanne. Leur accueil fut un baume sur sa plaie secrète.

Jeanne, elle ne tarda pas à s'en apercevoir, - avait un sujet qui lui tenait particulièrement à coeur. La jeune paysanne en entretint son amie les jours qui suivirent, au retour des champs. Elle le reprit le soir, tandis qu'assises sous le tilleul, elles préparaient ensemble le légume pour le lendemain.
- Daniel, lui dit-elle, s'est fait une entorse en tombant d'un arbre. C'est le docteur de Candaux qui l'a soigné ! Qu'il est bon, cet homme, qu'il est généreux et désintéressé ! Savez-vous que dans sa famille, on vous apprécie beaucoup ? Il nous l'a dit lui-même : ses filles vous adorent et sa vieille mère aurait grand'peine à se passer de vous. Quelle chance, il y a deux ou trois ans, que cette rougeole de Maurice ?... Sans doute il fallait que vous le rencontriez. Il est des hasards qu'on pourrait appeler providentiels.

Un autre jour, tout en berçant sur ses genoux sa belle petite Mariette, Jeanne reprit l'entretien.
- Elisabeth, je voudrais tant vous voir heureuse. Et j'ai peur que, si quelque jour le bonheur s'offre à vous, vous le repoussiez au risque de vous en repentir le reste de votre vie...
- Le bonheur ! fit Elisabeth tristement. Pour moi, vous le savez bien, il n'est plus ici-bas, il est là-haut.
- Non, dit Jeanne avec chaleur. Le temps est un grand Médecin. Toutes les blessures se ferment, toutes les plaies se cicatrisent. Il ne faut pas que le passé jette pour toujours son ombre sur l'avenir. Vous avez assez souffert. Maintenant vous pouvez, vous devez être heureuse. Regardez ces branches, tandis que les vieilles feuilles fanées s'en détachent, elles poussent déjà des bourgeons printaniers. N'empêchez pas l'espérance d'éclore en vous. Vous avez le don de vous faire aimer, vous êtes encore jeune et jolie...
- Je ne suis plus ni l'un ni l'autre, interrompit Elisabeth. Et si même quelqu'un jetait les yeux sur une pauvre fille sans famille et sans dot, suis-je libre ? On ne donne pas sa main sans son coeur. Or le mien n'est plus à donner !
- Mais il est insensé, s'écria Jeanne, de s'enfermer dans un chagrin éternel. La vie est longue. Maintenant, sans doute, vous ne souffrez guère de la solitude. Mais plus tard ? Mais au bout de trente, peut-être quarante années ?...
- Ah ! je sais bien, dit Elisabeth, que ma santé est désespérément bonne ! Ne meurt pas qui veut !... J'en fais l'expérience.
- Elisabeth, vous me faites de la peine. On n'a pas le droit de mépriser la vie : c'est un don de Dieu. Il faut s'y rattacher au contraire et s'y cramponner ! Écoutez, je vais vous confier un secret que personne, pas même ma mère, n'a jamais pénétré. Moi aussi, dans ma première jeunesse, j'ai aimé ! Oh ! sans le moindre espoir de voir jamais se réaliser mon rêve - celui que j'aimais était trop au-dessus de moi. Il était le prince, moi la bergère. Que de fois j'ai pleuré, seule, la nuit ; que de fois au matin mon oreiller fut trempé de larmes... Et quand j'appris sa mort, ce fut pour moi une sorte de soulagement. Au moins, me dis-je, aucune autre ne me le prendra ! Et j'avais résolu de lui rester fidèle, de ne l'oublier point, de ne me marier jamais. Mais j'ai vu qu'ici bas le rêve doit céder la place à la réalité. La tâche normale d'une femme, c'est le mariage. Certes, on n'oublie pas ! Les chers souvenirs, on les enferme dans le sanctuaire de son coeur puis on enlève la clef. Et ce n'est que rarement, à de longs intervalles, qu'à la dérobée on y risque un coup d'oeil...

Elisabeth fixa sur son amie, qui rougissait, un regard pénétrant.
- Je l'avais deviné ! dit-elle enfin. Quand je vous vis pleurer sur le tombeau de mon frère, je compris tout. Et j'ai la certitude que lui aussi vous a aimée !
Toutes deux avaient les larmes aux yeux. Cette évocation du beau et mélancolique visage d'Augustin d'Arville les avait, l'une et l'autre, profondément remuées.

Jeanne rapidement s'essuya les yeux, embrassa son enfant, puis relevant la tête d'un geste de vaillance :
- Faites comme moi, conseilla-t-elle. Ce n'est point trahir, sachez-le bien, que de se reprendre, à vivre ! ...

Elisabeth se leva, embrassa la jeune femme, puis, sans une parole, quitta la cuisine. Elle se retira dans sa petite chambre, sous le toit. Là, elle se mit à réfléchir.
Que lui demandait-on ? Qu'attendait-on d'elle ? Que, pour remplir une carrière heureuse, pour échapper à l'isolement d'une triste vieillesse, elle s'efforçât d'oublier ! Que, comme les hêtres jetant au vent leurs frondaisons anciennes et fanées, elle laissât germer dans sa vie des affections nouvelles, de douces et joyeuses espérances... C'était logique en apparence. Cela paraissait naturel, légitime et juste. Mais, était-ce là sa destinée ? Cela rentrait-il dans le domaine des choses possibles ?

Il y avait dans sa vie des possibilités. Elle pouvait maintenant supporter la pauvreté, le travail pénible, même l'opprobre et le mépris. Mais abandonner sa main à une autre qu'à cette main brune qui, jadis, au mystérieux sommet de l'Espérou, l'avait touchée : cela jamais, non jamais !... Elle pouvait bien mourir seule, abandonnée : Dieu la recueillerait. Mais profaner le grand, le profond, le divin amour qu'il lui avait donné : cet amour que ni l'absence, ni le silence, ni la mort elle-même n'avait pu détruire, elle ne le pouvait pas !

En ce moment une résolution se forma dans l'esprit de la jeune fille ; les vagues aspirations des semaines précédentes se précisèrent : je quitterai, se dit-elle, ma place chez le docteur. Cette vie à demi-oisive, facile, amollissante, c'est là le grand mal. Je parlerai à Mme de Candaux : avec une entière franchise, je lui dirai mes raisons et lui ouvrirai mon coeur. Cela fait, je me sentirai libre, sans gêne aucune, de m'adresser au docteur. Je lui dirai mon désir de faire oeuvre utile. Je réclamerai ses conseils et sa protection. Il ne refusera certainement pas de m'aider à trouver, dans l'un des hôpitaux de Genève, une place d'infirmière.
Cette décision prise, Elisabeth se sentit déchargée d'un lourd fardeau.

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